Question d'origine :
Hélas , il est bien triste de constater, qu'à toutes époques il y a des gens et même des " historiens " qui nient des faits qui ont réellement existé :
-chambres à gaz dans les camps
- premiers pas de l'homme sur la lune
-attentat au World Trade Center
Pourquoi font elles cela ? Dans quel but ? Est ce qu'elles croient en leurs délires ?
Je pense que ces personnes abjectes savent que le génocide des juifs a existé, que des personnes ont marché sur la lune, que des avions se sont écrasés sur les tours .
Leur but est de nuire à la société et de faire du fric en vendant des livres !
Ai je raison ?
Merci pour votre réponse
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 02/01/2017 à 14h26
Bonjour
En France, le négationnisme porte uniquement sur le déni de la réalité de la Shoah. En ce qui concerne la négation d’autres faits de l’histoire (comme la conquête de la lune ou les attentats du World Trade Center), on parlera plutôt de théorie du complot ou de conspirationniste
Le négationnisme apparait directement après la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la guerre froide :
« Réactualisant une longue tradition antisémite de l’Occident, les négationnistes dénoncent un prétendu complot juif international qui aurait fabriqué de toutes pièces cette « escroquerie du xxe siècle » dans le but de justifier l’existence de l’État d’Israël et d’extorquer de scandaleuses réparations à une Allemagne innocente. […]
1. Le mensonge obligé de l’extrême droite
[…] Adaptant son discours au nouveau contexte international, l’extrême droite s’empare du thème d’une « nation Europe » en danger face à la menace communiste. Mais il lui faut également, pour espérer regagner en audience, réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : euphémiser et minimiser les crimes nazis avant d’en venir à nier celui d’entre eux qui, précisément, faisait la spécificité du nazisme, le génocide. Parallèlement à l’exaltation des hauts faits de l’armée du IIIe Reich, qui aurait défendu l’Occident contre la barbarie communiste, et à la justification de la SS, qui n’aurait participé qu’à de rares massacres et dans le seul but de répliquer au « terrorisme », livres et pamphlets d’extrême droite dénoncent sans relâche les crimes des Alliés, dans lesquels sont comptés, pêle-mêle, les bombardements de civils, les déplacements de populations, le pillage industriel de l’Allemagne, la dénazification et le procès des responsables nazis.
Maurice Bardèche (1909-1998), ami intime et beau-frère de Robert Brasillach, l’écrivain collaborationniste fusillé à la Libération, s’est évertué dès 1947 à démontrer que les crimes des nazis et de leurs auxiliaires français n’étaient en rien différents de ceux des Alliés. Pour blanchir les collaborateurs les plus engagés et rendre le nazisme historiquement supportable, il nie la réalité de l’assassinat de millions d’êtres humains tués pour la seule raison qu’ils étaient nés juifs. Il décrète que cette extermination n’a été en fait qu’une falsification de l’histoire, inventée par les vainqueurs de la guerre. […]
2. Du pacifisme au négationnisme : Paul Rassinier
Le fait est que les prémices du négationnisme apparaissent chez Rassinier alors qu’il est encore inscrit dans un univers politique fort éloigné de celui de l’extrême droite. Fils d’un petit paysan du Territoire de Belfort, l’instituteur Rassinier milite activement au Parti communiste de 1923 à 1932, puis, à partir de 1934, au parti socialiste S.F.I.O. […]
Arrêté en novembre 1943, il est déporté au début de l’année suivante en Allemagne, où, après le camp de concentration de Buchenwald, il passe treize mois, jusqu’à la Libération, dans celui de Dora. Il rentre à Belfort en juin 1945. […]
Durant le dernier tiers de son existence, successivement à Mâcon, à Nice et à Asnières, dans la banlieue parisienne, il se consacre essentiellement à l’écriture, notamment de livres de dénonciations qui feront de lui, après sa mort en 1967, le père fondateur revendiqué par les négationnistes. Dès son premier ouvrage, Passage de la ligne, paru en 1949, il dédouane largement les nazis des atrocités commises dans les camps de concentration. Pour le deuxième, Le Mensonge d’Ulysse, publié l’année suivante, il a demandé à un pamphlétaire d’extrême droite, Albert Paraz, d’écrire une préface, dans laquelle des déportés sont notamment dénoncés comme de « très basses fripouilles ». […]
En 1962, Maurice Bardèche devient, à son tour, l’éditeur de Rassinier pour un premier livre, Le Véritable Procès Eichmann ou les Vainqueurs incorrigibles, où le génocide des juifs est présenté comme « la plus tragique et la plus macabre imposture de tous les temps » et dans lequel Rassinier, poursuivant une dérive déjà bien entamée vers les hommes et les idées d’extrême droite, parle des « admirables livres » de Bardèche sur Nuremberg et de leur « rare objectivité ». Le deuxième ouvrage de Rassinier publié par Bardèche, en 1964, s’intitule Le Drame des juifs européens, drame qui est, selon son auteur, « non pas que six millions d’entre eux ont été exterminés comme ils le prétendent mais seulement dans le fait qu’ils l’ont prétendu ». Paru en 1967, le tout dernier livre de Rassinier, Les Responsables de la Seconde Guerre mondiale, décrit de manière obsessionnelle les menées d’un « judaïsme mondial » tirant les ficelles de tous les « bellicistes » – Roosevelt, Churchill, les socialistes français – tandis que seul Hitler s’efforçait de sauver la paix. […]
3. De l’hypercritique littéraire au négationnisme : Robert Faurisson
Il s’y attaque néanmoins, à partir du milieu des années 1970, jusqu’à inonder les rédactions de journaux, en 1978, d’un texte polycopié contenant ce qu’il appelle les « conclusions des auteurs révisionnistes », parmi lesquels figure en bonne place Paul Rassinier, dont la mort en 1967 avait empêché que leur contact aille au-delà d’un bref échange épistolaire et dont Faurisson se proclame le disciple. Ces conclusions polycopiées, au nombre de sept, sont exposées comme des évidences afin d’impressionner le lecteur, dupé par ce que Faurisson appelle la version « exterminationniste » de l’histoire. Elles constituent le credo de la vulgate négationniste : « 1. Les „chambres à gaz“ hitlériennes n’ont jamais existé. 2. Le „génocide“ ou la „tentative de génocide“ des juifs n’a jamais eu lieu : en clair, jamais Hitler n’a donné l’ordre (ni admis) que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion. 3. Les prétendues „chambres à gaz“ et le prétendu „génocide“ sont un seul et même mensonge. 4. Ce mensonge, qui est d’origine essentiellement sioniste, a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont l’État d’Israël est le principal bénéficiaire. 5. Les principales victimes de ce mensonge et de cette escroquerie sont le peuple allemand et le peuple palestinien. 6. La force colossale des moyens d’information officiels a, jusqu’ici, assuré le succès du mensonge et censuré la liberté d’expression de ceux qui dénonçaient ce mensonge. 7. Les artisans du mensonge savent maintenant que leur mensonge vit ses dernières années ; ils déforment le sens et la nature des recherches révisionnistes ; ils nomment „résurgence du nazisme“ ou „falsification de l’histoire“ ce qui n’est qu’un juste retour au souci de la vérité historique. »
Négationnisme / Nadine Fresco (in Encyclopaedia Universalis)
Pour les négationnistes, les juifs ont inventé cette « propagande » sur la Shoah afin de permettre la création d’un état israélien :
« Le discours négationniste nie la politique d’extermination nazie à l’encontre des juifs d’Europe. Il s’agit d’une double négation : d’une part, la négation de la volonté d’extermination du IIIe Reich et, par là même, de l’emploi de la chambre à gaz homicide, « pilier central de la religion de l’«holocauste » d’après Robert Faurisson, une des figures du négationnisme français ; d’autre part, la négation de l’anéantissement systématique, massif et industriel de la communauté juive. Le négationnisme veut délivrer un message fondamental : les juifs ont menti afin de culpabiliser l’Occident et permettre la création de leur Etat. »
« La faiblesse documentaire sur l’Allemagne nazie est un fait avéré. Berlin a été bombardé, une masse de documents a disparu. […] Les négationnistes exploitent cette rareté des sources. Pour eux, la pénurie de documents signifie l’absence d’évènements, l’histoire s’établissant sur des sources écrites, les seules à être fiables. Les témoignages sont ainsi dénigrés, car reposant sur une mémoire « faillible » et prêtant à confusion.
Histoire du négationnisme en France / Valérie Igounet
« Le « négationnisme » décrit les tentatives de nier les faits établis du génocide nazi à l’encontre de la communauté juive en Europe. Ce déni s’exprime souvent dans les affirmations suivantes : l’assassinat de six millions de Juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale n’a jamais eu lieu ; les nazis n’avaient aucune politique officielle ni aucune intention d’exterminer les Juifs ; et les chambres à gaz dans les camps de la mort à Auschwitz-Birkenau n’ont jamais existé.
Une tendance plus récente est la distorsion des faits de l’Holocauste. Les distorsions courantes comportent, par exemple, des affirmations telles que : le nombre de six millions de morts juifs est une exagération ; les décès dans les camps de concentration étaient dus à la maladie ou la famine, mais pas à une politique ; le journal d’Anne Frank est un faux.
Le négationnisme et la distorsion des faits relatifs à l’Holocauste sont généralement motivés par la haine des Juifs et reposent sur l’accusation que l’Holocauste a été inventé ou exagéré par les Juifs dans le cadre d’un complot pour promouvoir leurs intérêts. Ce point de vue perpétue de vieux stéréotypes antisémites en accusant les Juifs de conspiration et de domination mondiale, des accusations odieuses qui contribuent à jeter les bases de l’Holocauste. […]
1942-1944 : Pour dissimuler les preuves de la suppression des Juifs d’Europe, les Allemands et leurs collaborateurs détruisent les preuves de l’existence de charniers dans les centres de mise à mort de Belzec, Sobibor et Treblinka. Des milliers d’autres sites d’exécutions en masse de Pologne occupée et d’Union soviétique occupée sont concernés, ainsi qu’en Serbie, notamment à Babi Yar, lors d’une opération nommée Aktion 1005. […]
1964: Paul Rassinier, un communiste français qui a été interné par les nazis, publie Le drame des Juifs européens, dans lequel il affirme que les chambres à gaz sont l’invention d’une « institution sioniste ».
1966-67: L’historien américain Harry Elmer Barnes publie un article dans la revue libertaire Rampart Journal où il atteste que les Alliés ont amplifié les atrocités nazies pour justifier une guerre d’agression contre les puissances de l’Axe. »
Chronologie du négationnisme / United States Holocaust Memorial Museum
En 2014, « Seul un tiers de la population mondiale pense que le génocide de la population juive par l’Allemagne nazie est décrite fidèlement par les historiens, selon un sondage de grande ampleur auprès de 53.000 personnes vivant dans plus de 100 pays (couvrant près de 86% de la population mondiale), mené par l’institut First international resources pour l’Anti Defamation Ligue (ADL), ONG luttant contre l’antisémitisme basée aux Etats-Unis.
Et encore ces chiffres ne concernent-ils que les 54% de répondants qui ont entendu parler de l’holocauste, explique The Atlantic qui détaille ces résultats. »
Le négationnisme dans le monde : 54% au courant de l’holocauste, un tiers pense que tout ça est exagéré / Jean-Laurent Cassely (in Slate)
Les conspirationnistes voient dans différents évènements historiques une mainmise des gouvernements ou de petits groupes de personnes qui régiraient le monde :
« Cette logique de négation de la causalité des événements est typique de ce que Pierre-André Taguieff appelle l’« imaginaire du complot » ou « l’idéologie du complot ». […]
Cette idéologie pose que le cours de l’histoire, et ses moments les plus marquants, ne sont pas le fruit du hasard, d’innombrables interactions ou rapports de force, mais sont en réalité provoqués uniformément par l’action secrète d’un petit groupe d’hommes désireux de voir la réalisation d’un projet de contrôle ou de domination des populations. Ces hommes cachés, qui tirent les ficelles, peuvent être des groupes internes au pays, des agences, des minorités, des groupes internationalisés et organisés au niveau mondial, voire des extra-terrestres ou des monstres (dont la « conspiration » contre les terriens est dénoncée, notamment par le britannique David Icke). […]
La pensée conspirationniste est, depuis plusieurs décennies maintenant, un objet de recherche universitaire, que l’actualité réactive périodiquement. L’approche scientifique du conspirationnisme ne prétend pas nier qu’il existe des complots politiques, de l’assassinat de César à l’attaque même que réalisent les frères Kouachi, et qui relève bien de leur part d’une stratégie pour tuer les journalistes de Charlie Hebdo. Cette même approche ne prétend pas nier non plus qu’il existe dans toute société des intérêts et des lobbies, plus ou moins visibles, qui sont engagés dans des conflits permanents. Ce que l’étude du conspirationnisme entend, elle, mettre en évidence, c’est la croyance systématique que les phénomènes sociaux ne sont qu’une apparence, l’écho trompeur d’autres actions émanant d’autres protagonistes qui restent dans l’ombre, et qu’il faudrait exposer. Étudier le conspirationnisme, c’est travailler les formes d’une explication du monde par la fiction. […]
Ce discours politique apparaît alors comme une ressource à bas coût, qui permet à des acteurs dominés ou marginalisés dans le champ politique d’y exister, et de faire circuler leur parole dans des circuits alternatifs (typiquement, les réseaux sociaux), de proposer leur vision d’un monde irrémédiablement clivé par des rapports de force cachés et inégaux (comploteurs/victimes, eux/nous), et de se compter plus ou moins bien. La « croyance » au complot n’est autre que l’adoption, à défaut d’adhésion, des attendus de ce discours, la reconnaissance de sa validité pour penser le monde social. Le propos conspirationniste relève donc de la doctrine politique, amalgamant des éléments épars. […]
L’imaginaire du complot a ceci de particulier qu’il permet à ses tenants de pouvoir l’embrasser sans sortir de chez eux, de se contenter de « décrypter » les images télévisées, sans se conformer aux standards journalistiques de l’enquête. Dans cet imaginaire, le complot est toujours-déjà visible, pour peu que l’on soit initié. Car s’il était trop bien caché, donc trop bien réussi, on ne pourrait le dénoncer. Les conspirationnistes tiennent donc les conspirateurs en piètre estime, car ils présupposent que les signes du complot transpirent de partout. »
Du conspirationnisme comme idéologie / Emmanuel Taïeb (in Ina Global)
L’article du Monde diplomatique Dix principes de la mécanique conspirationniste nous explique comment fonctionne la théorie du complot :
« 1. Ne jamais parler de complot
[…] Aujourd’hui, le vocabulaire a changé. « Je crois que ce mot-là [complot] n’est jamais employé dans mon livre. En fait, moi, je parle de “projet de domination”, de “réseau de domination” », explique Alain Soral le 23 mars 2011 sur RFI. Comme ses alliés Dieudonné et Thierry Meyssan — deux autres fers de lance du conspirationnisme français —, il prétend surtout qu’il se méfie des « versions officielles » et qu’il propose des « informations alternatives ». Le site Stop mensonges a pour devise « La vérité nous libérera ! » ; pour Wikistrike, « Rien, ni personne, n’est supérieur à la vérité ». Quant au très catholique Médias-Presse-Info, il se présente comme « un média original qui vise la vulgarisation de l’information d’une manière délibérément objective, libre et sans concession ». Qui saurait le lui reprocher ?
2. Se revendiquer d’une avant-garde
« Disons-le tout net : je ne crois pas à la version officielle que les médias nous présentent en boucle ad nauseam », s’enorgueillit un contributeur de Médias-Presse-Info. Ce doute permanent procure l’impression agréable d’appartenir à une avant-garde éclairée, de compter parmi ceux à qui on ne la fait pas. […]
Ce plaisir de faire partie des initiés, cette conviction de disposer d’informations réservées à un petit nombre, de s’écarter du troupeau, contribue à l’attrait des théories du complot.
3. S’appuyer sur la science et la raison
Le pouvoir de séduction de ces théories réside également dans leur apparence scientifique et rationnelle. Les textes conspirationnistes regorgent de notes de bas de page, de liens hypertextes, de graphiques qui leur confèrent une forme pseudo-universitaire. L’article consacré à « l’effondrement magique de la tour WTC7 » sur le site de ReOpen911 constitue un modèle du genre. Des plans en trois dimensions, des photographies aériennes, des vidéos austères et techniques (dont l’une dure plus de deux heures), une étude d’un « ex-chercheur du CNRS en géologie-géophysique et spécialiste des ondes acoustiques » ou encore un « document de synthèse produit par des architectes et ingénieurs » viennent démontrer que la chute de l’immeuble est due à une opération de démolition programmée. Derrière ce masque savant se cache en fait un circuit d’informations fermé, où des sites complotistes renvoient à d’autres sites complotistes, puis à des livres publiés par des maisons d’édition complotistes (comme Demi-Lune en France) et à des travaux de « chercheurs » marginalisés et controversés dans le milieu universitaire. Ce fonctionnement est patent sur le site du Réseau Voltaire, où Meyssan se cite à longueur d’articles. […]
5. Rechercher les « détails troublants »
Une fois le coupable désigné, les adeptes de la théorie du complot traquent tous les « détails troublants » et « anomalies » permettant de contester la version officielle et de bâtir une machine à convaincre concurrente. […]
6. Refuser le hasard
Afin d’amasser le plus de détails troublants possibles, il faut considérer que le hasard n’existe pas, que chaque fait est signifiant. La concomitance de deux événements est donc toujours interprétée en termes de causalité. C’est ainsi que le suicide, le 8 janvier 2015, du numéro deux de la police limougeaude, tout juste chargé d’une mission dans le cadre de l’attentat à Charlie Hebdo, est devenu un « indice troublant ». »
« Le conspirationnisme ne se donne pas non plus comme un discours prélogique ou irrationnel. Au contraire, il a importé et adapté le discours de la raison et de la science, essayant de produire une contre-expertise sur des enjeux publics, ou tâchant de susciter des controverses sur ses sujets de prédilection. Donc, le conspirationnisme se veut un discours qui entend démontrer et convaincre. Il repose en apparence sur des observations du réel, sur des hypothèses, et sur des résultats."
" Nier la complexité du réel
Premièrement, le conspirationnisme nie la complexité du réel, dont il va proposer une explication univoque et monocausale. Il ne s’embarrasse pas de contre-exemples, et donne à une même cause — l’action d’un groupe d’individus — des effets variés et une puissance capable d’aller contre la volonté des acteurs du monde social. […]
Le discours conspirationniste s’apparente-t-il pour autant à de la manipulation ? La réponse à cette interrogation ne peut qu’être nuancée, au sens où les conspirationnistes croient réellement à l’existence du complot qu’ils dénoncent. Ce n’est pas qu’ils tirent des conclusions fausses, mais ils font reposer les éléments factuels retenus sur des prémisses erronées. Ce mélange du « vrai » et du « faux » est en soi une forme de manipulation du réel. Mais il s’agit moins ici de manipuler pour tromper que de manipuler pour convaincre. Car leur certitude, que les citoyens sont toujours-déjà manipulés, conduit les conspirationnistes à afficher leur répugnance pour toute utilisation de techniques manipulatoires. […]
Identifier les signes du complot
Enfin, le conspirationnisme repose sur une surinterprétation de faits perçus comme autant de signes. Pour les théoriciens du complot, tous les faits sont des signes qui peuvent dévoiler le complot, si l’on parvient à les décrypter correctement et à ne pas s’arrêter à leur apparence. […]
Dans tous les cas, la matérialité observable des signes prouve la matérialité inobservable du complot. Si le complot n’est pas visible directement, sa puissance et son échelle font qu’il ne peut rester absolument secret, et qu’il se manifeste sous des formes qu’il faut repérer. L’observation des signes, la transformation de détails en révélateurs deviennent alors le moyen non seulement de voir le complot, mais aussi de devenir initié. Il faut « savoir » trouver puis décoder des signes qui n’apparaîtront pas aux yeux des profanes. Et cette capacité permet de diffuser des informations inédites et donc de bénéficier d’une plus-value journalistique sur le marché de l’information. Le groupe des initiés vient alors se superposer au groupe des comploteurs, conduisant à un conflit permanent entre ceux qui veulent éventer le complot et ceux qui veulent le cacher.»
Logiques politiques du conspirationnismes /Emmanuel Taïeb (in Sociologie et sociétés)
Les personnes adhérant aux théories du complot sont persuadés d’avoir accès à une vérité qui devait rester inconnue du grand public.
« L’une des premières explications consiste à dire que la vision complotiste est utile car elle protège de l’angoisse. Dans un monde soumis à un flux toujours croissant d’informations complexes, soumis à l’incertitude, l’univers du complotiste a le mérite d’être simple : chacun des événements ou phénomènes fâcheux que l’on dénonce – la guerre, le chômage, la pauvreté, l’assassinat d’une personnalité, un attentat – a une cause unique : l’action volontaire d’un groupe, dénoncé comme l’incarnation du mal. C’est ainsi que, selon Norman Cohn, « la forme première de l’antisémitisme fut l’antisémitisme démonologique, c’est-à-dire l’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, (…) complotant sans trêve la ruine du genre humain ».
Une vision du monde simple, donc facile à expliquer et à comprendre – ce qui en fait l’attrait, non seulement pour les inventeurs de ces complots, mais pour leur public. Les masses modernes, selon Hannah Arendt, sont avides d’idéologie, d’une vision du monde qui explique tout, ou encore, comme l’observe le sociologue Gérald Bronner, elles aiment que la réalité leur soit contée comme une bonne histoire, où des faits, même disparates, sont unifiés par un récit aboutissant à une conclusion apparemment logique. […]
Certains chercheurs, en psychologie sociale, se sont également interrogés sur la personnalité des adeptes des théories du complot : retrouve-t-on les mêmes traits de caractère chez tous ? La parenté entre les raisonnements des paranoïaques et ceux des conspirationnistes est fréquemment relevée : même caractère obsessionnel, même acharnement à trouver des preuves, même aveuglement aux failles de leur argumentaire. Richard Hofstadter, dans un livre très remarqué, a ainsi dénoncé, en 1964, le style paranoïde aux États-Unis. […]
Deux psychologues suisses ont quant à eux effectué une recherche sur 198 étudiants. Ils ont d’abord testé leur adhésion à huit théories du complot en vogue – l’assassinat de Kennedy, le 11 septembre, la fabrication en laboratoire du virus du sida… Puis ils ont évalué, à l’aide de questionnaires, une série de traits de personnalité et cherché lesquels étaient le plus en corrélation avec une forte adhésion aux thèses complotistes.
Deux traits sont présents dans tous les cas : la méfiance et l’anomie, c’est-à-dire le sentiment de ne pas pouvoir contrôler le monde environnant et sa propre vie. Ensuite, ils ont comparé deux sous-groupes : l’un formé de sujets qui croient surtout à des complots ourdis par des minorités (Al-Qaïda, Juifs…) ; l’autre, qu’ils ont appelé « système », dans lequel le complot est attribué à des gens en position de pouvoir (la CIA, les laboratoires…). Ils ont constaté que, si la méfiance et la peur du monde existent chez tous, le groupe « minorités » se distingue par son conservatisme social, et le groupe « système », par son irrationalité, c’est-à-dire son adhésion à des croyances ésotériques.
Y a-t-il des différences de motivation, de personnalité entre les conspirationnistes et les gens qui, sans imaginer de complots eux-mêmes, croient facilement à ceux qu’on leur dénonce ? De degré plutôt que de nature, semble-t-il. D’après plusieurs études récentes, celui qui croit à un complot croit souvent en plusieurs complots, et se dit disposé à dénoncer des complots lui-même. Ses principaux motifs d’adhésion à ces théories sont la séduction exercée par une vision du monde simple, cohérente, divisant le monde en bien et mal, identifiant clairement la source du mal et permettant ainsi de lutter contre lui. Viennent ensuite le sentiment valorisant d’être un initié, de ne pas être un idiot succombant à toutes les formes de lavage de cerveau. »
Théories du complot : notre société est-elle devenue parano ? / Claudie Bert (in Sciences Humaines)
Le site Conspiracy Watch : observatoire du conspirationnisme et des théories du complot vous permettra d’en savoir plus sur le conspirationnisme et les diverses théories du complot qui circule.
Tout comme le site Hoaxbuster, qui a pour but de mettre fin aux rumeurs qui circule sur le web.
Enfin, le gouvernement français a mis en place le site On te manipule, à destination des plus jeunes ; qui contient une mine d’informations sur la désinformation.
Pour aller plus loin :
• Confessions d’un négationniste / Quentin Victor Leydier
• Robert Faurisson : portrait d’un négationniste / Valérie Igounet
• Réflexions sur la question négationniste / Nicole-Nikol Abécassis
• Les assassins de la mémoire : « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme / Pierre Vidal-Naquet
• Les études du Crif n°34 : le négationnisme : histoire d’une idéologie antisémite (1945-2014)
• Théories du complot : on nous cache tout, on nous dit rien / Nicolas Chevassus-au-Louis
• Court traité de complotologie / Pierre-André Taguieff
• Complocratie : enquête aux sources du nouveau conspirationnisme / Bruno Fay
• Comploshère : l’esprit conspirationniste à l’ère des réseaux / Raphael Josset
• Théories du complot / L’Express
• Théories du complot / Slate
• Déconstruire le conspirationnisme / SIG Lab
• Doute conspirationniste et regard critique / Aurélie Ledoux et Marc-Olivier Padis (in Esprit)
• Comment j’ai quitté la secte des théories du complot / Alexander Krützfeldt (in Vice)
Nous vous présentons nos excuses pour le retard apporté à notre réponse et vous souhaitons une excellente année 2017.
En France, le négationnisme porte uniquement sur le déni de la réalité de la Shoah. En ce qui concerne la négation d’autres faits de l’histoire (comme la conquête de la lune ou les attentats du World Trade Center), on parlera plutôt de théorie du complot ou de conspirationniste
Le négationnisme apparait directement après la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la guerre froide :
« Réactualisant une longue tradition antisémite de l’Occident, les négationnistes dénoncent un prétendu complot juif international qui aurait fabriqué de toutes pièces cette « escroquerie du xxe siècle » dans le but de justifier l’existence de l’État d’Israël et d’extorquer de scandaleuses réparations à une Allemagne innocente. […]
[…] Adaptant son discours au nouveau contexte international, l’extrême droite s’empare du thème d’une « nation Europe » en danger face à la menace communiste. Mais il lui faut également, pour espérer regagner en audience, réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : euphémiser et minimiser les crimes nazis avant d’en venir à nier celui d’entre eux qui, précisément, faisait la spécificité du nazisme, le génocide. Parallèlement à l’exaltation des hauts faits de l’armée du IIIe Reich, qui aurait défendu l’Occident contre la barbarie communiste, et à la justification de la SS, qui n’aurait participé qu’à de rares massacres et dans le seul but de répliquer au « terrorisme », livres et pamphlets d’extrême droite dénoncent sans relâche les crimes des Alliés, dans lesquels sont comptés, pêle-mêle, les bombardements de civils, les déplacements de populations, le pillage industriel de l’Allemagne, la dénazification et le procès des responsables nazis.
Maurice Bardèche (1909-1998), ami intime et beau-frère de Robert Brasillach, l’écrivain collaborationniste fusillé à la Libération, s’est évertué dès 1947 à démontrer que les crimes des nazis et de leurs auxiliaires français n’étaient en rien différents de ceux des Alliés. Pour blanchir les collaborateurs les plus engagés et rendre le nazisme historiquement supportable, il nie la réalité de l’assassinat de millions d’êtres humains tués pour la seule raison qu’ils étaient nés juifs. Il décrète que cette extermination n’a été en fait qu’une falsification de l’histoire, inventée par les vainqueurs de la guerre. […]
Le fait est que les prémices du négationnisme apparaissent chez Rassinier alors qu’il est encore inscrit dans un univers politique fort éloigné de celui de l’extrême droite. Fils d’un petit paysan du Territoire de Belfort, l’instituteur Rassinier milite activement au Parti communiste de 1923 à 1932, puis, à partir de 1934, au parti socialiste S.F.I.O. […]
Arrêté en novembre 1943, il est déporté au début de l’année suivante en Allemagne, où, après le camp de concentration de Buchenwald, il passe treize mois, jusqu’à la Libération, dans celui de Dora. Il rentre à Belfort en juin 1945. […]
Durant le dernier tiers de son existence, successivement à Mâcon, à Nice et à Asnières, dans la banlieue parisienne, il se consacre essentiellement à l’écriture, notamment de livres de dénonciations qui feront de lui, après sa mort en 1967, le père fondateur revendiqué par les négationnistes. Dès son premier ouvrage, Passage de la ligne, paru en 1949, il dédouane largement les nazis des atrocités commises dans les camps de concentration. Pour le deuxième, Le Mensonge d’Ulysse, publié l’année suivante, il a demandé à un pamphlétaire d’extrême droite, Albert Paraz, d’écrire une préface, dans laquelle des déportés sont notamment dénoncés comme de « très basses fripouilles ». […]
En 1962, Maurice Bardèche devient, à son tour, l’éditeur de Rassinier pour un premier livre, Le Véritable Procès Eichmann ou les Vainqueurs incorrigibles, où le génocide des juifs est présenté comme « la plus tragique et la plus macabre imposture de tous les temps » et dans lequel Rassinier, poursuivant une dérive déjà bien entamée vers les hommes et les idées d’extrême droite, parle des « admirables livres » de Bardèche sur Nuremberg et de leur « rare objectivité ». Le deuxième ouvrage de Rassinier publié par Bardèche, en 1964, s’intitule Le Drame des juifs européens, drame qui est, selon son auteur, « non pas que six millions d’entre eux ont été exterminés comme ils le prétendent mais seulement dans le fait qu’ils l’ont prétendu ». Paru en 1967, le tout dernier livre de Rassinier, Les Responsables de la Seconde Guerre mondiale, décrit de manière obsessionnelle les menées d’un « judaïsme mondial » tirant les ficelles de tous les « bellicistes » – Roosevelt, Churchill, les socialistes français – tandis que seul Hitler s’efforçait de sauver la paix. […]
Il s’y attaque néanmoins, à partir du milieu des années 1970, jusqu’à inonder les rédactions de journaux, en 1978, d’un texte polycopié contenant ce qu’il appelle les « conclusions des auteurs révisionnistes », parmi lesquels figure en bonne place Paul Rassinier, dont la mort en 1967 avait empêché que leur contact aille au-delà d’un bref échange épistolaire et dont Faurisson se proclame le disciple. Ces conclusions polycopiées, au nombre de sept, sont exposées comme des évidences afin d’impressionner le lecteur, dupé par ce que Faurisson appelle la version « exterminationniste » de l’histoire. Elles constituent le credo de la vulgate négationniste : « 1. Les „chambres à gaz“ hitlériennes n’ont jamais existé. 2. Le „génocide“ ou la „tentative de génocide“ des juifs n’a jamais eu lieu : en clair, jamais Hitler n’a donné l’ordre (ni admis) que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion. 3. Les prétendues „chambres à gaz“ et le prétendu „génocide“ sont un seul et même mensonge. 4. Ce mensonge, qui est d’origine essentiellement sioniste, a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont l’État d’Israël est le principal bénéficiaire. 5. Les principales victimes de ce mensonge et de cette escroquerie sont le peuple allemand et le peuple palestinien. 6. La force colossale des moyens d’information officiels a, jusqu’ici, assuré le succès du mensonge et censuré la liberté d’expression de ceux qui dénonçaient ce mensonge. 7. Les artisans du mensonge savent maintenant que leur mensonge vit ses dernières années ; ils déforment le sens et la nature des recherches révisionnistes ; ils nomment „résurgence du nazisme“ ou „falsification de l’histoire“ ce qui n’est qu’un juste retour au souci de la vérité historique. »
Négationnisme / Nadine Fresco (in Encyclopaedia Universalis)
Pour les négationnistes, les juifs ont inventé cette « propagande » sur la Shoah afin de permettre la création d’un état israélien :
« Le discours négationniste nie la politique d’extermination nazie à l’encontre des juifs d’Europe. Il s’agit d’une double négation : d’une part, la négation de la volonté d’extermination du IIIe Reich et, par là même, de l’emploi de la chambre à gaz homicide, « pilier central de la religion de l’«holocauste » d’après Robert Faurisson, une des figures du négationnisme français ; d’autre part, la négation de l’anéantissement systématique, massif et industriel de la communauté juive. Le négationnisme veut délivrer un message fondamental : les juifs ont menti afin de culpabiliser l’Occident et permettre la création de leur Etat. »
« La faiblesse documentaire sur l’Allemagne nazie est un fait avéré. Berlin a été bombardé, une masse de documents a disparu. […] Les négationnistes exploitent cette rareté des sources. Pour eux, la pénurie de documents signifie l’absence d’évènements, l’histoire s’établissant sur des sources écrites, les seules à être fiables. Les témoignages sont ainsi dénigrés, car reposant sur une mémoire « faillible » et prêtant à confusion.
Histoire du négationnisme en France / Valérie Igounet
« Le « négationnisme » décrit les tentatives de nier les faits établis du génocide nazi à l’encontre de la communauté juive en Europe. Ce déni s’exprime souvent dans les affirmations suivantes : l’assassinat de six millions de Juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale n’a jamais eu lieu ; les nazis n’avaient aucune politique officielle ni aucune intention d’exterminer les Juifs ; et les chambres à gaz dans les camps de la mort à Auschwitz-Birkenau n’ont jamais existé.
Une tendance plus récente est la distorsion des faits de l’Holocauste. Les distorsions courantes comportent, par exemple, des affirmations telles que : le nombre de six millions de morts juifs est une exagération ; les décès dans les camps de concentration étaient dus à la maladie ou la famine, mais pas à une politique ; le journal d’Anne Frank est un faux.
Le négationnisme et la distorsion des faits relatifs à l’Holocauste sont généralement motivés par la haine des Juifs et reposent sur l’accusation que l’Holocauste a été inventé ou exagéré par les Juifs dans le cadre d’un complot pour promouvoir leurs intérêts. Ce point de vue perpétue de vieux stéréotypes antisémites en accusant les Juifs de conspiration et de domination mondiale, des accusations odieuses qui contribuent à jeter les bases de l’Holocauste. […]
1942-1944 : Pour dissimuler les preuves de la suppression des Juifs d’Europe, les Allemands et leurs collaborateurs détruisent les preuves de l’existence de charniers dans les centres de mise à mort de Belzec, Sobibor et Treblinka. Des milliers d’autres sites d’exécutions en masse de Pologne occupée et d’Union soviétique occupée sont concernés, ainsi qu’en Serbie, notamment à Babi Yar, lors d’une opération nommée Aktion 1005. […]
1964: Paul Rassinier, un communiste français qui a été interné par les nazis, publie Le drame des Juifs européens, dans lequel il affirme que les chambres à gaz sont l’invention d’une « institution sioniste ».
1966-67: L’historien américain Harry Elmer Barnes publie un article dans la revue libertaire Rampart Journal où il atteste que les Alliés ont amplifié les atrocités nazies pour justifier une guerre d’agression contre les puissances de l’Axe. »
Chronologie du négationnisme / United States Holocaust Memorial Museum
En 2014, « Seul un tiers de la population mondiale pense que le génocide de la population juive par l’Allemagne nazie est décrite fidèlement par les historiens, selon un sondage de grande ampleur auprès de 53.000 personnes vivant dans plus de 100 pays (couvrant près de 86% de la population mondiale), mené par l’institut First international resources pour l’Anti Defamation Ligue (ADL), ONG luttant contre l’antisémitisme basée aux Etats-Unis.
Et encore ces chiffres ne concernent-ils que les 54% de répondants qui ont entendu parler de l’holocauste, explique The Atlantic qui détaille ces résultats. »
Le négationnisme dans le monde : 54% au courant de l’holocauste, un tiers pense que tout ça est exagéré / Jean-Laurent Cassely (in Slate)
Les conspirationnistes voient dans différents évènements historiques une mainmise des gouvernements ou de petits groupes de personnes qui régiraient le monde :
« Cette logique de négation de la causalité des événements est typique de ce que Pierre-André Taguieff appelle l’« imaginaire du complot » ou « l’idéologie du complot ». […]
Cette idéologie pose que le cours de l’histoire, et ses moments les plus marquants, ne sont pas le fruit du hasard, d’innombrables interactions ou rapports de force, mais sont en réalité provoqués uniformément par l’action secrète d’un petit groupe d’hommes désireux de voir la réalisation d’un projet de contrôle ou de domination des populations. Ces hommes cachés, qui tirent les ficelles, peuvent être des groupes internes au pays, des agences, des minorités, des groupes internationalisés et organisés au niveau mondial, voire des extra-terrestres ou des monstres (dont la « conspiration » contre les terriens est dénoncée, notamment par le britannique David Icke). […]
La pensée conspirationniste est, depuis plusieurs décennies maintenant, un objet de recherche universitaire, que l’actualité réactive périodiquement. L’approche scientifique du conspirationnisme ne prétend pas nier qu’il existe des complots politiques, de l’assassinat de César à l’attaque même que réalisent les frères Kouachi, et qui relève bien de leur part d’une stratégie pour tuer les journalistes de Charlie Hebdo. Cette même approche ne prétend pas nier non plus qu’il existe dans toute société des intérêts et des lobbies, plus ou moins visibles, qui sont engagés dans des conflits permanents. Ce que l’étude du conspirationnisme entend, elle, mettre en évidence, c’est la croyance systématique que les phénomènes sociaux ne sont qu’une apparence, l’écho trompeur d’autres actions émanant d’autres protagonistes qui restent dans l’ombre, et qu’il faudrait exposer. Étudier le conspirationnisme, c’est travailler les formes d’une explication du monde par la fiction. […]
Ce discours politique apparaît alors comme une ressource à bas coût, qui permet à des acteurs dominés ou marginalisés dans le champ politique d’y exister, et de faire circuler leur parole dans des circuits alternatifs (typiquement, les réseaux sociaux), de proposer leur vision d’un monde irrémédiablement clivé par des rapports de force cachés et inégaux (comploteurs/victimes, eux/nous), et de se compter plus ou moins bien. La « croyance » au complot n’est autre que l’adoption, à défaut d’adhésion, des attendus de ce discours, la reconnaissance de sa validité pour penser le monde social. Le propos conspirationniste relève donc de la doctrine politique, amalgamant des éléments épars. […]
L’imaginaire du complot a ceci de particulier qu’il permet à ses tenants de pouvoir l’embrasser sans sortir de chez eux, de se contenter de « décrypter » les images télévisées, sans se conformer aux standards journalistiques de l’enquête. Dans cet imaginaire, le complot est toujours-déjà visible, pour peu que l’on soit initié. Car s’il était trop bien caché, donc trop bien réussi, on ne pourrait le dénoncer. Les conspirationnistes tiennent donc les conspirateurs en piètre estime, car ils présupposent que les signes du complot transpirent de partout. »
Du conspirationnisme comme idéologie / Emmanuel Taïeb (in Ina Global)
L’article du Monde diplomatique Dix principes de la mécanique conspirationniste nous explique comment fonctionne la théorie du complot :
«
[…] Aujourd’hui, le vocabulaire a changé. « Je crois que ce mot-là [complot] n’est jamais employé dans mon livre. En fait, moi, je parle de “projet de domination”, de “réseau de domination” », explique Alain Soral le 23 mars 2011 sur RFI. Comme ses alliés Dieudonné et Thierry Meyssan — deux autres fers de lance du conspirationnisme français —, il prétend surtout qu’il se méfie des « versions officielles » et qu’il propose des « informations alternatives ». Le site Stop mensonges a pour devise « La vérité nous libérera ! » ; pour Wikistrike, « Rien, ni personne, n’est supérieur à la vérité ». Quant au très catholique Médias-Presse-Info, il se présente comme « un média original qui vise la vulgarisation de l’information d’une manière délibérément objective, libre et sans concession ». Qui saurait le lui reprocher ?
« Disons-le tout net : je ne crois pas à la version officielle que les médias nous présentent en boucle ad nauseam », s’enorgueillit un contributeur de Médias-Presse-Info. Ce doute permanent procure l’impression agréable d’appartenir à une avant-garde éclairée, de compter parmi ceux à qui on ne la fait pas. […]
Ce plaisir de faire partie des initiés, cette conviction de disposer d’informations réservées à un petit nombre, de s’écarter du troupeau, contribue à l’attrait des théories du complot.
Le pouvoir de séduction de ces théories réside également dans leur apparence scientifique et rationnelle. Les textes conspirationnistes regorgent de notes de bas de page, de liens hypertextes, de graphiques qui leur confèrent une forme pseudo-universitaire. L’article consacré à « l’effondrement magique de la tour WTC7 » sur le site de ReOpen911 constitue un modèle du genre. Des plans en trois dimensions, des photographies aériennes, des vidéos austères et techniques (dont l’une dure plus de deux heures), une étude d’un « ex-chercheur du CNRS en géologie-géophysique et spécialiste des ondes acoustiques » ou encore un « document de synthèse produit par des architectes et ingénieurs » viennent démontrer que la chute de l’immeuble est due à une opération de démolition programmée. Derrière ce masque savant se cache en fait un circuit d’informations fermé, où des sites complotistes renvoient à d’autres sites complotistes, puis à des livres publiés par des maisons d’édition complotistes (comme Demi-Lune en France) et à des travaux de « chercheurs » marginalisés et controversés dans le milieu universitaire. Ce fonctionnement est patent sur le site du Réseau Voltaire, où Meyssan se cite à longueur d’articles. […]
Une fois le coupable désigné, les adeptes de la théorie du complot traquent tous les « détails troublants » et « anomalies » permettant de contester la version officielle et de bâtir une machine à convaincre concurrente. […]
Afin d’amasser le plus de détails troublants possibles, il faut considérer que le hasard n’existe pas, que chaque fait est signifiant. La concomitance de deux événements est donc toujours interprétée en termes de causalité. C’est ainsi que le suicide, le 8 janvier 2015, du numéro deux de la police limougeaude, tout juste chargé d’une mission dans le cadre de l’attentat à Charlie Hebdo, est devenu un « indice troublant ». »
« Le conspirationnisme ne se donne pas non plus comme un discours prélogique ou irrationnel. Au contraire, il a importé et adapté le discours de la raison et de la science, essayant de produire une contre-expertise sur des enjeux publics, ou tâchant de susciter des controverses sur ses sujets de prédilection. Donc, le conspirationnisme se veut un discours qui entend démontrer et convaincre. Il repose en apparence sur des observations du réel, sur des hypothèses, et sur des résultats."
"
Premièrement, le conspirationnisme nie la complexité du réel, dont il va proposer une explication univoque et monocausale. Il ne s’embarrasse pas de contre-exemples, et donne à une même cause — l’action d’un groupe d’individus — des effets variés et une puissance capable d’aller contre la volonté des acteurs du monde social. […]
Enfin, le conspirationnisme repose sur une surinterprétation de faits perçus comme autant de signes. Pour les théoriciens du complot, tous les faits sont des signes qui peuvent dévoiler le complot, si l’on parvient à les décrypter correctement et à ne pas s’arrêter à leur apparence. […]
Dans tous les cas, la matérialité observable des signes prouve la matérialité inobservable du complot. Si le complot n’est pas visible directement, sa puissance et son échelle font qu’il ne peut rester absolument secret, et qu’il se manifeste sous des formes qu’il faut repérer. L’observation des signes, la transformation de détails en révélateurs deviennent alors le moyen non seulement de voir le complot, mais aussi de devenir initié. Il faut « savoir » trouver puis décoder des signes qui n’apparaîtront pas aux yeux des profanes. Et cette capacité permet de diffuser des informations inédites et donc de bénéficier d’une plus-value journalistique sur le marché de l’information. Le groupe des initiés vient alors se superposer au groupe des comploteurs, conduisant à un conflit permanent entre ceux qui veulent éventer le complot et ceux qui veulent le cacher.»
Logiques politiques du conspirationnismes /Emmanuel Taïeb (in Sociologie et sociétés)
Les personnes adhérant aux théories du complot sont persuadés d’avoir accès à une vérité qui devait rester inconnue du grand public.
« L’une des premières explications consiste à dire que la vision complotiste est utile car elle protège de l’angoisse. Dans un monde soumis à un flux toujours croissant d’informations complexes, soumis à l’incertitude, l’univers du complotiste a le mérite d’être simple : chacun des événements ou phénomènes fâcheux que l’on dénonce – la guerre, le chômage, la pauvreté, l’assassinat d’une personnalité, un attentat – a une cause unique : l’action volontaire d’un groupe, dénoncé comme l’incarnation du mal. C’est ainsi que, selon Norman Cohn, « la forme première de l’antisémitisme fut l’antisémitisme démonologique, c’est-à-dire l’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, (…) complotant sans trêve la ruine du genre humain ».
Une vision du monde simple, donc facile à expliquer et à comprendre – ce qui en fait l’attrait, non seulement pour les inventeurs de ces complots, mais pour leur public. Les masses modernes, selon Hannah Arendt, sont avides d’idéologie, d’une vision du monde qui explique tout, ou encore, comme l’observe le sociologue Gérald Bronner, elles aiment que la réalité leur soit contée comme une bonne histoire, où des faits, même disparates, sont unifiés par un récit aboutissant à une conclusion apparemment logique. […]
Certains chercheurs, en psychologie sociale, se sont également interrogés sur la personnalité des adeptes des théories du complot : retrouve-t-on les mêmes traits de caractère chez tous ? La parenté entre les raisonnements des paranoïaques et ceux des conspirationnistes est fréquemment relevée : même caractère obsessionnel, même acharnement à trouver des preuves, même aveuglement aux failles de leur argumentaire. Richard Hofstadter, dans un livre très remarqué, a ainsi dénoncé, en 1964, le style paranoïde aux États-Unis. […]
Deux psychologues suisses ont quant à eux effectué une recherche sur 198 étudiants. Ils ont d’abord testé leur adhésion à huit théories du complot en vogue – l’assassinat de Kennedy, le 11 septembre, la fabrication en laboratoire du virus du sida… Puis ils ont évalué, à l’aide de questionnaires, une série de traits de personnalité et cherché lesquels étaient le plus en corrélation avec une forte adhésion aux thèses complotistes.
Deux traits sont présents dans tous les cas : la méfiance et l’anomie, c’est-à-dire le sentiment de ne pas pouvoir contrôler le monde environnant et sa propre vie. Ensuite, ils ont comparé deux sous-groupes : l’un formé de sujets qui croient surtout à des complots ourdis par des minorités (Al-Qaïda, Juifs…) ; l’autre, qu’ils ont appelé « système », dans lequel le complot est attribué à des gens en position de pouvoir (la CIA, les laboratoires…). Ils ont constaté que, si la méfiance et la peur du monde existent chez tous, le groupe « minorités » se distingue par son conservatisme social, et le groupe « système », par son irrationalité, c’est-à-dire son adhésion à des croyances ésotériques.
Y a-t-il des différences de motivation, de personnalité entre les conspirationnistes et les gens qui, sans imaginer de complots eux-mêmes, croient facilement à ceux qu’on leur dénonce ? De degré plutôt que de nature, semble-t-il. D’après plusieurs études récentes, celui qui croit à un complot croit souvent en plusieurs complots, et se dit disposé à dénoncer des complots lui-même. Ses principaux motifs d’adhésion à ces théories sont la séduction exercée par une vision du monde simple, cohérente, divisant le monde en bien et mal, identifiant clairement la source du mal et permettant ainsi de lutter contre lui. Viennent ensuite le sentiment valorisant d’être un initié, de ne pas être un idiot succombant à toutes les formes de lavage de cerveau. »
Théories du complot : notre société est-elle devenue parano ? / Claudie Bert (in Sciences Humaines)
Le site Conspiracy Watch : observatoire du conspirationnisme et des théories du complot vous permettra d’en savoir plus sur le conspirationnisme et les diverses théories du complot qui circule.
Tout comme le site Hoaxbuster, qui a pour but de mettre fin aux rumeurs qui circule sur le web.
Enfin, le gouvernement français a mis en place le site On te manipule, à destination des plus jeunes ; qui contient une mine d’informations sur la désinformation.
Pour aller plus loin :
• Confessions d’un négationniste / Quentin Victor Leydier
• Robert Faurisson : portrait d’un négationniste / Valérie Igounet
• Réflexions sur la question négationniste / Nicole-Nikol Abécassis
• Les assassins de la mémoire : « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme / Pierre Vidal-Naquet
• Les études du Crif n°34 : le négationnisme : histoire d’une idéologie antisémite (1945-2014)
• Théories du complot : on nous cache tout, on nous dit rien / Nicolas Chevassus-au-Louis
• Court traité de complotologie / Pierre-André Taguieff
• Complocratie : enquête aux sources du nouveau conspirationnisme / Bruno Fay
• Comploshère : l’esprit conspirationniste à l’ère des réseaux / Raphael Josset
• Théories du complot / L’Express
• Théories du complot / Slate
• Déconstruire le conspirationnisme / SIG Lab
• Doute conspirationniste et regard critique / Aurélie Ledoux et Marc-Olivier Padis (in Esprit)
• Comment j’ai quitté la secte des théories du complot / Alexander Krützfeldt (in Vice)
Nous vous présentons nos excuses pour le retard apporté à notre réponse et vous souhaitons une excellente année 2017.
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