Question d'origine :
Bonsoir,
J'aimerai savoir pourquoi il est si important d'apprendre à parler, s'exprimer pour apprendre à lire ? Une personne ne parlant pas, peut-elle apprendre à lire ?
Merci de votre réponse
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 01/12/2016 à 10h57
Bonjour
Une certaine maitrise de la langue orale est nécessaire pour apprendre à lire. En effet, l’enfant (ou la personne qui apprend à lire) déchiffre les mots en les découpant en sons et en les associant au vocabulaire qu’il connait déjà :
« L'écriture, et par extension la lecture, sont intimement liées à l'oral. Pas étonnant donc que l'on ne puisse commencer à lire et à écrire qu'après avoir acquis le langage ! En effet, avant d'apprendre à lire, un enfant doit savoir discriminer les sons (phonèmes) qui composent les mots de la langue, il doit acquérir la conscience de la structure phonologique du langage parlé. Cette aptitude existe à l'âge de 2-3 mois et est complètement acquise à 5 ans. L'enfant doit aussi maîtriser la correspondance existant entre les mots et leur signification. Ces capacités dépendent de la maturation des structures cérébrales impliquées dans le langage, situées tout particulièrement dans le lobe temporal de l'hémisphère gauche, et comprenant entre autres deux zones appelées aire de Wernicke et aire de Broca (voir figure). Pendant les premières années de la vie, le développement de ces structures est fortement corrélé à l'enrichissement du vocabulaire qui passe de presque 100 mots à l'âge de 20 mois, à environ 500 à 30 mois, pour atteindre à l'âge adulte un lexique de 50 000 à 100 000 mots. »
Apprentissage de la lecture et de l’écriture / Aurélie Massaux (in Espaces des sciences)
« La conscience phonologique, une nécessité
Pour apprendre à lire, l’enfant doit prendre conscience qu’il faut faire une association entre l’oral et l’écrit. À moins de surdité profonde, tous les enfants entendent les mots et les sons qui les composent, puisqu’ils parlent ; donc tous peuvent apprendre les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes.
Presque tous les chercheurs s’accordent pour dire que l’enfant saura lire lorsqu’il saura que le mot oral [remi] a pour correspondance le mot écrit « rémi » et que dans sa mémoire, le cerveau pourra mettre en correspondance le mot oral, le mot écrit et l’image mémorielle de l’individu représenté. L’accès à la lecture se fait pour l’apprenti lecteur par l’assemblage des phonèmes et de leurs correspondants graphématiques. Plus cet assemblage est automatisé, plus rapide est l’accès au sens, jusqu’au jour où l’assemblage n’est plus nécessaire et où la reconnaissance du mot est directe.
Les recherches ont montré également que cette conscience était un préalable à l’apprentissage mais qu’elle se développait également avec l’apprentissage au cours préparatoire, puisque c’est là qu’on systématise l’écoute des phonèmes et leurs relations avec les graphèmes.
