les momies ont-elles servies de combustibles pour les trains
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 13/04/2013 à 14h03
2372 vues
Question d'origine :
Bonjour, je voulais savoir sous quelle autorité les momies égyptiennes ont pu servir d'engrais ou de combustible et comment cela à pris fin.
Merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 17/04/2013 à 13h40
Bonjour,
Les faits que vous évoquez, et tels qu’ils sont relatés dans un film documentaire comme Sur les traces de la momie, pour incroyables qu’ils paraissent, sont bel et bien avérés et confirmés par des écrits scientifiques sérieux. Engrais, combustible, mais aussi médicament, pigment, pâte à papier,tout est bon dans la momie !
La pratique consistant à utiliser des momies comme engrais et combustible de locomotive à vapeur, mentionnée dans cet article de la dépêche de Toulouse est attribuée par le Professeur Pomar, anthropologue au CHU de Toulouse, à l’expédition d’Egypte de Napoléon Bonaparte : « À la Renaissance, les médecins réduisaient les momies en poudre, censée guérir des maladies. Au XIXe siècle, après l'expédition de Bonaparte en Égypte, les sarcophages ont été pillés pour leurs trésors. On a même transformé des momies en engrais, puis en combustible pour locomotive à vapeur », rappelle le Pr Pomar. ».
En fait, la récupération et l’utilisation de « poudre de momie » sont bien antérieures, comme en atteste déjà cet article de l’ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il montre aussi la polysémie du termemumie : à la fois corps embaumé, suc s’échappant de celui-ci, mélange visqueux de poix et de bitume servant à l’embaumement, drogue fabriquée par les apothicaires.
D’autres vidéos sur ce sujet :
-Emission X : enius : Les momies que racontent-elles ? , qui sera rediffusée le 24 avril aux aurores !
-Momies : tombeaux oubliés
L’article d’Anne Godfraind-De Becker , de l’Université de Namur en Belgique vous apportera en peu de pages une réflexion de qualité sur la question :
L’utilisation des momies de l’antiquité à l’aube du XXe siècle . Vous y lirez :
« LeRobert situe l’apparition du terme « momie », dérivé du latin médiéval « mumia », au XIIIe siècle pour son sens premier, celui d’une substance bitumeuse servant à l’embaumement ; par extension, cette dénomination s’applique à une drogue médicinale de composition visqueuse, constituée de bitume et de poix ; ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que le terme momie désigne un cadavre desséché et embaumé selon les procédés des anciens Égyptiens. »
La momie comme matériau
Sur l’utilisation de la «mumia » nous vous recommandons la lecture de cet article del’Encyclopaedia Universalis , accessible dans son intégralité dans les locaux de la Bibliothèque Municipale de Lyon « C'est à cette époque [XVIe s.] que se développe une véritable industrie celle de la « mumia » : les momies sont réduites en une poudre qui est mélangée à d'autres ingrédients pour constituer un remède très utilisé dans la pharmacopée. Comme le rapporte le voyageur Christophe Harant en 1598, « le roi François, premier de ce nom, ne voyageait pas sans un morceau de momie ». Ce produit va être en usage jusqu'au début du XIXe siècle.
Les peintres utilisaient aussi la poudre de momie comme pigment, connu sous le nom debrun momie .
On peut s’étonner de cet usage massif des momies, celles-ci étant aujourd’hui associées aux idées d’antiquité, nécropole, donc défunts, patrimoine, avec en arrière-plan, celles de rareté, de sacré et précieux. Certains historiens estiment à 400 millions le nombre de momies enfouies dans le territoire égyptien. Gardons en mémoire que les Egyptiens momifiaient également les animaux, et que ce sont celles-ci qui, bien souvent, servirent d’engrais, comme l’attestent, entre autres, ce documentaire de France 5,Les momies d’animaux .
Reprenons l’article d’Anne Godfraind-De Becker , pour quelques « morceaux choisis » :
« L’idée d’obtenir des remèdes à partir de corps humains ne semblait nullement étrange à de nombreux médecins et pharmaciens des années 1600-1800 : « L’homme que Dieu a fait à son image dispose de vingtquatre parties prêtes à l’usage. » (...)
« Pendant plus de deux siècles, la confusion déjà signalée entre momie naturelle (bitume) et momie, mélange de substances organiques d’origine humaine et de matières destinées à conserver les substances organiques (notamment des aromates comme la myrrhe, l’aloès et l’encens) va perdurer. » (…)
« C’est principalement au cours des XVIe et XVIIe siècles que les momies égyptiennes, puis les cadavres embaumés bien plus tard – en Égypte ou ailleurs – ont été utilisés comme remède. Les momies égyptiennes venaient principalement d’Alexandrie, transitaient par Venise et Lyon, avant d’être vendues dans toute l’Europe. »
(…) «Au Moyen Age, les Arabes commencèrent à extraire le bitume de corps humains embaumés ; au cours du temps, les propriétés de l’asphalte furent transposées aux corps dont il provenait. » (…) « Au XIXe siècle, un industriel du Maine, Augustus Stanwood, achète plusieurs tonnes de bandelettes pour en faire du papier : elles s’avèrent insatisfaisantes pour la fabrication de papier blanc et sont transformées en papier d’emballage. Mais les emballages de Stanwood sont incriminés lorsqu’éclate une épidémie de choléra et la production de papier est arrêtée » (…) « En 1869, Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain, conte dans « Innocents Abroad” (Les Innocents en voyage) que les momies sont enfouies par pelletées dans les brasiers des locomotives. »
Pour une anthropologie du corps momifié… et ingéré, lire l’ouvrage passionnant,Les momies, savoirs et représentations édité sous la direction de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Poitiers. Un des articles de cet ouvrage, oppose brocante et antiquité : « Le fragment, le morceau, le résidu, la pièce détachée sont les modalités usuelles du génie brocanteur et de son commerce. Délocalisée, arrachée à ses fonctions rituelles primitives, profanée et promise au trafic, la momie au XIXe siècle tombe inévitablement dans le manège de la brocante ; elle apparaît non plus comme un tout ordonné, lisible et cohérent, mais comme un vrac de fragments dépareillés, comme un organisme symboliquement réduit à l’un de ses organes, à l’un de ses membres. »
Vous trouverez également dans cet ouvrage le texte fidèle à l’original des « Commentaires de M. Pierre-André Matthiole, médecin siénois, sur les six livres de P. Dioscoride, trad. De Jean Des Moulins, Lyon, 1572 » dans lequel nous apprenons que des apothicaires véreux, pour la confection de leurs médicaments « prennent la chair desechee de ces corps, et non ce dont ils sont farcis » et « pilent telle chair et les os ensemble, et en usent es composition ou la mumie (le « jus » de momie ) est requise » !
Suivent tous les bienfaits de cette pharmacopée, que nous vous laissons découvrir… le grand Ambroise Paré lui-même s’élèvera contre cette « anthropophagie » : « Par ce recueil on peut voir, que les anciens estoyent fort curieux d’embaumer leurs corps, mais non pas à l’intention qu’ils servissent à manger et à boire aux vivants, comme on les a fait servir jusques à présent ». Les Œuvres d’Ambroise Paré, « Douziesme livre des contusions », Paris, 1585 (quatrième édition).
L’imagination humaine étant sans bornes, sur les recommandations de La Nouvelle Maison rustique de Louis Liger, ouvrage publié en 1700 et réédité tout au long du XVIIIe siècle, on prit l’habitude de pêcher « à la momie », idéale pour la truite, semble-t-il …
Autre document attestant la consommation des momies,
Mumia : W. Proot, in Journal de Pharmacie de Belgique, 1954 Guitard Eugène-Humbert Revue d'histoire de la pharmacie Année 1954, Volume 42, Numéro 141, pp. 284-285.
Vers une réglementation
Les études deGaston Maspéro représentent une mine d’information concernant les fouilles d’Egypte et l’émergence progressive d’une prise de conscience de la valeur patrimoniale des antiquités, et de la nécessité d’une réglementation.
L’ouvrage d’Antoinette Maget,Collectionnisme public et conscience patrimoniale : les collections d’antiquités égyptiennes en Europe , dont vous pouvez lire ici des extraits nous donne une vue d’ensemble de cette évolution, et nous expose la pratique du partage des fouilles, qui a sans doute eu un rôle important dans la commercialisation des momies.
Ce n’est qu’en 1983 que l’Egypte s’est dotée d’une loi de protection de ses Antiquités .
Vous trouverez sur le site de l’Unescoun document très complet et actuel sur la législation sur les antiquités et biens culturels au Moyen Orient.
Les faits que vous évoquez, et tels qu’ils sont relatés dans un film documentaire comme Sur les traces de la momie, pour incroyables qu’ils paraissent, sont bel et bien avérés et confirmés par des écrits scientifiques sérieux. Engrais, combustible, mais aussi médicament, pigment, pâte à papier,
La pratique consistant à utiliser des momies comme engrais et combustible de locomotive à vapeur, mentionnée dans cet article de la dépêche de Toulouse est attribuée par le Professeur Pomar, anthropologue au CHU de Toulouse, à l’expédition d’Egypte de Napoléon Bonaparte : « À la Renaissance, les médecins réduisaient les momies en poudre, censée guérir des maladies. Au XIXe siècle, après l'expédition de Bonaparte en Égypte, les sarcophages ont été pillés pour leurs trésors. On a même transformé des momies en engrais, puis en combustible pour locomotive à vapeur », rappelle le Pr Pomar. ».
En fait, la récupération et l’utilisation de « poudre de momie » sont bien antérieures, comme en atteste déjà cet article de l’ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il montre aussi la polysémie du terme
D’autres vidéos sur ce sujet :
-
-
L’article d’
« Le
La momie comme matériau
Sur l’utilisation de la «mumia » nous vous recommandons la lecture de cet article de
Les peintres utilisaient aussi la poudre de momie comme pigment, connu sous le nom de
On peut s’étonner de cet usage massif des momies, celles-ci étant aujourd’hui associées aux idées d’antiquité, nécropole, donc défunts, patrimoine, avec en arrière-plan, celles de rareté, de sacré et précieux. Certains historiens estiment à 400 millions le nombre de momies enfouies dans le territoire égyptien. Gardons en mémoire que les Egyptiens momifiaient également les animaux, et que ce sont celles-ci qui, bien souvent, servirent d’engrais, comme l’attestent, entre autres, ce documentaire de France 5,
Reprenons l’article d’
« L’idée d’obtenir des remèdes à partir de corps humains ne semblait nullement étrange à de nombreux médecins et pharmaciens des années 1600-1800 : « L’homme que Dieu a fait à son image dispose de vingtquatre parties prêtes à l’usage. » (...)
« Pendant plus de deux siècles, la confusion déjà signalée entre momie naturelle (bitume) et momie, mélange de substances organiques d’origine humaine et de matières destinées à conserver les substances organiques (notamment des aromates comme la myrrhe, l’aloès et l’encens) va perdurer. » (…)
« C’est principalement au cours des XVIe et XVIIe siècles que les momies égyptiennes, puis les cadavres embaumés bien plus tard – en Égypte ou ailleurs – ont été utilisés comme remède. Les momies égyptiennes venaient principalement d’Alexandrie, transitaient par Venise et Lyon, avant d’être vendues dans toute l’Europe. »
(…) «Au Moyen Age, les Arabes commencèrent à extraire le bitume de corps humains embaumés ; au cours du temps, les propriétés de l’asphalte furent transposées aux corps dont il provenait. » (…) « Au XIXe siècle, un industriel du Maine, Augustus Stanwood, achète plusieurs tonnes de bandelettes pour en faire du papier : elles s’avèrent insatisfaisantes pour la fabrication de papier blanc et sont transformées en papier d’emballage. Mais les emballages de Stanwood sont incriminés lorsqu’éclate une épidémie de choléra et la production de papier est arrêtée » (…) « En 1869, Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain, conte dans « Innocents Abroad” (Les Innocents en voyage) que les momies sont enfouies par pelletées dans les brasiers des locomotives. »
Pour une anthropologie du corps momifié… et ingéré, lire l’ouvrage passionnant,
Vous trouverez également dans cet ouvrage le texte fidèle à l’original des « Commentaires de M. Pierre-André Matthiole, médecin siénois, sur les six livres de P. Dioscoride, trad. De Jean Des Moulins, Lyon, 1572 » dans lequel nous apprenons que des apothicaires véreux, pour la confection de leurs médicaments « prennent la chair desechee de ces corps, et non ce dont ils sont farcis » et « pilent telle chair et les os ensemble, et en usent es composition ou la mumie (le « jus » de momie ) est requise » !
Suivent tous les bienfaits de cette pharmacopée, que nous vous laissons découvrir… le grand Ambroise Paré lui-même s’élèvera contre cette « anthropophagie » : « Par ce recueil on peut voir, que les anciens estoyent fort curieux d’embaumer leurs corps, mais non pas à l’intention qu’ils servissent à manger et à boire aux vivants, comme on les a fait servir jusques à présent ». Les Œuvres d’Ambroise Paré, « Douziesme livre des contusions », Paris, 1585 (quatrième édition).
L’imagination humaine étant sans bornes, sur les recommandations de La Nouvelle Maison rustique de Louis Liger, ouvrage publié en 1700 et réédité tout au long du XVIIIe siècle, on prit l’habitude de pêcher « à la momie », idéale pour la truite, semble-t-il …
Autre document attestant la consommation des momies,
Mumia : W. Proot, in Journal de Pharmacie de Belgique, 1954 Guitard Eugène-Humbert Revue d'histoire de la pharmacie Année 1954, Volume 42, Numéro 141, pp. 284-285.
Vers une réglementation
Les études de
L’ouvrage d’Antoinette Maget,
Ce n’est qu’en 1983 que l’Egypte s’est dotée d’
Vous trouverez sur le site de l’Unesco
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter