Question d'origine :
Bonjour,
J'ai deux questions:
1- Connaissez vous un ouvrage qui traite de la perception de l'histoire de l'occident et/ou de la France par les français ?
2- Connaissez-vous un ouvrage qui traite de la perception de l'histoire de de l'islam et/ou du monde arabe par les musulmans et/ou par les arabes ?
Merci à vous
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/02/2017 à 11h21
Bonjour,
Il s’agit là d’un exercice délicat, tant il semble peu évident de déterminer une perception univoque de l’histoire pour un groupe humain aussi large que, par exemple, « les Arabes ». En effet peut-on imaginer qu’un arabe de Mauritanie aura la même vision de l’histoire du monde arabo-musulman qu’un yéménite ? De même entre un breton implanté depuis plusieurs siècles et un français qui a émigré d’Algérie au XXème siècle…
Cela étant, des documents existent qui s’efforcent de poser cette question.
Pour le monde arabe, nous vous invitons à lire le numéro 20 de la revue Books, de mars 2011, dont le dossier central est intitulé : « les Arabes face à leur histoire ». Vous y lirez des articles ou focus sur les croisades vues par les Arabes, la construction du mythe d’Al-Andalus, le rapport complexe face à l’Occident impérialiste, etc.
Le dossier contient de multiples références (c’est le principe de la revue), mais beaucoup en langue anglaise… En revanche, une petite bibliographie « pour en savoir plus » s’avère bien utile et suggère notamment la lecture de Vapeurs de sang, le Moyen-Orient martyr, de Dominique Chevallier : « Comment les Arabes se cherchent dans des combats qui assument leur histoire et parfois la mythifient. Par l’un des meilleurs historiens français du monde arabe, professeur émérite à la Sorbonne ».
Ce même Dominique Chevallier a par ailleurs dirigé Les Arabes et l’histoire créatrice, dont nous vous recommandons vivement la lecture. Il s’agit du recueil des actes d’un colloque organisé par la Sorbonne dans lequel on peut lire des articles tels que celui de Dominique Chevallier bien sûr (« Confluences et confrontations. Comment les Arabes assument-ils l’histoire ? »), mais aussi « La conscience historique en Islam » de Hassan Hanafi ou encore « la Mémoire orale » de Mohand Kellil.
La vertu de cet ouvrage est de donner notamment la parole à des historiens arabes. Or, d’après le dossier issu de la revue Books déjà citée : Il n’y a guère « d’ouvrages arabes en arabe et d’articles arabes de grande qualité » « et c’est là toucher du doigt l’un des nœuds de la conscience historique arabe […]. Les meilleurs ouvrages historiques ou de réflexion sur le monde arabe ne sont pas publiés en arabe, mais en anglais, en français ou en allemand. Certains d’entre eux sont écrits par des Arabes américanisés ou européanisés. Néanmoins, qu’ils soient ou non d’origine arabe, de nombreux auteurs se sont efforcés depuis une vingtaine d’années de présenter l’histoire longue ou certains épisodes du point de vue arabe. C’est un exercice de décentrage des plus salutaires ».
Prudence toutefois, le dossier date de 2011, l’historiographie arabe a pu évoluer depuis.
Pour la France, la situation semble bien différente. En effet, on entend régulièrement dire que l’histoire serait une « passion française » et une enquête réalisée par l'Observatoire BVA-presse régionale en 2016 le confirmerait. Mais l’enquête est contestée en ce qu’elle ne donne de l’histoire qu’une vision restrictive. Vous pouvez notamment lire le billet de blog de B. Girard, publié sur le Club de Mediapart intitulé : « L’histoire, une passion française ? Mais ce n’est pas de l’histoire ».
Le rapport à l’histoire en France est en en tout cas passionné, comme en témoignent les régulières empoignades d’historiens, d’éditorialistes autour de la meilleure façon d’enseigner l’histoire de notre pays et du périmètre géographique et chronologique de cette histoire. Evoquons tout récemment la déclaration de l’ex-président N. Sarkozy autour de nos ancêtres les Gaulois et la levée de boucliers (arvernes) qu’elle a suscitée[/url] de la part d’un certains nombres d’historiens.
Et cette passion ne daterait pas d’hier, comme l’indique Laurent Avezou à l’orée de son Raconter la France, histoire d’une histoire en citant un texte du XVIe siècle : « les Français font si cas de l’histoire et à telle lecture emploient une si grande partie de leur temps que cette mode pourrait finir par être nuisible pour la nation ». Avec cet ouvrage, d’Avezou ambitionne de « retracer conjointement l’histoire d’un sujet historique, la France, et des usages qui en ont été faits dans la société ».
Sachez que Laurent Avezou a aussi publié en 2015, L’histoire une passion française, chez Belin, mais que n’avons pu le consulter.
Avec une perspective différente, citons l’ouvrage de Suzanne Citron, Le Mythe national, l’histoire de France en question qui explique « comment s’est forgée l’idée de France » à travers l’histoire, notamment par le mythe gaulois, avec lequel « l’historiographie libérale et républicaine du XIXe siècle donne l’illusion que la France était une “nation” homogène, d’origine immémorielle ».
Manière de dire que la perception de l’histoire par les Français est largement conditionnée par la façon dont elle a été écrite. « L’absence, en France, de l’idée que l’histoire a une “histoire” est flagrante. Nous croyons à l’histoire avec un grand H. Pourtant le passé se transmet sous des habillages qui varient selon les époques ; la configuration d’un récit est marquée d’empreintes idéologiques fluctuantes, de colorations imaginaires ; nulle explication ne reflète jamais complètement son objet. L’histoire de France reste, pour la plupart des Français, ce qu’elle était à la fin du siècle dernier : à la fois science et liturgie. Décrivant le passé “vrai”, elle a pour fonction et pour définition d’être le récit de la nation : histoire et nationalisme sont indissociables ».
Le problème dès lors s’épaissit. S’il est difficile de parler d’une seule perception unanime de l’histoire - perception qui n’aurait pas évoluée dans le temps, et qui serait continue sur de larges espaces - c’est qu’il est aussi compliqué de parler d’une histoire.
Comme le rappelle Paul Veyne dans son incontournable Comment on écrit l’histoire : « l’histoire n’existe pas, il n’existe que des histoires».
Bonnes lectures !
Il s’agit là d’un exercice délicat, tant il semble peu évident de déterminer une perception univoque de l’histoire pour un groupe humain aussi large que, par exemple, « les Arabes ». En effet peut-on imaginer qu’un arabe de Mauritanie aura la même vision de l’histoire du monde arabo-musulman qu’un yéménite ? De même entre un breton implanté depuis plusieurs siècles et un français qui a émigré d’Algérie au XXème siècle…
Cela étant, des documents existent qui s’efforcent de poser cette question.
Pour le monde arabe, nous vous invitons à lire le numéro 20 de la revue Books, de mars 2011, dont le dossier central est intitulé : « les Arabes face à leur histoire ». Vous y lirez des articles ou focus sur les croisades vues par les Arabes, la construction du mythe d’Al-Andalus, le rapport complexe face à l’Occident impérialiste, etc.
Le dossier contient de multiples références (c’est le principe de la revue), mais beaucoup en langue anglaise… En revanche, une petite bibliographie « pour en savoir plus » s’avère bien utile et suggère notamment la lecture de Vapeurs de sang, le Moyen-Orient martyr, de Dominique Chevallier : « Comment les Arabes se cherchent dans des combats qui assument leur histoire et parfois la mythifient. Par l’un des meilleurs historiens français du monde arabe, professeur émérite à la Sorbonne ».
Ce même Dominique Chevallier a par ailleurs dirigé Les Arabes et l’histoire créatrice, dont nous vous recommandons vivement la lecture. Il s’agit du recueil des actes d’un colloque organisé par la Sorbonne dans lequel on peut lire des articles tels que celui de Dominique Chevallier bien sûr (« Confluences et confrontations. Comment les Arabes assument-ils l’histoire ? »), mais aussi « La conscience historique en Islam » de Hassan Hanafi ou encore « la Mémoire orale » de Mohand Kellil.
