Rites funéraires*
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 19/08/2004 à 10h06
526 vues
Question d'origine :
Je suis profondément choqué par la dégradation grandissante , qui existe lors des enterrements, les veuves ne sont plus systématiquement en noir, en deuil, les hommes sont habillés n'importe comment , en jean , t-shirt , la costume et SURTOUT LA CRAVATE n'est plus de mise, les femmes sont en couleurs vives en jupes courtes ....
Lorsqu'il s'agit d'une personnalité, il n'est pas rare de voir " la foule des anonymes"
applaudir, lorque passe le cercueuil, chanter des chansons du défunt s'il s'agit d'une ou d'un chanteur décédé... Mais où est le respect, la compassion ?
Et si moi j'allais applaudir, quand ces individus sans-gêne perdront leur mère , père ou enfants, que penseraient-ils ?
D'où vient cette dégradation des moeurs , et ce n'est pas propre à la France.
Pourquoi, les gens ne portent plus un bandeau noir , ou un bouton noir sur la veste, pourquoi, les femmes ne portent-elles plus le deuil, après le décès d'un être cher, plus d'habits noirs pendant des mois , voir des années comme par le passé ?
A quoi est dû ce profond changement dans le respect des morts et du deuil ?
Réponse du Guichet
anonyme
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 19/08/2004 à 15h54
La notion de "dégradation" étant profondément subjective, elle demeure à votre libre appréciation en tant qu'expression de votre opinion personnelle.
Quant aux changements, réèls, que vous avez observés dans les rites funéraires en France, outre leur inscription dans les mutations profondes que connait la société française depuis quarante ans, de nombreux anthropologues émettent des hypothèses concordantes, qui, loin de suggérer un quelconque mépris grandissant pour les morts, affirment au contraire l'émergence d'une nouvelle pudeur qui ne s'accomode plus d'une solennité factice et artificielle. Ce n'est pas la fonction du rite qui disparait mais sa représentation symbolique vide de sens :
"Chacun ne vient pas réguler son deuil en puisant dans quelques conventions sociales les supports d'une réassurance plus ou moins efficace. C'est sans doute un individu qui vient se courber sur la tombe, qui dépose des fleurs, et non une société en son entier.(...) La ritualité funéraire n'est pas seulement un patron des gestualités reconnues, selon les conventions que passeraient silencieusement entre eux des individus. On ne se met pas d'accord à plusieurs pour dire que l'on processionne, que l'on donne à manger au mort, qu'on dépose une fleur sur le cercueil ou qu'on écoute à ses côtés de la musique. C'est cette vision, pauvre en symboles et en enjeux, qui semble aujourd'hui se déployer. D'où le sentiment d'une vacuité car, comment miser sur le sérieux d'une mise en scène, sur son timing impeccable et l'air grave des participants pour s'assurer que le rituel a lieu ?" (...)
"Elle [la ritualité funéraire] peut se moderniser, se transformer par simplifications successives ou bricolages multiples, reste que cette ritualité n'est pas seulement la convention variable dans le temps et l'espace des survivants, mais préalablement la scène à quoi convoque le mort. Ce qui compte dans le remaniement des gestes rituels, par abandon de telle habitude et l'apparition de telle façon de faire, c'est toujours la construction d'un rapport au défunt, telle que la mort y oblige. Ce qui revêt un caractère d'obligation dans le rituel ce ne sont pas les conventions propres qui sont toujours malléables, ou ce n'est pas seulement son arbitraire qui de fait vient d'imposer, mais la mutation du décédé en défunt et donc la mise du mort à sa place."(...)
"Le mort doit être entouré de respect, s'accorde-t-on à dire. Mais il faut surtout le tenir en respect : le mettre à distance, le mettre dehors." in La place des morts : enjeux et rites de Patrick Baudry, 1999.
