Ecole
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 10/03/2016 à 19h55
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Question d'origine :
A quoi sert , vraiment, l'école ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 11/03/2016 à 14h16
Bonjour,
Mais qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ?
Alors que le marché du travail est gangrené par le chômage, la précarité, et le manque de formation des demandeurs d’emplois, et au moment où la réforme du droit du travail fait face à une contestation virulente, la question « à quoi sert l’école » est particulièrement d’actualité.
Depuis la fin des années 1970, les principales victimes du chômage et de la précarité sont les jeunes arrivant sans qualification, ou très faiblement qualifiés, sur le marché du travail. Face à la récession, leur manque de formation les expose aujourd’hui à une véritable exclusion sociale. Selon les récentes enquêtes sur l’emploi, le taux de chômage des personnes sans diplôme est ainsi de 41 % dans les cinq années qui suivent la sortie de l’école, près de deux fois plus élevé que celui des titulaires d’un CAP (23 %) et plus de trois fois plus élevé que celui des bacheliers de la filière professionnelle (13 %), sans parler des bacheliers des filières générales et technologiques (10 %). Un diplôme, même modeste, confère désormais un atout décisif sur le marché du travail. La valeur des titres scolaires n’a même sans doute jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Au cours des trente dernières années, l’écart d’exposition au chômage et à la précarité entre jeunes bacheliers et non diplômés a par exemple été multiplié par trois, l’écart entre jeunes diplômés du supérieur et non diplômés étant quant à lui multiplié par près de quatre (Maurin, 2009).
Certains observateurs s’alarment de ce que, dans l’absolu, la situation sociale d’un bachelier d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’un bachelier des années 1950, croyant tenir là une preuve de l’effondrement de la valeur des titres scolaires. Ils se méprennent : ce qui donne la valeur d’un diplôme (comme de n’importe quel type de statut), ce n’est pas la situation qu’il permet d’atteindre dans l’absolu, mais la différence entre la situation qu’il permet d’atteindre et celle qu’on atteindrait si on en était dépourvu. De ce point de vue, l’avantage des diplômés sur les non diplômés atteint aujourd’hui des niveaux inédits. Les familles ne s’y trompent pas : l’angoisse devant l’éventualité d’un échec scolaire est aujourd’hui omniprésente et le marché du soutien scolaire en pleine expansion.
Source : À quoi sert l’école ?, Eric Maurin, Regards croisés sur l'économie 2/2012 (n° 12), p. 11-24
Nous vous conseillons de lire dans son intégralité le texte de Marion Bothorel, Le rôle social de l’école qui revient sur une fonction fondamentale de l’école :
A l’heure de la réforme des rythmes scolaires, du débat entre aspects positifs et négatifs, la question se pose nécessairement : à quoi sert l’école ? C’est un bien vaste sujet mais il est évident que l’école a premièrement une fonction d’agent de socialisation, elle permet aux touts petits de se familiariser avec la vie de groupe, d’apprendre à composer avec les autres, avec leurs différences, et ce dès le plus jeune âge. L’école c’est aussi une communauté sociale fondamentale en dehors du cercle familial. Elle peut être le premier face à face avec l’autorité. C’est là où bon nombre d’enfants vont se confronter aux notions d’obéissance et aux devoirs. En effet, il n’est pas rare même si c’est aussi le rôle des crèches, des premières garderies mais surtout de la famille, qu’un enfant expérimente le « non » pour la première fois à l’école.
Sans la mise en place de la carte scolaire, qui évite une stigmatisation voir une ghettoïsation des établissements et établit une relative égalité des chances, c’est un lieu d’apprentissage de la vie extrêmement important. Elle permet de prendre conscience que le monde n’est pas uniforme ni conforme à ce qui se passe chez soi. L’institution a souvent été comparée à une microsociété où toutes les couches sociales peuvent être représentées, à la condition encore une fois que toutes les barrières dressées par les quartiers ont été mises à bas. C’est une opportunité dès le plus jeune âge pour une meilleure ouverture d’esprit, aux concessions et à une société où il fait bon vivre ensemble.
Le fait qu’elle reste obligatoire jusqu’à 16 ans est principalement historique, elle n’est plus un rempart contre une orientation trop précoce. Aujourd’hui, si à 16ans nous ne sommes pas orientés de manière immuable, notre avenir est déjà fortement conditionné par nos choix antérieurs. Si l’école reste obligatoire jusqu’à un âge requis, la palette de formations qu’elle offre entre baccalauréats professionnels (secteurs des services, de la production, du domaine agricole, de l’aéronautique, de l’artisanat, dans le domaine de la cuisine-pâtisserie, etc… En bref : plus de 90 bacs professionnels) généraux (Economique et Social, Scientifique et Littéraire) et technologiques (ST2S, STG, STI, STL, Hôtellerie, STAV) permet un choix relativement réfléchi, fruit d’une combinaison entre aptitudes reconnues par le système éducatif et par un désir personnel et motivé.
L’école est et reste l’outil majeur de formation des futurs acteurs de la vie civique. C’est là, et ce n’est pas idéalisé, où l’on apprend à vivre en société : à écouter, à participer, à prendre conscience de nos droits et de nos devoirs de citoyens, d’intégrer qu’il y a des limites infranchissables pour que le monde soit viable. L’école a pour ambition première de servir l’Etat, en délimitant ce que chacun lui doit, quelles sont ses domaines d’action, permettant d’agir. C’est ce que rappelait Vincent Peillon, ministre de L’Education Nationale, en faisant allusion, le 22 Mai dernier au Sénat, à « notre volonté de voir l’école transmettre les valeurs de la République ». C’est un premier pas dans la conscience adulte et dans l’appartenance à une identité nationale, qui fait tant débat.
Dans son texte publié dans le n°44 de la revue Repères-IREM, Rudolf Bkouche revient aussi sur les fonctions de l’école :
Que sont les finalités de l'Ecole ? ces finalités ne relèvent pas d'une définition objective qui puisse conduire à un consensus. Ces finalités s'inscrivent dans une conception globale de la société et par conséquent relèvent de choix politiques ; c'est donc en fonction de ces choix politiques qu'il faut comprendre ces finalités. En ce sens la démocratisation de l'enseignement s'inscrit dans le cadre d'une volonté de démocratisation de la société, ce qui pose la question de la démocratisation en tant que telle. On comprend alors comment une interprétation "objective" de la démocratisation de l'enseignement, c'est-à-dire dégagée de toute analyse politique, réduise son étude à la seule analyse quantitative et oublie les enjeux de l'enseignement qui ne s'inscrivent pas dans cette analyse, en particulier les enjeux épistémologiques.
Pour aborder la question des finalités de l'Ecole, nous reviendrons d'abord sur deux points développés par Hannah Arendt qui résume ainsi la question de l'éducation (plus générale comme nous l'avons déjà signalé que celle de l'enseignement). L'éducation, selon Hannah Arendt, assume à la fois la responsabilité de la vie et du développement de l'enfant et la continuité du monde. Hannah Arendt précise que ces deux finalités "ne coïncident aucunement et peuvent même entrer en conflit". D'une part "l'enfant à besoin d'être tout particulièrement protégé et soigné pour éviter que le monde puisse le détruire", mais d'autre part "ce monde aussi a besoin d'une protection qui l'empêche d'être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération".
C'est cette double finalité contradictoire qui permet à la fois d'assurer la conservation du monde et de permettre aux nouvelles générations de construire leur propre rapport au monde ; ainsi l'Ecole est à la fois conservatrice, au sens de la conservation de la société humaine, et formatrice au sens où elle permet à chacun d'être dans le monde.
A côté de cette double finalité nous reviendrons sur les trois fonctions de l'Ecole d'aujourd'hui définies par Guy Brucy et Françoise Ropé dans leur ouvrage Suffit-il de scolariser ? : transmission des savoirs, gestion des flux et tri pas différentiation et hiérarchisation, formation directement professionnelle.
Nous voulons préciser ici comment ces trois fonctions s'inscrivent dans cet objectif de continuité de la société définie par Hannah Arendt.
La transmission des savoirs participe de la conservation de l'ensemble des connaissances signifiantes dans la société et c'est une nécessité sociale que de les transmettre, ce qui explique l'importance de l'instruction. La question se pose alors de la plus ou moins grande diffusion de ces savoirs. La démocratisation de l'enseignement implique une large diffusion de ces savoirs, autrement dit, contrairement à certains discours actuels, la démocratisation de l'enseignement passe par un élargissement de l'instruction ; reste alors à faire le départ entre les savoirs qui doivent être enseignés à tous et les savoirs plus spécialisés qui ne s'adressent qu'à ceux qui en feront un usage explicite. On voit ainsi que la question de la démocratisation pose déjà un premier problème : la définition des savoirs pour tous. Notons qu'il ne s'agit pas de la classique distinction entre les savoirs pratiques et les savoirs théoriques (le réseau PP et le réseau SS de l'Ecole de la IIIème République) ; la détermination des savoirs pour tous est transversale à la distinction pratique-théorique et relève essentiellement de la définition des finalités de l'enseignement. Nous nous contentons ici de poser la question de cette détermination, question qui n'a sans doute aucune réponse donnée une fois pour toutes ; nous insisterons cependant sur l'importance de ce que nous avons appelé dans un article antérieur les savoirs pérennes, ces savoirs ouvrant une voie d'accès à l'appréhension et à la compréhension des savoirs contemporains. La transmission des savoirs s'inscrit ainsi dans la double finalité définie par Hannah Arendt, celle de la continuité de la société et celle du développement des individus et c'est peut-être, du moins si l'on se place dans l'optique d'une démocratisation de l'enseignement, l'un des lieux de rencontre des deux finalités définies ci-dessus. Nous verrons cependant dans la suite de cet article comment la démocratisation de l'enseignement non seulement est loin d'être réalisée mais encore ne semble plus participer des objectifs de la société contemporaine.
La formation professionnelle s'inscrit dans le prolongement de l'instruction même si son objectif est plus spécifique. Si la formation professionnelle s'inscrit dans la continuité de la société (répondre à des besoins de production mais aussi aux différents services nécessités par le bon fonctionnement de la société), elle peut encore être considérée sous deux angles différents, celui d'une division du travail qui n'est en fait que la conservation de la division sociale ou celui de la maîtrise d'un métier par celui qui l'exerce. La division du travail relève moins de la distinction entre le travail manuel (le travail du pauvre !) et le travail intellectuel (le travail de l'élite !) que de la distinction entre ceux qui gardent une certaine maîtrise de leur travail et ceux qui ne peuvent que subir ce travail. Dans une époque où l'on répète avec complaisance que les connaissances professionnelles évoluent rapidement, on a tendance à réduire la formation professionnelle, du moins pour ceux qui sont condamnés à subir leur travail, au seul savoir-faire nécessaire à court terme, renvoyant à une formation continue qui risque de n'être plus que la nécessaire adaptation de chacun au poste de travail qui lui est assigné ; l'homme n'est plus qu'un rouage de la machine économique. La formation professionnelle devient ainsi l'un des lieux de conflit entre les "besoins" de la société et la construction par chacun de son rapport au savoir, y compris le savoir professionnel dont il usera au cours de sa vie ; point n'est besoin de rapport au savoir pour qui n'est qu'un rouage parmi d'autres dans la machine économique. Cela nous renvoie encore une fois à la question de la place des savoirs pérennes dans l'enseignement ; si la formation professionnelle se réduit au seul savoir-faire, il est clair qu'elle ne peut prendre en compte l'évolution des techniques dans la mesure où l'on ignore aujourd'hui quelles seront les techniques de demain, et la part pérenne du savoir n'a plus sa place dans l'enseignement. La formation initiale n'est plus que la fabrication du logiciel-élève destiné à devenir un logiciel-travailleur et la formation continue n'est plus que la mise à jour périodique de ce logiciel ; c'est cela que l'on peut appeler une conception logicialiste de l'enseignement ou plutôt de la formation.
Reste enfin la troisième fonction de l'Ecole, celle de la gestion des flux et du tri par différentiation et hiérarchisation. Ici c'est moins la continuité de la société en tant que participant de la conservation de l'espèce qui est en jeu que la conservation de l'ordre social. Il est vrai que l'Ecole a pour fonction de permettre la différentiation sociale, terme ambigu qui désigne tout autant la nécessaire division du travail que les divisions sociales qui s'appuient sur cette division du travail. En cela, cette troisième fonction, pour nécessaire qu'elle puisse apparaître, est un obstacle à la démocratisation de l'enseignement lorsqu'elle définit les savoirs à enseigner moins en fonction de la construction de la maîtrise par chacun de son rapport au monde qu'en fonction de la position assignée à chacun dans la société.
Source : A quoi sert l'École ?, Sauver les lettres
Comme le remarque Claude Anno, alors que dans les pays riches comme la France les plus pauvres rejettent l’école parce qu’ils ont le sentiment qu’elle n’est pas faite pour eux mais pour des classes plus favorisées, dans les pays les plus pauvres du monde, le seul rêve des parents, c’est de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pour qu’ils apprennent à lire afin de pouvoir s’élever, sortir de leur misère et avoir une vie meilleure.
Source : A quoi sert l’Ecole ? L’école peut-elle apprendre à réussir sa vie ? Peut-elle apprendre à vivre heureux ?, meirieu.com
Ce qu’illustrent bien les témoignages de parents rassemblés dans cette vidéo du projet 7 milliards d’autres :
Le film : femmes et hommes témoignent
À travers des témoignages simples, la vocation et les ambitions de l’École sont remises en lumière.
Sortir de la pauvreté, entrer dans la société, avoir accès à la connaissance, être reconnu, s’émanciper, être des citoyens éclairés et responsables etc.
« Être ignorant c’est marcher dans la nuit – quand on sait des choses, tout s’éclaire, on peut voir loin... » nous dit une maman du Cambodge.
Histoire
Ce film peut permettre un retour sur l’histoire de l’École dans notre société.
Depuis quand l’École sous sa forme actuelle existe-t-elle ?
Pourquoi a-t-il fallu attendre la fin du 19ème siècle pour que la République promulgue les lois de 1881/1882 sur l’École laïque, gratuite et obligatoire ?
Et avant ? Il n’y avait pas d’École ?
Société
Pourquoi, dans le monde, y-a-t-il encore autant de pays où il est difficile pour les enfants de pouvoir aller à l’école ?
Pauvreté du pays, volonté des dirigeants de laisser les gens dans l’ignorance...?
S’alimenter ou s’instruire (témoignage du Brésil) – on pourra se rappeler que même chez nous, en France, il n’y a pas si longtemps, le calendrier scolaire était fondé sur le rythme de la France paysanne et que, par exemple, la rentrée en octobre correspondait aux besoins qu’avaient les agriculteurs de bénéficier des bras de leurs enfants pour les récoltes.
Et ne pas aller à l’école était souvent une nécessité vitale pour la France paysanne pauvre.
De même pour les enfants ouvriers des débuts de l’ère industrielle dont le maigre salaire était pourtant indispensable à la survie des familles.
Réflexion
Ce film peut nous inviter à faire réfléchir les élèves sur la « banalisation » de l’École. Aujourd’hui, on y va parce que l’on a 3 ans, 6 ans, 11 ans etc. Les parents nous (les enfants) disent bien qu’il faut apprendre (pour avoir un métier).
À l’heure de « l’intuitif », ce retour sur les fondements de l’École peut ne pas être inutile.
Source : Les Objectifs du Millénaire pour le Développement : n°2 assurer l’éducation primaire pour tous, ledeveloppementenquestions.org
Pour aller plus loin :
- Comment aider nos enfants à réussir : à l'école, dans leur vie, pour le monde Philippe Meirieu
- L'école et les parents : la grande explication Philippe Meirieu ; en collab. avec Daniel Hameline
- Réussir à l'école : une question d'amour ? Stéphane Clerget
- Etre et devenir réal. de Clara Bellar
Bonne journée.
Mais qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ?
Alors que le marché du travail est gangrené par le chômage, la précarité, et le manque de formation des demandeurs d’emplois, et au moment où la réforme du droit du travail fait face à une contestation virulente, la question « à quoi sert l’école » est particulièrement d’actualité.
Depuis la fin des années 1970, les principales victimes du chômage et de la précarité sont les jeunes arrivant sans qualification, ou très faiblement qualifiés, sur le marché du travail. Face à la récession, leur manque de formation les expose aujourd’hui à une véritable exclusion sociale. Selon les récentes enquêtes sur l’emploi, le taux de chômage des personnes sans diplôme est ainsi de 41 % dans les cinq années qui suivent la sortie de l’école, près de deux fois plus élevé que celui des titulaires d’un CAP (23 %) et plus de trois fois plus élevé que celui des bacheliers de la filière professionnelle (13 %), sans parler des bacheliers des filières générales et technologiques (10 %). Un diplôme, même modeste, confère désormais un atout décisif sur le marché du travail. La valeur des titres scolaires n’a même sans doute jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Au cours des trente dernières années, l’écart d’exposition au chômage et à la précarité entre jeunes bacheliers et non diplômés a par exemple été multiplié par trois, l’écart entre jeunes diplômés du supérieur et non diplômés étant quant à lui multiplié par près de quatre (Maurin, 2009).
Certains observateurs s’alarment de ce que, dans l’absolu, la situation sociale d’un bachelier d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’un bachelier des années 1950, croyant tenir là une preuve de l’effondrement de la valeur des titres scolaires. Ils se méprennent : ce qui donne la valeur d’un diplôme (comme de n’importe quel type de statut), ce n’est pas la situation qu’il permet d’atteindre dans l’absolu, mais la différence entre la situation qu’il permet d’atteindre et celle qu’on atteindrait si on en était dépourvu. De ce point de vue, l’avantage des diplômés sur les non diplômés atteint aujourd’hui des niveaux inédits. Les familles ne s’y trompent pas : l’angoisse devant l’éventualité d’un échec scolaire est aujourd’hui omniprésente et le marché du soutien scolaire en pleine expansion.
Source : À quoi sert l’école ?, Eric Maurin, Regards croisés sur l'économie 2/2012 (n° 12), p. 11-24
Nous vous conseillons de lire dans son intégralité le texte de Marion Bothorel, Le rôle social de l’école qui revient sur une fonction fondamentale de l’école :
A l’heure de la réforme des rythmes scolaires, du débat entre aspects positifs et négatifs, la question se pose nécessairement : à quoi sert l’école ? C’est un bien vaste sujet mais il est évident que l’école a premièrement une fonction d’agent de socialisation, elle permet aux touts petits de se familiariser avec la vie de groupe, d’apprendre à composer avec les autres, avec leurs différences, et ce dès le plus jeune âge. L’école c’est aussi une communauté sociale fondamentale en dehors du cercle familial. Elle peut être le premier face à face avec l’autorité. C’est là où bon nombre d’enfants vont se confronter aux notions d’obéissance et aux devoirs. En effet, il n’est pas rare même si c’est aussi le rôle des crèches, des premières garderies mais surtout de la famille, qu’un enfant expérimente le « non » pour la première fois à l’école.
Sans la mise en place de la carte scolaire, qui évite une stigmatisation voir une ghettoïsation des établissements et établit une relative égalité des chances, c’est un lieu d’apprentissage de la vie extrêmement important. Elle permet de prendre conscience que le monde n’est pas uniforme ni conforme à ce qui se passe chez soi. L’institution a souvent été comparée à une microsociété où toutes les couches sociales peuvent être représentées, à la condition encore une fois que toutes les barrières dressées par les quartiers ont été mises à bas. C’est une opportunité dès le plus jeune âge pour une meilleure ouverture d’esprit, aux concessions et à une société où il fait bon vivre ensemble.
