Question d'origine :
Bonjour très cher Guichet,
Une petite interrogation d'ordre culturello-gustatif si tu le veux bien... Existe-t-il une raison logique pour que nous commencions un repas par le salé et le terminions par le sucré ? Est-ce une raison physiologique (sensation de satiété dû au sucré, peut-être ?) ou historique et culturelle ? Merci d'avance et bon appétit à toutes et tous...
Réponse du Guichet
bml_sci
- Département : Sciences et Techniques
Le 26/01/2006 à 09h23
Chacun d'entre nous a son propre registre d'aliments préférés, qu'il prend plaisir à manger. Pour certains, ce peut être la douceur d'un chocolat; pour d'autres, la saveur unique d'un fromage fort ou encore le caractère épicé d'une sauce accompagnant les pâtes.
Ce que nous appelons communément le "goût" d'un aliment est en réalité la "flaveur", laquelle résulte de
Le goût véritable apparaît sur la langue. Nous naissons avec 10 000 papilles gustatives situées à l'arrière, sur les côtés et sur la pointe de la langue, dans le palais et dans la gorge. Lorsque les cellules des récepteurs gustatifs situés à l'intérieur des papilles sont sollicitées par des stimuli chimiques, elles détectent cinq sensations primitives: doux, acide, salé, amer et "umami", ce goût piquant-salé du glutamate que l'on trouve dans les aliments riches en protéines et en glutamate de sodium.
extraits de ce Site d'information sur la nutrition et la sécurité alimentaire
La langue est un muscle très mobile recouvert d'une muqueuse rose constamment humide, la surface est tapissée de papilles sensorielles, les unes tactiles, les autres gustatives.
Il y a deux sortes de papilles gustatives :
- les papilles caliciformes, au nombre de neuf à douze, formant le V lingual
- les papilles fongiformes, petites et nombreuses, situées en avant du V et le long de ses branches.
Papilles caliciformes et fongiformes renferment des bourgeons gustatifs en relation avec le nerf du goût.
De même il existe deux sortes de papilles tactiles : les papilles filiformes et corolliformes.
source la langue et la gustation
En matière de goût , les préférences et les aversions ont une valeur homéostatique. Une prédilection pour le sucré et le salé pousse à satisfaire les besoins en glucides et en minéraux (ainsi qu’en certains acides aminés).
Beaucoup de poisons naturels et d’aliments gatés ont un goût amer, si bien que notre aversion pour l’amertume a une fonction protectrice.
Pour votre information :
-Anatomie et physiologie humaines de Elaine N.Marieb
-Cet article du Journal du CNRS sur la naissance du goût
-Pour une nouvelle physiologie du goût ouvrage de Jean-Didier Vincent
-Cet article sur Infosciences
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 26/01/2006 à 10h51
Comme vous le pressentiez, la dimension culturelle est fondamentale dans la distinction salé / sucré et dans l’ordre de succession des plats.
Pour ce qui est de l’opposition salé / sucré, citons brièvement deux passages d’ouvrages auxquels vous pourrez vous reporter plus longuement :
« Les Machiguenga, tribu péruvienne de la région du rio Madre de Dios, n’ont qu’un mot pour désigner le sucré et le salé. Ils racontent qu’une créature surnaturelle « douce comme le sel » avait un mari qui n’arrêtait pas de la lécher. Excédée, elle le changea en abeille /siiro/ qui, aujourd’hui encore, se montre avide de la sueur humaine. » Du miel aux cendres / Claude Lévi-Strauss, p. 242
« Le sucre mérite une mention spéciale. Il existe à son propos (…) une acceptabilité innée et un appétit pour des concentrations fortes. Les aliments sucrés sont suffisamment rares dans le milieu naturel pour que le miel ait une place à part. On a mentionné une frénésie de miel à propos des Pygmées et C. Lévi-Strauss évoque le mythique personnage de la « fille folle de miel ». (…) A. Kanafani-Zahar illustre abondamment l’effervescence douce qui ouvre l’année sur le mode sucré, doux (sweet), et féminin qui existe dans beaucoup de cultures. »Cuisines : reflets des sociétés
L’essentiel de votre question portant principalement sur l’ordre de présentation des plats, salés puis sucrés, nous vous recommandons la lecture de l’ouvrage de Jean-Louis Flandrin L’ordre des mets, intégralement consacré à la question des associations / dissociations de saveurs, et à l’ordre des plats au cours des siècles. Vous pourrez y lire : « A partir du XVIIe siècle, il est temps de le remarquer, l’une des quatre grandes saveurs a fait bande à part : le sucré. Jusque-là, le sucre n’avait été exclu d’aucun type d’aliment – ni des viandes, ni des poissons, ni des légumes – et on pouvait en trouver à n’importe quel service du repas. Les mets sucrés n’étaient exclus d’aucun service et de l’assaisonnement d’aucun type d’aliment, même si, déjà au XVIe siècle, on en trouvait davantage au dessert. A partir du XVIIe siècle, au contraire, d’une part, certains aliments ne peuvent avoir qu’un assaisonnement salé et d’autres qu’un assaisonnement sucré. D’autre part, les mets sucrés trouvent de plus en plus place dans les deux derniers services du repas : l’entremet et le dessert. Depuis le XVIIe siècle au moins jusqu’à la fin du XIXe, voire le début du XXe, l’ordre des mets s’est réorganisé pour que ceux de saveur sucrée soient tous mangés après les mets de saveur salée. Cela ne s’est pas fait en un jour : il s’agit d’un lent mouvement de reclassement qui s’est étalé sur plusieurs siècles avec persévérance et continuité. S’il a concerné plusieurs pays (…) il semble avoir été d’abord et surtout français. » (p. 129-130).
Par ailleurs, dans le troisième chapitre de La saveur des sociétés : sociologie des goûts alimentaires en France et en Allemagne de Jean-Vincent Pfirsch intitulé « La classification des saveurs », vous trouverez une étude culturelle très approfondie du rapport au sucré et au salé, de la dissociation complète à l’association des saveurs, dans les cultures allemande et française :
"«Le XVIIe siècle marque le commencement de la période historique à partir de laquelle s’impose l’opposition entre « sucré » et « salé », centrale dans les principes de la gastronomie française moderne. (…) Par l’usage qu’ils font des épices et des fruits acides en conjonction avec les hachis de viande, on pourrait rapprocher certains plats moyenâgeux de divers aspects de la cuisine indienne ou moyen-orientale. La distinction fondamentale de la cuisine française moderne, entre sucré et salé, n’est pas encore fermement établie et l’on n’utilise pas automatiquement le sel et le poivre ensemble. Certaines des sauces qui accompagnent les plats de viande ou de poisson contiennent du sucre et l’on sert couramment la viande avec des fruits. (…) C’est aussi au cours du XVIIe siècle qu’apparaissent les premiers traités de confiserie, distincts des livres de cuisine. (…) La séparation nette du « sucré » et du « salé » ne sera, certes, jamais tout à fait achevée dans les faits : les pâtes à tartes contiennent souvent un peu de sel. Mais elle le sera dans les esprits, sous forme de système classificatoire fondamental. C’est apparemment une caractéristique de longue durée du « goût français » que de se fonder sur l’opposition « sucré : salé » et que de chercher à classer les mets du côté de l’un ou de l’autre de ces pôles alternatifs. » (p. 89-90)
« En effet, le sucre est loin d’être un aliment neutre ou insignifiant. Au même titre que la viande, il suscite des prescriptions et des dispositions culturellement déterminées, mêlant de façon souvent inextricable la raison et la croyance, la rationalité et la morale. Comme la viande, le sucre a toujours occupé une place particulière dans l’alimentation humaine. Depuis son apparition en Occident,
« Mais il y a plus. Le sucre apparaît comme le produit et l’enjeu d’intenses activités sociales. Son apparition en Occident au cours du XIe siècle, sous forme de sucre de canne, et les développements de sa production et de sa consommation aux XVIe et XVIIe, puis son industrialisation et sa diffusion massive passant par l’exploitation de la betterave au XIXe siècle, sont fortement liés, historiquement, aux processus politiques et économiques. Autrement dit, « dans l’histoire, le sucre a joué un rôle particulier. Il a été lié indissolublement à l’essor du commerce mondial, à la colonisation, à l’esclavage. » (…) Cela signifie que l’appétence à l’égard du sucre et sa consommation ne peuvent que susciter, au cours des siècles, débats et controverses, qui d’un point de vue moral posent la question de la légitimité de ses modes d’usage et de sa consommation. (...)
« Le débat n’est pas clos au XXe siècle, loin de là. Il se poursuit et se complexifie. Il a été largement ravivé dans les années soixante dix, les arguments échangés se nourrissant de justifications issues plus ou moins directement du monde médical, et concernant les répercussions de sa consommation sur la santé. Cependant, il apparaît que derrière les tentatives de rationalisation a posteriori, se cachent des partis pris mettant en jeu des idéologies, des morales, des croyances, des visions du monde particulières. C’est aussi d’un rapport au plaisir immédiat qu’il est question, de son statut moral, de ses modes de régulation. » (p. 99)
On pensera à ce propos au statut de « récompense » du dessert, qui a longtemps prévalu dans les principes d’éducation des enfants français.
Sur ces questions voir aussi les ouvrages de notre catalogue accessibles par une recherche par sujet telle que Habitudes alimentaires.
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