Pourquoi Marc Chagall a t-il peint La Mariée en 1950?
ARTS ET LOISIRS
+ DE 2 ANS
Le 24/01/2014 à 17h17
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Question d'origine :
Bonjour,
Je travaille actuellement sur une analyse de l'oeuvre La Mariée de Marc Chagall, peinte en 1950.
Je souhaiterais connaitre les raisons qui l'ont poussées à vouloir peindre cette mariée?
Ce que cette oeuvre signifie pour lui?
Quelle fut son intention lors de l'exécution de la toile, était-ce la représentation d'un rêve où d'un souvenir?
Je vous remercie par avance.
Cordialement.
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 30/01/2014 à 15h26
Dans un premier temps, nous avons examiné les 152 notices relatives à Marc Chagall présentes dans notre catalogue.
Certains documents étaient empruntés au moment de la rédaction de notre réponse :
Chagall connu et inconnu : [exposition], Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 11 mars-23 juin 2003, San Francisco museum of modern art, San Francisco, 26 juillet-4 novembre 2003 / [organisée par la Réunion des musées nationaux, le Musée national Message biblique Marc Chagall de Nice et le San Francisco museum of modern art]; [commissaires, Jean-Michel Foray, Ruth Berson]; [catalogue par Jean-Claude Marcadé, Monica Bohm-Duchen, Nathalie Hazan-Brunet, Gérard Garouste, et al.
Marc Chagall : les univers du peintre... : exposition présentée à Aix-en-Provence à la Galerie d'art du Conseil général des Bouches-du-Rhône du 16 janvier au 1er avril 2007 / commissaire Élisabeth Pacoud-Rème.
Chagall / Jackie Wullschläger; traduit de l'anglais par Patrick Hersant.
Chagall : 1887-1985 / Jacob Baal-Teshuva.
Chagall [D.V.D.] : A la Russie, aux ânes et aux autres / réal. par François Lévy-Kuentz.
A part ces cinq documents, nous avons regardé l’ensemble des nombreuses références susceptibles de contenir des informations se rapportant à votre demande précise. A notre étonnement, aucun document ne propose une illustration de l’œuvre, un signalement ou un commentaire. Il faut cependant noter que celle-ci appartient à une collection privée au Japon.
En préambule, il faut rappeler ce que pensait Chagall lui-même de l’interprétation de ses œuvres. Ce témoignage est raconté dans la biographie écrite par sa compagne, entre 1945 et 1951, Ma vie avec Chagall :
« Rien n'irritait plus Marc que les tentatives d'élucidation de son matériel thématique. Un soupir d'exaspération lui échappait immanquablement à la simple mention du terme de « symbolisme » lorsqu'on évoquait son œuvre. C'était en réalité dans le but délibéré d'éloigner les gens de considérations sur la signification inconsciente de ses thèmes, qu'il parlait si volontiers de « chimie ».
Marc savait qu'une force souterraine œuvrait en lui et remplissait ses tableaux de formes oniriques, mais il n'éprouvait pas la nécessité d'en élucider l'origine ; et il lui déplaisait que d'autres se livrent à des interprétations abusives. Tout ce qui s'inscrivait sur la toile était chargé de sens, il ne l’ignorait nullement, mais son esprit conscient n'y percevait que des formes arbitraires, des éléments utiles à la construction de ses tableaux, issus à l'occasion de sources visibles ou de souvenirs. Il les utilisait pour leurs lignes, leurs couleurs ainsi que pour certaines qualités mystérieuses. La mariée n'est parfois qu’une ligne verticale transperçant le ciel comme une comète avec son long voile flottant derrière elle. Parfois sa tête s'épanouit au milieu du voile tournoyant, comme un génie sortant d'une volute de fumée. Le Christ sur sa croix sert à diviser nettement l'espace pictural. L'échelle et le chevalet se réduisent à des éléments architecturaux. Les têtes des amoureux, deux cercles, parfois fondus l’un dans l'autre, parfois métamorphosés en lune et en soleil, constituent souvent les éléments fondamentaux de l'image.
La vision du monde qu'offre l'artiste authentique est colorée en permanence par les visions qu'il projette sur son environnement. On peut presque dire que Chagall a réellement vu des poissons escalader des échelles et des arbres pousser sens dessus dessous, cela aussi longtemps que n'interférait en lui aucune rationalisation. Ces visions avaient à ses yeux autant de réalité que les objets tangibles qui meublent notre vie de tous les jours.
Marc ne me parlait jamais de ses rêves. Il ne se les rappelait peut-être jamais consciemment ; la ligne délimitant ses rêves nocturnes de ses rêves éveillés était trop imprécise, en sorte qu'il ne les distinguait pas les uns des autres. Il me disait qu'il était un rêveur qui ne s'est jamais réveillé. Il nous donne pourtant dans Ma vie trois vivantes descriptions de rêves, si vivante pour l'un d'eux qu'il en fit ensuite un tableau, L'apparition :
Soudain, le plafond s'ouvre et un être ailé descend avec éclat et fracas, emplissant la chambre de mouvement et de nuages.
Un frou-frou d'ailes traînées.
Je pense: un ange ! Je ne peux pas ouvrir les yeux, il fait trop clair, trop lumineux.
Un critique lui demanda un jour si ses visions lui étaient inspirées directement par la réalité, et Marc répondit d'un ton plaisant :
- Naturellement. Quand je vois un visage je peins un cheval, et quand je vois un cheval je peins une vache.
- Et quand vous voyez un coq ?
- Quand je vois un coq, d'abord j'ai envie de le manger, et quand je l'ai mangé je peins des amoureux dans le ciel.»
Dans une autre biographie, Marc Chagall / Franz Meyer, éd. Flammarion, 1995, l’auteur apporte un autre éclairage sur le symbolisme dans l’œuvre de Chagall.
p. 13 : « La première fois que l’on voit un tableau de Chagall, c'est naturellement par son caractère symbolique que l'on est frappé d'abord. Certaines figures, certains objets : couples d’amoureux, animaux, horloges, bouquets, surgissent dans un ordre apparemment sans contrainte, libéré des lois habituelles de la vision. Comme dans la poésie moderne ces « images» agissent chacune pour soi; arrachées à leur contexte habituel pour être intégrées, en tant qu’éléments autonomes, dans un nouvel ensemble. Chacun de ces éléments, du coup, se trouve revalorisé. Il est encore « lui-même », fragment d’une réalité visible, mais il est aussi « autre chose ». Cette métaphore visuelle peut être appelée symbole, à condition de ne pas prendre ce terme dans le sens de « signe emprunté intentionnellement à un langage conventionnel », mais dans celui d'« incarnation spontanée de contenus qu'il serait impossible de représenter autrement »…Dans la peinture de Chagall, d’ailleurs, la relation entre signe et contenu n’est pas fixée non plus une fois pour toutes ; seule une notion relativement « ouverte » peut rendre compte de ses variations. À l’intérieur de cette notion, bien entendu, l’analyse pourra s’efforcer d’obtenir une image plus précise des processus créateur. »
et p. 12 : « …Le sujet n’est plus uniquement « ce qui est représenté » mais, au même degré que forme et couleur, un élément organique de l’ensemble, un des moyens d’aboutir au tableau. Ainsi l’analogie du rôle du sujet avec celui de la forme ou de la couleur nous autorise-t-elle à attribuer au sujet une signification formelle. D’autre part, nous voyons s’incarner dans la forme et dans la couleur non moins que dans le sujet ces états d’âme dont le tableau, considéré comme un tout, est issu. Si le sujet se révèle être alors un authentique symbole, c’est-à-dire la représentation d’une réalité spirituelle insaisissable autrement, on est en droit de parler, toujours par analogie, d’une signification symbolique de la forme et de la couleur. »
Nous avons également interrogé pour votre recherche les bases de dépouillement de périodiques spécialisées dans le monde de l’art :
Bibliography of the history of art (BHA)
En libre accès. Recensement arrêté en 2007.
International Bibliography of Art [Ressource en ligne] : IBA
Accès réservé aux utilisateurs de la Bibliothèque municipale de Lyon. Prend la suite de BHA, à partir de 2008.
Artbibliographies modern [Ressource en ligne]
Accès réservé aux utilisateurs de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Nous avons ainsi repéré l’article de Mira Friedmann, paru dans la Revue de l’art, n° 52, 1981, p. 37-40, intitulé « Le Mariage » de Chagall, et que nous vous invitons vivement à consulter. Cet article décrit les sources d’inspiration du tableau « le Mariage » (1917, Moscou, Galerie Tretyakov) et surtout la façon dont Chagall reprend les mêmes éléments, en les transformant formellement, dans de multiples tableaux de 1917 à 1951. C’est passionnant et instructif pour comprendre l’œuvre singulière de l’artiste. Dans les six œuvres reproduites, si on note une attitude d’enlacement des couples tout à fait stable et une composition similaire, on remarque toute une activité de déplacement, de transformation, de remplacement des objets. La place de l’ange dans le tableau original est prise par la suite par une lampe, puis par un bouquet de fleurs ; l’ange en tant que personne est remplacé par un musicien ou un porteur de fleurs.
Les sujets -les mariés, les amoureux, le couple- reviennent en permanence dans l’œuvre de Chagall, comme bien d’autres éléments : les animaux – chèvre, coq, vache, âne, poisson-, les êtres hybrides – hommes à têtes d’animaux, sirènes-, l’horloge, le chandelier, la lampe, les villes – son village natal (Vitebsk), Paris, Saint-Paul-de-Vence -, les bouquets de fleurs, les violonistes, etc. Il n’y a pas eu probablement une raison particulière pour Chagall de peindre le tableau La Mariée de 1950. On n’y repère aucun objet qui ne ferait pas partie de l’univers habituel de Chagall qui l’habitait en permanence et qu’il reformulait selon l’avancement de son art. Chagall, ainsi qu’il s’est défini lui-même, est un rêveur qui ne s'est jamais réveillé. Chagall emprunte les mécanismes du rêve pour élaborer les éléments qui peuplent ses images : les personnages volent, l’homme et la femme se condensent dans une seule entité – ils partagent leurs bras ou leurs corps -, l’artiste habite des corps différents – un peintre avec sa palette, un violoniste, voire un animal, la mariée, quelque soit l’époque d’exécution de la toile, renvoie le plus souvent à l’image de Bella (parfois à celle de Vava) ; Le temps est aboli, les toiles sont souvent reprises à plusieurs années d’intervalle.
Le seul événement extérieur qui semble avoir des conséquences directes et immédiates sur l’évolution de son œuvre est son cadre de vie. Après son exil aux Etats-Unis, Chagall revient en France pour s’installer dans l’arrière-pays niçois. La découverte d’une nature luxuriante baignée de lumière va être le moteur de la recherche d’une intensité de la couleur qui s’épanouit en une myriade de touches.
Dans Ma vie avec Chagall, l’auteur indique l’importance pour Chagall de son nouveau cadre de vie :
« Les lieux nouveaux, à l’exception de New-York, avaient toujours produit sur Marc un effet catalyseur…
Il innova en mêlant diverses techniques ; il ajoutait des touches de pastel à l’huile pour obtenir la profondeur et le lustre désirés, jouait avec les éléments antagonistes comme l’huile et l’eau pour produire des textures inattendues…« Ce sont là les meilleures années de ma vie ».»
Dans sa biographie, Franz Meyer écrit :
« Le nouveau séjour de Chagall dans le Midi eut sur sa peinture une influence décisive. La lumière, la végétation, le rythme de la vie, tout concourut à lui donner ce style plus souple, plus libre, plus sensuel où la magie de la couleur est de plus en plus souveraine. À Vence, le peintre pouvait revivre chaque jour le miracle de la croissance et de la floraison, dans la lumière à la fois forte et douce qui baignait tout l’espace. La terre, la matière, toujours présentes, ne cessaient d’affecter sa sensibilité. Déjà le premier contact direct avec le paysage français, vingt-cinq ans plus tôt, avait accentué le caractère terrien de son art. Cette relation, maintenant, était infiniment plus souple et plus sereine : moins extatique, mais plus pleinement sensuelle. »
Dans le livre Marc Chagall : gouaches, dessins, aquarelles / Werner Haftmann; traduit par Gaston Floquet, l’auteur mentionne ainsi le changement dans le travail de la couleur apparu à cette époque :
« De cette lumière émane la couleur dans une extraordinaire profusion tonale. Elle n’est plus en contrastes, ni posée sur une armature de plans, elle s’étend en modulations à travers la surface, comme portée par des ondes lumineuses. C’est la lumière colorée qui soutient l’inspiration. »
Sur ce même point, Lionello Venturi, dans le chapitre intitulé « L’autonomie de la couleur et de la touche, 1947-1956 » de son livre Chagall, écrit :
« Lorsque Chagall peint les sujets qui l’inspiraient autrefois, des amoureux au milieu des fleurs, des écuyères, des poissons volants, il manifeste une préoccupation plus grande de l’autonomie de la couleur. »
Concernant les différentes composantes thématiques du tableau, on peut relever dans le livre Chagall devant le miroir : autoportraits, couples et apparitions : 16 juin - 7 octobre 2013 : musée national Marc Chagall, Nice / Elisabeth Pacoud-Rème :
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« L'importance du couple pour Chagall en fait bientôt un thème en soi, récurrent dans son œuvre et ses représentations, même si elles ne sont pas toutes des doubles portraits, sont toujours au moins des allusions au couple qu'il forme avec Bella.…La métaphore de l'exaltation du sentiment amoureux par l'envol est ensuite reprise la plupart du temps lorsque le couple est mis en scène… L'amour humain y affiche déjà sa dimension sacrée, inséparable de l'amour divin… Le couple, sanctifié par les liens du mariage, reflet de l'amour divin à l'image de celui d'Adam et d'Ève, est célébré par Chagall jusqu'à la fin de sa vie dans de nombreuses variations qui tendent à devenir des figures stylistiques caractéristiques de l'artiste. »
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« Vitebsk est enfin étroitement associé pour Chagall à la rencontre avec l'amour, avec Bella. »
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« Le peintre garde les yeux clos quand Bella conserve les siens ouverts et vigilants, ce qui annonce le rôle qu'elle va jouer toute sa vie auprès de l'artiste. »
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« Les hybridations à tête de bouc sont encore plus nombreuses. Les occurrences bibliques éclairent sur le choix de l'artiste de se figurer sous ce masque, figure isolée du groupe, de sa famille, peu tournée vers l'art, et de sa communauté, créateur en butte à l'incompréhension parce qu'il a choisi de transgresser l'interdit de la représentation, mais qui, par la force de son art mis en œuvre, fait passer un message. »
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« Le coq, depuis toujours le symbole du renouveau et par son rôle dans la basse-cour lié à la création, est également souvent hybridé avec ses autoportraits. Le coq est surtout le symbole de la repentance dans les usages religieux des communautés Loubavitch de la région de Vitebsk telles qu'ils sont rapportés par Bella, la première femme de Chagall et en particulier, la pratique des Kaparoth. Le sens de l'image de l'artiste en coq est ainsi très proche de celle de l'artiste en bouc, mais s'y ajoutent les dimensions de la créativité et de la vitalité. »
Ainsi que cette remarque très juste à propos du travail du rêve :
« Ces derniers éléments coexistent sur le tableau comme dans un rêve. Comme le rêve, la peinture ignore la contradiction ; elle condense, déplace ; elle figure et présente la vie de l’âme comme celle du monde dans les couleurs les plus vives et par des images récurrentes. Mais ces images ne sont pas des symboles. »
« Les procédés narratifs de Chagall, des « raccourcis » selon Jean-Michel Foray, sont plutôt des métaphores au sens de Breton, c’est-à-dire que certains signes recouvrent une signification autobiographique plus large que leur simple apparence. La répartition de ces signes sur le tableau raconte alors une histoire, un récit de soi, ou plutôt des récits de soi au sens où la vie fait évoluer le contexte, fait émerger de nouveaux signes, comme le Christ après 1938 ou, plus tard, le paysage de Saint-Paul qui peut remplacer Vitebsk quand le message n’est pas religieux comme dans Le peintre au chevalet de 1970-1975. Ainsi se développent plusieurs récits de soi possibles et juxtaposables. »
Deux autres livres se révèlent très utiles pour comprendre l’origine et le fonctionnement des éléments constitutifs du tableau chez Chagall :
Chagall et la femme / Sylvie Forestier :
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« …Bella, la jeune fille au teint pâle, aux grands yeux noirs méditatifs. Bella, la Fiancée blanche qui porte en elle toutes les figures de la féminité…Que lit donc Chagall dans ce regard qui emprisonne son cœur ? Que reconnaît-il en ce visage qui hantera son œuvre désormais, sinon l'image même de la Femme dans son acception biblique, celle tirée de la «côte» d'Adam, c'est-à-dire de son «côté », de sa limite ? Ève primordiale, Figure appelée à combler la béance originelle de l'homme, telle cette Ève de 1971 dont le corps allongé fait disparaître celui de l'homme qui l'étreint. Bella est celle-là, l'unique, qui fait naître Chagall à la complétude du couple. Elle est cette partie de lui-même, sans qui il ne serait pas et ne serait pas peintre…Car elle est la métaphore de la Nature elle-même, recréée par le peintre dans la trame vivante de l’œuvre. L’éternelle source de vie. »
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« … La luxuriance lumineuse des bouquets contraste avec les dominantes de bleu et de mauve nocturnes. Le bouquet toujours présent auprès du couple, «métaphore du plaisir» selon André Breton, revêt de multiples significations. Il est tantôt l'image d'un bonheur quotidien aussi précieux que fragile, ou le signe de la luxuriance de la vie et de son inépuisable énergie; il peut prendre un caractère tragique, mais il reste essentiellement la référence analogique à l'Arbre de vie biblique. »
Et surtout Chagall, entre guerre et paix / sous la direction scientifique de Julia Garimorth-Foray :
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« Symbole d'un monde apparemment sans attaches avec le réel, la lune conforte le caractère onirique de la scène, enveloppée dans un bleu intense que Chagall utilisa ensuite à plusieurs reprises (Le Cirque bleu, 1952; Couple dans le paysage bleu, 1969).
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« Ce bouquet foisonnant, signature de l'artiste, prolonge autant qu'il matérialise la félicité des amants. »
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« Le bouquet est manifestement lié à une fête religieuse joyeuse – peut-être Hanouka, la fête des lumières – et il devient de ce fait une célébration de la création divine. Le blanc si pur des roses se transforme alors, lui aussi, en allusion à la lumière divine. »
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« Bella, sa première épouse, en laquelle se réincarnèrent symboliquement les femmes qui partagèrent après elle la vie de l'artiste…plus grande que lui Bella est une figure de stabilité. »
A noter que l’hybride poisson-homme tient dans ses bras la houppah, dais traditionnellement utilisé pour les mariages Juifs, qui symbolise la maison que le couple construira ensemble.
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« Bella est ici couverte d'un voile de mariée bien qu'elle porte un vêtement rouge, qui attire l'attention sur sa silhouette au milieu des bruns sourds et équilibre le bleu émaillé du ciel. »
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« Les valeurs chromatiques…se métamorphosent ici en joie souveraine, celle de ses musiciens, de ses saltimbanques, de ses amoureux. Sous la houppa du mariage, un musicien joue…
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« Pour parfaire cet hommage, Chagall convoque Vitebsk, ville natale des deux amoureux, lieu de leur mariage en 1915. Image d'un passé toujours très présent dans l'imaginaire de l'artiste…
…Le paysage est très marqué par le renouveau de l'inspiration russe. En effet, les maisons basses alignées le long de la route sont sans aucun doute celles de Vitebsk »
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« Devant la porte de la maison, au milieu, se trouve la mère, représentation déjà maintes fois répétée, et qui le sera encore. »
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« Sous le dais rouge traditionnel des mariages juifs, les deux mariés sont entourés des symboles poétiques propres à l'univers russe de Chagall. L'âne, qui évoque la docilité et la tendresse, apporte aux mariés la menorah (chandelier rituel juif) pour les placer ainsi sous sa protection. Elle pourrait également être une allusion au livre Lumières allumées que Bella rédigeait durant les deux dernières années de sa vie.
…la lumière de la menorah, le chandelier allumé devant eux, qui atteste de la présence divine.
…De plus, il porte à la main une lampe à pétrole, celle qu'on utilisait dans la maison familiale, dont la flamme, située en haut et au milieu du tableau, rappelle que toute lumière vient de Dieu. »
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« …se détachent les silhouettes aux tailles colossales des musiciens, ce qui souligne que le son de leurs instruments emplit tout l'espace. Ce sont ceux qui accompagnent traditionnellement les fêtes juives et que Chagall a connus dans sa jeunesse. Joueurs de violon, de tambourin, il en a fait les personnages de nombre de ses tableaux. L'un d'entre eux est une figure hybride…Hybridation caractéristique de l'artiste que l'on retrouve ailleurs dans ses peintures. »
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« L'âne, le coq et la sirène sont là pour rappeler que si, dans la spiritualité hassidique, l'amour est une expression du divin, l'animal, lui, est le compagnon inséparable de l'homme car il est aussi une émanation du divin…
L'hybridation de l'homme et de l'animal, courante dans l'histoire de l'art, est très répandue dans l'œuvre de Chagall, particulièrement dans ses autoportraits. Elle s'applique alors à quelques animaux favoris, l'âne, le bouc, le coq, dans lesquels l'artiste se reconnaît le plus souvent… Ces hybridations ont bien évidemment une signification symbolique et religieuse marquée.
Le coq, parce que son chant annonce le lever du jour, est depuis toujours le symbole du renouveau. Par son rôle dans la basse-cour, il est également lié à la création. Il est aussi le symbole de la repentance dans les usages religieux des communautés juives de la région de Vitebsk tels qu'ils sont rapportés par Bella, la première femme de Chagall, dans son livre, Lumières allumées, et en particulier, dans la pratique des Kaparoth : la veille du Grand Pardon, un coq pour les hommes ou une poule pour les femmes sont affectés à chaque membre de la famille. On récite une formule qui transfère la culpabilité de chacun sur le volatile qui est ensuite égorgé rituellement. Le sens de l'image de l'artiste en coq recouvrirait donc sa volonté d'une part, d'abolir la culpabilité d'être parti de chez lui, d'autre part, d'être celui qui, par la force de son art, fait passer un message : il vole et chante, pour remercier Dieu de la joie qu'il donne aux hommes.»
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« L'hybridation est une des caractéristiques de l'art de Chagall et les hommes à têtes d'animaux, comme le protagoniste de ce tableau, sont nombreux dans ses œuvres…Les occurrences bibliques pour le bouc éclairent un peu plus le choix de cet animal : le bouc émissaire du Lévitique (Lev., 16, 7-10) est exclu du groupe et chargé de toutes les transgressions : il est aussi celui que l'on sacrifie (Nombres, 29) et dont la fumée symbolise l'élévation vers Dieu. Chagall, exilé loin de sa terre natale et de son groupe d'origine, et qui, en tant que peintre, est le créateur qui transgresse l'interdit de la représentation, se reconnaît en lui. La représentation prend ainsi un caractère sacré, qui est celui que Chagall donne au couple, l'amour humain étant inséparable pour lui de l'amour divin. »
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