Malheureusement, différents obstacles, qu’il faut savoir repérer en tant qu’enseignant, peuvent empêcher la naissance de cette conscience et entraîner des difficultés scolaires, voire des dyslexies de surface. Ces difficultés prennent leur source du côté des élèves mais aussi du côté de l’enseignement. »
La phonologie au cœur de l’apprentissage de la lecture / Carole Tisset (in Blé 91)
« Les modalités du recodage phonologique
La notion de médiation phonologique renvoie à l’idée selon laquelle au cours de la reconnaissance visuelle d’un mot le lecteur construit, à partir du mot écrit, une représentation mentale de la façon dont le mot s’entend et se prononce. […]
Le recodage phonologique au début de l’apprentissage de la lecture
Les processus de recodage phonologique jouent un rôle capital dans l’apprentissage de la lecture dans la mesure où ils servent d’agents médiateurs entre le patron orthographique et la représentation sémantique. […]
Pour apprendre à lire, l’enfant doit donc apprendre à relier ces unités orales à leur transcription graphique ce qui nécessite de développer des connaissances sur les liens entre les segments du langage parlé et des segments de l’écrit (Goswami & Bryant, 1990 ; Bryant, 1993 ; Escalle, 2000b). […]
Avant l’apprentissage de la lecture, les enfants ne possèdent pas de lexique orthographique et ont donc recours principalement à une procédure phonologique pour lire les mots écrits. »
L’apprentissage de la lecture : fonctionnement et développement cognitifs / Jean Ecalle et Annie Magnan
Néanmoins, il reste possible d’apprendre à lire sans maitriser la langue orale. Ainsi, les personnes atteintes de surdité sont capables de lire (même si seule une minorité possède une entière maitrise de la lecture) :
« Que l’écrit soit une représentation du langage parlé est ce que les enfants ont généralement le plus de mal à comprendre (Fijalkow, 1994). L’écrit est fondé sur le principe d’une représentation visuelle la plus fidèle possible aux structures de la parole. L’apprenti lecteur est ainsi confronté à un code écrit qui tente de « capturer la parole » (Jurdant, 1984, page 7). Il existe, cependant, un petit monde sans parole, au sens du langage articulé : le monde des sourds. Pour quelqu’un qui naît sourd, il n’y a pas de parole proférée antérieure à sa capture par l’écriture. Dès lors, comment le sourd apprend-il à lire ? […]
Qu’entend-on, quand on lit et qu’on est sourd ? Autrement dit : comment lit le sourd ? Nous savons aujourd’hui que 80 % des sourds sont illettrés (Gillot, 1998). Malgré de nombreuses années scolaires, beaucoup d’entre eux restent mauvais lecteurs pour des raisons diverses, notamment d’ordre pédagogique, linguistique et psychologique. Il existe pourtant des sourds qui lisent et écrivent en dépit de leur surdité. Pourquoi ne pas aller les interroger ? On parle souvent des fameux 80 % de sourds illettrés. Certains chercheurs ont mené des entretiens semi-dirigés avec eux (Delaporte, 2002 ; Pelletier & Delaporte, 2002 ; Blais, 2003 ; Dubuisson & Grimard, 2006). Mais qu’en est-il des 20 % des sourds lettrés ? C’est justement cette population que nous avons souhaité rencontrer. Il s’agit d’étudier les sensations, les perceptions, les cognitions que suscite la lecture chez quelques personnes sourdes lettrées. Quelles sont leurs représentations de la lecture et de son apprentissage ? Malgré les travaux récents et fertiles de chercheurs comme Jesus Alegria et Jacqueline Leybaert explorant le domaine de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez les sourds ou Christian Cuxac dans la linguistique de la langue des signes ou Carol Padden et Claire Ramsey dans celle de la dactylologie (Padden & Ramsey, 2000) ou encore Yves Delaporte dans la recherche anthropologique des milieux sourds, où en sommes-nous aujourd’hui dans l’étude de cette question ? […]
Pour un enfant entendant, l’apprentissage langagier commence avec l’oral, puis il y a une mise en relation de cet apprentissage premier avec l’écrit. Chez le sourd, il n’y a pas d’emblée cette mise en relation. Il n’a pas la possibilité de « reconnaître » dans les mots écrits, les mots parlés autour de lui. Y aurait-il une attention et une mémoire essentiellement « visuelles » au début de son initiation à la lecture ? Cet apprentissage « visuel » de la lecture (Ehri & Robbins, 1992 ; Ecalle & Magnan, 2002, page 101 et page 222), serait-il un apprentissage difficile pour le sourd ? Il n’y a pas d’interconnexion des fonctions cognitives comme chez l’entendant, ce qui demande plus d’« énergie mentale » (Lepot-Froment & Clerebaut, 1996, page 77 ; Kelly & Barac-Cikoja, 2007). Plus il y a de voies d’accès au langage et de voies de mémorisation, plus l’apprentissage est favorisé. De ce fait, la majorité des travaux montrent des difficultés d’apprentissage de la lecture chez les sourds (revoir la fin de l’introduction de cet article ou voir notamment la recension des études anglo-saxonnes de Quigley & Paul, 1987) liées à un déficit phonologique pour les uns (Alegria & Leybaert, 1986), à une absence de langue première pour les autres étant donné que les enfants sourds sont très largement issus de parents entendants non signeurs (King et Quigley, 1985 ; Marschark, 1993) ou selon d’autres facteurs. […]
L’apprentissage visuel de la lecture
Comment les sourds et malentendants que nous avons eu l’occasion de rencontrer, ont-ils appris à lire ? D’après les résultats de nos entretiens, 47 sur 53 sujets parlent d’une attention visuelle et 48 participants évoquent une mémoire visuelle vis-à-vis des premières lettres et des premiers mots rencontrés au début de l’apprentissage de la lecture. Cet apprentissage peut rencontrer des problèmes relatifs à la conscience phonologique, ainsi que des difficultés de compréhension des mots et expressions généralement dits oralement dans une société qui parle parfois plus qu’elle n’écrit. […]
La sensation fantasmatique et fantomatique de la lecture
A la question « quand vous lisez, vous arrive-t-il d’avoir une sensation « auditive » ? », 23 sujets sur 52 répondent par la négative, 5 participants cochent la case « autre sensation ». Les 24 autres interrogés pensent avoir une sensation auditive soit fantasmatique soit fantomatique de la lecture. Quand le sourd lit, il peut « entendre » la part fantasmatique (de l’ordre d’un bruit imaginaire) ou fantomatique (de l’ordre d’un lointain souvenir d’un son) de la langue orale.
La conscience fantasmatique ou phono-fantasmatique peut être définie comme la capacité chez la personne sourde à se représenter les sons d’une séquence lexicale, à partir d’une perception fantasmatique du bruit. Par conséquent, la conscience fantasmatique donne une sensation « auditive » imaginaire à celui qui lit et qui est sourd de naissance. Le son n’est pas entendu mais imaginé, soit de façon totalement fantasmatique, soit à partir d’une réminiscence. Dans ce cas, il s’agit d’une conscience fantomatique. La conscience fantomatique ou phono-fantomatique peut être définie comme la capacité chez la personne devenue sourde à se représenter les sons d’une séquence lexicale, à partir d’un vestige auditif. Cette perception est de l’ordre d’un lointain souvenir d’un son. La conscience fantomatique provoque une sensation « auditive » à celui qui lit et qui est devenu sourd. Elle s’observe donc en particulier chez les personnes ayant perdu ce qu’il subsistait de leur audition. »
La lecture chez quelques sourds lettrés / Mélanie Hamm (in Les Dossiers des Sciences de l’Education)
« L’apprentissage de la lecture implique la maîtrise progressive de connaissances linguistiques de différents niveaux (notamment : alphabet, fonctionnement du système d’écriture propre à une langue donnée et système de correspondance sons-groupes de lettres, structures de phrases et de textes propres à l’écrit, fonctions des messages écrits). Cet apprentissage requiert également la mise en place, puis l’automatisation, de processus de traitement des informations écrites et le développement de stratégies de deux types : des stratégies visuo-graphiques, permettant d’accéder à la signification des mots dont l’orthographe a été mémorisée, et des stratégies phonographiques, qui permettent, en utilisant le système de correspondance sons-groupes de lettres (ou phonèmes-graphèmes), de décoder des mots écrits nouveaux et d’accéder à leur signification de manière indirecte, par leur forme orale mémorisée (Gombert et al., 2000).
Dans le cas des enfants sourds, c’est ce deuxième type de stratégies qui est difficile à développer, puisque les stratégies phonographiques se réfèrent au vocabulaire oral, limité chez ces apprenants, et à la manipulation des unités sonores de la langue (phonèmes), ce qui représente une tâche ardue, parfois impossible, lorsque l’on ne peut pas percevoir toutes les oppositions phonétiques fines du système. »
Apprentissage de la lecture-écriture chez les enfants sourds / Nathalie Niederberger (in Enfance)
Pour aller plus loin :
• Sept questions sur le langage / Marc Olano (in Sciences Humaines)
• Ecrire sans entendre : une exploration de la pratique de l’écriture chez quelques sujets sourds, devenus sourds et malentendants / Mélanie Hamm
• L’apprentissage de la lecture chez les enfants sourds : quels outils pédagogiques au service de quel apprentissage de la lecture ? / Mélanie Hamm
• Nouveaux regards sur la lecture / Ministère de l’Education
• Lecture et réussite scolaire / Eric Jamet
Bonne journée
Une certaine maitrise de la langue orale est nécessaire pour apprendre à lire. En effet, l’enfant (ou la personne qui apprend à lire) déchiffre les mots en les découpant en sons et en les associant au vocabulaire qu’il connait déjà :
« L'écriture, et par extension la lecture, sont intimement liées à l'oral. Pas étonnant donc que l'on ne puisse commencer à lire et à écrire qu'après avoir acquis le langage ! En effet, avant d'apprendre à lire, un enfant doit savoir discriminer les sons (phonèmes) qui composent les mots de la langue, il doit acquérir la conscience de la structure phonologique du langage parlé. Cette aptitude existe à l'âge de 2-3 mois et est complètement acquise à 5 ans. L'enfant doit aussi maîtriser la correspondance existant entre les mots et leur signification. Ces capacités dépendent de la maturation des structures cérébrales impliquées dans le langage, situées tout particulièrement dans le lobe temporal de l'hémisphère gauche, et comprenant entre autres deux zones appelées aire de Wernicke et aire de Broca (voir figure). Pendant les premières années de la vie, le développement de ces structures est fortement corrélé à l'enrichissement du vocabulaire qui passe de presque 100 mots à l'âge de 20 mois, à environ 500 à 30 mois, pour atteindre à l'âge adulte un lexique de 50 000 à 100 000 mots. »
Apprentissage de la lecture et de l’écriture / Aurélie Massaux (in Espaces des sciences)
«
Pour apprendre à lire, l’enfant doit prendre conscience qu’il faut faire une association entre l’oral et l’écrit. À moins de surdité profonde, tous les enfants entendent les mots et les sons qui les composent, puisqu’ils parlent ; donc tous peuvent apprendre les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes.
Presque tous les chercheurs s’accordent pour dire que l’enfant saura lire lorsqu’il saura que le mot oral [remi] a pour correspondance le mot écrit « rémi » et que dans sa mémoire, le cerveau pourra mettre en correspondance le mot oral, le mot écrit et l’image mémorielle de l’individu représenté. L’accès à la lecture se fait pour l’apprenti lecteur par l’assemblage des phonèmes et de leurs correspondants graphématiques. Plus cet assemblage est automatisé, plus rapide est l’accès au sens, jusqu’au jour où l’assemblage n’est plus nécessaire et où la reconnaissance du mot est directe.
Les recherches ont montré également que cette conscience était un préalable à l’apprentissage mais qu’elle se développait également avec l’apprentissage au cours préparatoire, puisque c’est là qu’on systématise l’écoute des phonèmes et leurs relations avec les graphèmes.
Malheureusement, différents obstacles, qu’il faut savoir repérer en tant qu’enseignant, peuvent empêcher la naissance de cette conscience et entraîner des difficultés scolaires, voire des dyslexies de surface. Ces difficultés prennent leur source du côté des élèves mais aussi du côté de l’enseignement. »
La phonologie au cœur de l’apprentissage de la lecture / Carole Tisset (in Blé 91)
«
La notion de médiation phonologique renvoie à l’idée selon laquelle au cours de la reconnaissance visuelle d’un mot le lecteur construit, à partir du mot écrit, une représentation mentale de la façon dont le mot s’entend et se prononce. […]
Le recodage phonologique au début de l’apprentissage de la lecture
Les processus de recodage phonologique jouent un rôle capital dans l’apprentissage de la lecture dans la mesure où ils servent d’agents médiateurs entre le patron orthographique et la représentation sémantique. […]
Pour apprendre à lire, l’enfant doit donc apprendre à relier ces unités orales à leur transcription graphique ce qui nécessite de développer des connaissances sur les liens entre les segments du langage parlé et des segments de l’écrit (Goswami & Bryant, 1990 ; Bryant, 1993 ; Escalle, 2000b). […]
Avant l’apprentissage de la lecture, les enfants ne possèdent pas de lexique orthographique et ont donc recours principalement à une procédure phonologique pour lire les mots écrits. »
