Question d'origine :
bonjour!
je travaille actuellement pour mes études sur la grande peste de 1348.
j'avais adoré le livre de fred Vargas Pars vite et reviens tard , qui parle justement de la peste. Il me semble que la phrase du titre était un conseil que l'on donnait aux gens qui fuyaient la peste.
je voudrais savoir pour quelles grandes périodes de peste cette phrase était prononcé, et si elle était déjà en vigueur lors de la peste noire de 1348.
merci!!!
tsippora
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 12/10/2004 à 10h59
Dans Pars vite et reviens tard, de Fred Vargas, Marc Vandoosler, le médiéviste, commente ainsi la mystérieuse « signature » retrouvée sur des portes d’immeubles :
CLT est l’abréviation du fameux électuaire des trois adverbes, tout simplement.[…].Pratiquement tous les traités de peste le citent comme le meilleur des conseils : Cito, longe fugeas, et tarde redeas. C’est à dire : fuis vite, longtemps et reviens tard. […] C’est le célèbre « remède des trois adverbes » : « Vite, loin, longtemps ». En latin : « Cito, longe, tarde ». CLT.
Cette expression est le plus souvent attribuée à Hippocrate dans les livres que nous avons consultés. Elle est parfois attribuée à Galien (C'était la seule solution efficace pour échapper à une maladie devant laquelle les médecins d'alors étaient totalement impuissants. L'année précédente, en 1518, le Roi de France, François 1er, avait fui l'Anjou pour la même raison ; en 1585 Montaigne, maire de Bordeaux, se garda bien de pénétrer dans la ville que ravageait la peste : c'est aux portes de la cité qu'il transmit ses pouvoirs à son successeur le Maréchal de Matignon. Ils ne faisaient, les uns et les autres, que mettre en pratique le précepte attribué à Galien, le célèbre anatomiste grec du 11e siècle : "Cito, longe, tarde", c'est-à-dire « partir le plus tôt possible, aller le plus loin possible, revenir le plus tard possible ». cf L’épidémie de peste de 1519-1520 vue à travers la correspondance de Beatus Rhenanus.) mais une recherche sur le site Gallica, où se trouvent numérisées les œuvres complètes de Galien s'étant révélée infructueuse, on peut supposer cette attribution erronée. Et le site de la bibliothèque interuniversitaire de médecine de l’Université de Paris 5, à la page La peste fléau majeur, parle du vieux dicton "cito, longe, tarde" (pars vite, loin, reviens tard) ; elle propose aussi une liste de textes numérisés sur la peste, où vous pourrez peut-être trouver aussi cette expression.
En tous cas elle était déjà connue au XIVe siècle, et la fuite était alors une des solutions utilisée:
La première règle, observée non seulement par les riches, mais aussi par un grand nombre de pauvres, était de fuir. Dans presque tous les ouvrages sur la peste, il est fait mention de « l’électuaire des trois adverbes » du médecin arabe Rhasis [autre attribution…] :
Les trois petits mots chassent la peste
Vite, loin et longtemps, où que l’on soit.
Partir vite, aller loin et droit devant,
Quant au retour, le remettre à plus tard
In La mort noire : chronique de la peste, de Johannes Nohl
Fuir le plus tôt, le plus loin
La terreur était telle quelle engendrait des réflexes de panique, dont le principal fut la fuite ; le conseil en avait été donné autrefois par Hippocrate : en temps d’épidémie, il faut fuir le plus tôt, le plus loin, et revenir le plus tard possible.
In Pourquoi la peste ? : le rat, la puce et le bubon, de Jacqueline Brossollet et Henri-Hubert Mollaret
Ce n’était pas forcément la meilleure solution : Souvent, les fuyards étaient déjà infectés et disséminaient ainsi l’épidémie (ibidem), mais elle était malgré tout préconisée, devant l’absence de remèdes.
La croyance en l’infection de l’air ne laisse aux populations que peu de solutions pour échapper aux épidémies : il faut fuir pour échapper à l’infection. Cette réaction, nous l’avons vu, est observée dés le haut Moyen-Age et nombreux sont les médecins (les cinq médecins strasbourgeois par exemple) qui la recommandent d’après le fameux électuaire des trois adverbes : cito, longe, tarde (fuis tôt, loin et longtemps) d’Hippocrate que la Sorbonne n’hésite pas à rappeler lorsqu’elle est consultée en 1348.
In Les hommes et la peste en France et dans les pays européenns et méditerranéens T. II, de Jean-Noël Biraben (ce dernier ouvrage, en notes, développe l’expression telle qu’elle est reproduite par Fred Vargas ).
La lecture de ce document très complet vous donnera de nombreux exemples des fuites qui ont lieu à chaque grande période de peste, surtout chez les puissants :
Non seulement les souverains, donc, mais les corps constitués, parlement, présidial, chapitre, conseil de ville, etc., et, d’une façon générale, les notables, les riches, ont l’habitude de fuir pendant les épidémies.
Il semble que l’on trouve encore le remède des trois adverbes dans la plupart des traités de peste au XVIIe (par exemple dans Remèdes souverains contre la peste et la mort soudaine (1628), de Etienne Binet : Je ne vous défends pas même les trois mots qui sont excellents en cette matière, à savoir : cito, longe, tarde). Cependant, parallèlement, on voit aussi au contraire des interdictions de quitter les villes, et ce dès 1348. Les mesures restent fragmentaires jusqu’au XVIIe siècle, mais de plus en plus les autorités tentent de réguler les fuites, afin de ne pas aggraver la dissémination de la maladie (voir Les hommes et la peste…, opus cité p. 164 et suivantes).
DANS NOS COLLECTIONS :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter