Question d'origine :
Bonjour,
Je souhaiterais connaître les différents impacts de la 2nde Guerre Mondiale sur la Turquie: aussi bien sur le pays dans sa globalité que sur sa population.
Sauriez-vous où je pourrais me renseigner ?
Pouvez-vous m'aider ?
Par avance, merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 21/03/2017 à 14h38
Bonjour,
Vous vous interrogez sur l’impact de la Deuxième guerre mondiale sur la Turquie et sa population. La Turquie, ayant choisi une « certaine neutralité » faite de bien des ambivalences comme nous allons le voir ci-après, n’a pas eu à souffrir des affres de la guerre comme ce fut le cas au cours de la Première Guerre mondiale ; mais une certaine partie de la population, a eu à souffrir de la politique nationaliste discriminatoire voire raciste du président Inonu qui sera évoquée plus tard.
Tout d’abord, prenons connaissance d’un article très synthétique dans le Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale :
La Turquie, en 14-18, avait été dans le camp des vaincus et en avait payé sévèrement le prix.
Aussi, ses dirigeants en 1939, à commencer par Ismet Inonu, successeur d’Atatürk, sont-ils résolus a maintenir leur pays en dehors du conflit. Leur attitude ne variera pratiquement pas durant presque toute la guerre. Cette position ne les empêche pas de se couvrir par diverses alliances.
Dans cette perspective, la Turquie en mai 1939 signe une déclaration commune avec la Grande Bretagne. Les deux pays s’engagent à s’aider mutuellement en cas de conflit en Méditerranés. Signature identique avec la France en juin de la même année. Le pacte germano-soviétique d’août 1939 provoque un choc en Turquie. Le pays craint une attaque conjointe du Reich et de l’URSS. Aussi après une visite stérile du ministre turc des affaires étrangères à Moscou, Ankara signe avec Londres et Paris, en octobre, un traité d’assistance réciproque.
La défaite française démontre les limites d’untel traité. L’occupation allemande des Balkans apporte la guerre aux frontières de la Turquie. Cette fois, pour se prémunir, les Turcs, le 18 juin 1941, signent un traité d’intégrité territoriale et d’amitié avec le Reich. Traité qui n’interdit pas à Ismet Inonu de résister aux pressions de l’ambassadeur allemand Von Papen pour se joindre à l’Allemagne contre l’Urss au lendemain du 22 juin 1941.
L’évolution militaire, en 1942 et surtout à ma fin de 1942, révèle que les Alliés l’emporteront très probablement. Churchill, à , presse Ankara d’entrer en guerre aux côtés des Alliés. A cet effet, il rencontre personnellement Inonu en février 1943 sans résultats. Par contre, les turcs reçoivent de l’armement allié.
Finalement, l’issue étant acquise, le 23 février 1945, la Turquie déclare la guerre à l’Allemagne dans le seul but de s’intégrer aux Nations unies.
La Turquie aura donc vécu hors de la guerre, pratiquant habilement une neutralité qui lui a évité bien des drames.
L’article de l’ Encyclopédie de la Seconde guerre mondiale, dont nous vous conseillons la lecture,insiste sur la position géostratégique de la Turquie à l’aube de la seconde guerre mondiale et ses ressources économiques (16% de la production mondiale de chrome) et après sa déclaration de non belligérance, sur la bienveillance croissante de la Turquie envers l’Allemagne, concrétisé par le traité d’amitié du 18 juin 1941 (Officieusement, la Turquie se montre sensible à la propagande pantouranienne des nazis dont elle espère des gains territoriaux dans le Caucase, en Syrie ou en Irak en échange d’une entrée en guerre avant de revirer en 1944… elle instaure une discrimination fiscale contre sa minorité juive en novembre 1942 et livre du chrome (en quantité toujours controversée) à l’Axe de 1943 à avril 1944, probablement payé en « or pillé » .Il décrit la diplomatie funambulesque d’après 1943 « sa diplomatie désormais défensive, provoque l’arrêt des fournitures militaires alliées au printemps 1944 : dès lors la Turquie cesse ses livraisons de chrome au Reich, ferme les détroits à la Kriegsmarine et son ministre pro allemand des affaires étrangères, Numan Menemencioglu, démissionne, prélude à la rupture diplomatique avec Berlin. Le 2 août 1944. La Turquie entre en guerre contre l’Allemagne le 20 février 1945, condition de sa participation à la conférence de San Francisco et gage contre les convoitises soviétiques au Moyen-Orient.)
Voir aussi :
Pacte d'amitié turco-allemand / Wikipédia
Les clés du Moyen-Orient, la neutralité de la Turquie / Cosima Flateau (in Les clés du Moyen Orient)
Venons en maintenant aux propos sans équivoque de Hamit Bozarslan, historien turque dans la très documentée Histoire de la Turquie de l’Empire à nos jours :
Rencontres avec le nazisme
L’Allemagne nazie exerce une grande fascination sur les élites kémalistes (pas nécessairement sur Mustafa Kemal lui-même). Avant de se réjouir, en 1937, du fait que désormais le « libéralisme est interdit » en Turquie, Recep Peker, le secrétaire général du Parti, se livre, dès 1934, à un éloge du nouveau pouvoir allemand…Le nombre d’officiers allemands dans l’armée turque augmente à partir de cette date, tout comme le poids de l’Allemagne dans l’économie turque dans tous les secteurs. Pour nous limiter à une seule donnée, rappelons que l’Allemagne représentait 31% des exportations et 35% des importations turques au début des années 30, ces taux sont respectivement de 43% et 44% entre 1934 et 1938.
Mais surtout la fascination pour le nazisme s’exprime clairement dans la presse aussi bien par la voix de kémalistes auto promus que les responsables politiques eux-mêmes et ce avant la victoire d’Hitler…Après l’arrivée du Führer au pouvoir, certains journaux , à l’instar de Birlyk, que l’autodafé organisé en 1933 n’est nullement un « acte de barbarie », alors que d’autres, comme , comme Cumburiyet, établissent une filiation entre les deux régimes, en définissant Hitler comme « le seul chef qui a compris Atatürk »… Nous vous conseillons de poursuivre la lecture fort intéressante de ce développement de l’auteur sur l’influence des intellectuels dans la théorie e la « turcicité éternelle de la Turquie et de tous ses habitants » ; bien qu’elle ne rentre pas précisément dans la période qui vous intéresse ,elle sera lourde de conséquences dans la décision de la Turquie de rester hors du conflit et de traiter les « étrangers de l’intérieur ».
Les années de la deuxième guerre mondiale
Officiellement neutre, la Turquie accueille le déclenchement de la guerre qui commence après la mort d’Atatürk (10 novembre 1938), dans une grande inquiétude et tente, au moins au début, de se tenir à égale distance des deux camps. Les sympathies nazies s’affichent cependant ouvertement ou par des voies détournées comme l’indique un impressionnant sur la présence de sang turc chez les allemands, « prouvant » l’existence d’un lien de fraternité, voire de paternité entre les deux « races », publié par la très officielle revue de l’Institut d’histoire turque, Belleten. Surtout à partir de l’opération Barbarossa (22 juin 1941), tout le pays vit à l’heure nazie. Franz vo Papen (1979-1969), ambassadeur allemand à Ankara, dispose d’un noyau dur de partisans au cœur même du pouvoir turc. Pour reprendre la formule d’un témoin, qui occupa des postes politiques importants durant ces années, derrière l’apparente neutralité gardée jusqu’à la fin de la guerre, « tous les cœurs battaient pour la victoire de l’Allemagne »…
Une brochure de 1943, écrite il est vrai par un intellectuel de gauche, (mais aussi kémaliste et patriote), Resad Fuat Baraner (1900-1968) qui signe sous le pseudonyme de F. Faris Erkman, révèle l’ampleur de la propagande raciste, le l’apologie de la guerre consubstantielle à la « politique nationale » ou encore au darwinisme social qui enseigne que « la guerre est la fonction ordinaire des êtres vivants » et « sépare les bonnes races des mauvaises, perfectionne ou élimine les races ».
La sympathie pour l’Allemagne nazie radicalise considérablement la politique minoritaire d’Ismet Inônü, successeur d’Atatürk… Un rapport du parti unique dit : « ce pays appartient à ceux qui se sentent turcs par la conscience que tout l’honneur et toute la fortune/bénédiction (nimet) sont réservés aux Turcs, qui ne doivent allégeance à nulle nation autre qu’au turcisme ».
Le 31 janvier 1941, un décret interdit « le séjour des juifs étrangers dont les libertés de vie et de circulation sont restreintes dans les pays où ils résident ». avant même la parution de ce décret, Ankara refuse au bateau Parita, avec à son bord 800 juifs tchèques, l’autorisation d’accoster dans les ports turcs. Les autorités acceptent cependant de le ravitailler avant que « ces Juifs vagabonds » ne soient « enfin partis ». Le bateau Struma, avec ses 780 passagers Juifs roumains, connaît un tout autre destin. Le refus d’Ankara le lui accorder le droit d’accostage provisoire dans un port turc est catégorique. La longue errance du navire en mer Noire se termine lorsqu’il est coulé par des sous-marins officiellement non identifiés en février 1942.tout en présentant ses regrets pour cette tragédie, le premier ministre turc Réfik Saydam (1881-1842) justifie la position de son gouvernement :! « La Turquie ne peut devenir la patrie des gens qui sont déclarés indésirables par les autres ». Mais les juifs de nationalité turque sont également concernés par la nouvelle politique d’Ankara. Entre 1939 et 1944, en effet, la Turquie met en place une politique de dénaturalisation d’une partie de ses ressortissants juifs, notamment en Europe ; 729 d’entre eux perdent leurs passeports turcs en 1939, 716 en 1941, 703 en 1942 et quelque 2000 en 1943 et 1944. Une partie de ces juifs ainsi privés de toute protection périra dans les camps d’extermination nazis.
La politique anti minoritaire arrive à son paroxysme en 1942-1943 avec l’instauration d’un « impôt sur la fortune »La campagne de presse, lancée notamment par le journaliste Ahmet Emin Yalman (1888-1972) dénonçant les spéculateurs, donne le signal de cette nouvelle taxe réclamée également par le journaliste nationaliste Orhan Seyfi Orhon (1890-1972) : « Je veux des têtes ! Moi qui ne peut regarder la décapitation d’un poulet, ni même tuer une fourmi ou une mouche, je veux des têtes… Les têtes des spéculateurs ». Les spéculateurs sont explicitement désignés comme des non musulmans, voire « vrais maîtres » du pays qui ont réduits les turcs à une minorité… Comme le précise le premier ministre Sührü Saraçoglu (1887-1953), la loi instaurant l’impôt sur la fortune vise à briser le pouvoir économique dont ces groupes ayant »minorisé » les turcs sont censés disposer. [...]
Adoptée le 11 janvier 1942 par les 350 députés de l’assemblée, la loi vise plus les étrangers de l’intérieur que les étrangers tout court. Elle divise en effet les imposables, qui ont quinze jours pour s’occuper de leurs charges, en quatre catégories : M :musulmans ; GM : non musulmans, D :dômne(juifs convertis), E : ecnebi, étrangers. La catégorie GM comprend un quart de la population totale arménienne, grecque et juive, estimée en 1935 à 223170 personnes, enfants compris, et touche à ce titre de nombreux ouvriers et marchands ambulants de condition très modeste.
La répartition de l’impôt selon les catégories parle d’elle-même quant à ses objectifs : (Nombre d’imposables selon leur origine /(4195 pour la population musulmane ; 54377 pour la population non musulmane, 4003 pour la population étrangère et dômne…)Ceux qui « refusent » de payer sont envoyés dans un camp de concentration à Askale (province d’Erzurum) où ils sont contraints aux travaux forcés et leurs biens confisqués sont vendus aux enchères ; 67,1 % des biens sont acquis par les Turcs… La loi est révoquée le 15 mars 1944 sans que soient indemnisées les victimes. Quant à cet épisode anti minoritaire, et plus particulièrement antisémite de la présidence Inonu, il se clôt en aoùt 1944 par une annonce de la radio d’Ankara : « le gouvernement turc est toujours prêt à aider les réfugiés juifs. »
Quelques mois plus tard, le 23 février 1945, Ankara déclare la guerre à l’Allemagne nazie.
