Abyssinie et Ethiopie
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 21/02/2008 à 10h28
764 vues
Question d'origine :
pourquoi emploie-t-on le noms d'Abyssinie et d'Ethiopie pour désigner la meme région au 19ème siècle ?
A quel moment on n'utilise plus le nom Abyssinie ?
Réponse du Guichet
anonyme
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 22/02/2008 à 13h23
Le nom de Éthiopie (anciennement Abyssinie) proviendrait d'un mot grec Æthiops (latin: Aethiopia) signifiant «pays des visages brûlés» (par allusion à la peau noire des Africains), probablement une traduction du sémitique ancien Habesha (qui a donné Abyssinie). Ce terme d'Abyssinie désignait alors plusieurs régions d'Afrique, dont la Nubie, le Soudan, le désert de Lybie et l’actuelle Éthiopie. Toutefois, l’origine du mot Abyssinie n’est pas clairement établie : il pourrait s'agir d’un mot d’origine arabe signifiant «mélangé» et désignant la multiplicité ethnique du pays ou d'un mot désignant une ancienne tribu éthiopienne.
source : L'aménagement linguistique dans le monde, Jacques Leclerc, membre associé au Trésor de la Langue Française au Québec, Université Laval.
Les termes Ethiopie/Ethiopien désignaient bien plus largement l'ensemble des pays, et des peuples, qui s'étendaient en dessous de l'Egypte que la seule Abyssinie. Léopold Sédar Senghor fait un développement très détaillé de l'emploi de ce mot pendant l'Antiquité grecque dans cet article en ligne, Les Noirs dans l'Antiquité méditéranéenne* (Ethiopiques n°11, juillet 1977) :
Les Grecs, en général, employaient, au singulier, le mot Aethiops, « au visage brûlé », pour désigner le Noir - ou un mot voisin de la même racine. C’est ainsi que, dans sa description de l’armée de Xerxès, Hérodote emploie le même mot, Aethiopes, au pluriel, pour désigner les Négro-Africains oulotriches « aux cheveux crépus », qui étaient dans le même corps de troupe que les Arabes, et les Négro-Asiatiques ithytriches, « aux cheveux raides », qui étaient avec les Indiens. Les Romains, eux, n’employaient pas le mot niger, qui était adjectif, mais préféraient employer, selon leur origine, les mots Afer, « Africain », et Indus, « Indien », pour désigner le Noir. Cependant, il leur arrivait d’employer ce dernier mot, notamment en poésie et pour des raisons prosodiques, pour désigner les Négro-Africains, à qui ils avaient surtout affaire, comme de reprendre, tout simplement, le mot grec Aethiopes, « Ethiopiens ».
Allons plus loin, en songeant aux Préhellènes de Vercoutter. En réalité, aethiops signifie originairement, non pas « noir », mais « rouge foncé », comme le vin, comme précisément la couleur des indigènes que les Grecs trouvèrent dans le pays et les îles qui devaient devenir la Grèce. C’est en partant donc de ces Préhellènes, qui étaient, effectivement des Aethiopes, qu’ils appliquèrent le mot à tous les hommes à peau plus ou moins noire.
[...]
C’est au sud de l’Egypte, à sa frontière avec la Nubie, alors appelée « Ethiopie » que l’Empire romain, héritier des Ptolémées, connut les pires difficultés avec les Nubiens, présentés sous différents noms - Blemmyes, Nobates, Nobades -, qui, semble-t-il, désignaient différentes ethnies d’un même peuple.
* Ce texte est celui de l’allocution prononcée par Léopold Sédar Senghor le 11 Mai 1977, au cours de sa visite officielle dans la Principauté de Monaco. Il reprend, en l’élargissant à l’ensemble méditerranéen, son discours d’ouverture au Congrès du Latin à Dakar.
Cela explique comment ont commencé à exister en parallèle l'Éthiopie et l'Abyssinie, alors qu'elles recouvraient au départ des réalités géographiques différentes. Le terme Abyssinie est plus tardif que Ethiopie, et recouvre l'actuelle réalité étatique de l'Ethiopie (le Royaume d'Axoum ou Aksoum) : il apparait, au plus tôt au 1er siècle avant J.-C. "Ethiopie" à la même époque est employé non seulement pour désigner le Nord-Est de l'Afrique (voire la totalité du continent) mais plus spécifiquement le Royaume de Kush : La Nubie. Or, au IVème siècle siècle, le royaume Nubien est vaincu et absorbé par l'Abyssinie, ce qui peut permettre d'expliquer, du moins partiellement, comment commencent à se confondre les réalités géographiques et nationales de l'Abyssinie et de l'Ethiopie, et comment l'Abyssinie devint l'Ethiopie. (voir la synthèse de l'ouvrage de Albert Kammerer, Essai de l’Histoire antique d’Abyssinie. Le Royaume d’Aksum et ses voisins d’Arabie et de Méroé, 1926, publiée dans L'Année Sociologique 2004/1).
Une autre partie de réponse peut se trouver plus généralement dans la question de la toponymie en Afrique. Ainsi que le note l'historien américain William D. Wright dans Black History and Black Identity: A Call for a New Historiography (Barnes & Noble 2002), l'Afrique a été intégralement nommée par les peuples extérieurs, notamment grecs et romains, lesquels ne faisaient pas preuve d'une grande précision dans leurs appellations, confondant peuples, continent, régions et pays. Lorsque l'Ethiopie adopte officiellement, au plus tard au cours du XIXème siècle, le terme Ethiopie pour désigner la nation, il subsiste une confusion entretenue depuis plusieurs siècles, notamment en Europe et en Asie, qui persiste à la désigner comme Abyssinie, et ce jusqu'au milieu du XXème siècle, date l'adhésion de l'Ethiopie à l'ONU. Nous avons partiellement traduit quelques extraits de l'ouvrage William Right qui est consultable intégralement en ligne sur Google Books :
Les Grecs et les Romains, comme l'indique l'historiographie de l'ancien monde, avec leur vue large de l'Ethiopie, faisaient référence à un groupe racial, [...] [qui] couvrait une vaste zone géographique de l'Inde au Nord-Est et Est de l'Afrique, lequel engendra, comme le dirent les Grecs et les Romains, une civilisation Ethiopienne, également perçue par Grecs et Romains comme subdivisées en deux civilisations : l'Ethiopie de l'Est et l'Ethiopie de l'Ouest. Il y avait [...] des pays autonomes dans chacune de ces deux civilisations [...] que les Grecs et Romains auraient quelquefois désignés par le même nom : Ethiopie. Cependant, ils désignaient aussi de façon individuelle des pays par d'autres noms, des noms déjà existants où d'autres dont ils les baptisaient. L'un de ces pays, par exemple, connu comme Kemet, était appelé Egypte par les Grecs. Ce nom colla au pays et traversa l'histoire.
Au sud de Kemet/Egypte se trouvait Kush, qui avait alors adopté le nom d'Ethiopie pour lui-même, et qui était alors le seul pays à être appelé Ethiopie depuis la conception grecque et romaine de la civilisation éthiopienne. Mais l'Ethiopie avait acquis un autre nom dans l'Histoire, fourni par Européens et Asiatiques. C'était l'Abyssinie. Les Ethiopiens réfutaient le nom Abyssinie, mais ne parvenaient pas à empêcher le reste du nom d'appeler ainsi leur pays, et usaient de cette identité dans leurs relations avec les autres peuples et pays. Cela dura jusqu'au début des années 50. A cette époque, une nation-état formelle et indépendante fut établie, et le nom Abyssinie commença à passer dans l'histoire. [...]
Un point éclairci par ce débat est que l'Ethiopie et les Ethiopiens (ou même l'Abyssinie, en l'occurrence), ne sont pas des noms et identités indigènes [...] ce sont des identités rétrospectives pour certains Africains - des noms et identités qui proviennent de l'extérieur du continent mais acceptés en propre [...].
DANS NOS COLLECTIONS :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter