Question d'origine :
j'ai remarqué que les frontières africaines étaient souvent dessinées de facon étonnement droite ? y a t il une explication ? merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 05/02/2005 à 10h09
Un premier élément de réponse se trouve dans la présentation du site cartographie du Monde diplomatique
« Regards politiques sur les territoires » par Philippe Rekacewicz .
La carte, représentation en minuscule d’immenses territoires, est une image tronquée de la réalité, une sorte de mensonge par omission [….. ]
La représentation des frontières politiques est un exercice périlleux. On aurait tort de penser qu’il existe des représentations « officielles » du découpage politique du monde. Même les divisions cartographiques des diverses agences des Nations unies prennent toujours le soin d’indiquer sur les cartes que la représentation des frontières est symbolique, et ne relève pas de leur responsabilité... Pour ménager les susceptibilités, la Banque mondiale a récemment « déconseillé » à son service cartographique de produire des cartes de la Péninsule indienne qui mettraient trop précisément en évidence la région du Cachemire... Entre les différentes visions nationales et internationales, le cartographe n’a que l’embarras du choix. La Chine vue par la Chine ne se superpose pas à la Chine vue par l’Inde.
Mais la cartographie n’est pas seulement la représentation de frontières : elle est aussi une image qui montre les rapports de l’être humain au territoire. La carte permet, d’un seul coup d’oeil, d’appréhender la logique d’organisation et d’occupation de l’espace, l’étendue et les conséquences des conflits. Seule la carte des Grands Lacs dressée fin 1994 à la suite du génocide rwandais permettait de réaliser que les populations effrayées avaient parcouru des centaines de kilomètres dans la brousse avant d’être accueillies dans les camps de réfugiés. La dimension historique complète aussi nos savoirs : on ne peut comprendre les questions africaines sans relire les cartes de la colonisation. On ne comprend la répartition actuelle des grandes familles ethnolinguistiques qu’avec les cartes des anciens grands empires.
Cette double approche, géographique et historique, affine notre connaissance des grands problèmes contemporains. Elle nous permet sans doute de nous tromper un peu moins lorsque nous tentons d’en trouver la signification. La carte nous invite à visualiser, avec la distance nécessaire, les évolutions territoriales, économiques et politiques. Elle dresse le décor et positionne les acteurs, nous aide ainsi à poser les questions - plus qu’elle nous donne les solutions. Elle nous invite à beaucoup de retenue dans nos analyses, les liens entre les phénomènes cartographiés étant souvent incertains. La carte publiée est avant tout un message complexe et subjectif qu’un auteur offre à ses lecteurs. A nous d’en proposer une lecture lucide et critique.
Cette réflexion s’applique à la carte de l’Afrique .
On peut lire dans l’ouvrage d’Hélène d’Almeida-Topor, l’Afrique au XX° siècle
p. 9 :
Dans les premières années du XX° siècle, l’ Afrique était presque entièrement conquise par quelques puissances européennes. Les nations colonisatrices , qui possédaient 11% de son territoire en 1875, en contrôlaient 90% en 1902. Il ne restait alors que trois états indépendants : l’Ethiopie, le Libéria, le Maroc qui, objet de rivalités , allait lui aussi perdre sa souveraineté à brève échéance. En imposant leur domination , les pays européens ont opéré un redécoupage du continent africain. La nouvelle carte géopolitique a résulté tout à la fois d’avancées sur le terrain, obtenues bien souvent par des guerres contre les populations concernées , et des négociations entre les pays impliqués dans l’expansion coloniale. La création de nouveaux territoires et la fixation de leurs frontières se sont faites sans que les Africains aient été consultés et ils ont difficilement accepté leur mise en dépendance.
Plus loin p 26 et 27
A la veille de la seconde guerre mondiale, le frontières de l’Afrique contemporaine étaient fixées, à quelques modifications près.[….]
Le découpage colonial de l’Afrique eut pour conséquence majeure de redistribuer les populations au sein de nouvelles unités politiques. La répartition d’un même peuple entre plusieurs territoires impliquait une rupture de son unité culturelle et l’évolution de chaque rameau dans des cadres différents, en fonction des diverses métropoles dont il relevait désormais. A l’inverse , étaient regroupées, dans une même colonie, souvent crée de toutes pièces, des populations d’origine diverses , sans tenir compte de leur passé et des inimitiés profondes qui pouvaient exister entre elles.
Enfin, p. 227
L’Afrique indépendante adopta le découpage géopolitique antérieur. Le principe d’intangibilité des frontières, adopté par l’OUA, fut généralement respecté à quelques exceptions près. En revanche, plusieurs Etats procédèrent à une décolonisation toponymique, c'est-à-dire à l’abandon des noms imposés par les Européens.
On comprend donc le caractère particulièrement arbitraire et artificiel des frontières telles qu’elles apparaissent sur les cartes d’Afrique.
Si vous vous intéressez au domaine de la cartographie nous conseillons en plus du site du Monde diplomatique cité plus haut :
Atlas-historique.net
Le site de l’université du Texas
Le site de cartographie de la fondation des sciences politiques
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