Annick Barrau, dans Quelle mort pour demain ?, analyse les modifications des rites funéraires selon une tendance à une personnalisation des cérémonies qui doivent être "simples mais dignes" :
"C'est dans le domaine de l'extériorisation de la mort que le changement est le plus manifeste. En effet, rites de funérailles et de deuil ont tendance à se réduire au minimum décent : plus de cortèges dans les rues, plus d'habits de deuil, etc. L'enterrement n'est plus une cérémonie publique exprimant la solidarité d'une communauté, c'est devenu un acte privé réservé aux proches : on n'importune plus les autres à propos d'un événement qui ne les touche plus. Le groupe social ne marque plus de pause ; les spécialistes des pompes funèbres se chargent de tout et assurent une disparition rapide du corps du défunt. Aux débordements spectaculaires du passé succède une discrétion qui rend le deuil solitaire et honteux. Le respect de la douleur justifie l'éloignement et le silence, car la souffrance est désormais comprise comme un défaut social portant atteinte au nécessaire bonheur collectif." (...)
"Qu'ils soient de caractère religieux ou civil, les rites ne peuvent être salutaires que s'ils ont un sens dans l'esprit des survivants, c'est-à-dire s'ils contribuent réellement et sincèrement à honorer le défunt tout en favorisant une solidarité humaine susceptible de prendre en charge cette survenue de la mort qui n'est jamais banale pour les proches. Malgré la diversité des attitudes en ce domaine, il ne semble pas que l'homme moderne soit fondamentalement hostile à une certaine solennité dans les obsèques, sous réserve toutefois que le cérémonial soit adapté aux nouvelles mentalités. Interrogées sur la question, les familles reprochent en général aux célébrations d'aujourd'hui leur uniformisation, leur anonymat, leur côté sans âme, sans vie... En effet, la cérémonie banalisée, impersonnelle, quasi-identique pour tous (en un mot : standardisée) n'apportant aucune aide, aucun réconfort, aux survivants et trahissant même parfois l'image du défunt, est de moins en moins bien acceptée, tout au plus supportée. Pour beaucoup, les rituels d'antan ne font plus sens."
Annick Barrau expose ensuite quelques exemples de cérémonials personnalisés : la mère d'une ballerine décédée qui s'est adressée à l'assistance lors de ses obsèques en lui demandant d'applaudir pour sa "dernière représentation" ; les amis d'un jeune homme décédé la veille de son mariage ont assisté à ses obsèques dans la tenue prévue pour ce jour, ainsi que la mariée... et elle conclut : "
Par ailleurs les rites funéraires ne diffèrent guère aujourd'hui dans leurs accomodations individuelles des variations régionales du XIXème siècle : en Flandre, le père et la mère n'accompagnaient pas leur enfant au cimetière ; dans le Perche, les enfants morts-nés étaient sortis par la fenêtre ; à Pontarlier, les femmes mettaient "une certaine coquetterie à avoir un grand deuil de femmes" ; en Savoie, le veuf ou la veuve n'accompagnaient pas le conjoint décédé ; en Auvergne, la marche funèbre était joyeuse et on chantait "Turlututu ma femme est morte" ; de même en Haute Savoie, dans les pays Mauges, en Bretagne, en Franche Comté où l'on entendait : "Le veuf joyeux", "Le méchant mari" ou "Tiro dé ci, tiro dé là", parodie du Dies Irae, etc... (in Le folklore français : du berceau à la tombe, cycles de carnaval, carême et de Pâques de Arnold van Gennep.
Cependant, il existe encore des rites funéraires ancestraux qui subsistent, comme celui du Sati en Inde. Officiellement, la dernière veuve immolée par le feu fut Roop Kanwar en 1987 à Deorala au Rajasthan. Elle était âgée de 18 ans. Mais il arrive encore que certains cas "suspects" soient signalés, malgré l'interdiction officielle.
Enfin, pour une vision moderne de l'art d'accommoder les restes, vous pouvez vous référer à la série télévisée Six Feet Under qui retrace les aventures d'une famille de croque-morts.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter