Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais savoir si vous connaissez des ouvrages, références littéraires sur Cinecitta et en particulier sur la période fasciste.
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 13/10/2014 à 09h23
A partir de la ressource en ligne Encyclopaedia universalis, nous trouvons des éléments pour introduire votre sujet, dans l’article de Jean A. GILI, « ITALIE - Le cinéma » :
«
Arrivé au pouvoir en 1922, le fascisme s'est d'abord peu soucié de la question du cinéma…
…La législation rapidement mise en place vise à l'appropriation des actualités et des documentaires et à la mise sous tutelle, par le canal de la censure, des films de fiction…
…Il faut attendre 1934 pour qu'une politique cohérente d'intérêt pour le cinéma de la part du régime fasciste commence à apparaître. À l'instar des Allemands qui, après l'accession au pouvoir de Hitler, en 1933, ont tout de suite créé un ministère de la Propagande confié à Goebbels, les Italiens se décident à mettre en place, en septembre 1934, un sous-secrétariat d'État pour la Presse et la Propagande. Ce dernier se transforme en ministère en juin 1935 et prend son appellation définitive de ministère de la Culture populaire en mai 1937. Le cinéma lui est rattaché. Dans le cadre d'une dictature, l'industrie cinématographique pouvait être soit nationalisée, soit « encadrée ». L'État opte pour une voie intermédiaire : le cinéma est partagé entre le public et le privé selon un dosage qui laisse, malgré les apparences, la part belle aux entreprises indépendantes.
Le gouvernement – qui a déjà soutenu la création en 1932 du festival de Venise à l'intérieur de la Biennale d'Art – prend l'initiative de créer divers organismes ayant pour fonction de réglementer tous les secteurs de l'activité cinématographique. Cette politique hardie porte ses fruits. Le régime fasciste – le premier sans doute – a compris que dans un pays à population moyenne (comparable à celles de la France, l'Angleterre, l'Allemagne ou l'Espagne), l'étendue du marché – en l'absence d'exportation – ne permet pas de rentabiliser les films grâce à la seule exploitation intérieure. L'État doit donc combler les déficits si l'on veut disposer d'une production continue. Emblématique de cet engagement de l'Etat est l'inauguration en 1937 des célèbres studios de Cinecittà, studios qui accompagnent jusqu'à nos jours l'histoire du cinéma italien…
…Le souci du régime fasciste de relancer la production en choisissant un système mixte, qui fait se côtoyer un secteur d'État et un secteur privé, implique que l'on ne donne pas la priorité aux films de propagande. De fait, les œuvres aux intentions politiques déclarées sont rares : on peut citer Camicia nera de Giovacchino Forzano (1884-1970), film distribué en 1933 pour célébrer – avec un léger retard – le dixième anniversaire de la prise du pouvoir par Mussolini, ou encore Vecchia guardia (1934) d'Alessandro Blasetti (1900-1987), entreprise non dénuée de sincérité dans la représentation des militants fascistes à la veille de la Marche sur Rome. Cette faible mobilisation du cinéma en tant qu'arme de propagande s'explique en partie par l'attitude prudente ou habile de certains dirigeants qui ont compris que, du point de vue politique, un cinéma de consensus est plus efficace qu'un cinéma de combat. Tout au plus propose-t-on aux spectateurs quelques occasions d'enthousiasme programmé à l'égard des conquêtes coloniales. Mais, même dans ce domaine, le ton est rarement triomphaliste. Si on exclut Scipione l'africano de Carmine Gallone (1886-1973), œuvre de circonstance destinée en 1937 à célébrer indirectement, à travers la figure de Scipion, vainqueur de Carthage, celle de Mussolini « fondateur de l'Empire » après la conquête de l'Éthiopie, la plupart des films adoptent un ton mesuré : l'héroïsme le dispute constamment à la nostalgie et au deuil.
Dans un cinéma sans éclat domine l'ordre moral, voulu par les fascistes, soutenu par l'Église qui, depuis les accords du Latran en 1929, a rejoint la société civile. Pays du roi, du pape et du dictateur, l'Italie est triplement verrouillée par une censure tatillonne qui ne laisse rien passer de ce qui pourrait constituer une atteinte aux bonnes mœurs. À cours de sujets, les scénaristes déploient des trésors d'imagination pour bâtir de futiles histoires de collégiennes en émoi devant les premiers troubles de la sexualité, de jeunes filles à la recherche d'un bon mari, d'épouses ou d'époux que rongent d'inutiles jalousies, de parents soucieux de l'avenir de leurs enfants, de chastes fiancés qui attendent une promotion pour épouser la jeune fille de leurs pensées. Ces films à l'eau de rose – surnommés « les téléphones blancs » – restent agréables à regarder car ils sont portés par d'excellents comédiens, une mise en scène élégante, une technique irréprochable, notamment en matière de photographie et de décors… »
A propos de la bibliographie citée en annexe, nous possédons les livres suivants concernant la période :
Le cinéma italien de "La prise de Rome" (1905) à "Rome ville ouverte" (1945)
L'Italie de Mussolini et son cinéma / Jean A. Gili
Le cinéma italien / Jean A. Gili; préface d'Ettore Scola, éd. La Martinière, 2011
Un Altra Italia : pour une histoire du cinéma italien / sous la dir. de Sergio Toffetti
Au moins deux communications évoquent l’épisode fasciste :
« Cinéma et histoire sous le Vésuve (de 1930 à nos jours) » par Mirco Melanco
« À partir de 1931, après l'entrée en vigueur de la première loi sur le cinéma, l'adaptation des studios aux nouvelles techniques d'enregistrement du parlant a lieu à Rome, avec pour effet immédiat la disparition quasi totale de Naples de la géographie productive du cinéma italien ; la ville demeure un lieu central dans l'imaginaire cinématographique, mais la reconstruction scénique se fait de plus en plus dans les studios de Cinecittà... »
et
« Les raffinés et les rustres : la parole et le geste dans le cinéma italien des années trente » par Andrea Martini
« … Nous sommes à la fin de 1927, donc à la veille de la révolution du sonore. On exalte en fait, avec bien du retard, les ressources d'un art dans sa phase terminale. Malgré le peu de sensibilité dont avait fait preuve la caste des écrivains par le passé, ceux-ci s'engagent à tous les niveaux dans la production cinématographique des années trente". Conséquence logique, apparemment, puisqu'il faut forger pour l'occasion une langue nationale (dans ce pays linguistiquement morcelé) ; volonté du régime fasciste qui trouve dans la nouvelle cinématographie le moyen d’exercer son emprise sur les extravagants, c'est-à-dire les sujets incontrôlables, potentiels esprits de fronde …
…À cause notamment d'une certaine propension aux classifications idéologiques, on s'est longtemps obstiné à se demander quel rôle avait eu la comédie dans le jeu des "rapports entre le régime fasciste et le cinéma. Il est plausible, bien sûr, que ce genre gigantesque, qui finit par absorber grosso modo la moitié de la production nationale, ait pu offrir au régime l'occasion de « contrôler» l'imaginaire de la nouvelle société qui était en train de se former... »
Dans le livre Cinecittà / de Federico Fellini, on trouve la reproduction en noir et blanc de l’affiche qui place Cinecittà au nombre des instruments de propagande du fascisme, ainsi qu’un plan d’époque en couleur de l’établissement et une photo de l’inauguration de la Cinecittà par Mussolini, le 27 avril 1937, avec la légende suivante :
« Mussolini inaugure Cinecittà le 27 avril 1937, l'après-midi, avec gérarques, drapeaux, fanfares, enfants en uniforme, ouvriers encadrés militairement, généraux et députés.
Le quotidien romain Giornale d'Italia écrit : « Le Duce, après avoir traversé la grande place qui forme la vaste et lumineuse entrée de la Cité cinématographique, a assisté au début du film Elévation, scénanio de Vittorio Mussolini, et du film Aviation, qui sera tourné avec la supervision de Vittorio Mussolini lui-même… Le Duce a ensuite assisté à la synchronisation du film Scipion l'Africain… »
Le slogan mussolinien, « La cinématographie est l'arme la plus forte », reprend un slogan léniniste analogue. »
En fin d’ouvrage, une chronologie expose les faits marquants qui ont pris place à la Cinecittà, depuis sa création, et la filmographie complète des films tournés dans ce lieu, de 1937 à 1987.
Le livre Le cinéma italien à l'ombre des faisceaux : (1922-1945) / Jean A. Gili est constitué d’entretiens de l’auteur avec 14 protagonistes du cinéma italien à l’époque fasciste, 1922-1945 : les cinéastes Alessandro Blasetti, Mario Camerini, Luigi Chiarini, Alberto Lattuada, les scénaristes Sergio Amidei, Ivo Perilli, Cesare Zavattini, les écrivains Italo Calvino, Alberto Moravia, les comédiens Peppino De Filippo, Isa Miranda, les producteurs ou responsables administratifs, Alfredo Guarini, Eitel Monaco, Vittorio Mussolini.
Avec le livre Le péplum italien, 1946-1966 : grandeur et décadence d'une Antiquité populaire, Florent Fourcart, dans son chapitre intitulé « L’Antiquité à l’épreuve du fascisme », nous offre ces réflexions :
« … Assez curieusement, malgré l'omniprésente utilisation d'une Antiquité romaine fantasmée dans la propagande, les autorités fascistes ne semblent pas avoir considéré le péplum comme un instrument assez puissant pour la mobilisation nationale. La menace de la censure et le danger de la diffusion d'une image décadente et corrompue de l'Antiquité rendent réticents les producteurs de plus en plus soumis à l'appareil étatique. Entre 1929 et 1939, force est de constater qu'un seul film à l'Antique est produit : Scipion l'Africain (Scipione l'Africano), en 1937. L'ambitieuse fresque de
Carmine Gallone, destinée à célébrer la création de Cinecittà, est un parfait reflet de la politique extérieure du Duce. Le film tient à démontrer que, face à la menace assez métaphorique des «barbares» carthaginois et de leurs mercenaires, le réflexe offensif et le ralliement à la figure du chef de guerre charismatique sont nécessaires à la survie et à la grandeur de l'empire fasciste. On se doute qu'en pleine campagne d'invasion de l'Érythrée, le film dut rencontrer un écho tout à fait contemporain auprès des spectateurs. Mais, au-delà de l'aspect idéologique du film de Gallone, Scipion l'Africain est symptomatique d'une tendance qui ne se reniera plus dans les décennies suivantes : l'imitation du modèle hollywoodien. Un des objectifs des cinéastes spécialistes du film d'aventures de l'époque va consister à se hisser, en fonction de leurs moyens, au niveau des grandes productions américaines… »
Le livre Italie / Olivier Doubre, Jean-Claude Renard, apporte quelques précisions supplémentaires :
« Le régime fasciste crée l'Instituto Luce, société nationale chargée de soutenir et subventionner le septième art, qui jamais n'évoque les luttes idéologiques, se tenant à distance des réalités historiques, politiques, quotidiennes. À l'exception peut-être de Vecchia Guardia, d'Alessandro Blasetti (1935), évoquant la «marche sur Rome» d'octobre 1922, toute une petite société dominée par l'intimidation, la violence. Le régime préfère alors le mélodrame mièvre, la superproduction, comme Scipion l'Africain de Carmine Gallone (1937), et la comédie, où se distingue cependant Maddalena zero in condotta, de Vittorio De Sica (1942). Des films imprégnés d'ordre moral, surnommés les «téléphones blancs» - l'appareil occupe toujours au moins un plan du film.
En 1932, Venise ouvre son premier festival. En 1935 est fondé à Rome le Centro Sperimentale, l'école nationale de cinéma, où séjourneront notamment Antonioni, De Santis et Germi. Puis Mussolini inaugure, en avril 1937, aux portes de Rome, Cinecittà, de vastes studios ultramodernes dont il a l'intention de faire un instrument du régime. À partir de 1938, la politique d'autarcie menée par le Duce met fin aux importations. Quatre ans plus tard, avec 120 films, l'Italie se hisse au troisième rang européen en termes de productions.
À défaut de pouvoir critiquer ouvertement la société, quelques réalisateurs se réfugient dans le formalisme, un mouvement nommé « calligraphique », hors du temps, adaptant des œuvres littéraires, évoquant des mondes figés ou hantés, parallèles, un genre où s'illustrent Mario Soldati, Alberto Lattuada, Renato Castellani ou Luigi Chiarini.
Parallèlement émergent des œuvres plus aux prises avec le concret, prémices du néoréalisme : Quatre pas dans les nuages d'Alessandro Blasetti (1942) - dont le titre renvoie d'emblée à Quai des brumes, de Carné (1938), articulé autour d'un personnage de fille-mère, bête noire de la morale fasciste -, Les enfants nous regardent, de Vittorio De Sica (1944), dénonçant la répression sexuelle qui pèse sur la société, et surtout Ossessione, de Luchino Visconti (1943), d'après le roman de James Cain Le facteur sonne toujours deux fois, déployé dans un langage instinctif, âpre, affrontant tous les tabous : le chômage, l'adultère, le crime passionnel et, en filigrane, l'homosexualité. Un film très vite censuré par les autorités. »
En ce qui concerne les références littéraires, voici quelques livres référencés sur la base Electre :
Cinecittà / scénario Denis Lapière ; dessin Michel Constant ; couleurs Béa Constant & Laurent Carpentier
« Engagé dans les studios de CineCittá pour servir de doublure à la star masculine du moment, Mauro fait la rencontre de la belle Cindy, une jeune actrice qui rêve d'Hollywood.
Mais si le monde du cinéma fait naître les rêves, il plonge aussi ses acteurs dans des abîmes de stupeur lorsque le sinistre « Dottore » refait surface...
Entre Mafia et Ferrari, les aventures de Mauro Caldi nous font revivre les années 50 à l'italienne. »
Cinecittà / Thierry Debroux
« Rome 1981. Un jeune homme rencontre son grand-père qu'il n'a jamais vu et dont la famille était sans nouvelle depuis cinquante ans. Ces deux êtres ont partagé, sans le savoir, le même rêve : devenir vedette de cinéma. L'un est à la fin de sa vie et n'a rien réussi, l'autre commence, bouleversé par l'image de ce vieil homme qui a traversé les grands films français des années 30 et 40... mais en tant que figurant seulement. »
L'écran déchiré / Christian Rome
« Après La danse du Jaguar, le nouveau roman de Christian Rome nous entraîne, de Hollywood à Cinecittà, dans les coulisses de «l'usine à rêves», au temps du maccarthysme. »
Une table chez Romanoff / Jacques Bergerac, Denis Lalanne
« Au début des années 50, Jacques Bergerac, jeune Basque employé dans un hôtel, se voit proposer un contrat à Hollywood. Il épouse Ginger Rogers puis Dorothy Malone, séduit d'autres stars, tourne une trentaine de films, mouche Humphrey Bogart, etc. Quand les étoiles s'éteignent en Californie, le French lover part pour la Cinecitta de Rome puis devient le PDG pour l'Europe d'une marque de parfums. »
Saga / Tonino Benacquista
« Nous étions quatre : Louis avait usé sa vie à Cinecittà, Jérôme voulait conquérir Hollywood, Mathilde avait écrit en vain trente-deux romans d'amour, et Marco aurait fait n'importe quoi pour être scénariste. »
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