Légendes arthuriennes
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 08/07/2014 à 14h10
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Question d'origine :
Le Cheval de Gauvain, "Gringalet", a-t-il des pouvoirs magiques ? Lesquels ?
Je vous remercie.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 10/07/2014 à 09h36
Bonjour,
Le Gringalet ou Gingalet (nom issu du gallois Keinkaled, composé de Kein « beau » et kaled « dur, vigoureux ») ne semble pas posséder d’attribut spécifique en dehors d’être la meilleure des montures, à l’image de son cavalier, le meilleur des chevaliers. Il s’illustre particulièrement lors du franchissement du Gué Périlleux, évitant par son énergie d’être emporté dans les flots noirs et tumultueux où Gauvain, ayant mal apprécié les distances et mal pris son élan, avait chuté.
Source : Le serpent, la femme et l'épée: recherches sur l'imagination symbolique d'un romancier médiéval, Chrétien de Troyes, Gérard Chandès
Dans L'imaginaire d'un romancier français de la fin du XIIe siècle: description raisonnée, comparée et commentée de la Continuation-Gauvain : première suite du Conte du Graal de Chrétien de Troyes, Pierre Gallais précise que le cheval n’a pas de symbolique particulière chez Chrétien de Troyes :
Quant à la symbolique du cheval, il serait tout à fait vain d’en chercher trace dans la Continuation-Gauvain. Le cheval est le cheval et il ne représente rien d’autre. Il n’a absolument rien d’emblématique. Le Gringalet est le meilleur cheval du monde, comme Gauvain en est le meilleur chevalier. L’adéquation est toujours complète entre l’homme et sa monture, et le destrier du Petit Chevalier est à sa mesure, merveilleusement petit (L 8806-07) – Guiot l’a oublié lorsque, la seconde fois, il les compare à singe sor somier (A 9174), au lieu de singe sor levrier (MQ fait la même erreur). Jamais la moindre discordance entre le cheval et le chevalier – au contraire de ce qui peut s’observer ailleurs, pour le pire (Perceval, furieux contre son cheval et lui coupant la tête, dans la Seconde Continuation, v. 9692-703), ou le moins bon (Lancelot plongé dans sa rêverie et que son cheval assoiffé mène directement au gué défendu), ou le meilleur (le Gringalet sortant Gauvain du Gué Périlleux, à la fin du Conte du Graal). Une seule exception : le destrier du Chevalier inconnu, que Gauvain ne réussit pas à retenir lorsque l’animal veut galoper jusqu’à la mer (L 7109-11) et, surtout, s’engager sur la caucie (7140-44) ; même là, le cheval ne « symbolise » rien : nous sommes en plein « merveilleux », et ce cheval est « merveilleux », animé d’une résistance, d’une volonté et d’une « science » extra-naturelles – dont la « raison » nous échappe complètement, ainsi qu’elle l’a fait à l’auteur.
Toutefois il semble que le Gringalet, dans une version tardive, possède une origine féérique : d’après le Roman d’Escanor de Girart d’Amiens, avant d’être pris par Gauvain, il appartenait à Escanor le Bel, auquel un nain, Belinor, l’avait remis de la part de son amie, la fée Esclarmonde.
Source : Le nain et le chevalier: Essai sur les nains français du moyen âge, Anne Martineau
Dans une autre version, la Suite-Vulgate, Gauvain prend le Gringalet au roi saxon Clarion, adversaire d’Arthur, et déclare qu’il ne voudrait pas échanger son nouveau cheval contre le château de Glouchedon. Aucune origine féérique n’y est mentionnée.
Mais d’après Richard Trachlser, dans Le Cheval dans le Monde Médiéval, le Gringalet possède bien certaines qualités propres au cheval fae :
Je verrais cependant un lien entre le Gringalet tel qu’il figure dans la Suite-Vulgate et le Livre d’Artus et un cheval épique particulier : il s’agit de Bayart, le plus célèbre de tous les chevaux. Dans la dernière partie de cet exposé, je tâcherai donc de montrer les rapports qui peuvent exister entre lui et le Gringalet, d’abord celui des romans en prose et puis avec le Gringalet mis en scène par Girart d’Amiens.
Mon point de départ sera la description du Gringalet de la Suite-Vulgate citée plus haut :
Car li contes dist que por .x. lieues coure ne li batissent ja li flanc ne li costé ne ja poel ne l’en suast sor la crupe ne sor l’espaule. (339, II. 35-38)
F. Dubost, dans sa thèse récente, a relevé un certain nombre de traits qui constituent le cheval faé ; l’endurance marquée par l’absence de sueur en est un : à part Broiefort, le cheval d’Ogier, et Bayait, de telles montures apparaissent dans Fierabras et Bueve.
Un autre point en commun entre le Gringalet et le cheval faé est la couleur : nous avons vu que l’étymologie de "Gringalet" proposée par les spécialistes renvoyait plutôt à un cheval blanc, ce qui est la couleur habituelle d’un cheval surnaturel dans le domaine celte, comme Loomis n’a pas manqué de faire remarquer. F. Dubost, de son côté, souligne que la robe blanche du cheval des légendes, annonciateur de malheurs, devait justement être abandonnée, au profit d’un roux indécis, dans le cas de Bayart pour qu’il puisse passer pour une "monture bénéfique" Le Bayait primitif, si l’on peut dire, est donc de la même couleur que le Gringalet.
On pourrait aussi ajouter le très violent hennissement du Gringalet de la Suite-Vulgate qui n’est pas sans rappeler celui de Bayart qui déchire le silence nocturne de l’Ile Fumante dans le Maugis d’Aigremont.
Reste la façon dont on entre, dans l’épopée, en possession du cheval : le mode le plus normal, pour ainsi dire, c’est la conquête. On conquiert habituellement le cheval sur un ennemi particulièrement prestigieux, dans la chanson de geste, sur un païen. Ce sont des chevaux qui viennent d’ailleurs, qui ont appartenu à l’autre, comme le Gringalet de la Suite-Vulgate, s’apparentant de par leur origine aux chevaux faés. De là à la conquête du cheval sur des puissances surnaturelles, il n’y a qu’un pas. Tel est le cas de Maugis d’Aigremont qui obtient Bayart en combattant démons et dragons. Mais Maugis n’agit pas tout seul, et c’est ici que j’essayerai de revenir à Escanor : Maugis, dans un premier temps, est guidé par la fée Oriande, qui l’a élevé et dont il est aussi l’amant. Elle lui parle du cheval et des dangers qui l’entourent et lui accorde la permission de tenter l’aventure :
Amis, ce dit la fee, il vos est otroiez.
Alez hardïement, ne soiez esmaiez.
49On peut interpréter cela comme un don. En tout cas, le don du cheval par une fée deviendra assez courant dans la chanson de geste : on a notamment des passages assez curieux dans certaines versions de Renaut de Montauban, qui constitue, après Vivien de Monbranc, la suite chronologique de Maugis d’Aigremont, racontant les aventures de Bayart avec son nouveau maître Renaut. On y lit (c’est Renaut qui parle) :
Ja mengerons Baiart a la crupe truillee
qu’en espaus [forêt] me dona Oriende la fee
Comme si c’était Oriande qui lui avait fait don de sa monture. Un autre manuscrit (C, v. 1921) donne pour le vers correspondant "Que l’autrier me donna Orguellouse la fee". Ce même manuscrit a déjà associé (v. 57) Bayart à Morgue une fois. C’est elle qui s’en serait occupée quand il était petit.
Et dans le Bâtard de Bouillon, c’est Arthur en tant que roi de Féerie, assisté d’ailleurs par Oriande, qui confie a Hugues de Tabarie le cheval Blanchard.
De tout cela on peut légitimement conclure qu’il existait, à l’époque où écrivait Girart d’Amiens, une tradition littéraire du don du cheval par une fée. Le nom propre "Esclarmonde" utilisé dans Escanor prouve qu’il connaissait la tradition épique, car "Esclarmonde" renvoie évidemment à Huon de Bordeaux et ses suites, les seuls textes où elle ait le statut de fée. Son nom apparaît bien entendu aussi dans les oeuvres autour de Renaut de Montauban, mais elle y est, comme d’ailleurs dans Huon de Bordeaux même, simplement une païenne convertie. On peut être presque sûr que Girart d’Amiens connaissait les deux cycles, car il utilise, dans son Méliacin, le nom d’Oriande.
Conclusions
En conclusion on peut penser que le don du Gringalet, dans Escanor, est le don du cheval épique, faé, calqué sur le don de Bayart et réutilisant peut-être une tradition du folklore. Cela constitue donc le cas assez intéressant d’un récit étiologique puisé dans un autre genre littéraire. Seulement, en passant d’un genre à l’autre, le cheval faé perd son caractère, il abandonne toutes ses qualités fantastiques et rentre dans les rangs des autres chevaux des romans arthuriens en vers : comme Passelande, Morel, Passebreuil et d’autres, il ne sera plus qu’un nom, prestigieux certes, mais plus un personnage narratif.
Source : Qui a donné le Gringalet à Gauvain ? À propos d’un épisode d’Escanor de Girart d’Amiens, Richard Trachsler
Le Gringalet ou Gingalet (nom issu du gallois Keinkaled, composé de Kein « beau » et kaled « dur, vigoureux ») ne semble pas posséder d’attribut spécifique en dehors d’être la meilleure des montures, à l’image de son cavalier, le meilleur des chevaliers. Il s’illustre particulièrement lors du franchissement du Gué Périlleux, évitant par son énergie d’être emporté dans les flots noirs et tumultueux où Gauvain, ayant mal apprécié les distances et mal pris son élan, avait chuté.
Source : Le serpent, la femme et l'épée: recherches sur l'imagination symbolique d'un romancier médiéval, Chrétien de Troyes, Gérard Chandès
Dans L'imaginaire d'un romancier français de la fin du XIIe siècle: description raisonnée, comparée et commentée de la Continuation-Gauvain : première suite du Conte du Graal de Chrétien de Troyes, Pierre Gallais précise que le cheval n’a pas de symbolique particulière chez Chrétien de Troyes :
Quant à la symbolique du cheval, il serait tout à fait vain d’en chercher trace dans la Continuation-Gauvain. Le cheval est le cheval et il ne représente rien d’autre. Il n’a absolument rien d’emblématique. Le Gringalet est le meilleur cheval du monde, comme Gauvain en est le meilleur chevalier. L’adéquation est toujours complète entre l’homme et sa monture, et le destrier du Petit Chevalier est à sa mesure, merveilleusement petit (L 8806-07) – Guiot l’a oublié lorsque, la seconde fois, il les compare à singe sor somier (A 9174), au lieu de singe sor levrier (MQ fait la même erreur). Jamais la moindre discordance entre le cheval et le chevalier – au contraire de ce qui peut s’observer ailleurs, pour le pire (Perceval, furieux contre son cheval et lui coupant la tête, dans la Seconde Continuation, v. 9692-703), ou le moins bon (Lancelot plongé dans sa rêverie et que son cheval assoiffé mène directement au gué défendu), ou le meilleur (le Gringalet sortant Gauvain du Gué Périlleux, à la fin du Conte du Graal). Une seule exception : le destrier du Chevalier inconnu, que Gauvain ne réussit pas à retenir lorsque l’animal veut galoper jusqu’à la mer (L 7109-11) et, surtout, s’engager sur la caucie (7140-44) ; même là, le cheval ne « symbolise » rien : nous sommes en plein « merveilleux », et ce cheval est « merveilleux », animé d’une résistance, d’une volonté et d’une « science » extra-naturelles – dont la « raison » nous échappe complètement, ainsi qu’elle l’a fait à l’auteur.
Toutefois il semble que le Gringalet, dans une version tardive, possède une origine féérique : d’après le Roman d’Escanor de Girart d’Amiens, avant d’être pris par Gauvain, il appartenait à Escanor le Bel, auquel un nain, Belinor, l’avait remis de la part de son amie, la fée Esclarmonde.
Source : Le nain et le chevalier: Essai sur les nains français du moyen âge, Anne Martineau
Dans une autre version, la Suite-Vulgate, Gauvain prend le Gringalet au roi saxon Clarion, adversaire d’Arthur, et déclare qu’il ne voudrait pas échanger son nouveau cheval contre le château de Glouchedon. Aucune origine féérique n’y est mentionnée.
Mais d’après Richard Trachlser, dans Le Cheval dans le Monde Médiéval, le Gringalet possède bien certaines qualités propres au cheval fae :
Je verrais cependant un lien entre le Gringalet tel qu’il figure dans la Suite-Vulgate et le Livre d’Artus et un cheval épique particulier : il s’agit de Bayart, le plus célèbre de tous les chevaux. Dans la dernière partie de cet exposé, je tâcherai donc de montrer les rapports qui peuvent exister entre lui et le Gringalet, d’abord celui des romans en prose et puis avec le Gringalet mis en scène par Girart d’Amiens.
Mon point de départ sera la description du Gringalet de la Suite-Vulgate citée plus haut :
Car li contes dist que por .x. lieues coure ne li batissent ja li flanc ne li costé ne ja poel ne l’en suast sor la crupe ne sor l’espaule. (339, II. 35-38)
F. Dubost, dans sa thèse récente, a relevé un certain nombre de traits qui constituent le cheval faé ; l’endurance marquée par l’absence de sueur en est un : à part Broiefort, le cheval d’Ogier, et Bayait, de telles montures apparaissent dans Fierabras et Bueve.
Un autre point en commun entre le Gringalet et le cheval faé est la couleur : nous avons vu que l’étymologie de "Gringalet" proposée par les spécialistes renvoyait plutôt à un cheval blanc, ce qui est la couleur habituelle d’un cheval surnaturel dans le domaine celte, comme Loomis n’a pas manqué de faire remarquer. F. Dubost, de son côté, souligne que la robe blanche du cheval des légendes, annonciateur de malheurs, devait justement être abandonnée, au profit d’un roux indécis, dans le cas de Bayart pour qu’il puisse passer pour une "monture bénéfique" Le Bayait primitif, si l’on peut dire, est donc de la même couleur que le Gringalet.
On pourrait aussi ajouter le très violent hennissement du Gringalet de la Suite-Vulgate qui n’est pas sans rappeler celui de Bayart qui déchire le silence nocturne de l’Ile Fumante dans le Maugis d’Aigremont.
Reste la façon dont on entre, dans l’épopée, en possession du cheval : le mode le plus normal, pour ainsi dire, c’est la conquête. On conquiert habituellement le cheval sur un ennemi particulièrement prestigieux, dans la chanson de geste, sur un païen. Ce sont des chevaux qui viennent d’ailleurs, qui ont appartenu à l’autre, comme le Gringalet de la Suite-Vulgate, s’apparentant de par leur origine aux chevaux faés. De là à la conquête du cheval sur des puissances surnaturelles, il n’y a qu’un pas. Tel est le cas de Maugis d’Aigremont qui obtient Bayart en combattant démons et dragons. Mais Maugis n’agit pas tout seul, et c’est ici que j’essayerai de revenir à Escanor : Maugis, dans un premier temps, est guidé par la fée Oriande, qui l’a élevé et dont il est aussi l’amant. Elle lui parle du cheval et des dangers qui l’entourent et lui accorde la permission de tenter l’aventure :
Amis, ce dit la fee, il vos est otroiez.
Alez hardïement, ne soiez esmaiez.
49On peut interpréter cela comme un don. En tout cas, le don du cheval par une fée deviendra assez courant dans la chanson de geste : on a notamment des passages assez curieux dans certaines versions de Renaut de Montauban, qui constitue, après Vivien de Monbranc, la suite chronologique de Maugis d’Aigremont, racontant les aventures de Bayart avec son nouveau maître Renaut. On y lit (c’est Renaut qui parle) :
Ja mengerons Baiart a la crupe truillee
qu’en espaus [forêt] me dona Oriende la fee
Comme si c’était Oriande qui lui avait fait don de sa monture. Un autre manuscrit (C, v. 1921) donne pour le vers correspondant "Que l’autrier me donna Orguellouse la fee". Ce même manuscrit a déjà associé (v. 57) Bayart à Morgue une fois. C’est elle qui s’en serait occupée quand il était petit.
Et dans le Bâtard de Bouillon, c’est Arthur en tant que roi de Féerie, assisté d’ailleurs par Oriande, qui confie a Hugues de Tabarie le cheval Blanchard.
De tout cela on peut légitimement conclure qu’il existait, à l’époque où écrivait Girart d’Amiens, une tradition littéraire du don du cheval par une fée. Le nom propre "Esclarmonde" utilisé dans Escanor prouve qu’il connaissait la tradition épique, car "Esclarmonde" renvoie évidemment à Huon de Bordeaux et ses suites, les seuls textes où elle ait le statut de fée. Son nom apparaît bien entendu aussi dans les oeuvres autour de Renaut de Montauban, mais elle y est, comme d’ailleurs dans Huon de Bordeaux même, simplement une païenne convertie. On peut être presque sûr que Girart d’Amiens connaissait les deux cycles, car il utilise, dans son Méliacin, le nom d’Oriande.
Conclusions
En conclusion on peut penser que le don du Gringalet, dans Escanor, est le don du cheval épique, faé, calqué sur le don de Bayart et réutilisant peut-être une tradition du folklore. Cela constitue donc le cas assez intéressant d’un récit étiologique puisé dans un autre genre littéraire. Seulement, en passant d’un genre à l’autre, le cheval faé perd son caractère, il abandonne toutes ses qualités fantastiques et rentre dans les rangs des autres chevaux des romans arthuriens en vers : comme Passelande, Morel, Passebreuil et d’autres, il ne sera plus qu’un nom, prestigieux certes, mais plus un personnage narratif.
Source : Qui a donné le Gringalet à Gauvain ? À propos d’un épisode d’Escanor de Girart d’Amiens, Richard Trachsler
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