Question d'origine :
j'aimerai bien savoir si les amazones ont existé ? si oui, y avait il des hommes-esclaves ? comment fonctionnait cette société ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 22/10/2004 à 16h27
Les Grecs n’ont jamais tout à fait cessé de croire à l’existence réelle de ce peuple de femmes guerrières, qu’ils plaçaient aux confins du monde habité et/ou à une époque reculée, à la frontière des temps mythiques. Ainsi Plutarque (vie de Pompée, 35) n’hésite pas à mentionner que lors de la bataille de Pompée contre Mithridate, les Romains avaient trouvé sur le champ de bataille, après un engagement avec des montagnards du Caucase, « des boucliers et des brodequins d’Amazones. » Le même Plutarque étudie sérieusement les itinéraires possibles du raid des Amazones sur l’Attique, du temps de Thésée (vie de Thésée 26-28). Certains modernes ne raisonnent pas autrement, lorsqu’ils voient la trace d’évènements historiques dans les récits d’Hérodote sur les Amazones, ancêtres des Sauromates. Dictionnaire des Mythologies sous la dir de Yves Bonnefoy.
Le récit, qu’il soit épique, légendaire ou mythique, se prête toujours à deux approches. La première consiste à se demander si le récit est vrai. Sans doute pratiquée depuis un temps immémorial, depuis au moins qu’existe la réflexion critique, elle a été plus particulièrement développée par des hagiographes et les historiens qui ont affiné à son propos leur méthode propre, dite de critique historique des sources. La seconde prend au contraire le récit comme un objet digne d’être étudié en lui-même, indépendamment de la valeur (de vérité ou de fausseté) de son énoncé, mais révélateur de croyances et des modes de dire et de penser de la culture qui le produit. Elle a été très largement le fait de l’anthropologie sociale. Les deux approches sont légitimes, et nullement antinomiques puisqu’elles ne se proposent pas les mêmes buts, quoiqu’on puisse se demander si l’excellence de l’une ne tend pas à faire oublier l’autre. C’est ainsi que le mythe des Amazones fut l’objet de maintes analyses, toutes brillantes, conduites en termes d’opposition masculin/féminin, civilisé/barbare etc. (Hartog 1980s : 220 sq ; Carlier 1981 ; ect.). On expliqua donc très bien l’Amazone comme un fantasme du génie grec, un pur fantasme. Personne n’eut la naïveté de se demander si le « mythe » des Amazones pouvait correspondre à une réalité historique. Or, l’archéologie vient aujourd’hui nous rappeler cette réalité.
Les Amazones entre mythe et réalité, Alain Testart dans L’Homme N°163 juillet/septembre 2002
Voyons donc d’abord ce qui concerne le mythe. Le Dictionnaire des Mythologies cité ci-dessus, indique :
En fait, le mythe des Amazones a permis aux Grecs de faire varier et de combiner entre eux les traits d’une triple altérité : les Amazones sont Barbares ; elles sont femmes, avec ce que cela comporte, pour un Grec, d’animalité ; surtout, elles sont, dès Homère, femmes-hommes, antianeirai (Iliade VI, 186), c'est-à-dire, comme on l’explique très tôt, jouant sur les deux sens de anti-, à la fois « égales aux mâles » et « ennemies des mâles » guerrières redoutables puisqu’une expédition dirigée contre elles est un exploit qui qualifie le jeune guerrier…
Barbares les Amazones ignorent la navigation( Hérodote,IV,110) ; elles ne connaissent pas encore les céréales (Diodore,III,53) ; elles sont « dévoreuses de chair » (Kreoboroi, Eschyle,Suppliantes, 287) ; elles combattent à cheval, et non sur un char ; on les situe volontiers au-delà des Scythes, ces Barbares par excellence.
La suite de l’article que vous pouvez consulter à la bibliothèque rappelle les origines de l’appellation « tueuses de mâles ». Il précise que les Scythes après les avoir combattues auraient plutôt cherché à les « apprivoiser ». Ils remportent un demi-succés. Si elles acceptent le mariage, elles imposent à leurs maris leur propre mode de vie et les entraînent loin de leur patrie, engendrant avec eux le peuple des Sauromates, où les femmes sont guerrières.
Il est ensuite précisé :
Situés hors du champs matrimonial, les rapports des Amazones avec les hommes sont imaginés sur le mode de la soumission des mâles ou de la ségrégation. Chez Diodore (III, 52 sq.), la société des Amazones constitue l’exacte contre-partie de la société grecque : les femmes font la guerre et détiennent les magistratures, les hommes filent la laine et s’occupent des enfants. Parfois la soumission est plus radicale (Ibid, II, 45) : on estropie les petits garçons pour les rendre impropres à faire la guerre ; symétriquement, on brûle le sein droit des fillettes, de façon qu’il ne gêne pas pour lancer le javelot. Cette mutilation des Amazones, qui est un pur produit du langage (les Grecs analysaient a-mazon comme sans-sein), sans exemple dans les représentations figurées, apparaît dès le V° siècle, chez Hippocrate, dans un texte où la rationnalité physiologique sert admirablement l’idéologie : on brûle le sein droit (des femmes sauromates) « afin que toute la force et l’accroissement se portent dans l’épaule et le bras » (Des airs, des eaux, des lieux, 17). D’autres se représentent la société des Amazones comme radicalement sans hommes : alors, pour perpétuer l’espèce, les Amazones s’unissent une fois l’an avec les hommes des peuplades voisines ; des enfants qui naissent, elles ne gardent que les filles (Strabon,XI,5,1).
Cette union se fait au hasard et dans le noir, dans des conditions qui ne permettent pas de reconnaître le partenaire. L’union avec les jeunes Scythes avait lieu, autre transgression, en plein air, en plein midi. Deux façons symétriques de montrer que, situés en dehors du mariage, les rapports que les Amazones entretiennent avec les hommes ne peuvent être que déviants.
Voilà pour le mythe.
Ce mythe peut-il correspondre à une réalité historique ?
L’article d’Alain Testart déjà cité met en valeur les conclusions de Iaroslav Lebedynsky, précédées par les travaux de Veronique Schiltz, à partir de recherches de collègues russes et ukrainiens, fondées sur des découvertes de tombes féminines en arme. Ces tombes sont situées dans la région de l’est du Don (peuplée à l’époque selon Hérodote par les Sauromates, ancêtres des Saramates qui mettront fin à l’hégémonie des Scythes et connus alors sous l’appellation «Alains»).
Ces trouvailles, nouvelles, comportent un premier enseignement : les femmes guerrières ne relèvent pas de la fiction. Le second est que l’importance de ces femmes guerrières a, selon toute probabilité, été sous-estimée jusqu’à présent.
L’article précise qu’au-delà des raisons purement archéologiques, cette sous-estimation s’explique par un a priori des archéologues et de leurs collègues des autres disciplines, selon lequel on ne connaît les femmes guerrières que dans la fiction.
Cet article dont on ne peut que conseiller la lecture analyse le texte d’Hérodote, différencie la part du mythe et de la légende des origines, et celle du récit presque ethnographique, qui peut nous renseigner sur des coutumes réelles. On découvre alors une société qui autoriserait les femmes à se conduire, dans certaines conditions, comme des hommes, l’existence possible d’une dot du mari… sans une totale et caricaturale inversion des rôles.
Encore une fois, rien de cela n’est invraisemblabe. C’est le récit qui nous est conté et présenté comme l’ethogénèse d’un peuple. Ce jeu entre le vraisemblable et l’invraisemblable est le propre du mythe ou du récit légendaire : il prend appui sur une réalité sociale pour inventer une belle histoire à raconter, il transforme une coutume minoritaire en une spécificité ethnique, il érige une coutume secondaire en norme générale. L’histoire est fausse et la spécificité ethnique aussi (puisque les Scythes avaient tout autant que les femmes saramates des femmes guerrières) mais la réalité des coutumes que l’on voit poindre derrière n’a rien que de très probable : dans une faible proportion de cas, mais significative, de l’ordre de 20% si nous suivons les données archéologiques, la femme faisait la guerre et la chasse, le mariage était uxorilocal et l’homme apportait la dot ; nous ne disons pas que ces institutions allaient forcement de pair, nous ne le savons pas : ce pouvait être l’un ou l’autre mais toujours avec une pareille inversion des rôles entre les sexes.
Bibliographie complémentaire
Les Scythes. La civilisation des steppes (VII°-III° siècles av. J ;6C.)
et Les Alains, cavaliers des steppes, seigneurs du Caucase
L’or des Amazones
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