Question d'origine :
Bonjour,
La France a aboli la peine de mort en1981.
Je crois avoir lu que la famille d'un condamné à mort guillotiné n'avait pas le droit de récupérer sa dépouille, est-ce vrai?
Que sont devenus les restes, les tombes, de ces suppliciés?
Merci pour vos recherches!
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 19/10/2016 à 13h44
Bonjour,
Les familles avaient le droit de récupérer les corps des guillotinés, et ce depuis la Révolution.
« La Révolution rompt à priori avec cette logique de l’infamie en refusant d’étendre la peine au-delà de la mort et de la personne du criminel : sitôt l’exécution accomplie, la sépulture ordinaire devient un droit, qu’elle soit prise en charge par les proches ou par l’administration. Ainsi en a décidé l’Assemblée en votant, le 21 janvier 1790, l’un des articles proposés par Guillotin :
« Le corps du supplicié sera délivré à sa famille si elle le demande. Dans tous les cas, il sera admis à la sépulture ordinaire et il ne sera fait sur le registre aucune mention du genre de mort. » […]
En 1810, le Code pénal n’affirme plus fermement le droit à la sépulture ordinaire, mais se contente de protéger les droits des familles :
« Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans aucun appareil. »
Rien n’est dit sur le sort du corps au cas où la famille ne le réclamerait pas.»
Extraits de : Physiologie de la veuve, une histoire médicale de la guillotine, Anne Carol
Cet article de la Documentation française montre que la situation n’a pas évoluée depuis 1810 :
L'application de la peine de mort en France avant 1981
Cette absence de précision entraîne des traitements variés, qui vont de la fosse commune au carré réservé mais aussi à l’utilisation des corps par la médecine :
« Qui a la charge et la responsabilité du corps à l’issue de l’exécution ? Que se passe-t-il si le corps n’est pas réclamé par la famille ? Quels usages en sont possibles ? Y-a-t-il obligation d’inhumation ?
A ces questions, la loi n’apporte aucune réponse ; il faut donc voir du côté des usages les solutions concrètes adoptées. Plus encore que l’exécution proprement dite, ses suites procèdent de la coutume, des contraintes techniques ou matérielles et non du droit. […]
Sous la Révolution, à Paris, les restes sont déposés dans des charrettes qui les acheminent ensuite vers les fosses de Picpus, de la Madeleine et des Errancis. [Sur ces cimetières parisiens sous la Révolution voir les détails dans La guillotine et les exécuteurs des arrêts criminels pendant la Révolution, G. Lenôtre ].
Au XIXe siècle, ils sont prestement renfermés dans des malles en osier doublées de fer et remplies de son, placées le long de la bascule, et vers lequel le bourreau adroit fait glisser le corps sitôt le couperet tombé ; la tête y est déposée peu après par un aide qui l’extrait de la corbeille ou de l’auge en métal situé en avant de la lunette.
Quels sont alors les droits des médecins sur les corps des suppliciés ? la réponse est difficile, les règlements et usages locaux venant pallier les silences de la loi et introduire des nuances dans le protocole. Si les familles ont réclamé le corps à temps, à Paris tout au moins, « on les met soit dans la fosse commune, soit dans un terrain payé, mais leur nom n’est pas écrit sur la croix afin de ne pas exciter la curiosité du public ». Dans le cas contraire, soit le corps est directement confié aux médecins qui l’ont réclamé, soit l’inhumation a lieu dans le carré des suppliciés – quitte à le livrer après un simulacre d’inhumation à la convoitise des carabins. »
Entre les mains des médecins, le corps subit des manipulations diverses : dissections, collections et trophées, expériences diverses, dont, dans les années 1880, des tentatives de réanimation …
« Alors même que l’évolution des sensibilités funéraires au XIXe siècle pousse à la conservation des restes, à l’individualisation des sépultures et au culte des morts, le corps du condamné se voit privé de toute attention autre que scientifique. »
A partir de la fin du XIXe cependant, à cause de l’évolution des sensibilités, de la raréfaction des exécutions, « le corps du guillotiné avait atteint une forme de respect social, qui le rendait digne tout autant qu’un autre des soins accordés aux morts. » A partir des années 1950, si la médecine se soucie encore du corps des suppliciés, c’est dans le but de lui prélever des organes.
Tous les extraits sont également tirés de l’ouvrage Physiologie de la veuve, une histoire médicale de la guillotine, Anne Carol, dont nous vous conseillons de lire toute la cinquième partie, La guillotine au service de la médecine ? statuts et usages du guillotiné.
Voir aussi Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècle, Grégoire Chamayou
4 février 1939 : le dernier guillotiné à Rennes, wiki Rennes Métropole
Sur les pratiques d’inhumation, quelques textes en ligne :
La France des larmes, deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Emmanuel Fureix (également au catalogue)
« Le nouveau cimetière parisien d’Ivry, ouvert en 1874, réserva un carré pour les exécutés qu'il commença à recevoir dès 1885. Le premier à y être inhumé, en avril 1886, sans être réclamé par sa famille se nommait Jacques Koening. Ce carré resta en fonction jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981. »
Lieux d’inhumation des suppliciés, sur Tombes et sépultures dans les cimetières et autres lieux[/url]
« « LES CORPS DES SUPPLICIES SERONT DELIVRES A LEURS FAMILLES, SI ELLES LES RECLAMENT, A LA CHARGE PAR ELLES DE LES FAIRE INHUMER SANS AUCUN APPAREIL », (ART. 14 CP)
L'extrait était en vigueur jusqu'à l'abrogation de la peine de mort en 1981. L’intervention portera sur les interdictions faites aux familles des condamnés à mort d'enterrer librement leurs défunts, en distinguant entre les condamnés à mort de droit commun (guillotinés) et les condamnés à mort pour raison politique (fusillés). Les prohibitions concernant les sépultures des condamnés sont restées en vigueur après l'abolition de la peine de mort. Mais la plupart des condamnés n'ont pas été réclamés par leurs familles et leurs corps enterrés dans des carrés réservés aux condamnés à mort sont désormais semble-t-il voués à un anonymat définitif.»
Cadavres interdits, présentation d’un colloque à Cergy-Pontoise
L’exécution capitale, une mort donnée en spectacle, partie Que faire des restes des exécutés ?, Régis Bertrand (également au catalogue).
Fil de discussion Les condamnés à mort, sur Geneanet.org
Voir aussi le sort du Dernier guillotiné, décrit par Jean-Yves Le Naour.
Bonnes lectures !
Les familles avaient le droit de récupérer les corps des guillotinés, et ce depuis la Révolution.
« La Révolution rompt à priori avec cette logique de l’infamie en refusant d’étendre la peine au-delà de la mort et de la personne du criminel : sitôt l’exécution accomplie, la sépulture ordinaire devient un droit, qu’elle soit prise en charge par les proches ou par l’administration. Ainsi en a décidé l’Assemblée en votant, le 21 janvier 1790, l’un des articles proposés par Guillotin :
« Le corps du supplicié sera délivré à sa famille si elle le demande. Dans tous les cas, il sera admis à la sépulture ordinaire et il ne sera fait sur le registre aucune mention du genre de mort. » […]
En 1810, le Code pénal n’affirme plus fermement le droit à la sépulture ordinaire, mais se contente de protéger les droits des familles :
« Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans aucun appareil. »
Rien n’est dit sur le sort du corps au cas où la famille ne le réclamerait pas.»
Extraits de : Physiologie de la veuve, une histoire médicale de la guillotine, Anne Carol
Cet article de la Documentation française montre que la situation n’a pas évoluée depuis 1810 :
L'application de la peine de mort en France avant 1981
Cette absence de précision entraîne des traitements variés, qui vont de la fosse commune au carré réservé mais aussi à l’utilisation des corps par la médecine :
« Qui a la charge et la responsabilité du corps à l’issue de l’exécution ? Que se passe-t-il si le corps n’est pas réclamé par la famille ? Quels usages en sont possibles ? Y-a-t-il obligation d’inhumation ?
A ces questions, la loi n’apporte aucune réponse ; il faut donc voir du côté des usages les solutions concrètes adoptées. Plus encore que l’exécution proprement dite, ses suites procèdent de la coutume, des contraintes techniques ou matérielles et non du droit. […]
Sous la Révolution, à Paris, les restes sont déposés dans des charrettes qui les acheminent ensuite vers les fosses de Picpus, de la Madeleine et des Errancis. [Sur ces cimetières parisiens sous la Révolution voir les détails dans La guillotine et les exécuteurs des arrêts criminels pendant la Révolution, G. Lenôtre ].
Au XIXe siècle, ils sont prestement renfermés dans des malles en osier doublées de fer et remplies de son, placées le long de la bascule, et vers lequel le bourreau adroit fait glisser le corps sitôt le couperet tombé ; la tête y est déposée peu après par un aide qui l’extrait de la corbeille ou de l’auge en métal situé en avant de la lunette.
Quels sont alors les droits des médecins sur les corps des suppliciés ? la réponse est difficile, les règlements et usages locaux venant pallier les silences de la loi et introduire des nuances dans le protocole. Si les familles ont réclamé le corps à temps, à Paris tout au moins, « on les met soit dans la fosse commune, soit dans un terrain payé, mais leur nom n’est pas écrit sur la croix afin de ne pas exciter la curiosité du public ». Dans le cas contraire, soit le corps est directement confié aux médecins qui l’ont réclamé, soit l’inhumation a lieu dans le carré des suppliciés – quitte à le livrer après un simulacre d’inhumation à la convoitise des carabins. »
Entre les mains des médecins, le corps subit des manipulations diverses : dissections, collections et trophées, expériences diverses, dont, dans les années 1880, des tentatives de réanimation …
« Alors même que l’évolution des sensibilités funéraires au XIXe siècle pousse à la conservation des restes, à l’individualisation des sépultures et au culte des morts, le corps du condamné se voit privé de toute attention autre que scientifique. »
A partir de la fin du XIXe cependant, à cause de l’évolution des sensibilités, de la raréfaction des exécutions, « le corps du guillotiné avait atteint une forme de respect social, qui le rendait digne tout autant qu’un autre des soins accordés aux morts. » A partir des années 1950, si la médecine se soucie encore du corps des suppliciés, c’est dans le but de lui prélever des organes.
Tous les extraits sont également tirés de l’ouvrage Physiologie de la veuve, une histoire médicale de la guillotine, Anne Carol, dont nous vous conseillons de lire toute la cinquième partie, La guillotine au service de la médecine ? statuts et usages du guillotiné.
Voir aussi Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècle, Grégoire Chamayou
4 février 1939 : le dernier guillotiné à Rennes, wiki Rennes Métropole
Sur les pratiques d’inhumation, quelques textes en ligne :
La France des larmes, deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Emmanuel Fureix (également au catalogue)
« Le nouveau cimetière parisien d’Ivry, ouvert en 1874, réserva un carré pour les exécutés qu'il commença à recevoir dès 1885. Le premier à y être inhumé, en avril 1886, sans être réclamé par sa famille se nommait Jacques Koening. Ce carré resta en fonction jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981. »
Lieux d’inhumation des suppliciés, sur Tombes et sépultures dans les cimetières et autres lieux[/url]
« « LES CORPS DES SUPPLICIES SERONT DELIVRES A LEURS FAMILLES, SI ELLES LES RECLAMENT, A LA CHARGE PAR ELLES DE LES FAIRE INHUMER SANS AUCUN APPAREIL », (ART. 14 CP)
L'extrait était en vigueur jusqu'à l'abrogation de la peine de mort en 1981. L’intervention portera sur les interdictions faites aux familles des condamnés à mort d'enterrer librement leurs défunts, en distinguant entre les condamnés à mort de droit commun (guillotinés) et les condamnés à mort pour raison politique (fusillés). Les prohibitions concernant les sépultures des condamnés sont restées en vigueur après l'abolition de la peine de mort. Mais la plupart des condamnés n'ont pas été réclamés par leurs familles et leurs corps enterrés dans des carrés réservés aux condamnés à mort sont désormais semble-t-il voués à un anonymat définitif.»
Cadavres interdits, présentation d’un colloque à Cergy-Pontoise
L’exécution capitale, une mort donnée en spectacle, partie Que faire des restes des exécutés ?, Régis Bertrand (également au catalogue).
Fil de discussion Les condamnés à mort, sur Geneanet.org
Voir aussi le sort du Dernier guillotiné, décrit par Jean-Yves Le Naour.
Bonnes lectures !
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