Question d'origine :
Bonjour,
Sait-on ce qui a été perdu lors de l'incendie de la Bibliothèque d'Alexandrie ? A-t-on retrouvé depuis des volumens qui avaient pu être copiés avant l'incendie et protégés ailleurs ?
Merci
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 30/01/2007 à 11h13
C’est le modèle de l’école d’Aristote qui fut adapté au nouveau cadre de la dynastie Lagide par l’intermédiaire de l’homme politique et philosophe Demetrius de Phalère qui devint le conseiller de Ptolémée Soter. La bibliothèque d’Alexandrie s’inscrivait lors de sa fondation dans un complexe important. Elle était située dans le quartier du Brouchion entièrement occupé par le palais royal. Elle faisait partie du Musée. Loin de composer un bâtiment spécifique, à l’instar des bibliothèques de l’Empire romain, elle se présentait sans doute sous la forme de dépôts de rouleaux de papyrus, rangés sur des étagères dans des pièces qui pouvaient s’ouvrir sur un portique donnant sur une cour.
Les diverses strates de la tradition historiographique mettent en évidence le projet initial de fonder une bibliothèque universelle, réunissant tous les livres dans tous les champs du savoir et tous les genres littéraires, écrits non seulement par les grecs, mais aussi par les peuples voisins. Le but était de « Rassembler les livres de tous les peuples de la terre ». Ce dernier aspect entraîna la traduction en grec des textes originaux et la version du Pentateuque juif, connue sous le nom de Septante, est emblématique de cette ouverture aux « sagesses barbares ». On y trouvait aussi le corpus de Zoroastre (2 millions de vers) entièrement traduit et tous les auteurs latins. Le palais des Lagides devint ainsi le dépôt de la plus grande collection de livres jamais réunie dans l’Antiquité.
Une politique volontariste fut mise en place : achats systématiques, prospection dans les grandes cités grecques, confiscation de livres sur les bateaux abordant le port d’Alexandrie. Le résultat fut une collection considérable : La bibliothèque aurait compris 400.000 rouleaux mélangés (œuvres divisées en plusieurs livres, comme par exemple les 40 livres de l’histoire de Polybe) et 90.000 rouleaux non mélangés (un seul texte ou textes brefs d’un seul auteur). Une seconde bibliothèque fondée dans le Sérapéion, probablement par Ptolémée II Philadelphe a réuni une collection plus modeste (42.800 rouleaux) composée sans doute de livres en double ou rejetés de la Grande bibliothèque royale.
La bibliothèque n’était pas une bibliothèque publique. Son accès était restreint, du fait de sa localisation dans le palais même de la dynastie. Ses lecteurs étaient des savants et des lettrés, souvent fortement impliqués dans l’entretien et l’exploitation des collections. : grammairiens, philologues, éditeurs, commentateurs. Le travail savant de ses bibliothécaires, de ses philologues et de ses commentateurs joua un rôle essentiel dans la transmission des textes grecs : nous trouvons les traces de leur érudition dans les scholies de l’époque byzantine
Comme l’a démontré L. Canfora, l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie par Jules César est un mythe résultant de la confusion des récits historiques sur les événements qui survinrent en 48 avant JC. Il n’y eut pas de « sac d’Alexandrie ». Ce qui brûla fut un entrepôt du port d’Alexandrie, avec, selon Dion Cassius qui s’appuyait vraisemblablement sur Tite-Live, ses 40.000 rouleaux (soit des livres en cours de traitement ou des doubles, ou des rouleaux de papyrus vierges). Tout suggère que Musée et bibliothèque restèrent en activité pendant les premiers siècles de l’Empire romain, comme en témoigne le séjour de Strabon (25-20 avant JC) et au IIIe siècle, l’activité d’un Athénée de Naucratis qui, avant de s’installer à Rome, avait acquis une familiarité certaine de l’univers de la bibliographie alexandrine.
La destruction du quartier du Palais royal et donc de la bibliothèque du Musée, advint très vraisemblablement durant la guerre entre l’empereur Aurélien (270-275 après JC) et la reine Zénobie de Palmyre, puis sans doute sous l’empereur Dioclétien qui mit complètement la ville à sac. Il semble toutefois que la bibliothèque du Sérapéion ait continué à fonctionner quelque temps encore.
En outre, d’après K. Staikos, il semble vraisemblable que certains papyrus de valeur furent emportés pour construire la nouvelle bibliothèque « impériale » de Constantinople fondée par Constance II en 357.
Enfin, beaucoup de papyrus étaient détruits par le temps, et les volumen tendaient à être remplacés par les codex, plus maniables et généralement sur parchemin, mais fourmillant d’erreurs à cause de l’oubli du grec.
Les chrétiens supportaient mal les traces du paganisme et le temple de Sérapis fut mis à sac lors d’une insurrection menée par l’évêque Théophile en 391. Désormais beaucoup de textes relatifs à la théologie chrétienne (notamment les pères de l’Eglise), prirent la suite des documents de l’Antiquité.
Ainsi lors de la prise d’Alexandrie par les Arabes (640), la bibliothèque universelle relevait déjà du mythe et n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été . C’est alors que le sultan Omar donna l’ordre qu’on se serve des documents pour combustible pour les étuves. Il fallut six mois pour brûler tout le matériel. Seuls les livres d’Aristote furent épargnés et probablement transcrits par les arabes nous sont en partie parvenus.
Comme l’indique Konstantinos Saikos, la bibliothèque des Ptolémées souffrit le destin qui tôt ou tard touche une bibliothèque lorsqu’elle cesse de refléter et de remplir son but original. Peu à peu elle se dégrade, s’appauvrit et finalement succombe naturellement jusqu’à son extinction.
Vu les aléas mentionnés ci-dessus, il est évident qu’il n’existe plus de documents provenant de cette bibliothèque. Tout ce qui nous est parvenu des textes de l’Antiquité provient de copies de copies faites pour la bibliothèque impériale de Byzance ou provenant d’autres bibliothèques hellenistiques, sans exclure encore plus probablement le hasard de la conservation, c'est à dire des lieux « marginaux » ou de copies privées sporadiques.
Wilamovitz, cité par Staikos , pense que seulement 1/5ème de la littérature grecque nous est parvenu...
Article « Alexandrie » par Christian Jacob in Dictionnaire encyclopédique du livre. Paris : Cercle de la librairie, 2002 [FA hist 03 D]
Luciano Canfora. La Véritable histoire de la Bibliothèque d’Alexandrie, Paris : Desjonquères, 1986 [SJ AK 80/38]
Konstantinos Sp. Staikos. The history of the library in western civilization. From Minos to Cleopatra , The Greek world from the Minoans Archival library to the universal library of the Ptolemies”. Oak Knoll Press; Hes et de Graaf publishers, 2004 [FA eco 02E]
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