Question d'origine :
Bonjour une question à vous poser :
Les médias sont ils essentiels au fonctionnement de notre démocratie ?
Merci d'avance pour votre réponse , le sujet est aujourd'hui d'actualité de nombreux citoyens se posent la question .
Jean
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 12/01/2017 à 14h03
Bonjour
Nous trouvons sur le site Vie Publique un article sur la contribution des médias au débat démocratique :
« Les médias : des moyens d’expression essentiels au fonctionnement de la démocratie
• Les médias , c’est-à-dire l’ensemble des moyens de de diffusion de l’information, sont un moyen d’expression essentiel pour les acteurs démocratiques et jouent un grand rôle dans la formation de l’opinion publique. Plaçant certains débats sur le devant de la scène, ils peuvent aussi en occulter d’autres. Ils sont donc soumis à une éthique : exactitude de l’information, respect de la vie privée, vérification des sources.
• La presse peut constituer un moyen de contestation , ce qui explique que les premiers textes démocratiques aient consacré sa liberté. Par exemple, le 1er amendement, datant de 1791, de la constitution américaine de 1787 stipule : "le Congrès ne fera aucune loi portant atteinte à la liberté d’expression".
• Il y a concomitance entre l’avènement du suffrage universel, au XIXesiècle, et le développement de la presse de masse . Au cours du XXe siècle, ce ne sont plus les seuls journaux, mais la télévision, le cinéma, la radio qui participent au débat démocratique. Au XXIe siècle, le développement d’Internet permet aussi la diffusion des idées démocratiques. Les nouvelles technologies incitent les organes démocratiques à modifier leur manière de travailler, en rapprochant la classe politique et les citoyens. Les médias complètent ici les vecteurs traditionnels de la démocratie en inventant de nouvelles formes d’information ou d’expression.
• Les médias se sont eux aussi démocratisés parallèlement aux progrès de la démocratie. Leur accès est bon marché, aisé, équitable sur tout le territoire. Parfois courroies de transmission entre le pouvoir et le peuple (ex : l’ORTF), leur pluralisme aide au fonctionnement de la démocratie, dont il est une condition essentielle. Néanmoins, la disparition de la presse d’opinion, comme la pénétration des groupes financiers dans le monde des médias, sont des signes aussi d’uniformisation de l’information.
Les médias peuvent représenter un danger pour la démocratie
Les médias constituent-ils un quatrième pouvoir, à côté des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ?
• La question de la transparence : si en démocratie, il est nécessaire de proscrire tout secret, faut-il pour autant tout porter à la connaissance du public (cf. l’affaire Monica Lewinski aux États-Unis sous la présidence de Bill Clinton) ? Il convient toutefois d’être attentif à la violation de l’intimité. Tout gouvernement a besoin d’une certaine part de secret au moins dans la préparation des décisions ou s’agissant des affaires internationales. En revanche, la démocratie exige la transparence absolue après-coup.
• Le risque de manipulation . Le financement des médias dépend de capitaux privés qui peuvent vouloir modifier l’information en fonction de leurs intérêts ou peser sur le fonctionnement démocratique. La concentration financière peut aussi altérer leur indépendance, même si certains médias (par exemple Le Monde) essaient de garantir un mode de financement indépendant. Pluralisme des médias ne rime donc pas toujours avec pluralité d’opinions et diversité de l’information. De même, les sondages peuvent influencer, voire fausser, les comportements électoraux.
• Les médias ne sont pas égaux . La télévision, média de masse, touchant des citoyens le plus souvent passifs, est accusée de simplifier les débats et de " faire " l’opinion, alors que la course à l’audience laisse peu de place au débat démocratique. Sensibles aux échos des médias, les hommes politiques sont accusés de façonner leur discours, non pas selon leurs convictions, mais selon l’état de l’opinion ou selon la vision des médias. Le débat d’idées et la démocratie de terrain céderaient alors le pas à la mainmise de la télévision sur les campagnes électorales.
• L’importance des médias pour une élection pose aussi le problème de l’égalité d’accès entre les candidats . Les hommes politiques dépendent des médias et du format qu’ils imposent. La télévision, par exemple, conditionne certains comportements : il faut résumer en quelques instants des problèmes complexes (les " petites phrases ").
Médias et démocratie : une interdépendance
• L’État continue d’encadrer les médias . Il doit le faire démocratiquement (organes de contrôle non soumis aux pressions politiques, comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)) afin de garantir l’égalité d’accès, le pluralisme de l’information, la neutralité de la presse dans le respect de la liberté d’opinion, etc. Ceci se justifie d’autant plus avec Internet, qui permet de contourner les barrières internes, de multiplier les forums de discussion, d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté, mais aussi de diffuser des rumeurs ou des contenus dangereux (pédophilie, révisionnisme).
• Les médias doivent respecter les choix et les attentes des citoyens . Il y a ainsi un jeu triangulaire entre hommes politiques /opinion publique et médias : les médias reflètent autant qu’ils forment les phénomènes de société. L’audimat sert d’instrument de mesure et permet de constituer les programmes proposés.
• Il ne faut pas surestimer le rôle des médias . Le vote, notamment, ne dépend pas que de leur rôle, mais relève aussi d’autres déterminants, sociaux, économiques,... Il ne faut pas confondre le média et la réalité qu’il reflète. Pour lutter contre l’effet déformant des médias, le rôle de l’éducation est primordial, en permettant de comprendre les messages (apprendre à regarder la télévision comme hier à lire le journal). »
Ainsi, les médias permettent aux citoyens de s’informer au mieux de la vie publique et donc d’y participer pleinement ; ils ne sont toutefois pas exempts de critique :
« La démocratie est une organisation politique autonome dans laquelle l’ensemble des citoyens exerce la souveraineté. […]
Troisièmement, la démocratie requiert l’existence d’un système de communications efficace, aux ramifications étendues, qui informe et mobilise l’ensemble des citoyens et les amène à participer réellement à la vie politique. […]
Alors que, par définition, les sociétés démocratiques ont l’obligation de respecter les libertés individuelles, celles-ci ne peuvent s’exercer que dans la mesure où les citoyens sont informés, engagés sur le plan politique et qu’ils participent réellement à la chose publique. »
Propagande, médias et démocratie / Noam Chomsky et Robert W. McChesney
« La presse est l’institution non gouvernementale la plus indispensable et la plus redoutable pour la démocratie – c’est du moins la conviction qui a longtemps animé les discours théoriques et politiques sur la place du journalisme dans les régimes modernes. Indispensable, car, dans des sociétés de grande taille, elle seule peut assurer la découverte et la circulation des informations, la diffusion et la confrontation des opinions, en un mot l’institution des conditions du débat public nécessaire à la formation des volontés individuelles des citoyens. Redoutable, car elle peut aussi, en déformant, sélectionnant ou escamotant ces informations et opinions, exercer une influence néfaste sur la formation de ces volontés. […]
Le rôle démocratique de la presse
[…] Si Jefferson affirmait préférer sans hésitation une presse sans gouvernement à un gouvernement sans presse, Tocqueville relevait que l’un ne va pas sans l’autre : « la souveraineté du peuple et la liberté de la presse sont […] deux choses entièrement corrélatives ». La démocratie suppose en effet non seulement de conférer le droit de vote aux citoyens mais également de créer le contexte politique leur permettant d’exercer, au moment du vote, leur jugement politique de manière éclairée. […]
Il faut aussi assurer l’existence et l’indépendance d’une institution dont la tâche première est de rendre publics pour tous faits et opinions : la presse. « C’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans cesse à nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à venir tour à tour comparaître devant le tribunal de l’opinion. C’est elle qui rallie les intérêts autour de certaines doctrines et formule le symbole des partis. C’est par elle que ceux-ci se parlent sans se voir, s’entendent sans être mis en contact. » (Ibid., p. 191) […]
Pourtant, l’idée que la presse a notamment pour rôle d’instituer les conditions du débat public est bien une constante du discours démocratique contemporain. Cette tâche est d’ailleurs reliée de manière essentielle aux autres missions politiques qui lui sont communément assignées. C’est en tant qu’elle permet au peuple, constitué en public, d’assister au dévoilement des faits et à l’affrontement des idées, que la presse se voit chargée de se faire « chien de garde » (watchdog) veillant sur les intérêts du peuple, « contre-pouvoir » limitant les dérives des pouvoirs institués, organe d’investigation allant déterrer des scandales (muckraking) pour révéler ce qui ne devrait pas rester caché, ou orchestratrice du tribunal de l’opinion publique.
Cette vision classique du rôle démocratique de la presse, incarnée dans les protections constitutionnelles de la liberté de la presse, dans les chartes de déontologie journalistique ou encore dans les discours sociaux dénonçant les dérives des médias, se heurte toutefois aujourd’hui à une mutation radicale de la communication publique. […]
La dernière révolution médiatique
L’apparition des « nouveaux médias » (internet et réseaux sociaux) constitue une transformation aussi importante pour la presse que purent l’être l’alphabétisation de masse, le développement de l’industrie publicitaire ou l’invention de la télévision. La multiplication des canaux de communication, amorcée déjà par la libéralisation des médias traditionnels et le développement de la télévision par câble et satellite, a entraîné une « démocratisation » de l’accès non seulement à l’écoute mais aussi à la parole dans les médias. Les acteurs non professionnels jouent ainsi un rôle croissant dans la circulation de l’information et la confrontation des opinions, et par conséquent dans la formation des volontés. Qu’il s’agisse de la fuite de télégrammes de la diplomatie américaine organisée par l’association Wikileaks, ou du récit de l’assaut des forces spéciales américaines sur la résidence d’Oussama Ben Laden, livré en direct sur Twitter par un micro-blogueur d’Abbottabad, ces nouveaux agents médiatiques interviennent en marge du journalisme, et parfois en opposition avec lui. […]
Mais l’actuel bouleversement médiatique donne également naissance, à côté de ces discours familiers, à un troisième, inédit. Le discours de la fin des médiations annonce l’émergence d’un nouvel âge de la communication publique, dans lequel la presse, en tant qu’institution spécialisée, est de moins en moins nécessaire : la démocratisation de l’accès à la parole médiatique conduirait à la fin des gatekeepers, ces « portiers » dont le rôle était de sélectionner les faits et les opinions, les récits et les idées appelés à gagner une visibilité publique en paraissant dans les médias de masse. Chacun pouvant désormais diffuser depuis son blog et consulter depuis son téléphone n’importe quel message, il ne serait plus besoin de journalistes. Pourquoi lire les journaux à propos des manifestations du printemps arabe, s’ils ne font que répercuter les informations échangées sur Facebook ? Ces dernières évolutions laisseraient présager un paysage médiatique inédit, assurant enfin un nouvel espace public où les citoyens seraient enfin égaux, et où la communication de tous avec tous deviendrait possible.
La prudence s’impose dans l’appréciation des changements, dont l’issue reste largement ouverte. Les médias traditionnels continuent à jouer un rôle prépondérant dans la circulation des messages publics : les journaux et les agences de presse restent les premiers producteurs d’informations politiques, et la télévision le premier diffuseur de ces informations. […]
Les nouveaux médias et l’impossible conversation de tous
Si l’émergence d’internet et des nouveaux médias, permettant à un nombre croissant d’individus de s’exprimer en des lieux accessibles à tous, a pu être saluée comme une révolution démocratique et non seulement technologique ou culturelle, c’est précisément qu’elle annoncerait la fin des gatekeepers traditionnels. Ces médias rendent, il est vrai, possible une forme inédite de communication qui relève de la correspondance plutôt que de la diffusion tout en étant néanmoins publique, et non privée. Les participants à un forum en ligne peuvent par exemple se répondre les uns aux autres, leurs échanges étant consultables par tous les internautes. Les utilisateurs des réseaux sociaux peuvent également transmettre un contenu à de telles fréquence et échelle que la multiplication des communications de correspondance finit par produire des effets de diffusion de masse.
Mais les nouveaux médias ne font pas advenir pour autant une conversation publique commune qui permettrait enfin à chaque citoyen de s’adresser à tous les autres sans médiation. Car si la communication de quelques-uns à beaucoup est possible, de même que la communication de quelques-uns à quelques-uns, ce n’est pas le cas de la communication de beaucoup à beaucoup. La contrainte à l’œuvre ici n’est pas de nature technologique, mais de nature cognitive. Chacun peut recevoir – lire, écouter, regarder – un petit nombre de messages, mais nul ne peut recevoir un très grand nombre de messages et leur répondre. […]
Cette contrainte structurelle explique pourquoi la démocratisation croissante de l’accès à la parole dans les médias ne permet pas à tous de s’exprimer dans les lieux de grande visibilité publique : seuls de rares orateurs et contenus y accèdent. La révolution actuelle consiste dans la multiplication des lieux de correspondance ou de faible diffusion médiatique qui sont susceptibles d’alimenter les lieux de diffusion de masse et par conséquent dans la diversification des profils des agents exerçant la sélection des contenus, ce qui est susceptible d’entraîner la diversification des contenus sélectionnés. Mais elle ne fait pas disparaître la sélection. […]
La première révolution médiatique du XXIe siècle n’a rendu la presse ni superflue ni impuissante. En sus des multiples tâches sociales et culturelles qui peuvent lui être assignées, l’institution des conditions adéquates de la délibération démocratique lui incombe toujours, même si elle n’exerce plus de monopole sur les moyens de diffusion de masse et de sélection des contenus diffusés. La multiplication des lieux de correspondance privée et de petite diffusion, et la dilution du pouvoir de sélection entre d’innombrables « portiers » a toutefois modifié la nature de sa tâche. Elle ne peut plus s’ériger en seule organisatrice de l’arène où s’affrontent publiquement les points de vue politiques, et il est des raisons de se réjouir de cette évolution. Mais elle peut et doit intervenir, au sein d’un paysage médiatique qui la dépasse largement, pour s’assurer que les raisons et opinions formulées sont partout disponibles, sont suffisamment représentatives de celles existant au sein de la société, et se confrontent effectivement les unes aux autres, de sorte à donner aux membres du public, dont l’accès à la parole a considérablement progressé mais qui demeurent néanmoins aussi des spectateurs, les moyens d’exercer leur faculté de jugement. »
De la presse en démocratie : la révolution médiatique et le débat public / Charles Girard (in La vie des idées)
Les réponses suivantes du Guichet du Savoir, portant sur le sujet des médias et de la démocratie ainsi que de la médiacratie, comportent d’importantes bibliographies qui vous permettront de mieux aborder ces questions :
• La France est-elle une médiacratie ?
• Les liens entre les médias et la démocratie
• Le rôle des médias
Pour aller plus loin :
• Sélection d’ouvrages sur les médias et la démocratie, disponible à la Bibliothèque municipale de Lyon
• Médias et démocratie : la fonction des médias dans la démocratie / Daniel Bougnoux (in Cahiers français) (document en pièce jointe)
• Quand les oligarques rachètent les médias : quels risques pour la démocratie ? / France Culture
• Les médias sociaux peuvent-ils nuire à la démocratie / Revue de l’Otan
• Médias, pédagogie et démocratie / Jean-Pierre Meunier (in Distances et Médiations des Savoirs)
• Démocratie et pouvoir médiatique / Yves Charles Zarka (in Cités)
• Médias et démocratie : « je t’aime moi non plus » ? – Conférencière : Isabelle Hare / MJC Héritan
Enfin, la Bibliothèque municipale de Lyon vous propose, depuis novembre 2016 et jusqu’à mars 2017, « tout un programme de découvertes, d’échanges, d’ateliers, d’expérimentation et de moments de réflexions collectives autour de notre pouvoir d’agir et des nouvelles manières de mettre et de gérer en commun des ressources, des idées, des espaces… » mais aussi autour de la démocratie qui vous permettrait d’en apprendre plus à ce sujet.
Bonnes lectures
Nous trouvons sur le site Vie Publique un article sur la contribution des médias au débat démocratique :
« Les médias : des moyens d’expression essentiels au fonctionnement de la démocratie
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Les médias peuvent représenter un danger pour la démocratie
Les médias constituent-ils un quatrième pouvoir, à côté des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ?
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Médias et démocratie : une interdépendance
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Ainsi, les médias permettent aux citoyens de s’informer au mieux de la vie publique et donc d’y participer pleinement ; ils ne sont toutefois pas exempts de critique :
« La démocratie est une organisation politique autonome dans laquelle l’ensemble des citoyens exerce la souveraineté. […]
Troisièmement, la démocratie requiert l’existence d’un système de communications efficace, aux ramifications étendues, qui informe et mobilise l’ensemble des citoyens et les amène à participer réellement à la vie politique. […]
Alors que, par définition, les sociétés démocratiques ont l’obligation de respecter les libertés individuelles, celles-ci ne peuvent s’exercer que dans la mesure où les citoyens sont informés, engagés sur le plan politique et qu’ils participent réellement à la chose publique. »
Propagande, médias et démocratie / Noam Chomsky et Robert W. McChesney
« La presse est l’institution non gouvernementale la plus indispensable et la plus redoutable pour la démocratie – c’est du moins la conviction qui a longtemps animé les discours théoriques et politiques sur la place du journalisme dans les régimes modernes. Indispensable, car, dans des sociétés de grande taille, elle seule peut assurer la découverte et la circulation des informations, la diffusion et la confrontation des opinions, en un mot l’institution des conditions du débat public nécessaire à la formation des volontés individuelles des citoyens. Redoutable, car elle peut aussi, en déformant, sélectionnant ou escamotant ces informations et opinions, exercer une influence néfaste sur la formation de ces volontés. […]
Le rôle démocratique de la presse
[…] Si Jefferson affirmait préférer sans hésitation une presse sans gouvernement à un gouvernement sans presse, Tocqueville relevait que l’un ne va pas sans l’autre : « la souveraineté du peuple et la liberté de la presse sont […] deux choses entièrement corrélatives ». La démocratie suppose en effet non seulement de conférer le droit de vote aux citoyens mais également de créer le contexte politique leur permettant d’exercer, au moment du vote, leur jugement politique de manière éclairée. […]
Il faut aussi assurer l’existence et l’indépendance d’une institution dont la tâche première est de rendre publics pour tous faits et opinions : la presse. « C’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans cesse à nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à venir tour à tour comparaître devant le tribunal de l’opinion. C’est elle qui rallie les intérêts autour de certaines doctrines et formule le symbole des partis. C’est par elle que ceux-ci se parlent sans se voir, s’entendent sans être mis en contact. » (Ibid., p. 191) […]
Pourtant, l’idée que la presse a notamment pour rôle d’instituer les conditions du débat public est bien une constante du discours démocratique contemporain. Cette tâche est d’ailleurs reliée de manière essentielle aux autres missions politiques qui lui sont communément assignées. C’est en tant qu’elle permet au peuple, constitué en public, d’assister au dévoilement des faits et à l’affrontement des idées, que la presse se voit chargée de se faire « chien de garde » (watchdog) veillant sur les intérêts du peuple, « contre-pouvoir » limitant les dérives des pouvoirs institués, organe d’investigation allant déterrer des scandales (muckraking) pour révéler ce qui ne devrait pas rester caché, ou orchestratrice du tribunal de l’opinion publique.
Cette vision classique du rôle démocratique de la presse, incarnée dans les protections constitutionnelles de la liberté de la presse, dans les chartes de déontologie journalistique ou encore dans les discours sociaux dénonçant les dérives des médias, se heurte toutefois aujourd’hui à une mutation radicale de la communication publique. […]
La dernière révolution médiatique
L’apparition des « nouveaux médias » (internet et réseaux sociaux) constitue une transformation aussi importante pour la presse que purent l’être l’alphabétisation de masse, le développement de l’industrie publicitaire ou l’invention de la télévision. La multiplication des canaux de communication, amorcée déjà par la libéralisation des médias traditionnels et le développement de la télévision par câble et satellite, a entraîné une « démocratisation » de l’accès non seulement à l’écoute mais aussi à la parole dans les médias. Les acteurs non professionnels jouent ainsi un rôle croissant dans la circulation de l’information et la confrontation des opinions, et par conséquent dans la formation des volontés. Qu’il s’agisse de la fuite de télégrammes de la diplomatie américaine organisée par l’association Wikileaks, ou du récit de l’assaut des forces spéciales américaines sur la résidence d’Oussama Ben Laden, livré en direct sur Twitter par un micro-blogueur d’Abbottabad, ces nouveaux agents médiatiques interviennent en marge du journalisme, et parfois en opposition avec lui. […]
Mais l’actuel bouleversement médiatique donne également naissance, à côté de ces discours familiers, à un troisième, inédit. Le discours de la fin des médiations annonce l’émergence d’un nouvel âge de la communication publique, dans lequel la presse, en tant qu’institution spécialisée, est de moins en moins nécessaire : la démocratisation de l’accès à la parole médiatique conduirait à la fin des gatekeepers, ces « portiers » dont le rôle était de sélectionner les faits et les opinions, les récits et les idées appelés à gagner une visibilité publique en paraissant dans les médias de masse. Chacun pouvant désormais diffuser depuis son blog et consulter depuis son téléphone n’importe quel message, il ne serait plus besoin de journalistes. Pourquoi lire les journaux à propos des manifestations du printemps arabe, s’ils ne font que répercuter les informations échangées sur Facebook ? Ces dernières évolutions laisseraient présager un paysage médiatique inédit, assurant enfin un nouvel espace public où les citoyens seraient enfin égaux, et où la communication de tous avec tous deviendrait possible.
La prudence s’impose dans l’appréciation des changements, dont l’issue reste largement ouverte. Les médias traditionnels continuent à jouer un rôle prépondérant dans la circulation des messages publics : les journaux et les agences de presse restent les premiers producteurs d’informations politiques, et la télévision le premier diffuseur de ces informations. […]
Les nouveaux médias et l’impossible conversation de tous
Si l’émergence d’internet et des nouveaux médias, permettant à un nombre croissant d’individus de s’exprimer en des lieux accessibles à tous, a pu être saluée comme une révolution démocratique et non seulement technologique ou culturelle, c’est précisément qu’elle annoncerait la fin des gatekeepers traditionnels. Ces médias rendent, il est vrai, possible une forme inédite de communication qui relève de la correspondance plutôt que de la diffusion tout en étant néanmoins publique, et non privée. Les participants à un forum en ligne peuvent par exemple se répondre les uns aux autres, leurs échanges étant consultables par tous les internautes. Les utilisateurs des réseaux sociaux peuvent également transmettre un contenu à de telles fréquence et échelle que la multiplication des communications de correspondance finit par produire des effets de diffusion de masse.
Mais les nouveaux médias ne font pas advenir pour autant une conversation publique commune qui permettrait enfin à chaque citoyen de s’adresser à tous les autres sans médiation. Car si la communication de quelques-uns à beaucoup est possible, de même que la communication de quelques-uns à quelques-uns, ce n’est pas le cas de la communication de beaucoup à beaucoup. La contrainte à l’œuvre ici n’est pas de nature technologique, mais de nature cognitive. Chacun peut recevoir – lire, écouter, regarder – un petit nombre de messages, mais nul ne peut recevoir un très grand nombre de messages et leur répondre. […]
Cette contrainte structurelle explique pourquoi la démocratisation croissante de l’accès à la parole dans les médias ne permet pas à tous de s’exprimer dans les lieux de grande visibilité publique : seuls de rares orateurs et contenus y accèdent. La révolution actuelle consiste dans la multiplication des lieux de correspondance ou de faible diffusion médiatique qui sont susceptibles d’alimenter les lieux de diffusion de masse et par conséquent dans la diversification des profils des agents exerçant la sélection des contenus, ce qui est susceptible d’entraîner la diversification des contenus sélectionnés. Mais elle ne fait pas disparaître la sélection. […]
La première révolution médiatique du XXIe siècle n’a rendu la presse ni superflue ni impuissante. En sus des multiples tâches sociales et culturelles qui peuvent lui être assignées, l’institution des conditions adéquates de la délibération démocratique lui incombe toujours, même si elle n’exerce plus de monopole sur les moyens de diffusion de masse et de sélection des contenus diffusés. La multiplication des lieux de correspondance privée et de petite diffusion, et la dilution du pouvoir de sélection entre d’innombrables « portiers » a toutefois modifié la nature de sa tâche. Elle ne peut plus s’ériger en seule organisatrice de l’arène où s’affrontent publiquement les points de vue politiques, et il est des raisons de se réjouir de cette évolution. Mais elle peut et doit intervenir, au sein d’un paysage médiatique qui la dépasse largement, pour s’assurer que les raisons et opinions formulées sont partout disponibles, sont suffisamment représentatives de celles existant au sein de la société, et se confrontent effectivement les unes aux autres, de sorte à donner aux membres du public, dont l’accès à la parole a considérablement progressé mais qui demeurent néanmoins aussi des spectateurs, les moyens d’exercer leur faculté de jugement. »
De la presse en démocratie : la révolution médiatique et le débat public / Charles Girard (in La vie des idées)
Les réponses suivantes du Guichet du Savoir, portant sur le sujet des médias et de la démocratie ainsi que de la médiacratie, comportent d’importantes bibliographies qui vous permettront de mieux aborder ces questions :
• La France est-elle une médiacratie ?
• Les liens entre les médias et la démocratie
• Le rôle des médias
Pour aller plus loin :
• Sélection d’ouvrages sur les médias et la démocratie, disponible à la Bibliothèque municipale de Lyon
• Médias et démocratie : la fonction des médias dans la démocratie / Daniel Bougnoux (in Cahiers français) (document en pièce jointe)
• Quand les oligarques rachètent les médias : quels risques pour la démocratie ? / France Culture
• Les médias sociaux peuvent-ils nuire à la démocratie / Revue de l’Otan
• Médias, pédagogie et démocratie / Jean-Pierre Meunier (in Distances et Médiations des Savoirs)
• Démocratie et pouvoir médiatique / Yves Charles Zarka (in Cités)
• Médias et démocratie : « je t’aime moi non plus » ? – Conférencière : Isabelle Hare / MJC Héritan
Enfin, la Bibliothèque municipale de Lyon vous propose, depuis novembre 2016 et jusqu’à mars 2017, « tout un programme de découvertes, d’échanges, d’ateliers, d’expérimentation et de moments de réflexions collectives autour de notre pouvoir d’agir et des nouvelles manières de mettre et de gérer en commun des ressources, des idées, des espaces… » mais aussi autour de la démocratie qui vous permettrait d’en apprendre plus à ce sujet.
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