Livres et personnes sourdes
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 29/04/2014 à 13h20
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Question d'origine :
Bonjour,
J'ai travaillé pour un festival de littérature, notamment sur le volet "ouverture et accessibilité aux personnes sourdes et malentendantes". Certains professionnels avec qui j'ai interagi à ce propos (enseignants LSF, notamment) ont été surpris de cette ouverture. En effet, selon eux et d'après leur expérience du terrain, "les personnes sourdes ne lisent pas et sont très peu intéressées par la lecture". Ceci serait du au fait que la lecture est difficile pour un non-entendant.
En revanche, pour d'autres professionnels, de telles informations sont incorrectes.
Savez-vous s'il existe des données, des statistiques ou des études concernant les pratiques de lectures des personnes sourdes (selon leur degré de déficience auditive, leur génération, leur milieu, etc.) ? ou où est-ce que je pourrais trouver ce genre de renseignements ?
Merci d'avance !
Claire
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 30/04/2014 à 13h41
Bonjour,
En effet, l'apprentissage de la lecture et de l'écrit présente de grandes difficultés pour les personnes sourdes, car il se base sur l'oralité :
Il y a actuellement quatre millions de sourds en France, de tous âges. À peu près la moitié d’entre eux sont devenus sourds à la suite d’une maladie ou d’un accident, ou bien en raison du vieillissement. L’enquête nationale 2003 sur les « publics empêchés » montre qu’en France, très peu de bibliothèques parviennent à mettre en place des actions en direction des publics sourds, même si elles en ont le projet. Les sourds ne s’y sentent donc pas « accueillis » et évitent ces lieux qui leur rappellent leurs échecs. Les obstacles que rencontrent les bibliothèques sont à la fois techniques, financiers, de « priorités » qui sont autres, et aussi dus à la non-connaissance des réalités que vivent les personnes sourdes.
La plupart des jeunes sourds ont connu des situations tragiques d’échec scolaire, parce qu’on a voulu les maintenir au moins un certain temps dans le circuit scolaire classique. Ils ont aussi connu l’isolement, l’absence de lien avec la lecture et son sens, très peu de contact avec le « culturel » en général. De plus, « l’oralisation », à laquelle on a longtemps voulu les forcer, est massivement un échec.
Ce n’est qu’en 1980 que Françoise Dolto a soutenu l’idée de créer des écoles spéciales pour sourds, bilingues en français et langue des signes. Et ce n’est qu’en 1993 que la « loi Fabius » reconnaît officiellement la Langue des signes française (LSF).
Un illettrisme massif
Pourquoi les sourds ne peuvent-ils pas accéder à la lecture de l’écrit ? Pour deux raisons qui sont liées :
– dès le cours préparatoire, on commence l’apprentissage de la lecture en oralisant (les sons, les syllabes…) et non pas en lisant « dans sa tête » ;
– la langue écrite telle qu’elle est dans notre alphabet reproduit les sons de la langue parlée : on sait parler avant de savoir lire, et on ne comprend l’écrit que parce qu’il correspond à ce que nous disons. Pour les sourds, ce qui est écrit ne « correspond » à rien.
Parmi les deux millions de personnes nées sourdes, l’illettrisme est massif. Qui sait en France que 80 % des sourds sont en situation d’illettrisme ? Impossible pour eux de lire un journal ou même une affiche ; déchiffrer un document administratif est totalement inenvisageable. En outre, quand les parents eux-mêmes sont sourds, ils ne peuvent aider leurs enfants à accéder à l’écrit, ni à faire leurs devoirs scolaires. En fait, chaque sourd qui fait l’effort d’essayer d’apprendre à lire doit trouver des « trucs » ou stratégies personnelles pour accéder au sens des indications écrites. C’est épuisant, difficile, et source de contresens fréquents : la LSF et la langue française orale ont des structures totalement différentes, il est impossible de les faire « coïncider » de façon linéaire.
Il y a environ 800 000 sourds qui signent actuellement, tous illettrés. Leurs problèmes les plus fréquents sont : un grand sentiment d’insécurité, une absence d’informations sur leurs droits et sur leur environnement en général, une dépendance constante pour un grand nombre d’activités de la vie quotidienne. Leur handicap « social » est en fait double : d’une part la surdité en elle-même, d’autre part un très mauvais niveau en français.
Source : Bibliothèque, lecture et surdité, Bulletin des Bibliothèques de France
On trouve de nombreuses ressources qui se penchent sur le problème de l’apprentissage de la lecture-écriture pour les sourds et malentendants :
La revue trimestrielle de l’Association Française pour la Lecture, Les Actes de lecture, a publié plusieurs articles au sujet de l’écrit et de la surdité, que vous pouvez consulter en ligne.
Toujours en 2002 s’est tenu lecolloque Lecture et Surdité , dont le n°80 de la revue Les Actes de lecture rend compte à travers un dossier accessible en ligne.
Un autre colloque sur le même thème a eu lieu en 2008. Plusieurs interventions sont téléchargeables sur le site du Centre d’Information sur la Surdité (Cis), ainsi que de nombreuses autres ressources sur la lecture et l’illettrisme et des statistiques sur le handicap et la surdité en France.
On trouve sur le site de l’Université Paris V des fiches rédigées par Josette Chalude, fondatrice de l’Association Nationale de Parents d’Enfants déficients auditifs, ainsi qu’une bibliographie sur le thème de l’apprentissage de la lecture et de la surdité :
Un thème dont une documentation pédagogique pléthorique ne vient pas à bout se traite difficilement en quelques lignes.. Eviter les approches réductrices et la langue de bois suppose, à tout le moins, que notre objet soit clairement identifié. La « surdité » dont il sera question ici est une perte auditive suffisamment grave et précoce pour qu’un enfant - sauf à bénéficier sans retard de mesures éducatives appropriées – soit inéluctablement menacé d’exclusion sociale.
L’éducation « appropriée », objet de nos travaux et de nos incertitudes, a inspiré de vives controverses car depuis des décennies, les pays développés tentent d'intégrer dans l'éducation des sourds-muets de naguère des données nouvelles liées aux avancées scientifiques et techniques. Celles-ci ont un fondement commun : la nécessité d'offrir à l'enfant un environnement capable de l'introduire le plus précocement possible – afin de pouvoir exploiter la grande plasticité neuronale du premier âge - dans des apprentissages qui vont constituer le socle de son développement psychique et linguistique. Ainsi s’est ouvert un vaste champ de pratiques audio-vocales liées à la précocité grandissante du diagnostic, aux rapides progrès de l’appareillage prothétique et au rôle déterminant de l’entourage - en particulier du milieu familial - dans l’amorce et le développement des compétences langagières.
Le glissement sémantique de « surdi-mutité » à « surdité pré-linguale » caractérise cette période dite « oraliste », où l’on s’est évertué à doter les enfants sourds de la parole. Quoi qu’il en soit des insuffisances pionnières, il devenait possible, dès les années 70, de faire pour quelques-uns le pari de l’intégration en classe ordinaire et d’ouvrir les premières classes de sixième. Le niveau scolaire s’étant corrélativement amélioré, des dizaines d’étudiants sourds, à la fin du millénaire, avaient accédé à des études supérieures.
Comment, dès lors, interpréter un rapport récent selon lequel 80 % des sourds profonds sortiraient illettrés du système éducatif ? Ce même rapport soulignait pourtant la présence dans l’enseignement supérieur d’étudiants sourds n’ayant jamais suivi une scolarité spécialisée. Le rapprochement de ces deux faits n’est pas fortuit : les enseignants qui ont mission d’aider un enfant sourd à entrer dans la lecture devraient toujours être avertis de l’extrême disparité des mécanismes de « vicariance » que cet enfant a pu mettre en œuvre.
Certes, des facteurs intrinsèques l’expliquent en partie, notamment le degré de perte auditive. Car les chances de l’ enfant de s’approprier la langue écrite seront d’autant meilleures qu’il aura bénéficié d’ une dynamique d’apprentissage de la langue parlée. « Lire, c’est reconnaître sous une autre forme une langue qu’on connaît déjà », soulignait Alain Bentolila, au colloque ACFOS 2. La difficulté de s’approprier la langue orale constitue l’obstacle majeur des jeunes sourds dans leur accès à la langue écrite, indépendamment des écueils que peuvent rencontrer les petits « entendants ».. Cet exercice de haute voltige chez un enfant sourd profond exige que l’on sollicite toutes ses ressources sensori-motrices. « Une des plus grosses erreurs faites par les théoriciens de la langue orale, c’est d’oublier que la première communication est toujours polysensorielle » remarque Frédéric François dans un exposé d’une rare clarté sur l’appropriation d’une langue par l’enfant.
Aider un petit sourd « pré-lingual » à donner sens au message linguistique et à devenir acteur dans la communication implique exige des comportements adaptés, dans les meilleurs délais, et de recourir à toutes les ressources de symbolisation : mimique, gestes naturels, théâtralisation, image, dessin, tous les jeux de « comme si .. ». La pratique de la langue des signes, durant cette phase ludique des rapports de l’enfant à son milieu, est dès lors un précieux atout pour amorcer la communication. Dans une certaine mesure, elle est indispensable, le seul abus de raisonnement consistant à la désigner comme « langue maternelle » pour tous les enfants concernés.
Autres ressources sur ce sujet :
- Apprentissage de la lecture-écriture chez les enfants sourds, Nathalie Niederberger, Enfance, mars 2007
- Alphabétisation pour les sourds, film présenté par l’Institut Canadien de Recherche et de Formation sur la surdité sur le site du centre Alpha-sourd.
En effet, l'apprentissage de la lecture et de l'écrit présente de grandes difficultés pour les personnes sourdes, car il se base sur l'oralité :
Il y a actuellement quatre millions de sourds en France, de tous âges. À peu près la moitié d’entre eux sont devenus sourds à la suite d’une maladie ou d’un accident, ou bien en raison du vieillissement. L’enquête nationale 2003 sur les « publics empêchés » montre qu’en France, très peu de bibliothèques parviennent à mettre en place des actions en direction des publics sourds, même si elles en ont le projet. Les sourds ne s’y sentent donc pas « accueillis » et évitent ces lieux qui leur rappellent leurs échecs. Les obstacles que rencontrent les bibliothèques sont à la fois techniques, financiers, de « priorités » qui sont autres, et aussi dus à la non-connaissance des réalités que vivent les personnes sourdes.
Ce n’est qu’en 1980 que Françoise Dolto a soutenu l’idée de créer des écoles spéciales pour sourds, bilingues en français et langue des signes. Et ce n’est qu’en 1993 que la « loi Fabius » reconnaît officiellement la Langue des signes française (LSF).
Pourquoi les sourds ne peuvent-ils pas accéder à la lecture de l’écrit ? Pour deux raisons qui sont liées :
– dès le cours préparatoire, on commence l’apprentissage de la lecture en oralisant (les sons, les syllabes…) et non pas en lisant « dans sa tête » ;
– la langue écrite telle qu’elle est dans notre alphabet reproduit les sons de la langue parlée : on sait parler avant de savoir lire, et on ne comprend l’écrit que parce qu’il correspond à ce que nous disons. Pour les sourds, ce qui est écrit ne « correspond » à rien.
Parmi les deux millions de personnes nées sourdes, l’illettrisme est massif. Qui sait en France que 80 % des sourds sont en situation d’illettrisme ?
Il y a environ 800 000 sourds qui signent actuellement, tous illettrés. Leurs problèmes les plus fréquents sont : un grand sentiment d’insécurité, une absence d’informations sur leurs droits et sur leur environnement en général, une dépendance constante pour un grand nombre d’activités de la vie quotidienne. Leur handicap « social » est en fait double : d’une part la surdité en elle-même, d’autre part un très mauvais niveau en français.
Source : Bibliothèque, lecture et surdité, Bulletin des Bibliothèques de France
On trouve de nombreuses ressources qui se penchent sur le problème de l’apprentissage de la lecture-écriture pour les sourds et malentendants :
La revue trimestrielle de l’Association Française pour la Lecture, Les Actes de lecture, a publié plusieurs articles au sujet de l’écrit et de la surdité, que vous pouvez consulter en ligne.
Toujours en 2002 s’est tenu le
Un autre colloque sur le même thème a eu lieu en 2008. Plusieurs interventions sont téléchargeables sur le site du Centre d’Information sur la Surdité (Cis), ainsi que de nombreuses autres ressources sur la lecture et l’illettrisme et des statistiques sur le handicap et la surdité en France.
On trouve sur le site de l’Université Paris V des fiches rédigées par Josette Chalude, fondatrice de l’Association Nationale de Parents d’Enfants déficients auditifs, ainsi qu’une bibliographie sur le thème de l’apprentissage de la lecture et de la surdité :
Un thème dont une documentation pédagogique pléthorique ne vient pas à bout se traite difficilement en quelques lignes.. Eviter les approches réductrices et la langue de bois suppose, à tout le moins, que notre objet soit clairement identifié. La « surdité » dont il sera question ici est une perte auditive suffisamment grave et précoce pour qu’un enfant - sauf à bénéficier sans retard de mesures éducatives appropriées – soit inéluctablement menacé d’exclusion sociale.
L’éducation « appropriée », objet de nos travaux et de nos incertitudes, a inspiré de vives controverses car depuis des décennies, les pays développés tentent d'intégrer dans l'éducation des sourds-muets de naguère des données nouvelles liées aux avancées scientifiques et techniques. Celles-ci ont un fondement commun : la nécessité d'offrir à l'enfant un environnement capable de l'introduire le plus précocement possible – afin de pouvoir exploiter la grande plasticité neuronale du premier âge - dans des apprentissages qui vont constituer le socle de son développement psychique et linguistique. Ainsi s’est ouvert un vaste champ de pratiques audio-vocales liées à la précocité grandissante du diagnostic, aux rapides progrès de l’appareillage prothétique et au rôle déterminant de l’entourage - en particulier du milieu familial - dans l’amorce et le développement des compétences langagières.
Le glissement sémantique de « surdi-mutité » à « surdité pré-linguale » caractérise cette période dite « oraliste », où l’on s’est évertué à doter les enfants sourds de la parole. Quoi qu’il en soit des insuffisances pionnières, il devenait possible, dès les années 70, de faire pour quelques-uns le pari de l’intégration en classe ordinaire et d’ouvrir les premières classes de sixième. Le niveau scolaire s’étant corrélativement amélioré, des dizaines d’étudiants sourds, à la fin du millénaire, avaient accédé à des études supérieures.
Comment, dès lors, interpréter un rapport récent selon lequel 80 % des sourds profonds sortiraient illettrés du système éducatif ? Ce même rapport soulignait pourtant la présence dans l’enseignement supérieur d’étudiants sourds n’ayant jamais suivi une scolarité spécialisée. Le rapprochement de ces deux faits n’est pas fortuit : les enseignants qui ont mission d’aider un enfant sourd à entrer dans la lecture devraient toujours être avertis de l’extrême disparité des mécanismes de « vicariance » que cet enfant a pu mettre en œuvre.
Certes, des facteurs intrinsèques l’expliquent en partie, notamment le degré de perte auditive. Car les chances de l’ enfant de s’approprier la langue écrite seront d’autant meilleures qu’il aura bénéficié d’ une dynamique d’apprentissage de la langue parlée. « Lire, c’est reconnaître sous une autre forme une langue qu’on connaît déjà », soulignait Alain Bentolila, au colloque ACFOS 2. La difficulté de s’approprier la langue orale constitue l’obstacle majeur des jeunes sourds dans leur accès à la langue écrite, indépendamment des écueils que peuvent rencontrer les petits « entendants ».. Cet exercice de haute voltige chez un enfant sourd profond exige que l’on sollicite toutes ses ressources sensori-motrices. « Une des plus grosses erreurs faites par les théoriciens de la langue orale, c’est d’oublier que la première communication est toujours polysensorielle » remarque Frédéric François dans un exposé d’une rare clarté sur l’appropriation d’une langue par l’enfant.
Aider un petit sourd « pré-lingual » à donner sens au message linguistique et à devenir acteur dans la communication implique exige des comportements adaptés, dans les meilleurs délais, et de recourir à toutes les ressources de symbolisation : mimique, gestes naturels, théâtralisation, image, dessin, tous les jeux de « comme si .. ». La pratique de la langue des signes, durant cette phase ludique des rapports de l’enfant à son milieu, est dès lors un précieux atout pour amorcer la communication. Dans une certaine mesure, elle est indispensable, le seul abus de raisonnement consistant à la désigner comme « langue maternelle » pour tous les enfants concernés.
- Apprentissage de la lecture-écriture chez les enfants sourds, Nathalie Niederberger, Enfance, mars 2007
- Alphabétisation pour les sourds, film présenté par l’Institut Canadien de Recherche et de Formation sur la surdité sur le site du centre Alpha-sourd.
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