Question d'origine :
Bonjour,
Il me semble que la Tate Modern à Londres propose un classement des oeuvres thématique, et non pas chronologique, comme c'est le cas habituellement. Avez-vous connaissance d'autres musées d'art moderne aussi renommé que celui-ci qui aient adopté la même approche, en Europe ou aux Etats-Unis?
Merci beaucoup par avance pour votre réponse!
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 05/12/2006 à 14h27
Tout d’abord, précisons que la présentation thématique de la Tate Modern a fait couler de l’encre. Pour resituer le débat et résumer les enjeux comparés de la présentation thématique et chronologique, voici un article en ligne de Chronicart, publié en 2000 : Ils ont mal à la Tate, compte-rendu d’une conversation, dans le cadre d'une journée d'études, entre Werner Spies, directeur du Centre Georges Pompidou, Kirk Varnedoe, conservateur en chef du MoMA et Lars Nittve, directeur de la Tate Modern.
La présentation (ou accrochage) des collections d’un musée reflète forcément une conception de l’histoire de l’art, et de la pédagogie par rapport au public. Voici ce que dit à ce sujet Christine Bernier, dans son très intéressant livre L’art au musée : de l’œuvre à l’institution, qui traite longuement de cette question :
«Depuis le XVIIIe siècle, une certaine conception de l’histoire de l’art aurait véhiculé l’idée que la disposition des collections modernes a évolué vers un paradigme plus historico-artistique, en plaçant tous les objets dans un cadre conceptuel de développement évolutionniste, temporel et stylistique, reflétant de ce fait la croissance d’une conscience historique. Stephen Bann, parmi d’autres auteurs anglo-saxons, remet en question l’organisation officielle de l’histoire de l’art, qui est généralement perçue comme l’ordre naturel du musée, présidant à une distribution des œuvres selon les périodes et les écoles. La notion d’évolution dans le développement du musée serait un concept moderne impliquant l’idée que le précurseur du musée, le cabinet de curiosités, serait plus imparfait que le musée moderne. Bann souhaire que la disposition visuelle des cabinets de curiosités, même si elle date du XVIe siècle, continue au contraire d’être très significative, non seulement dans le design et la conception des musées contemporains, mais aussi dans le discours actuel de l’histoire de l’art.
C’est là un point de vue qui s’appuie sur le rejet, maintenant assez répandu, d’une vision évolutionniste en histoire de l’art. Bann a raison de se positionner contre les historiens de l’art qui ne voient pas que le musée continue à changer et que le musée moderne n’est pas l’état final du développement de cette institution. Il soutient conséquemment que la généalogie des musées actuels peut être retracée du côté des cabinets de curiosités, plutôt que des musées classiques du XIXe siècle…»
Dans les musées actuels, du moins dans les musées importants par leur taille, la présentation des collections est un mélange savant entre plusieurs types de présentation : chronologique, par type d’oeuvres (peintures, objets, ensembles décoratifs, sculptures, photographiques dessins… ces derniers sont soumis en outre à des conditions de conservation spécifiques), thématique, par zones géographiques, par donateur... Voir à cet égard un article de la revue TDC sur le Musée du Louvre où il est dit que :
«Systématiser l’ordre chronologique eût provoqué un mélange des genres préjudiciable aux œuvres elles-mêmes et au plaisir du visiteur. Seule entorse, le rapprochement de la peinture et des arts graphiques dans les circuits français, flamand, et plus tard, italien : une centaine de dessins et pastels accrochés dans huit petits espaces faiblement éclairés. Deux autres enclaves réservées aux dessins se trouvent dans le circuit de la peinture flamande, à l’intérieur de l’aile Richelieu.
…
Celles de Marly et Puget, consacrées à la statuaire de plein air, sont organisées comme des jardins d’hiver, sur deux niveaux. Mais la plus spectaculaire est, sans doute, la cour Khorsabad. On y a transporté, au prix de prouesses techniques, les gigantesques taureaux ailés à tête d’homme, scellés face à face, depuis 1857, dans les murs du département des Antiquités orientales. Ils se dressent aujourd’hui côte à côte, tels qu’ils se présentaient à l’entrée du palais de Sargon II, roi d’Assyrie, au VIIe siècle avant J.-C. Ces monstres antiques de 25 tonnes et de 4 mètres de haut sont devenus l’une des attractions les plus spectaculaires du palais des rois de France : on ne pourrait trouver meilleur symbole de l’équilibre entre histoire, culture et mise en scène, qui caractérise le Louvre d’aujourd’hui. »
Les présentation thématiques sont aussi une spécificité des expositions, qui on souvent un objet plus étroit à traiter qu'un grand musée. Notons à cette égard que, depuis 2005, le Centre Georges Pompidou présente les collections de son Musée d’art moderne par grandes thématiques, sous forme d'expositions temporaires, justement ; en ce moment le thème choisi est Le mouvement des images, mais il y a eu aussi en 2005 : Big bang : destruction et création dans l'art du XXe siècle. Voici, à propos de cette première exposition thématique, un article dans artefact info.
En conclusion, nous pouvons lire Dominique Poulot, dans son ouvrage de synthèse Musée et muséologie, dans l’introduction à son chapitre sur Le paysage contemporain des musées :
«Une envie de musée multiforme semble animer les sociétés contemporaines, où chaque phénomène social semble susceptible de collectionnisme. L’accent mis sur l’irréductibilité spécifique du « local » contribue notamment à multiplier les musées censés donner à voir le passé tel qu’il eut lieu précisément à cet endroit. Pareilles approches des particularités des sociétés et des cultures transforment le sens muséal : la surenchère communicationnelle, appuyée sur les nouvelles technologies, s’accompagne le cas échéant de l’une limitation des enjeux et de l’intérêt du propos. Parallèlement, de grands établissements thématiques apparaissent, chargés d’exposer des connaissances générales, mais qui illustrent souvent un autre aspect du postmodernisme, à savoir la transformation du propos savant et disciplinaire en ce que Clifford Geertz (1986) a nommé un « genre flou ». Quand la muséographie des sciences et des arts emprunte à l’installation ou à d’autres formes de travail plasticien, quand la singularité du regard ou le paradoxe de l’attitude devient le critère de choix du « conservateur invité », chargé de réaménager le musée, quand le catalogue tourne, entre traité de philosophie et livre d’artiste, à l’œuvre originale, sans guère de lien avec la tradition descriptive, l’identité du musée lui-même devient floue.»
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter