Enfants en nourrice "plombés"
Le 01/04/2017 à 07h16
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Question d'origine :
Bonjour,
Au 18eme, 19eme et 20eme siècle beaucoup d'enfants de Lyon, dans les archives iséroises dans ce cas, étaient placés en nourrice à la campagne. A Pommier de Beaurepaire par exemple il y a cet acte de décès: "Le 10 mars 1762 à été inhumé dans le cimetière de ce lieu Jacob BONJOUR, fils légitime de sieur Jean Claude BONJOUR Maître doreur sur Métaux de la ville de Lyon et de ..., lequel portait au col un plomb du numéro 9695...
Cet enfant n'était donc pas abandonné et de père bourgeois à l'évidence.
Ma question est donc la suivante, qui plaçait ce plomb et pourquoi ?
Merci pour votre patience et votre opiniâtreté!!
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 01/04/2017 à 15h54
Bonjour,
L’ouvrage de référence en la matière est cette Histoire des enfants abandonnés et délaissés de Léon Lallemand (1885) disponible sur Gallica.
Voici ce qu'il explique sur les pratiques à la maison de la Couche à Paris au XVIIe : « Aussitôt qu'un enfant est admis, dit. 4e règlement du 48 octobre 1690, la sœur préposée à cet office « luy mettra le collier a l'instant et fermera dans le sachet qui y est attaché le procez-verbal du commissaire avant que de le porter dans la chambre des nourrices auxquelles elle aura soin de deffendre de changer les coliers; et lorsqu'on portera l'enfant sur les fonds du baptesme monsieur le chapelain retirera le procez-verbal de chascun pour y escrire le nom a l'instant, sans déplacer, et le remettra ensuitte dans le sachet pour éviter confusion certifiant en même tems le baptesme de l'enfant sur le billet que l'on donne aux nourrices lequel sera retiré par la sœur qui doit estre présente au baptesme. » p.166
Ce qui est confirmé plus loin : « En 1682 (délib. du 22 novembre 1682), « il est arrêté qu’il leur sera pendu un billet au col avec un cachet ». »
Cependant, « En province, malgré le développement successif des hôpitaux généraux, les choses ne se passèrent pas de la même manière et on ne peut signaler, aux XVIIe et XVIIIe siècles, aucune uniformité dans les mesures prises à l’égard des enfants délaissés. »
Dans l'Histoire de l’enfance en Occident, du XVIIIe siècle à nos jours, nous lisons : « En France, très souvent, on leur fixe un collier scellé destiné à les identifier et à empêcher tout risque de substitution » p.132
L'ouvrage Ni père, ni mère : histoire des enfants de l'Assistance publique (1874-1939) d'Ivan Jablonka, précise les faits et la généralisation de ces colliers au XIXe siècle :
"Depuis la Restauration, les enfants abandonnés doivent porter un collier scellé jusqu’à l’âge de six ans. L’idée est mise en application par le comte de Corbière, ministre de l’intérieur, qui s’en explique en 1826 auprès des préfets. Pour éviter les substitutions d’enfants, abus qui tarit les finances des départements et des communes, diverses mesures doivent être prises. « Afin d’y remédier autant que possible, […] je vous autorise à faire faire, pour chaque hospice dépositaire, une presse garnie de tous ses accessoires, des colliers et des étains qui porteront pour empreinte la désignation de l’hospice auquel appartient l’enfant, l’année dans laquelle il a été déposé, et son numéro d’ordre. […]Pour mettre le collier à l’enfant on lui passe le cordonnet autour du cou, en en faisant passer les deux bouts par les trous pratiqués dans l’étain. […]Lorsqu’on a donné au collier, en rapprochant plus ou moins l’étain, assez de longueur pour qu’il ne gêne pas le cou de l’enfant, et en même temps pour qu’il ne puisse pas passer sa tête, on fixe l’étain dans sa petite lunette en la serrant avec son coulant. On approche alors l’enfant tout près de la presse […] ; avec l’autre main on serre fortement la vis de la presse. »
Pendant tout le XXe siècle, le collier est constitué d’un cordon de soie et d’une médaille à l’effigie de saint Vincent de Paul sur laquelle sur laquelle sont gravés l’année d’admission et le numéro d’immatriculation de l’enfant… Seul le directeur est habilité à manipuler le collier. En cas de perte, il doit être prévenu pour le remplacer immédiatement. La rupture du collier, au début de l’âge scolaire, représente un moment important. »
