Question d'origine :
Cher guichet,
Peut-on affirmer que la littérature pour enfants n'existe guère avant le XIXe siècle en France et en Europe?
Avant les enfants lisaient la littérature pour adultes expurgée éventuellement?
Qu'en est-il de la littérature pour adolescents?
Réponse du Guichet
bml_jeun
- Département : Jeunesse
Le 13/12/2016 à 10h38
Bonjour,
Vos questions sont complexes, car elles nécessiteraient pour une réponse précise, de définir plus précisément ce que vous entendez par « littérature pour enfants », en distinguant évidemment la littérature et les livres pour enfants (qui avaient souvent valeur d’instruction) et en précisant le « pour enfant », cette reconnaissance de l’enfance étant un concept historiquement construit au siècle des lumières. (L’Emile, Rousseau 1762)
Cependant, pour essayer de vous répondre :
Le premier livre pour enfants officiellement reconnu comme tel a été publié par Fénelon vers 1694. Il s’agit des Aventures de Télémaque, premier ouvrage écrit spécifiquement pour un enfant, le duc de Bourgogne dont Fénelon était le Percepteur. (lien vers le document numérisé que vous pouvez feuilleter sur Numelyo)
On peut donc affirmer que la littérature jeunesse existait avant le 19è siècle en France, même si l’initiative de Fénelon reste isolée et qu’au XVIIIè siècle la littérature jeunesse n’existe pas en tant que telle, puisque que l’enfance elle-même n’existe pas comme entité. On peut cependant dire que, sans avoir accès à l’écrit, une littérature orale de contes et des mythes était-elle bien présente partout en France et en Europe, et que les enfants, comme les adultes y avaient accès.
Avant, les enfants ne lisaient pas. Ils atteignaient l’âge de raison vers 7 ans, âge auquel en fonction de leur classe sociale, ils partaient travailler, ou allaient étudier. A la fin du XVIIIè siècle, environ 40% de la population savait lire. Pendant ce siècle, les livres publiés à l’intention des enfants étaient des ouvrages destinés à l’instruction, manuels scolaires, mais aussi quelques abécédaires et livres de morale.
Les jeunes lecteurs de l’époque pouvaient aussi lire des textes destinés aux adultes, (Les Fables de la Fontaine, Les Contes de Ma mère L’oye, Robinson Crusoé … ) mais aussi des livres de « la bibliothèque bleue », réédition de textes célèbres, abrégés et redécoupés, vendus par colportage, qui proposent entre autres des récits d’aventure et des contes merveilleux.
C’est à la fin du XVIIIè siècle que Mme Leprince de Beaumont publie en 1758 le premier Magasin des enfants, qui rassemble 14 contes écrits par elle. Le sous-titre précise : « Dialogue d’une sage gouvernante avec ses élèves dans lesquels on fait penser, parler, agir les jeunes. » En 1760, devant le succès magasin des enfants, elle fonde le magasin des adolescents (1760).
En 1782, Arnaud Berquin publiera L’Ami des enfants. « Cet ouvrage a le double objet d’amuser les enfants et de les porter naturellement à la vertu. »
Mais effectivement, le XIXè siècle connaîtra l’avènement de la littérature jeunesse, grâce notamment à la baisse du coût de production et aux lois sur l’école (qui développera le taux d’alphabétisation et donc le nombre de jeunes lecteurs)
On trouvera deux grandes tendances dans l’édition jeunesse qui s’industrialise, les livres de prix, cartonnages romantiques portés, entre autres, par l’éditeur Mame qui avaient vocation à édifier la jeunesse, avec des récits à portée morale (vies de saints, récits chevaleresques).
Vous pouvez découvrir cette exposition virtuelle. Cartonnages romantiques
Puis viendront Hachette et le succès de la bibliothèque des chemins de fer, avec sa collection jeunesse, la bibliothèque rose dans laquelle sera publiée la Comtesse de Ségur, enfin, P-J Hetzel et sa célèbre « Bibliothèque d’éducation et de Récréation » dans laquelle sera publié Jules Verne. Chez ces deux éditeurs, l’aspect littéraire, la création et l’imagination prennent le dessus sur la portée morale, de grands auteurs reconnus écrivent pour les enfants (Balzac, Dumas, Sand, Nodier… ), et une place de choix est donnée à l’illustration.
Pour aller plus loin :
Des livres d'enfants à la littérature de jeunesse, Christian Poslaniec., découverte Gallimard, 2008. (Livre dont je me suis beaucoup nourrie pour faire cette réponse.)
Introduction à la littérature jeunesse, Isabelle Nières-Chevrel, Didier jeunesse, 2009
Lire l'album, Sophie Van der Linden, L’atelier du poisson soluble, 2007
La littérature de jeunesse, itinéraires d'hier à aujourd'hui, Denise Escarpit, Magnard, 2008
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