L’apprentissage de la lecture : fonctionnement et développement cognitifs / Jean Ecalle et Annie Magnan
Néanmoins, il reste possible d’apprendre à lire sans maitriser la langue orale. Ainsi, les personnes atteintes de surdité sont capables de lire (même si seule une minorité possède une entière maitrise de la lecture) :
« Que l’écrit soit une représentation du langage parlé est ce que les enfants ont généralement le plus de mal à comprendre (Fijalkow, 1994). L’écrit est fondé sur le principe d’une représentation visuelle la plus fidèle possible aux structures de la parole. L’apprenti lecteur est ainsi confronté à un code écrit qui tente de « capturer la parole » (Jurdant, 1984, page 7). Il existe, cependant, un petit monde sans parole, au sens du langage articulé : le monde des sourds. Pour quelqu’un qui naît sourd, il n’y a pas de parole proférée antérieure à sa capture par l’écriture. Dès lors, comment le sourd apprend-il à lire ? […]
Qu’entend-on, quand on lit et qu’on est sourd ? Autrement dit : comment lit le sourd ? Nous savons aujourd’hui que 80 % des sourds sont illettrés (Gillot, 1998). Malgré de nombreuses années scolaires, beaucoup d’entre eux restent mauvais lecteurs pour des raisons diverses, notamment d’ordre pédagogique, linguistique et psychologique. Il existe pourtant des sourds qui lisent et écrivent en dépit de leur surdité. Pourquoi ne pas aller les interroger ? On parle souvent des fameux 80 % de sourds illettrés. Certains chercheurs ont mené des entretiens semi-dirigés avec eux (Delaporte, 2002 ; Pelletier & Delaporte, 2002 ; Blais, 2003 ; Dubuisson & Grimard, 2006). Mais qu’en est-il des 20 % des sourds lettrés ? C’est justement cette population que nous avons souhaité rencontrer. Il s’agit d’étudier les sensations, les perceptions, les cognitions que suscite la lecture chez quelques personnes sourdes lettrées. Quelles sont leurs représentations de la lecture et de son apprentissage ? Malgré les travaux récents et fertiles de chercheurs comme Jesus Alegria et Jacqueline Leybaert explorant le domaine de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez les sourds ou Christian Cuxac dans la linguistique de la langue des signes ou Carol Padden et Claire Ramsey dans celle de la dactylologie (Padden & Ramsey, 2000) ou encore Yves Delaporte dans la recherche anthropologique des milieux sourds, où en sommes-nous aujourd’hui dans l’étude de cette question ? […]
Pour un enfant entendant, l’apprentissage langagier commence avec l’oral, puis il y a une mise en relation de cet apprentissage premier avec l’écrit. Chez le sourd, il n’y a pas d’emblée cette mise en relation. Il n’a pas la possibilité de « reconnaître » dans les mots écrits, les mots parlés autour de lui. Y aurait-il une attention et une mémoire essentiellement « visuelles » au début de son initiation à la lecture ? Cet apprentissage « visuel » de la lecture (Ehri & Robbins, 1992 ; Ecalle & Magnan, 2002, page 101 et page 222), serait-il un apprentissage difficile pour le sourd ? Il n’y a pas d’interconnexion des fonctions cognitives comme chez l’entendant, ce qui demande plus d’« énergie mentale » (Lepot-Froment & Clerebaut, 1996, page 77 ; Kelly & Barac-Cikoja, 2007). Plus il y a de voies d’accès au langage et de voies de mémorisation, plus l’apprentissage est favorisé. De ce fait, la majorité des travaux montrent des difficultés d’apprentissage de la lecture chez les sourds (revoir la fin de l’introduction de cet article ou voir notamment la recension des études anglo-saxonnes de Quigley & Paul, 1987) liées à un déficit phonologique pour les uns (Alegria & Leybaert, 1986), à une absence de langue première pour les autres étant donné que les enfants sourds sont très largement issus de parents entendants non signeurs (King et Quigley, 1985 ; Marschark, 1993) ou selon d’autres facteurs. […]
L’apprentissage visuel de la lecture
Comment les sourds et malentendants que nous avons eu l’occasion de rencontrer, ont-ils appris à lire ? D’après les résultats de nos entretiens, 47 sur 53 sujets parlent d’une attention visuelle et 48 participants évoquent une mémoire visuelle vis-à-vis des premières lettres et des premiers mots rencontrés au début de l’apprentissage de la lecture. Cet apprentissage peut rencontrer des problèmes relatifs à la conscience phonologique, ainsi que des difficultés de compréhension des mots et expressions généralement dits oralement dans une société qui parle parfois plus qu’elle n’écrit. […]
La sensation fantasmatique et fantomatique de la lecture
A la question « quand vous lisez, vous arrive-t-il d’avoir une sensation « auditive » ? », 23 sujets sur 52 répondent par la négative, 5 participants cochent la case « autre sensation ». Les 24 autres interrogés pensent avoir une sensation auditive soit fantasmatique soit fantomatique de la lecture. Quand le sourd lit, il peut « entendre » la part fantasmatique (de l’ordre d’un bruit imaginaire) ou fantomatique (de l’ordre d’un lointain souvenir d’un son) de la langue orale.
La conscience fantasmatique ou phono-fantasmatique peut être définie comme la capacité chez la personne sourde à se représenter les sons d’une séquence lexicale, à partir d’une perception fantasmatique du bruit. Par conséquent, la conscience fantasmatique donne une sensation « auditive » imaginaire à celui qui lit et qui est sourd de naissance. Le son n’est pas entendu mais imaginé, soit de façon totalement fantasmatique, soit à partir d’une réminiscence. Dans ce cas, il s’agit d’une conscience fantomatique. La conscience fantomatique ou phono-fantomatique peut être définie comme la capacité chez la personne devenue sourde à se représenter les sons d’une séquence lexicale, à partir d’un vestige auditif. Cette perception est de l’ordre d’un lointain souvenir d’un son. La conscience fantomatique provoque une sensation « auditive » à celui qui lit et qui est devenu sourd. Elle s’observe donc en particulier chez les personnes ayant perdu ce qu’il subsistait de leur audition. »
La lecture chez quelques sourds lettrés / Mélanie Hamm (in Les Dossiers des Sciences de l’Education)
« L’apprentissage de la lecture implique la maîtrise progressive de connaissances linguistiques de différents niveaux (notamment : alphabet, fonctionnement du système d’écriture propre à une langue donnée et système de correspondance sons-groupes de lettres, structures de phrases et de textes propres à l’écrit, fonctions des messages écrits). Cet apprentissage requiert également la mise en place, puis l’automatisation, de processus de traitement des informations écrites et le développement de stratégies de deux types : des stratégies visuo-graphiques, permettant d’accéder à la signification des mots dont l’orthographe a été mémorisée, et des stratégies phonographiques, qui permettent, en utilisant le système de correspondance sons-groupes de lettres (ou phonèmes-graphèmes), de décoder des mots écrits nouveaux et d’accéder à leur signification de manière indirecte, par leur forme orale mémorisée (Gombert et al., 2000).
Dans le cas des enfants sourds, c’est ce deuxième type de stratégies qui est difficile à développer, puisque les stratégies phonographiques se réfèrent au vocabulaire oral, limité chez ces apprenants, et à la manipulation des unités sonores de la langue (phonèmes), ce qui représente une tâche ardue, parfois impossible, lorsque l’on ne peut pas percevoir toutes les oppositions phonétiques fines du système. »
Apprentissage de la lecture-écriture chez les enfants sourds / Nathalie Niederberger (in Enfance)
Pour aller plus loin :
• Sept questions sur le langage / Marc Olano (in Sciences Humaines)
• Ecrire sans entendre : une exploration de la pratique de l’écriture chez quelques sujets sourds, devenus sourds et malentendants / Mélanie Hamm
• L’apprentissage de la lecture chez les enfants sourds : quels outils pédagogiques au service de quel apprentissage de la lecture ? / Mélanie Hamm
• Nouveaux regards sur la lecture / Ministère de l’Education
• Lecture et réussite scolaire / Eric Jamet
Bonne journée
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