Question d'origine :
Bonjour!
J'ai entendu parler de la théorie des animaux machines de Descartes. Mais en quoi ceci consiste t il exactement?
Les idées de Descartes étaient elles très partagées en cette matière à l'epoque puis au 18 eme siècle?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 23/02/2005 à 14h20
« La science moderne, pour naître sous les espèces de la théorie mathématisée du mouvement, et conférer son sens moderne au « principe de causalité », avait dû repousser non seulement les cosmologies antiques qui expliquaient l’ordre de l’univers selon le jeu de « causes finales » (Aristote), mais aussi celles qui, d’une façon ou d’une autre, assimilaient le monde à un vivant (comme Platon dans le Timée et les stoïciens). Elle avait dû se démarquer de l’« animisme » qui avait envoûté les esprits durant la Renaissance et inspirait les pratiques de la « magie naturelle ». Theophraste Bombastus von Hohenheim (1493-1541), dit Paracelse, représente avec plus d’éclat qu’aucun autre, l’exemple d’un médecin qui peut passer, à bon droit, pour l’un des pères de la chimie pharmaceutique, mais qui continue de voir dans l’organisme humain un « microcosme », miroir infime du macrocosme…
La physique mathématisée parvenait, de Descartes à Newton, à formuler le principe d’inertie comme l’une de ses lois fondamentales : « Un corps abandonné à lui-même persiste dans son état d’immobilité ou de mouvement aussi longtemps que quelque chose ne vient pas modifier celui-ci. » Il s’ensuivait qu’une distinction nette semblait devoir être établie entre les corps « inertes » et les corps vivants. Mais comment renoncer à appliquer aux êtres vivants une démarche qui réussissait si bien par ailleurs ? Comment ambitionner de se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes) si les êtres vivants se trouvaient exclus du champ de la science nouvelle ? Comment y renoncer, surtout, dès lors que parmi ces vivants se trouve l’être humain qui souffre de se trouver affecté par les maladies, le vieillissement et la mort ?
Descartes conçut donc le projet de réformer la médecine en suivant la voie qui lui avait été favorable en géométrie et en mécanique ainsi qu’il l’explique dans la Lettre Préface à ses Principes de philosophie (1664). Il en vint même à considérer que cette application devait devenir sa tâche principale. C’est ainsi qu’il rédigea son Traité de l’Homme, ouvrage qui a été publié pour la première fois en latin à Leyde en 1662, puis en français en 1664, et qui comporte les éléments essentiels de la physiologie cartésienne. Il use par prudence d’une fiction. « Je suppose, écrit-il, que le corps n’est autre chose qu’une statue ou machine de terre que Dieu forme tout exprès pour le rendre plus semblable à nous qu’il est possible. En sorte que non seulement il lui donne au dehors la couleur et la figure de tous nos membres, mais aussi qu’il met au-dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire qu’elle marche, qu’elle mange, qu’elle respire et enfin qu’elle imite toutes celles de nos fonctions qui peuvent être imaginées procéder de la matière et ne dépendre que de la disposition des organes ? » Cette fiction étend à l’organisme humain la célèbre théorie de l’« animal-machine » telle qu’elle se trouvait notamment exposée dans une lettre de mars 1638 : « La ressemblance qui est entre la plupart des actions des bêtes et les nôtres, nous a donné, dès le commencement de notre vie, tant d’occasions de juger qu’elles agissent par un principe intérieur semblable à celui qui est en nous, c’est-à-dire par le moyen d’un âme qui a des sentiments et des passions comme les nôtres, que nous sommes tout naturellement préoccupés de cette opinion. Et pour savoir ce que l’on doit croire de celle-ci, on doit, ce me semble, considérer quel jugement en ferait un homme, qui aurait été nourri toute sa vie en quelque lieu où il n’aurait jamais vu aucun autres animaux que des hommes, et où, s’étant fort adonné à l’étude des mécaniques, il aurait fabriqué ou aidé à fabriquer plusieurs automates, dont les uns auraient la figure d’un homme, les autres d’un cheval, les autres d’un chien, les autres d’un oiseau, etc, et qui marchaient, qui mangeaient et qui respiraient, bref qui imitaient, autant qu’il était possible, toutes les autres actions des animaux dont ils avaient la ressemblance, sans omettre même mes signes dont nous usons pour témoigner nos passions, comme de crier lorsqu’on les frappait, de fuir lorsqu’on faisait quelque grand bruit autour d’eux, etc, en sorte que souvent il se serait trouvé empêché à discerner, entre des vrais hommes, ceux qui n’en avaient que la figure. » La conception « mécaniste » de Descartes visait, au premier chef, à éliminer les conceptions magiques des rapports de l’âme et du corps chez l’homme.
Bien des physiologistes s’engagèrent à sa suite sur cette voie, au prix d’analogies audacieuses. C’est ainsi que Baglivi (1668-1706) dans un ouvrage alors célèbre intitulé Praxis medica (1696) pouvait écrire à l’intention des médecins : « Examinez avec quelque attention l’économie physique de l’homme : qu’y trouvez-vous ? Les mâchoires armées de dents, qu’est-ce autre chose que des tenailles ? L’estomac n’est qu’une cornue ; les veines, les artères, le système entier des vaisseaux, ce sont des tubes hydrauliques ; le cœur est un ressort ; les viscères ne sont que des filtres, des cribles ; le poumon n’est qu’un soufflet ; qu’est-ce que les muscles ? Sinon des cordes. Qu’est-ce que l’angle oculaire ? Si ce n’est une poulie, et ainsi de suite. » Et il s’en prend aussitôt aux disciples de Paracelse, ceux qu’il appelle les « chimistes », et que nous appellerions les « alchimistes ». « Laissons les chimistes avec leurs grands mots de « fusion », de « sublimation », de « précipitation » vouloir expliquer la nature et chercher ainsi à établir une philosophie à part ; ce n’en est pas moins une chose incontestable que tous ces phénomènes doivent se rapporter aux lois de l’équilibre, à celle du coin, de la corde, du ressort et des autres éléments de la mécanique. » L’école à laquelle appartient Baglivi est ainsi désignée sous le nom de « iatro-mécaniciens ».
Plus généralement, de tous ceux qui voudront réduire les phénomènes vitaux aux lois de la mécanique on dira qu’ils sont des « mécanistes »… »
source : Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences sous la dir. de Dominique Lecourt.
(article Vitalisme et mécanisme in Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences)
Pour approfondir la question, la thèse classique de Robert Lenoble soutenue en 1943 et consacrée au R.P. Mersenne, l’un des plus importants correspondants scientifiques de Descartes :
Mersenne ou la naissance du mécanisme
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