Le fait qu’elle reste obligatoire jusqu’à 16 ans est principalement historique, elle n’est plus un rempart contre une orientation trop précoce. Aujourd’hui, si à 16ans nous ne sommes pas orientés de manière immuable, notre avenir est déjà fortement conditionné par nos choix antérieurs. Si l’école reste obligatoire jusqu’à un âge requis, la palette de formations qu’elle offre entre baccalauréats professionnels (secteurs des services, de la production, du domaine agricole, de l’aéronautique, de l’artisanat, dans le domaine de la cuisine-pâtisserie, etc… En bref : plus de 90 bacs professionnels) généraux (Economique et Social, Scientifique et Littéraire) et technologiques (ST2S, STG, STI, STL, Hôtellerie, STAV) permet un choix relativement réfléchi, fruit d’une combinaison entre aptitudes reconnues par le système éducatif et par un désir personnel et motivé.
L’école est et reste l’outil majeur de formation des futurs acteurs de la vie civique. C’est là, et ce n’est pas idéalisé, où l’on apprend à vivre en société : à écouter, à participer, à prendre conscience de nos droits et de nos devoirs de citoyens, d’intégrer qu’il y a des limites infranchissables pour que le monde soit viable. L’école a pour ambition première de servir l’Etat, en délimitant ce que chacun lui doit, quelles sont ses domaines d’action, permettant d’agir. C’est ce que rappelait Vincent Peillon, ministre de L’Education Nationale, en faisant allusion, le 22 Mai dernier au Sénat, à « notre volonté de voir l’école transmettre les valeurs de la République ». C’est un premier pas dans la conscience adulte et dans l’appartenance à une identité nationale, qui fait tant débat.
Dans son texte publié dans le n°44 de la revue Repères-IREM, Rudolf Bkouche revient aussi sur les fonctions de l’école :
Que sont les finalités de l'Ecole ? ces finalités ne relèvent pas d'une définition objective qui puisse conduire à un consensus. Ces finalités s'inscrivent dans une conception globale de la société et par conséquent relèvent de choix politiques ; c'est donc en fonction de ces choix politiques qu'il faut comprendre ces finalités. En ce sens la démocratisation de l'enseignement s'inscrit dans le cadre d'une volonté de démocratisation de la société, ce qui pose la question de la démocratisation en tant que telle. On comprend alors comment une interprétation "objective" de la démocratisation de l'enseignement, c'est-à-dire dégagée de toute analyse politique, réduise son étude à la seule analyse quantitative et oublie les enjeux de l'enseignement qui ne s'inscrivent pas dans cette analyse, en particulier les enjeux épistémologiques.
Pour aborder la question des finalités de l'Ecole, nous reviendrons d'abord sur deux points développés par Hannah Arendt qui résume ainsi la question de l'éducation (plus générale comme nous l'avons déjà signalé que celle de l'enseignement). L'éducation, selon Hannah Arendt, assume à la fois la responsabilité de la vie et du développement de l'enfant et la continuité du monde. Hannah Arendt précise que ces deux finalités "ne coïncident aucunement et peuvent même entrer en conflit". D'une part "l'enfant à besoin d'être tout particulièrement protégé et soigné pour éviter que le monde puisse le détruire", mais d'autre part "ce monde aussi a besoin d'une protection qui l'empêche d'être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération".
C'est cette double finalité contradictoire qui permet à la fois d'assurer la conservation du monde et de permettre aux nouvelles générations de construire leur propre rapport au monde ; ainsi l'Ecole est à la fois conservatrice, au sens de la conservation de la société humaine, et formatrice au sens où elle permet à chacun d'être dans le monde.
A côté de cette double finalité nous reviendrons sur les trois fonctions de l'Ecole d'aujourd'hui définies par Guy Brucy et Françoise Ropé dans leur ouvrage Suffit-il de scolariser ? : transmission des savoirs, gestion des flux et tri pas différentiation et hiérarchisation, formation directement professionnelle.
Nous voulons préciser ici comment ces trois fonctions s'inscrivent dans cet objectif de continuité de la société définie par Hannah Arendt.
La transmission des savoirs participe de la conservation de l'ensemble des connaissances signifiantes dans la société et c'est une nécessité sociale que de les transmettre, ce qui explique l'importance de l'instruction. La question se pose alors de la plus ou moins grande diffusion de ces savoirs. La démocratisation de l'enseignement implique une large diffusion de ces savoirs, autrement dit, contrairement à certains discours actuels, la démocratisation de l'enseignement passe par un élargissement de l'instruction ; reste alors à faire le départ entre les savoirs qui doivent être enseignés à tous et les savoirs plus spécialisés qui ne s'adressent qu'à ceux qui en feront un usage explicite. On voit ainsi que la question de la démocratisation pose déjà un premier problème : la définition des savoirs pour tous. Notons qu'il ne s'agit pas de la classique distinction entre les savoirs pratiques et les savoirs théoriques (le réseau PP et le réseau SS de l'Ecole de la IIIème République) ; la détermination des savoirs pour tous est transversale à la distinction pratique-théorique et relève essentiellement de la définition des finalités de l'enseignement. Nous nous contentons ici de poser la question de cette détermination, question qui n'a sans doute aucune réponse donnée une fois pour toutes ; nous insisterons cependant sur l'importance de ce que nous avons appelé dans un article antérieur les savoirs pérennes, ces savoirs ouvrant une voie d'accès à l'appréhension et à la compréhension des savoirs contemporains. La transmission des savoirs s'inscrit ainsi dans la double finalité définie par Hannah Arendt, celle de la continuité de la société et celle du développement des individus et c'est peut-être, du moins si l'on se place dans l'optique d'une démocratisation de l'enseignement, l'un des lieux de rencontre des deux finalités définies ci-dessus. Nous verrons cependant dans la suite de cet article comment la démocratisation de l'enseignement non seulement est loin d'être réalisée mais encore ne semble plus participer des objectifs de la société contemporaine.
La formation professionnelle s'inscrit dans le prolongement de l'instruction même si son objectif est plus spécifique. Si la formation professionnelle s'inscrit dans la continuité de la société (répondre à des besoins de production mais aussi aux différents services nécessités par le bon fonctionnement de la société), elle peut encore être considérée sous deux angles différents, celui d'une division du travail qui n'est en fait que la conservation de la division sociale ou celui de la maîtrise d'un métier par celui qui l'exerce. La division du travail relève moins de la distinction entre le travail manuel (le travail du pauvre !) et le travail intellectuel (le travail de l'élite !) que de la distinction entre ceux qui gardent une certaine maîtrise de leur travail et ceux qui ne peuvent que subir ce travail. Dans une époque où l'on répète avec complaisance que les connaissances professionnelles évoluent rapidement, on a tendance à réduire la formation professionnelle, du moins pour ceux qui sont condamnés à subir leur travail, au seul savoir-faire nécessaire à court terme, renvoyant à une formation continue qui risque de n'être plus que la nécessaire adaptation de chacun au poste de travail qui lui est assigné ; l'homme n'est plus qu'un rouage de la machine économique. La formation professionnelle devient ainsi l'un des lieux de conflit entre les "besoins" de la société et la construction par chacun de son rapport au savoir, y compris le savoir professionnel dont il usera au cours de sa vie ; point n'est besoin de rapport au savoir pour qui n'est qu'un rouage parmi d'autres dans la machine économique. Cela nous renvoie encore une fois à la question de la place des savoirs pérennes dans l'enseignement ; si la formation professionnelle se réduit au seul savoir-faire, il est clair qu'elle ne peut prendre en compte l'évolution des techniques dans la mesure où l'on ignore aujourd'hui quelles seront les techniques de demain, et la part pérenne du savoir n'a plus sa place dans l'enseignement. La formation initiale n'est plus que la fabrication du logiciel-élève destiné à devenir un logiciel-travailleur et la formation continue n'est plus que la mise à jour périodique de ce logiciel ; c'est cela que l'on peut appeler une conception logicialiste de l'enseignement ou plutôt de la formation.
Reste enfin la troisième fonction de l'Ecole, celle de la gestion des flux et du tri par différentiation et hiérarchisation. Ici c'est moins la continuité de la société en tant que participant de la conservation de l'espèce qui est en jeu que la conservation de l'ordre social. Il est vrai que l'Ecole a pour fonction de permettre la différentiation sociale, terme ambigu qui désigne tout autant la nécessaire division du travail que les divisions sociales qui s'appuient sur cette division du travail. En cela, cette troisième fonction, pour nécessaire qu'elle puisse apparaître, est un obstacle à la démocratisation de l'enseignement lorsqu'elle définit les savoirs à enseigner moins en fonction de la construction de la maîtrise par chacun de son rapport au monde qu'en fonction de la position assignée à chacun dans la société.
Source : A quoi sert l'École ?, Sauver les lettres
Comme le remarque Claude Anno, alors que dans les pays riches comme la France les plus pauvres rejettent l’école parce qu’ils ont le sentiment qu’elle n’est pas faite pour eux mais pour des classes plus favorisées, dans les pays les plus pauvres du monde, le seul rêve des parents, c’est de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école pour qu’ils apprennent à lire afin de pouvoir s’élever, sortir de leur misère et avoir une vie meilleure.
Source : A quoi sert l’Ecole ? L’école peut-elle apprendre à réussir sa vie ? Peut-elle apprendre à vivre heureux ?, meirieu.com
Ce qu’illustrent bien les témoignages de parents rassemblés dans cette vidéo du projet 7 milliards d’autres :
À travers des témoignages simples, la vocation et les ambitions de l’École sont remises en lumière.
Sortir de la pauvreté, entrer dans la société, avoir accès à la connaissance, être reconnu, s’émanciper, être des citoyens éclairés et responsables etc.
« Être ignorant c’est marcher dans la nuit – quand on sait des choses, tout s’éclaire, on peut voir loin... » nous dit une maman du Cambodge.
Ce film peut permettre un retour sur l’histoire de l’École dans notre société.
Depuis quand l’École sous sa forme actuelle existe-t-elle ?
Pourquoi a-t-il fallu attendre la fin du 19ème siècle pour que la République promulgue les lois de 1881/1882 sur l’École laïque, gratuite et obligatoire ?
Et avant ? Il n’y avait pas d’École ?
Pourquoi, dans le monde, y-a-t-il encore autant de pays où il est difficile pour les enfants de pouvoir aller à l’école ?
Pauvreté du pays, volonté des dirigeants de laisser les gens dans l’ignorance...?
S’alimenter ou s’instruire (témoignage du Brésil) – on pourra se rappeler que même chez nous, en France, il n’y a pas si longtemps, le calendrier scolaire était fondé sur le rythme de la France paysanne et que, par exemple, la rentrée en octobre correspondait aux besoins qu’avaient les agriculteurs de bénéficier des bras de leurs enfants pour les récoltes.
Et ne pas aller à l’école était souvent une nécessité vitale pour la France paysanne pauvre.
De même pour les enfants ouvriers des débuts de l’ère industrielle dont le maigre salaire était pourtant indispensable à la survie des familles.
Ce film peut nous inviter à faire réfléchir les élèves sur la « banalisation » de l’École. Aujourd’hui, on y va parce que l’on a 3 ans, 6 ans, 11 ans etc. Les parents nous (les enfants) disent bien qu’il faut apprendre (pour avoir un métier).
À l’heure de « l’intuitif », ce retour sur les fondements de l’École peut ne pas être inutile.
Source : Les Objectifs du Millénaire pour le Développement : n°2 assurer l’éducation primaire pour tous, ledeveloppementenquestions.org
- Comment aider nos enfants à réussir : à l'école, dans leur vie, pour le monde Philippe Meirieu
- L'école et les parents : la grande explication Philippe Meirieu ; en collab. avec Daniel Hameline
- Réussir à l'école : une question d'amour ? Stéphane Clerget
- Etre et devenir réal. de Clara Bellar
Bonne journée.
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