Voir enfin l’article de Taline Terminassian : la neutralité de la Turquie pendant la seconde guerre mondiale p. 117 à 148 dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 194 / 1999, Neutralité et non–belligérance en Europe pendant la seconde Guerre mondiale / article développé comme suit :
Diplomatie turque de.1939 à 1941, une neutralité à géométrie variable
Décideurs et déterminants internes de la neutralité turque
Politique de neutralité active de 1941 à 1943
Von Papen et les relations germano-turques
La propagande allemande en Turquie et les développements du mouvement pantouranien
Neutralité, minorités et réfugies
« Guerre du chrome et commerce triangulaire
Neutralité turque face à la Grande alliance, 1943-1945
Rupture germano turque…
… et tensions soviéto- turques
Egalement consultable en ligne sur
Cairn, portail de revues sur les sciences humaines et sociales
Vous vous interrogez sur l’impact de la Deuxième guerre mondiale sur la Turquie et sa population. La Turquie, ayant choisi une « certaine neutralité » faite de bien des ambivalences comme nous allons le voir ci-après, n’a pas eu à souffrir des affres de la guerre comme ce fut le cas au cours de la Première Guerre mondiale ; mais une certaine partie de la population, a eu à souffrir de la politique nationaliste discriminatoire voire raciste du président Inonu qui sera évoquée plus tard.
Tout d’abord, prenons connaissance d’un article très synthétique dans le Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale :
La Turquie, en 14-18, avait été dans le camp des vaincus et en avait payé sévèrement le prix.
Aussi, ses dirigeants en 1939, à commencer par Ismet Inonu, successeur d’Atatürk, sont-ils résolus a maintenir leur pays en dehors du conflit. Leur attitude ne variera pratiquement pas durant presque toute la guerre. Cette position ne les empêche pas de se couvrir par diverses alliances.
Dans cette perspective, la Turquie en mai 1939 signe une déclaration commune avec la Grande Bretagne. Les deux pays s’engagent à s’aider mutuellement en cas de conflit en Méditerranés. Signature identique avec la France en juin de la même année. Le pacte germano-soviétique d’août 1939 provoque un choc en Turquie. Le pays craint une attaque conjointe du Reich et de l’URSS. Aussi après une visite stérile du ministre turc des affaires étrangères à Moscou, Ankara signe avec Londres et Paris, en octobre, un traité d’assistance réciproque.
La défaite française démontre les limites d’untel traité. L’occupation allemande des Balkans apporte la guerre aux frontières de la Turquie. Cette fois, pour se prémunir, les Turcs, le 18 juin 1941, signent un traité d’intégrité territoriale et d’amitié avec le Reich. Traité qui n’interdit pas à Ismet Inonu de résister aux pressions de l’ambassadeur allemand Von Papen pour se joindre à l’Allemagne contre l’Urss au lendemain du 22 juin 1941.
L’évolution militaire, en 1942 et surtout à ma fin de 1942, révèle que les Alliés l’emporteront très probablement. Churchill, à , presse Ankara d’entrer en guerre aux côtés des Alliés. A cet effet, il rencontre personnellement Inonu en février 1943 sans résultats. Par contre, les turcs reçoivent de l’armement allié.
Finalement, l’issue étant acquise, le 23 février 1945, la Turquie déclare la guerre à l’Allemagne dans le seul but de s’intégrer aux Nations unies.
La Turquie aura donc vécu hors de la guerre, pratiquant habilement une neutralité qui lui a évité bien des drames.
L’article de l’ Encyclopédie de la Seconde guerre mondiale, dont nous vous conseillons la lecture,insiste sur la position géostratégique de la Turquie à l’aube de la seconde guerre mondiale et ses ressources économiques (16% de la production mondiale de chrome) et après sa déclaration de non belligérance, sur la bienveillance croissante de la Turquie envers l’Allemagne, concrétisé par le traité d’amitié du 18 juin 1941 (Officieusement, la Turquie se montre sensible à la propagande pantouranienne des nazis dont elle espère des gains territoriaux dans le Caucase, en Syrie ou en Irak en échange d’une entrée en guerre avant de revirer en 1944… elle instaure une discrimination fiscale contre sa minorité juive en novembre 1942 et livre du chrome (en quantité toujours controversée) à l’Axe de 1943 à avril 1944, probablement payé en « or pillé » .Il décrit la diplomatie funambulesque d’après 1943 « sa diplomatie désormais défensive, provoque l’arrêt des fournitures militaires alliées au printemps 1944 : dès lors la Turquie cesse ses livraisons de chrome au Reich, ferme les détroits à la Kriegsmarine et son ministre pro allemand des affaires étrangères, Numan Menemencioglu, démissionne, prélude à la rupture diplomatique avec Berlin. Le 2 août 1944. La Turquie entre en guerre contre l’Allemagne le 20 février 1945, condition de sa participation à la conférence de San Francisco et gage contre les convoitises soviétiques au Moyen-Orient.)
Voir aussi :
Pacte d'amitié turco-allemand / Wikipédia
Les clés du Moyen-Orient, la neutralité de la Turquie / Cosima Flateau (in Les clés du Moyen Orient)
Venons en maintenant aux propos sans équivoque de Hamit Bozarslan, historien turque dans la très documentée Histoire de la Turquie de l’Empire à nos jours :
Rencontres avec le nazisme
L’Allemagne nazie exerce une grande fascination sur les élites kémalistes (pas nécessairement sur Mustafa Kemal lui-même). Avant de se réjouir, en 1937, du fait que désormais le « libéralisme est interdit » en Turquie, Recep Peker, le secrétaire général du Parti, se livre, dès 1934, à un éloge du nouveau pouvoir allemand…Le nombre d’officiers allemands dans l’armée turque augmente à partir de cette date, tout comme le poids de l’Allemagne dans l’économie turque dans tous les secteurs. Pour nous limiter à une seule donnée, rappelons que l’Allemagne représentait 31% des exportations et 35% des importations turques au début des années 30, ces taux sont respectivement de 43% et 44% entre 1934 et 1938.
Mais surtout la fascination pour le nazisme s’exprime clairement dans la presse aussi bien par la voix de kémalistes auto promus que les responsables politiques eux-mêmes et ce avant la victoire d’Hitler…Après l’arrivée du Führer au pouvoir, certains journaux , à l’instar de Birlyk, que l’autodafé organisé en 1933 n’est nullement un « acte de barbarie », alors que d’autres, comme , comme Cumburiyet, établissent une filiation entre les deux régimes, en définissant Hitler comme « le seul chef qui a compris Atatürk »… Nous vous conseillons de poursuivre la lecture fort intéressante de ce développement de l’auteur sur l’influence des intellectuels dans la théorie e la « turcicité éternelle de la Turquie et de tous ses habitants » ; bien qu’elle ne rentre pas précisément dans la période qui vous intéresse ,elle sera lourde de conséquences dans la décision de la Turquie de rester hors du conflit et de traiter les « étrangers de l’intérieur ».
Les années de la deuxième guerre mondiale
Officiellement neutre, la Turquie accueille le déclenchement de la guerre qui commence après la mort d’Atatürk (10 novembre 1938), dans une grande inquiétude et tente, au moins au début, de se tenir à égale distance des deux camps. Les sympathies nazies s’affichent cependant ouvertement ou par des voies détournées comme l’indique un impressionnant sur la présence de sang turc chez les allemands, « prouvant » l’existence d’un lien de fraternité, voire de paternité entre les deux « races », publié par la très officielle revue de l’Institut d’histoire turque, Belleten. Surtout à partir de l’opération Barbarossa (22 juin 1941), tout le pays vit à l’heure nazie. Franz vo Papen (1979-1969), ambassadeur allemand à Ankara, dispose d’un noyau dur de partisans au cœur même du pouvoir turc. Pour reprendre la formule d’un témoin, qui occupa des postes politiques importants durant ces années, derrière l’apparente neutralité gardée jusqu’à la fin de la guerre, « tous les cœurs battaient pour la victoire de l’Allemagne »…
Une brochure de 1943, écrite il est vrai par un intellectuel de gauche, (mais aussi kémaliste et patriote), Resad Fuat Baraner (1900-1968) qui signe sous le pseudonyme de F. Faris Erkman, révèle l’ampleur de la propagande raciste, le l’apologie de la guerre consubstantielle à la « politique nationale » ou encore au darwinisme social qui enseigne que « la guerre est la fonction ordinaire des êtres vivants » et « sépare les bonnes races des mauvaises, perfectionne ou élimine les races ».
La sympathie pour l’Allemagne nazie radicalise considérablement la politique minoritaire d’Ismet Inônü, successeur d’Atatürk… Un rapport du parti unique dit : « ce pays appartient à ceux qui se sentent turcs par la conscience que tout l’honneur et toute la fortune/bénédiction (nimet) sont réservés aux Turcs, qui ne doivent allégeance à nulle nation autre qu’au turcisme ».
Le 31 janvier 1941, un décret interdit « le séjour des juifs étrangers dont les libertés de vie et de circulation sont restreintes dans les pays où ils résident ». avant même la parution de ce décret, Ankara refuse au bateau Parita, avec à son bord 800 juifs tchèques, l’autorisation d’accoster dans les ports turcs. Les autorités acceptent cependant de le ravitailler avant que « ces Juifs vagabonds » ne soient « enfin partis ». Le bateau Struma, avec ses 780 passagers Juifs roumains, connaît un tout autre destin. Le refus d’Ankara le lui accorder le droit d’accostage provisoire dans un port turc est catégorique. La longue errance du navire en mer Noire se termine lorsqu’il est coulé par des sous-marins officiellement non identifiés en février 1942.tout en présentant ses regrets pour cette tragédie, le premier ministre turc Réfik Saydam (1881-1842) justifie la position de son gouvernement :! « La Turquie ne peut devenir la patrie des gens qui sont déclarés indésirables par les autres ». Mais les juifs de nationalité turque sont également concernés par la nouvelle politique d’Ankara. Entre 1939 et 1944, en effet, la Turquie met en place une politique de dénaturalisation d’une partie de ses ressortissants juifs, notamment en Europe ; 729 d’entre eux perdent leurs passeports turcs en 1939, 716 en 1941, 703 en 1942 et quelque 2000 en 1943 et 1944. Une partie de ces juifs ainsi privés de toute protection périra dans les camps d’extermination nazis.
La politique anti minoritaire arrive à son paroxysme en 1942-1943 avec l’instauration d’un « impôt sur la fortune »La campagne de presse, lancée notamment par le journaliste Ahmet Emin Yalman (1888-1972) dénonçant les spéculateurs, donne le signal de cette nouvelle taxe réclamée également par le journaliste nationaliste Orhan Seyfi Orhon (1890-1972) : « Je veux des têtes ! Moi qui ne peut regarder la décapitation d’un poulet, ni même tuer une fourmi ou une mouche, je veux des têtes… Les têtes des spéculateurs ». Les spéculateurs sont explicitement désignés comme des non musulmans, voire « vrais maîtres » du pays qui ont réduits les turcs à une minorité… Comme le précise le premier ministre Sührü Saraçoglu (1887-1953), la loi instaurant l’impôt sur la fortune vise à briser le pouvoir économique dont ces groupes ayant »minorisé » les turcs sont censés disposer. [...]
Adoptée le 11 janvier 1942 par les 350 députés de l’assemblée, la loi vise plus les étrangers de l’intérieur que les étrangers tout court. Elle divise en effet les imposables, qui ont quinze jours pour s’occuper de leurs charges, en quatre catégories : M :musulmans ; GM : non musulmans, D :dômne(juifs convertis), E : ecnebi, étrangers. La catégorie GM comprend un quart de la population totale arménienne, grecque et juive, estimée en 1935 à 223170 personnes, enfants compris, et touche à ce titre de nombreux ouvriers et marchands ambulants de condition très modeste.
La répartition de l’impôt selon les catégories parle d’elle-même quant à ses objectifs : (Nombre d’imposables selon leur origine /(4195 pour la population musulmane ; 54377 pour la population non musulmane, 4003 pour la population étrangère et dômne…)Ceux qui « refusent » de payer sont envoyés dans un camp de concentration à Askale (province d’Erzurum) où ils sont contraints aux travaux forcés et leurs biens confisqués sont vendus aux enchères ; 67,1 % des biens sont acquis par les Turcs… La loi est révoquée le 15 mars 1944 sans que soient indemnisées les victimes. Quant à cet épisode anti minoritaire, et plus particulièrement antisémite de la présidence Inonu, il se clôt en aoùt 1944 par une annonce de la radio d’Ankara : « le gouvernement turc est toujours prêt à aider les réfugiés juifs. »
Quelques mois plus tard, le 23 février 1945, Ankara déclare la guerre à l’Allemagne nazie.
Voir enfin l’article de Taline Terminassian : la neutralité de la Turquie pendant la seconde guerre mondiale p. 117 à 148 dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 194 / 1999, Neutralité et non–belligérance en Europe pendant la seconde Guerre mondiale / article développé comme suit :
Diplomatie turque de.1939 à 1941, une neutralité à géométrie variable
Décideurs et déterminants internes de la neutralité turque
Politique de neutralité active de 1941 à 1943
Von Papen et les relations germano-turques
La propagande allemande en Turquie et les développements du mouvement pantouranien
Neutralité, minorités et réfugies
« Guerre du chrome et commerce triangulaire
Neutralité turque face à la Grande alliance, 1943-1945
Rupture germano turque…
… et tensions soviéto- turques
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