Question d'origine :
Bonjour !!!
Que represente une pleureuse dans un enterrement et pourquoi met on une statue ou une statuette qui represente une pleureuse dans un cimetière français ?
Mercie !!!
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 22/12/2005 à 12h18
Pour répondre à votre question il semble qu’il faille remonter très loin dans le temps et quitter un moment la France !
En effet, depuis l’Antiquité, les pleureuses, ces femmes rétribuées pour sangloter, gémir et implorer le Ciel lors des obsèques, « suppliantes » d’autant plus nombreuses que le défunt était puissant (pour son fils Kamosé, la reine Ahhotep en avait engagé deux cents!), respecté ou encore frappé par la mort dans l’innocence du jeune âge; nous proposent "le paradigme du spectacle, c’est-à-dire une représentation de la douleur plus impressionnante que la douleur dont elle n’est pourtant qu’un simulacre". Le phénomène des pleureuses interroge en effet la notion de représentation.
Ces « faiseuses de larmes » comme on les appelle parfois, incarnent la compassion, le recueillement, malgré qu’elles aient souvent été -ce qui peut sembler paradoxal ou surprenant- rétribuées pour le faire.
Il n’y a qu’à relire cet extrait de fable d’Esope (« le riche et les pleureuses » Fables, septième partie -301 à 358) pour le constater :
« Un homme riche avait deux filles. L'une d'elles étant morte, il loua des pleureuses à gages. L'autre fille dit à sa mère : «Nous sommes bien malheureuses : c'est nous que regarde le deuil et nous ne savons pas faire les lamentations, tandis que ces femmes, qui ne nous sont rien, se frappent et pleurent avec tant de violence.» La mère lui répondit : «Ne t'étonne pas, mon enfant, si ces femmes font des lamentations si pitoyables : elles les font pour de l'argent.» C'est ainsi que certains hommes, poussés par l'intérêt, n'hésitent pas à trafiquer des malheurs d'autrui. »
Par ailleurs, il faut savoir qu’il était essentiel pour les grecs de l’Antiquité de lier les moments importants de la vie à la musique, il était donc naturel que le dernier « voyage » soit prétexte à « payer » des pleureuses qui chantent au mort le mirologue (le mot grec est d’ailleurs thrénodos, celle qui chante le thrène « lamentation sur un mort »), dont l’air particulièrement triste et les paroles émouvantes étaient destinées à faire « monter les larmes aux yeux » de l’assistance.
Certaines traditions au contraire ne connaissent aucune « pleureuse », c’est le cas chez les Chams, où seules la famille et les connaissances suivent la marche funéraire, la tradition Cham interdisant les pleurs. C’est l’Imam qui récite les sourates appropriées.
Comme vous le savez peut-être, c’est de nos jours dans les pays du Maghreb que cette tradition des « pleureuses » est encore la plus vive.
Ces « démonstrations de larmes » sont notamment présentes dans tous les gouvernorats de la Haute-Egypte. Selon le Dr Abdel-Hamid Hawas, professeur de culture populaire à l’Académie des arts, il s’agit d’une particularité de la campagne égyptienne dont l’origine remonte à l’époque pharaonique.
« Sur les murs des temples, des scènes montrent des oraisons funèbres où les pleureuses suivent le cercueil », explique-t-il. En fait, ces lamentations durent trois jours, du lever du soleil jusqu’à la tombée de la nuit. Durant une semaine, les pleureuses visitent tous les jours la maison du défunt. Au-delà du 7e jour, les visites vont s’espacer et elles ne se rendront chez la veuve que le jeudi (khémsan) jusqu’au 40e jour (Al-Arbéïne).
C’est un témoignage de solidarité et de compassion avec la famille du défunt. Et si les cris s’intensifient au fur et à mesure que les femmes s’approchent de la maison, c’est pour attester à la famille qu’elles sont là pour partager ce grand chagrin. « Al-Hawari est un grand homme, notre devoir est d’être aux côtés de sa veuve pour la consoler », lance Agayeb, la soixantaine, accompagnée de plusieurs pleureuses.
Ces dernières, qui connaissent de nombreuses élégies et oraisons funèbres du patrimoine populaire, viennent réciter des louanges et rappeler les qualités du mort.
« Ô cousins comptez vos turbans, car dans le nombre il y a un turban soigné qui manque (cela signifie qu’une figure illustre vient de disparaître) ». Ainsi dit la pleureuse, et toutes les femmes fondent en larmes. En fait, cette dernière possède l’art de faire pleurer l’assistance et est capable de verser des larmes pendant des heures. Un tel événement réveille en elle la tragique disparition de son fils. « Il a été fauché à la fleur de l’âge »,explique Fathiya, 65 ans, d’une voix tremblante. A chaque décès, elle se souvient de ce jeune homme qui a rendu l’âme, il y a plus de 15 ans, et qu’elle ne peut oublier. En général, les pleureuses sont accompagnées de leurs filles à qui elles veulent transmettre leur savoir.
C’est bien grâce à ma mère si j’ai appris les 3 000 vers d’élégie que je déclame aujourd’hui », dit Rasmiya, 58 ans. »
Il faut bien comprendre que cette tradition se transmet
« Pleurez pour ce qui vient de se passer. Le meilleur des hommes a disparu. Quel drame ! Ses pieds portent encore les traces du henné », lancent les pleureuses, lorsqu’il s’agit d’un jeune marié. Quand c’est une femme, les superlatifs abondent aussi. La pleureuse évoquera « son rire sonore, sa bonté » et blâmera même les envieuses qui la jalousaient. « La colombe s’est envolée et les corbeaux ont obscurci le ciel », dira-t-elle.
« La famille qui perd un être cher ne peut pas rompre ses liens avec lui, elle lui rend visite une ou deux fois par semaine comme s’il était toujours vivant », explique hag Saad. Il ajoute que cette pratique a engendré l’art de pleurer les morts et a permis aux pleureuses d’être estimées par tout le monde.
Pendant que les hommes s’attellent aux préparatifs des rites habituels, à savoir donner un dernier bain au mort et organiser les funérailles, les pleureuses sont déjà à l’œuvre.
Enfin, pour ce qui est d’en avoir fait un véritable
"Je dois rassembler toutes les informations concernant le défunt et prévoir ce que je dois dire. Puis je construis des phrases courtes et invente quelques expressions et ça marche", dit Oum Emad, 65 ans, une des rares pleureuses professionnelles.
(pour aller plus avant dans les détails sur ce rite hautement conservé en Haute Egypte voir Al-Ahram) (ajouter arab/ahram/2003/4/9/null0.htm pour accéder à l'article).
Il n’est donc pas étonnant de retrouver ce phénomène de « pleurs publics » jusque dans le vocabulaire employé pour tel ou tel monument funéraire (le fameux
Et ne trouve t-on pas, et ce dès le texte 9 du prophète Jérémie (fin du 7è siècle av. J.C / Jérémie 19-20) cette annonce faite
« Femmes, écoutez la parole du Seigneur !
Que vos oreilles reçoivent la parole de sa bouche !
Car la mort monte par nos fenêtres, elle pénètre dans nos belles maisons; elle vient faucher les enfants dans la rue et les jeunes sur les places. » (TOB, ed. cerf).
Il est donc bien logique de retrouver la trace des "pleureuses" (héritée sans aucun doute de ces anciens temps) dans notre patrimoine national (religieux), quasi exclusivement dans la statuaire comme vous l'évoquiez -pas un cimetière français sans son lot de pleureuses sculptées- (lamentation et compassion pour le défunt ainsi « figées » dans la pierre) mais aussi au travers de « larves » soit des figures angéliques ou même monstrueuses, de pierre taillées et ornementant les tombes (dès le XVIIIè siècle et très à la mode dans les années 1930), dont les
Pour ce qui est de la tradition de « procession » en France, il faut par exemple se tourner du côté de la Corse ou bien des Pyrénées ! On reste au "sud" donc...
« La coutume des lamentations aux funérailles était si répandue dans les Pyrénées et si spectaculaire, qu'elle avait provoqué au XVIIIe siècle la curiosité des voyageurs et l'indignation du clergé. Une spirituelle visiteuse décrivait ainsi les enterrements au village de Mauvezin : "Les femmes, encapuchonnées, vêtues de noir, faisaient des hurlements et des complaintes, apostrophant celle qu'on va mettre en terre, et cela si uniformément qu'un très joli perroquet qui appartient à un chirurgien demeurent sur la place a retenu tout ce qui se dit dans ces occasions et se joint aux femmes quand il passe quelque enterrement.
[…] A Saint-Savin, les bénédictins de Saint-Maur eurent la peine à mettre fin "aux chansons ridicules que les femmes avaient accoutumé de chanter sur les sépulcres des morts, mettant parfois la face contre terre".
Pour en savoir plus (et notamment sur une étrange tradition liant les "pleureuses" à des objets de cire :
« Dans la vallée de la Soule, où la coutume s'est maintenue, le jour de la Chandeleur on place les rouleaux de cire bénite dans des ezkochaïa, petits paniers d'osier agrémentés de dentelles et de rubans noirs. A chaque enterrement, il était d'usage de rassembler toutes les cires du village dans une grande corbeille que la gardienne des cires plaçait au pied du cercueil. Elle les allumait, les surveillait et les déroulait au fur à mesure qu'elles se consumaient. Les neuf jours suivants,
voir : Ballades en Pyrénées)
Il serait trop long de revenir sur la particularité des pleureuses de chaque pays, et à chaque époque mais voyez combien le phénomène est important, il était donc bien naturel que nous le retrouvions dans l’art, et comme vous le dites l’art funéraire français.
Pour revenir aux civilisations anciennes expliquant cet héritage, on trouve ainsi des pleureuses sculptées sur d’innombrables sarcophages... (le très beau tombeau d’Amenemonet par exemple cf Tombeau d'Amenemonet) mais aussi peintes en fresques ou même "objets" de pièces de théâtre (les fameux mystères joués sur le parvis des cathédrales au Moyen-âge) parfois remplacés par une procession (de pleureuses !) lorsqu'ils furent supprimés en 1755 à Romont, par exemple (cf Pleureuses de Romont) où « des jeunes filles vêtues de noir, les cheveux épars, représentant la sainte vierge et les femmes de Jérusalem…portaient les instruments de la passion, peints sur des banderoles …montraient une statue du christ avec ses plaies ».
C’est donc bien évidemment en référence à une vierge Marie
-d’autant plus éternelle- dans la pierre.
Vous pourrez constater que si « leur forme » diffère (plus expressive, plus pudique, plus triste, ou aux chants plus ou moins joyeux) selon les époques et civilisations, les « pleureuses » affichent une parenté entre elles.
Nous les retrouvons aussi bien au Gabon (voir par exemple le livre Ngongo des Inities, en hommage aux Pleureuses du Gabon de Mabik-Ma-Kombil) qu’en Haute Egypte, en France, mais aussi en Allemagne... et ce de l’Antiquité ou XXè siècle.
(cf France obsèques dossiers en ligne sur leur présence notamment en Allemagne et par exemple dans l’Hindouisme).
Tout ceci prouve la pertinence de l’affirmation : ces femmes qui pleurent les morts « depuis 600 ans", "2000 ans", ou "la nuit des temps" !
Malgré qu’il faille, et pour finir, prendre en compte l’aspect désormais quelque peu controversé de leur réalité, que synthétise la remarque de Kadaré sur ce phénomène : "l’origine du mot acteur : « hypokrites » en grec, un adjectif qui va comme un gant aux professionnelles qui pleurent un mort qui ne leur appartient pas ».
Peut être est ce l’une des raisons ayant poussé nombres de familles à
Pour poursuivre votre recherche, quelques ouvrages...(disponibles en consultation ou empruntables à la bibliothèque)...
* Les tombeaux de Lucien Augé
* Erotique du cimetière de André Chabot (de très belles illustrations, un parralèle possible entre statuaire érotique et les poses parfois lascives ou sensuelles -dues à la féminité- de nombres de pleureuses...)
* Naissance du cimetière de Michel Ragon
* L’art chrétien en France au XXe siècle de Maurice Brillant
* L’espace de la mort de Michel Ragon
* Les sépultures à travers les âges de F. Martin
* Le cimetière de Loyasse de Pierre Beuf
* Les Pleureuses, L'église abbatiale d'Hautecombe de J.D. Duchauchix
deux pleureuses originales...celles de Pablo Picasso !
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