La vertu de cet ouvrage est de donner notamment la parole à des historiens arabes. Or, d’après le dossier issu de la revue Books déjà citée : Il n’y a guère « d’ouvrages arabes en arabe et d’articles arabes de grande qualité » « et c’est là toucher du doigt l’un des nœuds de la conscience historique arabe […]. Les meilleurs ouvrages historiques ou de réflexion sur le monde arabe ne sont pas publiés en arabe, mais en anglais, en français ou en allemand. Certains d’entre eux sont écrits par des Arabes américanisés ou européanisés. Néanmoins, qu’ils soient ou non d’origine arabe, de nombreux auteurs se sont efforcés depuis une vingtaine d’années de présenter l’histoire longue ou certains épisodes du point de vue arabe. C’est un exercice de décentrage des plus salutaires ».
Prudence toutefois, le dossier date de 2011, l’historiographie arabe a pu évoluer depuis.
Pour la France, la situation semble bien différente. En effet, on entend régulièrement dire que l’histoire serait une « passion française » et une enquête réalisée par l'Observatoire BVA-presse régionale en 2016 le confirmerait. Mais l’enquête est contestée en ce qu’elle ne donne de l’histoire qu’une vision restrictive. Vous pouvez notamment lire le billet de blog de B. Girard, publié sur le Club de Mediapart intitulé : « L’histoire, une passion française ? Mais ce n’est pas de l’histoire ».
Le rapport à l’histoire en France est en en tout cas passionné, comme en témoignent les régulières empoignades d’historiens, d’éditorialistes autour de la meilleure façon d’enseigner l’histoire de notre pays et du périmètre géographique et chronologique de cette histoire. Evoquons tout récemment la déclaration de l’ex-président N. Sarkozy autour de nos ancêtres les Gaulois et la levée de boucliers (arvernes) qu’elle a suscitée[/url] de la part d’un certains nombres d’historiens.
Et cette passion ne daterait pas d’hier, comme l’indique Laurent Avezou à l’orée de son Raconter la France, histoire d’une histoire en citant un texte du XVIe siècle : « les Français font si cas de l’histoire et à telle lecture emploient une si grande partie de leur temps que cette mode pourrait finir par être nuisible pour la nation ». Avec cet ouvrage, d’Avezou ambitionne de « retracer conjointement l’histoire d’un sujet historique, la France, et des usages qui en ont été faits dans la société ».
Sachez que Laurent Avezou a aussi publié en 2015, L’histoire une passion française, chez Belin, mais que n’avons pu le consulter.
Avec une perspective différente, citons l’ouvrage de Suzanne Citron, Le Mythe national, l’histoire de France en question qui explique « comment s’est forgée l’idée de France » à travers l’histoire, notamment par le mythe gaulois, avec lequel « l’historiographie libérale et républicaine du XIXe siècle donne l’illusion que la France était une “nation” homogène, d’origine immémorielle ».
Manière de dire que la perception de l’histoire par les Français est largement conditionnée par la façon dont elle a été écrite. « L’absence, en France, de l’idée que l’histoire a une “histoire” est flagrante. Nous croyons à l’histoire avec un grand H. Pourtant le passé se transmet sous des habillages qui varient selon les époques ; la configuration d’un récit est marquée d’empreintes idéologiques fluctuantes, de colorations imaginaires ; nulle explication ne reflète jamais complètement son objet. L’histoire de France reste, pour la plupart des Français, ce qu’elle était à la fin du siècle dernier : à la fois science et liturgie. Décrivant le passé “vrai”, elle a pour fonction et pour définition d’être le récit de la nation : histoire et nationalisme sont indissociables ».
Le problème dès lors s’épaissit. S’il est difficile de parler d’une seule perception unanime de l’histoire - perception qui n’aurait pas évoluée dans le temps, et qui serait continue sur de larges espaces - c’est qu’il est aussi compliqué de parler d’une histoire.
Comme le rappelle Paul Veyne dans son incontournable Comment on écrit l’histoire : « l’histoire n’existe pas, il n’existe que des histoires».
Bonnes lectures !
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter