Question d'origine :
Il est aujourdh'ui très connu le fait que Catherine de Médicis ait importé en France la couleur noire pour manifester son deuil, puisqu'anterieurement les reines de France étaient vêtues de blanc. J'aurais souhaité savoir si cette pratique du deuil en blanc était propre aux reines ou à l'ensemble de la société. De plus, j'ai entendu dire que le fils du roi défun devait porter du rouge sous ses habits, est-ce vrai?
Pourriez-vous m'en dire d'avantage sur les pratiques funéraires des monarques français.
Merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 15/04/2005 à 09h44
Un article de l’Encyclopédie Universalis intitulé, Deuil, histoire du costume, fait le point sur cette question :
Dans toutes les sociétés, la mort d'un proche est signifiée par le port du costume de deuil. Défini par l'Encyclopédie, le deuil est entendu au sens large : « Espèce particulière d'habit pour marquer la tristesse qu'on a dans des occasions fâcheuses, surtout dans des funérailles. » Si les modalités de l'expression du deuil varient selon les cultures, quelques constantes se retrouvent : le bannissement des couleurs vives, le retrait temporaire des manifestations de la vie sociale et la plus grande rigueur dans le respect du deuil imposé aux femmes, à la fois dans sa durée et dans le costume.
La diversité des mœurs et des usages suivis par les différentes sociétés émerveille les auteurs de l'Encyclopédie. Ils relèvent que le blanc domine en Orient, mais aussi à Rome, à Sparte, en Castille et dans quantités d'autres régions d'Europe. Les reines de France portent le deuil en blanc jusqu'au xvie siècle : Marie Stuart, Élisabeth d'Autriche et Louise de Lorraine sont les dernières reines blanches ; Anne de Bretagne aurait été la première reine à porter le deuil en noir, imitée par Catherine de Médicis puis par Marie de Médicis et Anne d'Autriche. La dernière souveraine à avoir porté le deuil blanc est la reine Élisabeth d'Angleterre, épouse de George VI : lors de sa visite officielle en France en 1938, après la mort de sa mère, elle porte des vêtements blancs. En outre, le blanc subsiste longtemps pour le deuil des jeunes filles et des enfants, parallèlement à la diffusion du noir. Quant aux rois de France et d'Angleterre, ils portent le deuil en violet ou en pourpre, couleurs royales, encore que Henri VIII ait choisi le blanc à la mort d'Anne Boleyn, qu'il avait fait exécuter.
La généralisation du noir aux XVIe et XVIIe siècles prend sa source à la cour de Bourgogne puis à celle des Habsbourg, qui en sont les héritiers. Cette austérité qui souligne la majesté du pouvoir est la marque de la domination espagnole en Europe et des influences antagonistes de la Réforme et de la Contre-Réforme, qui s'accordent sur la sévérité des mœurs et la rigueur des contraintes sociales. Le noir s'impose comme le contraire du blanc, autre non-couleur, symbole de pureté, puis du mariage. Dans toute l'Europe, le deuil devient d'une extrême sévérité, suivant en cela les ordonnances du deuil de cour français qui font autorité. Après l'hécatombe qui touche les Bourbons, l'ordonnance du Régent (1716, renouvelée en 1730), réduit de moitié la durée des deuils de cour et de famille, ruinaient les manufactures textiles. Le même phénomène s'observe en Angleterre.
Après la Révolution et au XIXe siècle, le deuil n'est plus que convenance personnelle et sociale. Il impose des règles de civilité extrêmement contraignantes jusqu'à la Grande Guerre. Il est divisé alors en trois périodes : le grand deuil, ou deuil de laine ou de crêpe ; le petit deuil, moins sévère, avec autorisation de porter des bijoux en jais et du crêpe blanc ; enfin le demi-deuil, autorisant un retour à la coquetterie et à la mode dans la toilette, dont les couleurs, outre le noir, sont les gris, les blancs et les mauves. Les étoffes sont mates, telles la laine ou le crêpe, caractéristiques du deuil. Le crêpe italien est réputé en Europe dès le XVe siècle, suivi par le crêpe français du XVIIe siècle. Le « crêpe anglais », universellement synonyme de deuil, est lancé dans les années 1830 par Samuel Courtauld et sera fabriqué jusqu'en 1940. Gaze de soie laquée et gaufrée, c'est une étoffe fragile (elle craint l'humidité) et chère. Quant au jais, sa production est industrialisée vers 1850. Le deuil suscite une industrie qui emploie un nombreux personnel féminin dont les conditions de travail, à domicile, sont parmi les plus pénibles de la couture.
Avant l'adoption du noir, toutes les couleurs sombres ou ternes étaient acceptées pour le deuil. Au Moyen Âge, les costumes de deuil, surtout ceux des veuves, sont proches de ceux des ordres monastiques, dont ils adoptent souvent la coupe et les couleurs éteintes en signe de pénitence et d'humilité. Tout changement de vêtement indique un changement de statut social : la veuve se trouve en quelque sorte retranchée de la société (les veufs, eux, ne connaissent pas ces contraintes). N'étant plus assujettie à la mode, ses vêtements sont plus archaïques. Elle se coupe les cheveux, qu'elle cache sous une coiffe en pointe sur le front, dite à la Marie-Stuart en Angleterre, à la Catherine de Médicis en France, et sous un voile qu'elle continue de porter même quand la mode en est passée, comme la reine Victoria ou la reine Mary à la mort de son fils George VI (1952). Sa tenue est modeste, et outre le bonnet et un voile de tête, portés du XIVe siècle à la fin du XVIIe siècle, elle met des barbes en lin ou en mousseline qui encadrent totalement le visage. Au XIXe siècle, le deuil de veuve, le plus restrictif, est de dix-huit mois. Réservé à l'origine au souverain et à l'aristocratie, il devient le fait de toutes les classes de la société, désireuses de suivre l'exemple de la reine Victoria, qui ne quitte plus ses vêtements noirs depuis la mort de son mari (1861). Mortification générale ou recherche paradoxale de l'égalité par le costume, qui proclame la puissance des liens familiaux et des alliances, tout comme le mariage, l'expression du deuil atteint son apogée en Occident dans la seconde moitié du XIXe siècle, avant de disparaître presque totalement dans la seconde moitié du XXe siècle.
L’ouvrage de Michel Vovelle La mort et l’occident, de 1300 à nos jours nous donne quelques éléments sur la diffusion du modèle royal à l’ensemble de la société p. 342-343 :
Reste que ces cortèges de l’âge baroque conduisent à dater plus précisément non l’ «invention » du deuil, mais sa diffusion dans des milieux incontestablement plus modestes qu’auparavant. Le modèle aristocratique s’impose ici encore dans sa démesure […] ; autour du Grand Roi, au fil des deuils qui s’accumulent à la fin du règne de Louis XIV, on passe son temps à « draper » : entendons à prendre les couleurs et les livrées d’un deuil contraignant qui englobe non seulement la famille, mais les dépendants, les obligés, leur « maison » et leurs domestiques… Aussi tard qu’en 1765, codifiant un rituel enraciné, l’Ordre chronologique des deuils de la cour détaille en France dans la plus extrême précision la couleur, la texture des étoffes, la forme des vêtements et des coiffes aussi bien que la durée graduée du « grand » et du « petit deuil », de père, de mère, d’époux ou de parents éloignés. […]
La question se pose ainsi de savoir jusqu’où diffuse ce modèle imposé ou simplement proposé par les puissants. D’une enquête qui reste pour bonne part à mener au niveau plus discret de la pratique quotidienne, retenons l’impression d’une mise en forme poursuivie et continue. Du XVII° au XVIII° siècle, en France comme en Angleterre, gravures et scènes de genre peu nombreuses à la vérité, illustrent le cortège funèbre urbain dans son déploiement. En France, d’une gravure célèbre d’Abraham Bosse au XVII° siècle dans la série des œuvres de miséricorde (Ensevelir les morts) à telle gravure plus leste mais bien enlevée de Picard , au milieu du XVIII° siècle, s’inscrit en même temps qu’une certaine laïcisation du cortège, […],une continuité dans la forme du deuil - longs manteaux, grands chapeaux noirs des hommes qui suivent le cortège […]Si l’on passe de ces témoignages iconographiques à ceux de l’écrit, souvent plus chiches - les testaments moyens ne s’attardent guère sur ces stipulations , peut-être parce qu’elles vont de soi -, c’est dans livres de raison ou les chroniques que se découvrent les indices les plus précis. On y soupçonne un début de mise en forme ou d’uniformisation du deuil, dans les groupes urbains au moins : le noir s’impose généralement ( alors que jusqu’au XVI° siècle pour prendre un exemple, le blanc l’avait concurrencé dans une province comme la Bretagne).
Vous pouvez aussi consulter le site La France pittoresque
François Clouet. Vers 1510/1515-Paris 1572
Marie Stuart, en deuil blanc
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