Question d'origine :
Bonjour,
Qui a décidé ou comment s'est décidé l' ordre des lettres dans notre alphabet?
Par avance merci pour votre réponse,
Cordialement
Karine Maringue
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 08/12/2016 à 16h04
Bonjour
Le Guichet du Savoir s’est déjà penché sur la question de l’origine du classement des lettres dans l’alphabet latin :
« Notre alphabet actuel découle de l'alphabet phénicien.
[Les Phéniciens] mirent au point un alphabet entièrement composé de consonnes et comptant vingt-deux signes dont quinze empruntés aux Egyptiens. [...]
Les Grecs adoptèrent ce système sans changement de valeur pour certains de ces signes, mais ils transformèrent en voyelles les sons consonants des autres, de façon à obtenir a, e, o, i ; pour le son u, ils inventèrent un nouveau signe appelé "upsilon". ...
D'autres lettres ont ensuite été ajoutées, notamment par les Romains, formant ainsi notre alphabet actuel qui se compose de vingt-six lettres.
"On peut donc diviser ces 26 lettres en huit classes :
1- les 12 lettres qui ont une origine phénicienne et qui ont conservé leur valeur primitive : B, D, H, K, L, M, N, P, Q, R, S, T ;
2- les 5 lettres qui sont d'origine phénicienne mais dont la valeur a été changée par les Grecs : A, E, I, O, Z ;
3- les 2 lettres qui ont été inventées et ajoutées par les Grecs : U et X ;
4- les 2 lettres qui ont été admises avec un changement de valeur dans l'alphabet latin : C et F ;
5- la lettre G, inventée par les latins ;
6- la lettre Y, transmise du grec au latin à une époque moins reculée ;
7- les 2 lettres J et V dont la forme graphique ancienne a été transformée ;
8- la récente lettre W, qui est la résultante d'un signe ancien doublé."
"L'ordre dans lequel sont classées les lettres de notre alphabet est historique. De la lettre A à F, on a suivi l'ordre phénicien, G fut ajouté par les Romains à la place du Z abandonné pendant deux siècles, H et I ont conservé la position qu'ils avaient dans le système phénicien, J suit la lettre dont il est une variation ; de K à T on a repris l'ordre phénicien, U vient ensuite, ajouté par les grecs, et il est suivi de V et W qui en sont les dérivés ; X est une autre addition grecque adoptée également par les Romains ; Y et Z sont les dernières additions faites par les Romains sous l'influence grecque."
Source : Histoire de l'alphabet de Pierre Abrioux »
Histoire de l’alphabet / Réponse du Guichet du Savoir
« Ainsi que vous l'explique l'article de l'encyclopédie wikipedia à propos de l'alphabet phénicien, il est probable qu'il soit issu d'un modèle dit "alphabet linéaire" et utilisé pour noter des idiomes proto-cananéens, et proviendrait de simplifications des hiéroglyphes égyptiens. »
L’ordre des lettres de l’alphabet / Réponse du Guichet du Savoir
Ainsi, l’ordre des lettres dans l’alphabet latin nous vient de l’alphabet phénicien :
«Le phénicien : aux origines de l’alphabet
L'invention de l'alphabet a représenté une véritable révolution dans l'histoire de l'écriture. C'est une écriture purement phonétique, c'est-à-dire dans laquelle chaque signe représente un son : en effet, les écritures phonétiques antérieures, comme les syllabaires cunéiformes, ont toujours utilisé un certain nombre de signes non phonétiques (déterminatifs, classificateurs, indicateurs grammaticaux). L'alphabet est également un système entièrement abstrait, qui relève d'une convention : il n'y a pas de lien entre le sens du texte qui est écrit et sa réalisation graphique. De ce fait, un alphabet peut être utilisé ou adapté pour noter n'importe quelle langue. Enfin c'est un système simple, puisqu'il n'utilise en moyenne qu'une trentaine de signes : il est donc, au moins potentiellement, très démocratique car son apprentissage est à la portée de tous. Les civilisations alphabétiques ignorent le système des castes de scribes monopolisant le savoir et donc le pouvoir.
Les premières traces de l'écriture alphabétique remontent au milieu du IIe millénaire avant J.-C. et se répartissent en deux ensembles.
Découvertes au Proche-Orient et datant du IIe millénaire avant notre ère, les inscriptions protosinaïtiques et protocananéennes témoignent d'une écriture alphabétique plus ancienne dont dérivent directement les écritures sud-arabiques et l'éthiopienne ; vers le XIIIe siècle av. J.-C., sous des traits cunéiformes, apparaît l'alphabet dit ougaritique. Mais c'est à l'alphabet phénicien, issu de ces premiers essais et tel qu'il est attesté vers l'an 1000 av. J.-C, que revient le mérite d'avoir diffusé depuis la ville de Tyr ce système révolutionnaire, non seulement vers l'Ouest, la Grèce et Rome, mais aussi vers l'Asie centrale et l'Inde, devenant ainsi l'ancêtre de presque tous les alphabets qui notent les langues sémitiques, la plupart des langues dites indo-européennes et quelques autres, qui l'adaptèrent à leur usage.
Les inscriptions protosinaïtiques
Les inscriptions protosinaïtiques sont des graffitis retrouvés dans ou près de mines de turquoise exploitées par les pharaons du Moyen et du Nouvel Empire sur le site de Serabit el-Khadim dans la péninsule du Sinaï. Ces inscriptions utilisent une trentaine de signes de type pictographique proches des signes égyptiens. […]
Cette lecture, et celle de quelques autres expressions, ne permet pas de comprendre tous les textes mais elle comporte quelques implications très importantes :
- l'écriture protosinaïtique est un alphabet qui ne note que les consonnes, comme plus tard le phénicien et encore maintenant l'hébreu et l'arabe. La langue qui est notée ici est une langue ouest-sémitique, du même groupe que le phénicien au Ier millénaire ;
- la forme des signes est importante pour saisir le processus d'invention de cette écriture. La lettre B représente schématiquement le plan d'une maison. Or, le nom de cette lettre en sémitique est beth (qui donnera bêta en grec) et beth signifie "maison" dans la plupart des langues sémitiques. De même, la lettre que l'on transcrit " ' ", et qui est une gutturale propre au sémitique, est représentée par un œil avec ou sans pupille : cette lettre s'appelle ayin, qui est le nom de l'œil en sémitique. Cela implique que l'alphabet a été inventé selon le principe acrophonique, en isolant les sons consonantiques et en les représentant chacun par le dessin d'un objet dont le nom commençait par ce son. L'analogie de forme avec certains signes égyptiens montre que l'invention s'est faite dans une région sous influence culturelle de l'Égypte.
Les inscriptions protocananéennes
D'autres inscriptions, beaucoup moins homogènes, ont été retrouvées de façon dispersée du Liban à la Palestine et sont appelées protocananéennes. Certaines pourraient être plus anciennes que les inscriptions protosinaïtiques mais elles ont en général une forme plus schématisée et on peut en partie suivre par elles l'évolution qui amènera à l'alphabet phénicien, bien attesté à Byblos dès les environs de l'an 1000 av. J.-C.
Ce premier alphabet sémitique a eu dès le IIe millénaire un développement inattendu. À Ougarit, au nord de la côte syrienne, on a retrouvé des milliers de tablettes en écriture cunéiforme datant du XIIIe siècle. Si la plupart sont en langue et écriture babyloniennes, donc dans un système logo-syllabique, environ un quart d'entre elles sont écrites en langue locale dans une écriture alphabétique de trente signes : ici, le principe de l'écriture alphabétique inventé antérieurement a été adapté à la forme de l'écriture cunéiforme sur tablettes, car Ougarit connaissait une forte influence culturelle de la Mésopotamie.
C'est également à ce premier alphabet sémitique du IIe millénaire que se rattachent les plus anciennes écritures de la péninsule Arabique et leur prolongement, encore actuel, en Éthiopie. Des découvertes récentes ont montré que deux "ordres alphabétiques" différents étaient en usage au Levant dès le IIe millénaire. L'un sera utilisé par les Phéniciens, repris par les Grecs, et arrivera jusqu'à nous (b, g, d...). L'autre, également attesté au Levant au XIIIe siècle, ne connaîtra de postérité qu'en Arabie du sud (h, l, Ì, m...). »
Les ancêtres de l’alphabet phénicien : les inscriptions protosinaïtiques et protocanéennes / Françoise Briquel-Chatonnet (in L’aventure des écriture – BnF)
« Tels sont les plus anciens témoignages que l'on connaisse de l'alphabet. Comme le système consonantique est étroitement lié à la structure des langues sémitiques dans lesquelles les consonnes sont plus porteuses du sens des mots que les voyelles, on peut supposer que l'invention a été faite par des Sémites. Ceux-ci auraient vécu, comme nous l'avons noté, dans une région sous forte influence égyptienne : ils pratiquaient couramment le bilinguisme et se trouvaient peut-être confrontés à la nécessité de noter des mots ou des noms propres étrangers à l'égyptien.
De plus, on peut tenir pour sûr que l'alphabet était un principe acquis au milieu du IIe millénaire. Le reste ne peut faire l'objet que de conjectures. Il est peu probable que l'invention soit à porter au crédit des mineurs du Sinaï, et la côte du Levant apparaît un milieu plus probable, car ses liens avec l'Égypte ont été constants. Mais le lieu même de cette découverte comme l'époque précise où elle a eu lieu, son ou ses auteurs, le processus intellectuel qui y a mené, ne se laissent pas appréhender.
Les acquis de cette véritable révolution intellectuelle sont immenses. L'écriture phénicienne a donné naissance d'une part à l'alphabet grec, qui est lui-même à l'origine de l'alphabet cyrillique utilisé en Europe orientale et dans toute l'Asie russe, et, par l'étrusque, de l'alphabet latin, porté par les Européens de l'Ouest dans le monde entier.
D'autre part, c'est du phénicien que vient l'alphabet araméen, qui est lui-même la source de l'alphabet hébreu, dit "carré", de l'alphabet arabe et des écritures de l'Inde. L'invention des Sémites du Levant a connu un destin fabuleux sur toute la planète. »
L’alphabet phénicien / Françoise Briquel-Chatonnet (in L’aventure des écriture – BnF)
L’alphabet grec, qui donnera naissance à l’alphabet étrusque – ancêtre de l’alphabet latin- , est un dérivé de cet alphabet phénicien :
« L'alphabet grec va servir de modèle à d'autres peuples de langues indo-européennes (ou caucasiennes). Sa propagation suit les conquêtes d'Alexandre le Grand et l'expansion du christianisme. Emprunté par les Égyptiens vers le IIIe siècle avant notre ère pour noter leur langue à son ultime stade, il donne l'écriture copte. […]
De l’alphabet grec à l’alphabet latin
En Toscane, à partir des VI e et Ve siècles av. J.-C., la civilisation étrusque s'est peu à peu éclipsée devant Rome. Si la langue des Étrusques reste encore mal connue, on sait que leur écriture, issue directement de l'alphabet archaïque grec de type occidental, a servi aux Romains vers le IVe siècle av. J.-C. pour créer leur propre alphabet.
Au IIIe siècle av. J.-C., cet alphabet comportait dix-neuf lettres. Le G fut créé à partir du C ; vers le Ier siècle av. J.-C., on a emprunté directement au grec les lettres X, Y et Z.
Grâce à la puissance de l'Empire romain, cet alphabet s'est imposé sur une vaste aire géographique. Il se déployait sur divers supports : inscriptions sur pierre, terre cuite, métal, papyrus. Peu de documents sur papyrus nous sont parvenus directement de l'Antiquité grecque et latine ; c'est grâce à des copies dont les plus anciennes remontent au IVe siècle de notre ère que les textes ont été conservés ; beaucoup ont été perdus. »
Postérité de l’alphabet grec / L’aventure des écritures
« L'alphabet latin est une évolution de l'alphabet étrusque qui, lui-même, vient du grec.
On ne connaît pas l'origine des Étrusques. Hérodote les faisait venir d'Asie Mineure, mais cette hypothèse n'a pas été confirmée par l'archéologie. Apparus en Toscane autour du VIIIe siècle avant notre ère, ils sont entrés en contact avec le monde hellénistique et ont adopté l'alphabet grec pour noter une langue qui, aujourd'hui encore, reste mystérieuse. En effet, en dépit des inscriptions bilingues étrusco-latines, de la connaissance des mots étrusques passés dans le latin et de certains éléments de la grammaire, les épigraphistes ne sont toujours pas capables de comprendre et de traduire, alors qu'ils peuvent la lire, l'écriture étrusque, car ils n'arrivent pas à trouver quelle langue elle transcrit. Les études menées jusqu'ici laissent penser qu'il ne s'agit pas d'une langue indo-européenne.
Les Étrusques ont étendu leur brillante civilisation sur une grande partie de l'Italie, jusqu'au IVe siècle avant notre ère. Leur alphabet est à l'origine des nombreuses écritures italiques qui sont nées dans la péninsule au cours du Ier millénaire. Lorsque les habitants du Latium se sont emparés de Rome, ils ont conservé l'alphabet étrusque et l'ont adapté à leur langue. Le latin et son alphabet se sont alors répandus au rythme des conquêtes romaines, éliminant peu à peu les langues et écritures locales.
Au IIIe siècle av. J.-C., l'alphabet latin est composé de dix-neuf lettres, et vers le Ier siècle av. J.-C., les lettres X, Y, Z sont empruntées directement au grec. »
L’étrusque, à l’origine de l’alphabet latin / Véronique Saberd Geneslay (in L’aventure des écritures – BnF)
Voir aussi :
• Ordre de classement des écritures (alphabétiques ou non) / Réponse du Guichet du Savoir
• Brève histoire de l’écriture / Philippe Barlet (in Savoirs CDI)
Bonne journée
Le Guichet du Savoir s’est déjà penché sur la question de l’origine du classement des lettres dans l’alphabet latin :
« Notre alphabet actuel découle de l'alphabet phénicien.
[Les Phéniciens] mirent au point un alphabet entièrement composé de consonnes et comptant vingt-deux signes dont quinze empruntés aux Egyptiens. [...]
Les Grecs adoptèrent ce système sans changement de valeur pour certains de ces signes, mais ils transformèrent en voyelles les sons consonants des autres, de façon à obtenir a, e, o, i ; pour le son u, ils inventèrent un nouveau signe appelé "upsilon". ...
D'autres lettres ont ensuite été ajoutées, notamment par les Romains, formant ainsi notre alphabet actuel qui se compose de vingt-six lettres.
"On peut donc diviser ces 26 lettres en huit classes :
1- les 12 lettres qui ont une origine phénicienne et qui ont conservé leur valeur primitive : B, D, H, K, L, M, N, P, Q, R, S, T ;
2- les 5 lettres qui sont d'origine phénicienne mais dont la valeur a été changée par les Grecs : A, E, I, O, Z ;
3- les 2 lettres qui ont été inventées et ajoutées par les Grecs : U et X ;
4- les 2 lettres qui ont été admises avec un changement de valeur dans l'alphabet latin : C et F ;
5- la lettre G, inventée par les latins ;
6- la lettre Y, transmise du grec au latin à une époque moins reculée ;
7- les 2 lettres J et V dont la forme graphique ancienne a été transformée ;
8- la récente lettre W, qui est la résultante d'un signe ancien doublé."
Source : Histoire de l'alphabet de Pierre Abrioux »
Histoire de l’alphabet / Réponse du Guichet du Savoir
« Ainsi que vous l'explique l'article de l'encyclopédie wikipedia à propos de l'alphabet phénicien, il est probable qu'il soit issu d'un modèle dit "alphabet linéaire" et utilisé pour noter des idiomes proto-cananéens, et proviendrait de simplifications des hiéroglyphes égyptiens. »
L’ordre des lettres de l’alphabet / Réponse du Guichet du Savoir
Ainsi, l’ordre des lettres dans l’alphabet latin nous vient de l’alphabet phénicien :
«Le phénicien : aux origines de l’alphabet
L'invention de l'alphabet a représenté une véritable révolution dans l'histoire de l'écriture. C'est une écriture purement phonétique, c'est-à-dire dans laquelle chaque signe représente un son : en effet, les écritures phonétiques antérieures, comme les syllabaires cunéiformes, ont toujours utilisé un certain nombre de signes non phonétiques (déterminatifs, classificateurs, indicateurs grammaticaux). L'alphabet est également un système entièrement abstrait, qui relève d'une convention : il n'y a pas de lien entre le sens du texte qui est écrit et sa réalisation graphique. De ce fait, un alphabet peut être utilisé ou adapté pour noter n'importe quelle langue. Enfin c'est un système simple, puisqu'il n'utilise en moyenne qu'une trentaine de signes : il est donc, au moins potentiellement, très démocratique car son apprentissage est à la portée de tous. Les civilisations alphabétiques ignorent le système des castes de scribes monopolisant le savoir et donc le pouvoir.
Les premières traces de l'écriture alphabétique remontent au milieu du IIe millénaire avant J.-C. et se répartissent en deux ensembles.
Découvertes au Proche-Orient et datant du IIe millénaire avant notre ère, les inscriptions protosinaïtiques et protocananéennes témoignent d'une écriture alphabétique plus ancienne dont dérivent directement les écritures sud-arabiques et l'éthiopienne ; vers le XIIIe siècle av. J.-C., sous des traits cunéiformes, apparaît l'alphabet dit ougaritique. Mais c'est à l'alphabet phénicien, issu de ces premiers essais et tel qu'il est attesté vers l'an 1000 av. J.-C, que revient le mérite d'avoir diffusé depuis la ville de Tyr ce système révolutionnaire, non seulement vers l'Ouest, la Grèce et Rome, mais aussi vers l'Asie centrale et l'Inde, devenant ainsi l'ancêtre de presque tous les alphabets qui notent les langues sémitiques, la plupart des langues dites indo-européennes et quelques autres, qui l'adaptèrent à leur usage.
Les inscriptions protosinaïtiques
Les inscriptions protosinaïtiques sont des graffitis retrouvés dans ou près de mines de turquoise exploitées par les pharaons du Moyen et du Nouvel Empire sur le site de Serabit el-Khadim dans la péninsule du Sinaï. Ces inscriptions utilisent une trentaine de signes de type pictographique proches des signes égyptiens. […]
Cette lecture, et celle de quelques autres expressions, ne permet pas de comprendre tous les textes mais elle comporte quelques implications très importantes :
- l'écriture protosinaïtique est un alphabet qui ne note que les consonnes, comme plus tard le phénicien et encore maintenant l'hébreu et l'arabe. La langue qui est notée ici est une langue ouest-sémitique, du même groupe que le phénicien au Ier millénaire ;
- la forme des signes est importante pour saisir le processus d'invention de cette écriture. La lettre B représente schématiquement le plan d'une maison. Or, le nom de cette lettre en sémitique est beth (qui donnera bêta en grec) et beth signifie "maison" dans la plupart des langues sémitiques. De même, la lettre que l'on transcrit " ' ", et qui est une gutturale propre au sémitique, est représentée par un œil avec ou sans pupille : cette lettre s'appelle ayin, qui est le nom de l'œil en sémitique. Cela implique que l'alphabet a été inventé selon le principe acrophonique, en isolant les sons consonantiques et en les représentant chacun par le dessin d'un objet dont le nom commençait par ce son. L'analogie de forme avec certains signes égyptiens montre que l'invention s'est faite dans une région sous influence culturelle de l'Égypte.
Les inscriptions protocananéennes
D'autres inscriptions, beaucoup moins homogènes, ont été retrouvées de façon dispersée du Liban à la Palestine et sont appelées protocananéennes. Certaines pourraient être plus anciennes que les inscriptions protosinaïtiques mais elles ont en général une forme plus schématisée et on peut en partie suivre par elles l'évolution qui amènera à l'alphabet phénicien, bien attesté à Byblos dès les environs de l'an 1000 av. J.-C.
Ce premier alphabet sémitique a eu dès le IIe millénaire un développement inattendu. À Ougarit, au nord de la côte syrienne, on a retrouvé des milliers de tablettes en écriture cunéiforme datant du XIIIe siècle. Si la plupart sont en langue et écriture babyloniennes, donc dans un système logo-syllabique, environ un quart d'entre elles sont écrites en langue locale dans une écriture alphabétique de trente signes : ici, le principe de l'écriture alphabétique inventé antérieurement a été adapté à la forme de l'écriture cunéiforme sur tablettes, car Ougarit connaissait une forte influence culturelle de la Mésopotamie.
C'est également à ce premier alphabet sémitique du IIe millénaire que se rattachent les plus anciennes écritures de la péninsule Arabique et leur prolongement, encore actuel, en Éthiopie. Des découvertes récentes ont montré que deux "ordres alphabétiques" différents étaient en usage au Levant dès le IIe millénaire. L'un sera utilisé par les Phéniciens, repris par les Grecs, et arrivera jusqu'à nous (b, g, d...). L'autre, également attesté au Levant au XIIIe siècle, ne connaîtra de postérité qu'en Arabie du sud (h, l, Ì, m...). »
Les ancêtres de l’alphabet phénicien : les inscriptions protosinaïtiques et protocanéennes / Françoise Briquel-Chatonnet (in L’aventure des écriture – BnF)
« Tels sont les plus anciens témoignages que l'on connaisse de l'alphabet. Comme le système consonantique est étroitement lié à la structure des langues sémitiques dans lesquelles les consonnes sont plus porteuses du sens des mots que les voyelles, on peut supposer que l'invention a été faite par des Sémites. Ceux-ci auraient vécu, comme nous l'avons noté, dans une région sous forte influence égyptienne : ils pratiquaient couramment le bilinguisme et se trouvaient peut-être confrontés à la nécessité de noter des mots ou des noms propres étrangers à l'égyptien.
De plus, on peut tenir pour sûr que l'alphabet était un principe acquis au milieu du IIe millénaire. Le reste ne peut faire l'objet que de conjectures. Il est peu probable que l'invention soit à porter au crédit des mineurs du Sinaï, et la côte du Levant apparaît un milieu plus probable, car ses liens avec l'Égypte ont été constants. Mais le lieu même de cette découverte comme l'époque précise où elle a eu lieu, son ou ses auteurs, le processus intellectuel qui y a mené, ne se laissent pas appréhender.
Les acquis de cette véritable révolution intellectuelle sont immenses. L'écriture phénicienne a donné naissance d'une part à l'alphabet grec, qui est lui-même à l'origine de l'alphabet cyrillique utilisé en Europe orientale et dans toute l'Asie russe, et, par l'étrusque, de l'alphabet latin, porté par les Européens de l'Ouest dans le monde entier.
D'autre part, c'est du phénicien que vient l'alphabet araméen, qui est lui-même la source de l'alphabet hébreu, dit "carré", de l'alphabet arabe et des écritures de l'Inde. L'invention des Sémites du Levant a connu un destin fabuleux sur toute la planète. »
L’alphabet phénicien / Françoise Briquel-Chatonnet (in L’aventure des écriture – BnF)
L’alphabet grec, qui donnera naissance à l’alphabet étrusque – ancêtre de l’alphabet latin- , est un dérivé de cet alphabet phénicien :
« L'alphabet grec va servir de modèle à d'autres peuples de langues indo-européennes (ou caucasiennes). Sa propagation suit les conquêtes d'Alexandre le Grand et l'expansion du christianisme. Emprunté par les Égyptiens vers le IIIe siècle avant notre ère pour noter leur langue à son ultime stade, il donne l'écriture copte. […]
De l’alphabet grec à l’alphabet latin
En Toscane, à partir des VI e et Ve siècles av. J.-C., la civilisation étrusque s'est peu à peu éclipsée devant Rome. Si la langue des Étrusques reste encore mal connue, on sait que leur écriture, issue directement de l'alphabet archaïque grec de type occidental, a servi aux Romains vers le IVe siècle av. J.-C. pour créer leur propre alphabet.
Au IIIe siècle av. J.-C., cet alphabet comportait dix-neuf lettres. Le G fut créé à partir du C ; vers le Ier siècle av. J.-C., on a emprunté directement au grec les lettres X, Y et Z.
Grâce à la puissance de l'Empire romain, cet alphabet s'est imposé sur une vaste aire géographique. Il se déployait sur divers supports : inscriptions sur pierre, terre cuite, métal, papyrus. Peu de documents sur papyrus nous sont parvenus directement de l'Antiquité grecque et latine ; c'est grâce à des copies dont les plus anciennes remontent au IVe siècle de notre ère que les textes ont été conservés ; beaucoup ont été perdus. »
Postérité de l’alphabet grec / L’aventure des écritures
« L'alphabet latin est une évolution de l'alphabet étrusque qui, lui-même, vient du grec.
On ne connaît pas l'origine des Étrusques. Hérodote les faisait venir d'Asie Mineure, mais cette hypothèse n'a pas été confirmée par l'archéologie. Apparus en Toscane autour du VIIIe siècle avant notre ère, ils sont entrés en contact avec le monde hellénistique et ont adopté l'alphabet grec pour noter une langue qui, aujourd'hui encore, reste mystérieuse. En effet, en dépit des inscriptions bilingues étrusco-latines, de la connaissance des mots étrusques passés dans le latin et de certains éléments de la grammaire, les épigraphistes ne sont toujours pas capables de comprendre et de traduire, alors qu'ils peuvent la lire, l'écriture étrusque, car ils n'arrivent pas à trouver quelle langue elle transcrit. Les études menées jusqu'ici laissent penser qu'il ne s'agit pas d'une langue indo-européenne.
Les Étrusques ont étendu leur brillante civilisation sur une grande partie de l'Italie, jusqu'au IVe siècle avant notre ère. Leur alphabet est à l'origine des nombreuses écritures italiques qui sont nées dans la péninsule au cours du Ier millénaire. Lorsque les habitants du Latium se sont emparés de Rome, ils ont conservé l'alphabet étrusque et l'ont adapté à leur langue. Le latin et son alphabet se sont alors répandus au rythme des conquêtes romaines, éliminant peu à peu les langues et écritures locales.
Au IIIe siècle av. J.-C., l'alphabet latin est composé de dix-neuf lettres, et vers le Ier siècle av. J.-C., les lettres X, Y, Z sont empruntées directement au grec. »
L’étrusque, à l’origine de l’alphabet latin / Véronique Saberd Geneslay (in L’aventure des écritures – BnF)
Voir aussi :
• Ordre de classement des écritures (alphabétiques ou non) / Réponse du Guichet du Savoir
• Brève histoire de l’écriture / Philippe Barlet (in Savoirs CDI)
Bonne journée
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