Cette page Les abandons d’enfants sous l’Ancien Régime de Jean-Louis Garret donne un bon résumé de ce que l'on trouve dans ces différents ouvrages : « C'est ainsi qu'un commissaire d'Annonay en 1762 consigne dans son procès-verbal la levée d'un enfant trouvé. L'enfant est alors conduit à l'hôpital, où dès son entrée, pour éviter les substitutions toujours possibles et faciliter la reprise par les familles qui se manifesteraient (700 demandes par an à Paris au milieu du 18ème siècle, mais seulement 3 à 5 enfants rendus), il reçoit un collier numéroté. »
«Aussi curieux que cela puisse paraître, la petite bourgeoisie ne dédaigne pas d'employer l'abandon. C'est souvent pour passer le cap d'un mouvement difficile sur le plan financier que l'on croit, à tort, que l'enfant recevra à l'hôpital des enfants trouvés une subsistance et une éducation satisfaisante. L'abandon alors n'est que temporaire et on prend bien soin de laisser avec l'enfant des signes distinctifs qui permettront de le réclamer. Ce billet de juin 1730 est révélateur de cet état d'esprit "le père et la mère de cet enfant prient instamment d'en avoir grand soin ; il est de naissance et de bonne famille, il a quinze jours, i est baptisé et s'appelle Jean, il a tétée. Dans six mois au plus on ira le chercher... et l'on paiera tout ce que l'on pourra exiger".
Vous le voyez le fait d'être bourgeois n'excluait pas la possibilité d'un abandon, qui pouvait être temporaire, d'où l'utilité du collier.
En conclusion, il semble que le collier scellé (ou avec sachet) était mis à l’enfant par l’institution qui le prenait en charge (hôpitaux généraux, Hôpital des enfants trouvés, Assistance publique) dans le but d’éviter les substitutions.
Vous pouvez aussi consulter :
- De l’enfant trouvé à l’enfant assisté
- L’Hôpital des enfants trouvés
- Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle
- une photo d'un collier aux Archives départementales de l’Aisne
- le décret qui souhaitait remplacer le collier par une boucle d'oreilles, mais qui ne sera pas appliqué !
Bonne lecture !
L’ouvrage de référence en la matière est cette Histoire des enfants abandonnés et délaissés de Léon Lallemand (1885) disponible sur Gallica.
Voici ce qu'il explique sur les pratiques à la maison de la Couche à Paris au XVIIe : « Aussitôt qu'un enfant est admis, dit. 4e règlement du 48 octobre 1690, la sœur préposée à cet office « luy mettra le collier a l'instant et fermera dans le sachet qui y est attaché le procez-verbal du commissaire avant que de le porter dans la chambre des nourrices auxquelles elle aura soin de deffendre de changer les coliers; et lorsqu'on portera l'enfant sur les fonds du baptesme monsieur le chapelain retirera le procez-verbal de chascun pour y escrire le nom a l'instant, sans déplacer, et le remettra ensuitte dans le sachet pour éviter confusion certifiant en même tems le baptesme de l'enfant sur le billet que l'on donne aux nourrices lequel sera retiré par la sœur qui doit estre présente au baptesme. » p.166
Ce qui est confirmé plus loin : « En 1682 (délib. du 22 novembre 1682), « il est arrêté qu’il leur sera pendu un billet au col avec un cachet ». »
Cependant, « En province, malgré le développement successif des hôpitaux généraux, les choses ne se passèrent pas de la même manière et on ne peut signaler, aux XVIIe et XVIIIe siècles, aucune uniformité dans les mesures prises à l’égard des enfants délaissés. »
Dans l'Histoire de l’enfance en Occident, du XVIIIe siècle à nos jours, nous lisons : « En France, très souvent, on leur fixe un collier scellé destiné à les identifier et à empêcher tout risque de substitution » p.132
L'ouvrage Ni père, ni mère : histoire des enfants de l'Assistance publique (1874-1939) d'Ivan Jablonka, précise les faits et la généralisation de ces colliers au XIXe siècle :
"Depuis la Restauration, les enfants abandonnés doivent porter un collier scellé jusqu’à l’âge de six ans. L’idée est mise en application par le comte de Corbière, ministre de l’intérieur, qui s’en explique en 1826 auprès des préfets. Pour éviter les substitutions d’enfants, abus qui tarit les finances des départements et des communes, diverses mesures doivent être prises. « Afin d’y remédier autant que possible, […] je vous autorise à faire faire, pour chaque hospice dépositaire, une presse garnie de tous ses accessoires, des colliers et des étains qui porteront pour empreinte la désignation de l’hospice auquel appartient l’enfant, l’année dans laquelle il a été déposé, et son numéro d’ordre. […]Pour mettre le collier à l’enfant on lui passe le cordonnet autour du cou, en en faisant passer les deux bouts par les trous pratiqués dans l’étain. […]Lorsqu’on a donné au collier, en rapprochant plus ou moins l’étain, assez de longueur pour qu’il ne gêne pas le cou de l’enfant, et en même temps pour qu’il ne puisse pas passer sa tête, on fixe l’étain dans sa petite lunette en la serrant avec son coulant. On approche alors l’enfant tout près de la presse […] ; avec l’autre main on serre fortement la vis de la presse. »
Pendant tout le XXe siècle, le collier est constitué d’un cordon de soie et d’une médaille à l’effigie de saint Vincent de Paul sur laquelle sur laquelle sont gravés l’année d’admission et le numéro d’immatriculation de l’enfant… Seul le directeur est habilité à manipuler le collier. En cas de perte, il doit être prévenu pour le remplacer immédiatement. La rupture du collier, au début de l’âge scolaire, représente un moment important. »
Cette page Les abandons d’enfants sous l’Ancien Régime de Jean-Louis Garret donne un bon résumé de ce que l'on trouve dans ces différents ouvrages : « C'est ainsi qu'un commissaire d'Annonay en 1762 consigne dans son procès-verbal la levée d'un enfant trouvé. L'enfant est alors conduit à l'hôpital, où dès son entrée, pour éviter les substitutions toujours possibles et faciliter la reprise par les familles qui se manifesteraient (700 demandes par an à Paris au milieu du 18ème siècle, mais seulement 3 à 5 enfants rendus), il reçoit un collier numéroté. »
«
Vous le voyez le fait d'être bourgeois n'excluait pas la possibilité d'un abandon, qui pouvait être temporaire, d'où l'utilité du collier.
En conclusion, il semble que le collier scellé (ou avec sachet) était mis à l’enfant par l’institution qui le prenait en charge (hôpitaux généraux, Hôpital des enfants trouvés, Assistance publique) dans le but d’éviter les substitutions.
Vous pouvez aussi consulter :
- De l’enfant trouvé à l’enfant assisté
- L’Hôpital des enfants trouvés
- Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle
- une photo d'un collier aux Archives départementales de l’Aisne
- le décret qui souhaitait remplacer le collier par une boucle d'oreilles, mais qui ne sera pas appliqué !
Bonne lecture !
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 04/04/2017 à 11h01
Dans l’ouvrage de Bernard François intitulé
En revanche les missions et plusieurs règlements successifs de l’Hôpital Général de Grenoble sont détaillés : celui-ci recevait « des enfants venants de naître des pauvres artisans, dont les mères ne peuvent les allaiter, et qui sont hors d’état de payer leur nourrissage. » Les enfants admis à l’Hôpital de Grenoble puis placés en nourrice appartenaient « à trois classes : les enfants légitimes, les enfants exposés, les enfants illégitimes. Dans le premier cas, il s’agissait d’enfants orphelins ou que les parents délaissaient, le plus souvent du fait de leur pauvreté… ».
Les colliers numérotés étaient apposés sur les enfants par les hospices civils. « Une médaille à l’effigie de Saint-Vincent-de-Paul était attachée à un cordon de soie, portait en empreinte la désignation de l’hospice auquel appartenait l’enfant, l’année dans laquelle il avait été exposé et son numéro d’ordre. En principe ce collier qui désignait aux yeux de tous l’origine du petit assisté devait être ôté à l’âge de six ans. » Comme les colliers gênaient les nourrissons lors de leur croissance, pourrissaient, et se rompaient souvent, il était demandé aux nourrices de conserver soigneusement la médaille afin de pouvoir continuer à percevoir leurs indemnités. Certaines nourrices de la Drôme les auraient même ôtés « ne voulant pas que les enfants trouvés soient ainsi distingués de leurs propres enfants ».
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