Quelle sont les critiques faites au développement personnel
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 21/04/2016 à 10h39
374 vues
Question d'origine :
Bonjour
Le DP est critiqué, mais je voudrais savoir quelles sont les critiques faites au développement personnel , car je pense que ce sont des méthodes trés positives. Merci pour vos réponses.
Yann ker
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 23/04/2016 à 08h37
Bonjour,
Il est vrai que le développement personnel est parfois critiqué, mais pas par tout le monde si l’on regarde les chiffres des meilleures ventes de livres ou les présentoirs des librairies… Et c'est bien connu, le succès encourage souvent la critique.
Mais avoir un regard critique n’est pas forcément négatif ; dans le cas présent, certaines critiques relèvent plutôt de la compréhension des ressorts du phénomène du développement personnel (parfois appelé « bien-être »), qui a parfois des liens avec la religion, l’ésotérisme, la psychologie, la sociologie, la spiritualité ou la philosophie. De nombreux spécialistes de ces disciplines se sont penchés sur le sujet (on dénombre plusieurs thèses sur le sujet : ici, ici, ou là)
Afin que vous puissiez vous faire une idée des débats en cours, nous vous proposons plusieurs liens vers des ouvrages ou entretiens d’écrivains et/ou de chercheurs qui questionnent, décortiquent et triturent le développement personnel …
Les reproches portent le plus souvent sur les dérives du formatage des individus ; un coaching qui met en place un système de contention sociale ; une hyper-individualisation de la société qui marque la fin du collectif ; des formateurs (coachs) aux formations parfois fantaisistes ; la marchandisation des relations privées ou encore l’appauvrissement du psychisme…
Ces critiques ne sont pas nouvelles puisqu’en 2008, Robert Ebguy publiait Je hais le développement personnel : Avons-nous besoin de tuteurs, de techniques et de recettes, de gourous, de guides, de guide-âne, pour nous dire qui nous sommes ? Avons-nous besoin de gardiens, de conseillers, d’accompagnateurs, de bergers, de mentors pour positiver ?
Françoise Bonardel (philosophe et essayiste) fait le point sur la question dans son livre Prendre soin de soi (2016) : Elle tente de "donner une assise philosophique, psychologique et spirituelle à ce besoin de soin". F. Bonardel nous rappelle que ce soin à soi-même était déjà présent dans la philosophie antique et elle nous dresse le développement de la notion jusqu’à l’époque moderne. Elle se demande aussi si cet intérêt à soi ne cache pas finalement un égoïsme voire une forme de dandysme ; elle s’attache donc à nous montrer comment entretenir ce réel souci de soi dans le quotidien et notamment dans les périodes de crise". Elle écrit ainsi : "La recherche du bien-être a pris dans nos sociétés une importance telle qu’il est difficile de savoir s’il s’agit là d’un nouvel idéal collectif ou une réaction saine face aux nuisances auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. Quoi qu’il en soit, « prendre soin de soi » est devenu un mot d’ordre, une quasi-obligation tant envers soi-même que son entourage immédiat".
D'autre part, la question que vous posez rejoint les interrogations que se pose Nicolas Marquis dans sa thèse, dont une version allégée est publiée aux PUF sous le titre Du bien-être au marché du malaise : la société du développement personnel (Prix Le Monde de la recherche universitaire en 2012). Le premier chapitre s’intitule d’ailleurs "Qui a peur du développement personnel. Une critique de la critique intellectuelle du développement personnel" ; N. Marquis questionne le phénomène de librairie en réalisant la première étude du lectorat d’ouvrages de développement personnel.
Avant de lire cet ouvrage, familiarisez-vous avec la pensée l’auteur dans Le Point ou encore dans Sciences humaines : Le développement personnel ne manque pas de nous questionner. Son succès réjouit certains, alors qu'il en désespère d'autres. Respecté par ses adorateurs, il est parfois violemment rejeté par ses critiques. Mais pourquoi semble-t-il très compliqué de parler de ce phénomène social de façon dépassionnée, sans s'en réjouir ou sans le dénoncer, sans considérer qu'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose ? Il faut croire qu'il touche une corde particulièrement sensible, car il est considéré à la fois comme le promoteur d'un élément auquel nous tenons très fort (notre autonomie individuelle), mais également comme le potentiel déclencheur d'un événement dont nous craignons les conséquences (l'individualisme contemporain). En effet, autant que le succès du développement personnel, les réactions ambivalentes que nous avons à son égard constituent de très bons analyseurs des tensions qui traversent les mœurs des sociétés modernes, que l'on appelle aussi des sociétés individualistes.
Valérie Brunel a, quand à elle, travaillé sur le développement personnel en entreprise. Elle a publié en 2004 Les manageurs de l’âme : le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique du pouvoir :
Dans le monde de l'entreprise, les managers sont de plus en plus souvent appelés à être des coachs ou des psy. L'efficacité personnelle s'évalue désormais à l'aune de la juste gestion des rapports de soi avec autrui, il faut communiquer avec conviction, développer son estime de soi, progresser en autonomie... pour être plus performant. Une analyse du phénomène psychologique dans l'entreprise.
N. Marquis et V. Brunel étaient sur France Culture en décembre 2014, et nous proposent leur questionnements à réécouter en ligne : Sommes-nous entrés dans la société du développement personnel ?
Le mensuel Psychologies pose aussi la question des vraies et fausses promesses du développement personnel : Le moins que l’on puisse dire, c’est que le développement personnel (DP) n’a pas bonne presse en France. Tout au moins dans le camp des intellectuels en général, et de la psychanalyse en particulier. Ses détracteurs lui reprochent, pêle-mêle, la faiblesse de son corpus théorique, la formation douteuse de ses animateurs ou encore de promouvoir abondamment l’idée selon laquelle il suffit d’y croire fort pour que ça marche. Au pays de Descartes et de Lacan, de l’ironie et du pessimisme, la chose n’a rien d’étonnant. Pourtant, les ventes de livres de développement personnel ne cessent de croître, les stages et ateliers, de se développer. Ses amateurs seraient-ils tous des naïfs persuadés que l’on peut atteindre le bonheur éternel en psalmodiant des formules magiques ? Certainement pas. […]
Voici deux autres références qui permettront sans doute de poursuivre cette enquête sur le développement personnel avec deux philosophes :
- Le Développement Personnel contre la personne / Robert Redeker, article publié dans la revue Critique
C’est une déferlante : on se rue sur le Développement Personnel (DP). Un salon lui est consacré. Des piles de livres, remplis d’affirmations et de conseils, s’entassent dans les librairies et les supermarchés. Une foule de coachs et de cabinets spécialisés en développement personnel apparaît. Tous, à l’instar des bonimenteurs et charlatans, promettent monts et merveilles, tout et son contraire : l’intempérance et la santé, le succès et la sagesse, la réussite dans le siècle et la spiritualité, l’intensité et la sérénité, l’argent et le bonheur. La marque de fabrique commune à toutes ces productions se résume dans la promesse servant de titre à la satire signée Roger-Pol Droit : Votre vie sera parfaite.
Oui, vous avez bien lu ! : Votre vie sera parfaite (Attention, second degré !) : Suivez l’irrésistible ascension d’un gourou superstar, Marcel Staline, inventeur de la « méthode totale », champion du cynisme et de la manipulation. Découvrez ses consultations, son site web, ses trafics et ses chantages. Sachez ainsi vous méfier des gens qui veulent vous apprendre à vivre. Prenez garde à ces innombrables marchands de conseils qui prétendent vous enseigner à respirer, à dormir, à manger, à travailler, à gérer votre stress ou à mieux faire l’amour. Derrière toutes ces méthodes miracles, coachings et thérapies improbables se trouvent parfois de dangereuses arnaques, et presque toujours le risque d’un totalitarisme d’un genre nouveau. Et si vous retrouviez votre liberté ?
Cet engouement (mode ?) pour le développement personnel est présenté (avec humour) dans l’édito de la revue Spirale n°76 qui revient sur le succès du début de l’année 2016, le fameux "guide de psychologie positive" des "trois compères André, Jollien et Ricard" devenu "la bible 2016 du développement personnel". Cet édito souhaite que nous puissions nous rappeler "nos défaillances de mortels, nos insuffisances d’humains, notre pauvreté spirituelle" et "consentir à la vie, à ce qui arrive, aux risques de demain, mais aussi à la liberté de vivre, aujourd’hui". (version en ligne)
Au final, le philosophe André Guigot ne pose-t-il pas la bonne question :
Qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir à ce point le bonheur ?
Il est vrai que le développement personnel est parfois critiqué, mais pas par tout le monde si l’on regarde les chiffres des meilleures ventes de livres ou les présentoirs des librairies… Et c'est bien connu, le succès encourage souvent la critique.
Mais avoir un regard critique n’est pas forcément négatif ; dans le cas présent, certaines critiques relèvent plutôt de la compréhension des ressorts du phénomène du développement personnel (parfois appelé « bien-être »), qui a parfois des liens avec la religion, l’ésotérisme, la psychologie, la sociologie, la spiritualité ou la philosophie. De nombreux spécialistes de ces disciplines se sont penchés sur le sujet (on dénombre plusieurs thèses sur le sujet : ici, ici, ou là)
Afin que vous puissiez vous faire une idée des débats en cours, nous vous proposons plusieurs liens vers des ouvrages ou entretiens d’écrivains et/ou de chercheurs qui questionnent, décortiquent et triturent le développement personnel …
Les reproches portent le plus souvent sur les dérives du formatage des individus ; un coaching qui met en place un système de contention sociale ; une hyper-individualisation de la société qui marque la fin du collectif ; des formateurs (coachs) aux formations parfois fantaisistes ; la marchandisation des relations privées ou encore l’appauvrissement du psychisme…
Ces critiques ne sont pas nouvelles puisqu’en 2008, Robert Ebguy publiait Je hais le développement personnel : Avons-nous besoin de tuteurs, de techniques et de recettes, de gourous, de guides, de guide-âne, pour nous dire qui nous sommes ? Avons-nous besoin de gardiens, de conseillers, d’accompagnateurs, de bergers, de mentors pour positiver ?
Françoise Bonardel (philosophe et essayiste) fait le point sur la question dans son livre Prendre soin de soi (2016) : Elle tente de "donner une assise philosophique, psychologique et spirituelle à ce besoin de soin". F. Bonardel nous rappelle que ce soin à soi-même était déjà présent dans la philosophie antique et elle nous dresse le développement de la notion jusqu’à l’époque moderne. Elle se demande aussi si cet intérêt à soi ne cache pas finalement un égoïsme voire une forme de dandysme ; elle s’attache donc à nous montrer comment entretenir ce réel souci de soi dans le quotidien et notamment dans les périodes de crise". Elle écrit ainsi : "La recherche du bien-être a pris dans nos sociétés une importance telle qu’il est difficile de savoir s’il s’agit là d’un nouvel idéal collectif ou une réaction saine face aux nuisances auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. Quoi qu’il en soit, « prendre soin de soi » est devenu un mot d’ordre, une quasi-obligation tant envers soi-même que son entourage immédiat".
D'autre part, la question que vous posez rejoint les interrogations que se pose Nicolas Marquis dans sa thèse, dont une version allégée est publiée aux PUF sous le titre Du bien-être au marché du malaise : la société du développement personnel (Prix Le Monde de la recherche universitaire en 2012). Le premier chapitre s’intitule d’ailleurs "Qui a peur du développement personnel. Une critique de la critique intellectuelle du développement personnel" ; N. Marquis questionne le phénomène de librairie en réalisant la première étude du lectorat d’ouvrages de développement personnel.
Avant de lire cet ouvrage, familiarisez-vous avec la pensée l’auteur dans Le Point ou encore dans Sciences humaines : Le développement personnel ne manque pas de nous questionner. Son succès réjouit certains, alors qu'il en désespère d'autres. Respecté par ses adorateurs, il est parfois violemment rejeté par ses critiques. Mais pourquoi semble-t-il très compliqué de parler de ce phénomène social de façon dépassionnée, sans s'en réjouir ou sans le dénoncer, sans considérer qu'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose ? Il faut croire qu'il touche une corde particulièrement sensible, car il est considéré à la fois comme le promoteur d'un élément auquel nous tenons très fort (notre autonomie individuelle), mais également comme le potentiel déclencheur d'un événement dont nous craignons les conséquences (l'individualisme contemporain). En effet, autant que le succès du développement personnel, les réactions ambivalentes que nous avons à son égard constituent de très bons analyseurs des tensions qui traversent les mœurs des sociétés modernes, que l'on appelle aussi des sociétés individualistes.
Valérie Brunel a, quand à elle, travaillé sur le développement personnel en entreprise. Elle a publié en 2004 Les manageurs de l’âme : le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique du pouvoir :
Dans le monde de l'entreprise, les managers sont de plus en plus souvent appelés à être des coachs ou des psy. L'efficacité personnelle s'évalue désormais à l'aune de la juste gestion des rapports de soi avec autrui, il faut communiquer avec conviction, développer son estime de soi, progresser en autonomie... pour être plus performant. Une analyse du phénomène psychologique dans l'entreprise.
N. Marquis et V. Brunel étaient sur France Culture en décembre 2014, et nous proposent leur questionnements à réécouter en ligne : Sommes-nous entrés dans la société du développement personnel ?
Le mensuel Psychologies pose aussi la question des vraies et fausses promesses du développement personnel : Le moins que l’on puisse dire, c’est que le développement personnel (DP) n’a pas bonne presse en France. Tout au moins dans le camp des intellectuels en général, et de la psychanalyse en particulier. Ses détracteurs lui reprochent, pêle-mêle, la faiblesse de son corpus théorique, la formation douteuse de ses animateurs ou encore de promouvoir abondamment l’idée selon laquelle il suffit d’y croire fort pour que ça marche. Au pays de Descartes et de Lacan, de l’ironie et du pessimisme, la chose n’a rien d’étonnant. Pourtant, les ventes de livres de développement personnel ne cessent de croître, les stages et ateliers, de se développer. Ses amateurs seraient-ils tous des naïfs persuadés que l’on peut atteindre le bonheur éternel en psalmodiant des formules magiques ? Certainement pas. […]
Voici deux autres références qui permettront sans doute de poursuivre cette enquête sur le développement personnel avec deux philosophes :
- Le Développement Personnel contre la personne / Robert Redeker, article publié dans la revue Critique
C’est une déferlante : on se rue sur le Développement Personnel (DP). Un salon lui est consacré. Des piles de livres, remplis d’affirmations et de conseils, s’entassent dans les librairies et les supermarchés. Une foule de coachs et de cabinets spécialisés en développement personnel apparaît. Tous, à l’instar des bonimenteurs et charlatans, promettent monts et merveilles, tout et son contraire : l’intempérance et la santé, le succès et la sagesse, la réussite dans le siècle et la spiritualité, l’intensité et la sérénité, l’argent et le bonheur. La marque de fabrique commune à toutes ces productions se résume dans la promesse servant de titre à la satire signée Roger-Pol Droit : Votre vie sera parfaite.
Oui, vous avez bien lu ! : Votre vie sera parfaite (Attention, second degré !) : Suivez l’irrésistible ascension d’un gourou superstar, Marcel Staline, inventeur de la « méthode totale », champion du cynisme et de la manipulation. Découvrez ses consultations, son site web, ses trafics et ses chantages. Sachez ainsi vous méfier des gens qui veulent vous apprendre à vivre. Prenez garde à ces innombrables marchands de conseils qui prétendent vous enseigner à respirer, à dormir, à manger, à travailler, à gérer votre stress ou à mieux faire l’amour. Derrière toutes ces méthodes miracles, coachings et thérapies improbables se trouvent parfois de dangereuses arnaques, et presque toujours le risque d’un totalitarisme d’un genre nouveau. Et si vous retrouviez votre liberté ?
Cet engouement (mode ?) pour le développement personnel est présenté (avec humour) dans l’édito de la revue Spirale n°76 qui revient sur le succès du début de l’année 2016, le fameux "guide de psychologie positive" des "trois compères André, Jollien et Ricard" devenu "la bible 2016 du développement personnel". Cet édito souhaite que nous puissions nous rappeler "nos défaillances de mortels, nos insuffisances d’humains, notre pauvreté spirituelle" et "consentir à la vie, à ce qui arrive, aux risques de demain, mais aussi à la liberté de vivre, aujourd’hui". (version en ligne)
Au final, le philosophe André Guigot ne pose-t-il pas la bonne question :
Qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir à ce point le bonheur ?
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Quelle est la meilleure période pour regarder les étoiles...
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter