Question d'origine :
Quelle est la différence entre un jeu et un sport?
par extension, les échecs sont-ils un sport?
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 08/12/2005 à 14h37
On dit, il est vrai, jeux de sport, jeux sportifs, jeux olympiques…………
Pour répondre à votre question il est indispensable de se replonger dans l’histoire du jeu et dans celle du sport. Car en effet le sport, comme le montrent les textes qui suivent, naît du jeu et des activités ludiques.
Voici deux articles tirés de l'Encyclopaedia Universalis qui définissent respectivement le jeu et le sport et comment l’on est passé de l’un à l’autre.
La bibliographie qui suit le premier article est intéressante, vous pouvez la consulter sur le site de l’encyclopédie.
La grande différence que l’on pourrait sommairement évoquer pour distinguer les deux serait de l’ordre de l’effort physique et musculaire et à ce titre-là le jeu d’échecs, même s’il demande une importante concentration (comme pour un sport), ne réclame pas d’entraînement physique.
Premier article sur le jeu : "Qu'il soit individuel ou collectif, le jeu est une activité qui semble échapper, presque par définition, aux normes de la vie sociale telle qu'on l'entend généralement, puisque jouer c'est précisément se situer en dehors des contraintes qui régissent l'existence ordinaire. Mais, en même temps, il est évident que le jeu n'est pas sans rapport avec cette même vie sociale puisque, d'une part, il la parodie bien souvent et que, d'autre part, on peut aisément trouver dans les formes les moins rationnelles de toute culture des éléments de fantaisie qui donnent satisfaction à notre appétit de jeu. On peut alors se demander si l'esprit ludique n'est pas présent dans certains processus qui s'imposent à l'attention du sociologue, s'il ne lui en fournit pas l'explication, et si, inversement, le jeu n'est pas une sorte de déformation des productions culturelles. On pourrait même soutenir que tout dérive du jeu ou que tout peut devenir jeu. Seules des définitions et des classifications rigoureuses permettent de délimiter la part exacte du jeu dans l'intégration de l'individu à la société ; dans les institutions et les œuvres culturelles, et finalement dans le principe même de l'engagement social.
Dans la plupart des définitions du jeu, ce concept est assimilé à ceux de divertissement et d'amusement. De ce fait, on évoque la théorie pascalienne du divertissement qui permet à l'homme d'éviter l'ennui en se « pipant soi-même », c'est-à-dire en s'illusionnant sur une sorte de liberté qu'il croit ainsi acquérir par rapport à ses propres déterminations. Et l'on met d'autre part en évidence le lien entre l'activité ludique et les distractions joyeuses, dont celles des enfants sont l'image la plus manifeste.
En fait, pour distinguer, parmi toutes les activités, celles qui peuvent être appelées ludiques, il faut plutôt énumérer des critères spécifiques. Selon Ji Huizinga, ce qui caractérise le jeu, c'est qu'il est une action libre, sentie comme fictive, située hors de la vie courante, dépourvue d'intérêt matériel et d'utilité, bien délimitée dans le temps et dans l'espace, se déroulant selon certaines règles et suscitant des relations de groupe qui accentuent leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel. En définitive, dit-il, le jeu, quant à ses fonctions, est « une lutte pour quelque chose ou une représentation de quelque chose ». Roger Caillois a retenu la plupart de ces critères, mais après avoir remarqué qu'ils laissent de côté un certain nombre de jeux, notamment ceux qui présentent un intérêt matériel, comme ceux où il y a un enjeu et, en fait, presque tous les jeux de hasard. Il propose donc de circonscrire la notion par les caractères suivants : il s'agit d'une activité libre, réglée ou fictive, incertaine dans son déroulement même si elle est soumise à des règles, et improductive même quand elle implique un déplacement de propriété à l'intérieur du cercle des joueurs.
Ces caractéristiques aboutissent à distinguer nettement le jeu de l'ensemble des activités sociales, puisque le jeu pose de lui-même ses séparations par rapport à celles-ci et puisqu'il ne se conçoit comme un jeu que dans la mesure où il ne produit aucune œuvre culturelle, aucune acquisition et dans la mesure aussi où il échappe à toute détermination, même s'il est réglementé.
Pour comprendre, en dépit de telles oppositions, les implications sociales du domaine ludique, il faut les repérer, les classer et tenter d'en élaborer une typologie, car les aspects du jeu sont extrêmement variés. La classification établie par Roger Caillois distingue quatre sortes de jeux suivant qu'ils sont dominés par la compétition (agôn), le hasard (alea), le simulacre ou le « faire-semblant » (mimicry) et la recherche d'un certain vertige (ilinx). Dans tous les cas, le jeu place l'individu dans une situation qui suppose un rapport avec le monde différent de celui qui est habituel dans la vie sociale normale. Or il y a deux façons de modifier ce rapport. Ou bien on s'évade du monde en créant un univers artificiel d'égalité pure au départ grâce à la compétition libre ou à l'effet du hasard, ce qui renvoie aux deux premières catégories. Ou bien c'est le sujet lui-même qui se transforme dans son rapport avec le monde, soit en se créant un autre personnage, soit en provoquant un certain trouble intérieur, ce qui renvoie aux deux dernières catégories. Ainsi, par exemple, on peut citer d'une part, dans le premier cas le jeu d'escrime (agôn), le baccara, la roulette (alea) qui placent les partenaires dans une position égale au début de la partie ; et, d'autre part, dans le second cas, l'activité de l'enfant qui joue à la maman, comme aussi les mascarades (mimicry) et le manège (ilinx).
Bien évidemment, certains jeux consistent en une combinaison de plusieurs de ces principes : il en est qui font intervenir à la fois le hasard et la compétition comme le bridge, ou d'autres qui unissent le simulacre et le vertige. D'autre part, Roger Caillois fait remarquer que le simulacre et la compétition réglée peuvent créer des formes de culture telles que le sport ou le théâtre, tandis que le hasard et le vertige ne stimulent pas l'action créatrice mais paralysent au contraire le sujet. Autrement dit, dans la transformation du rapport entre l'individu et le monde, il y a quatre attitudes différentes, puisqu'on peut, d'une part, tenter de modifier le monde par une intervention active dans la compétition ou par une acceptation passive des effets du hasard et, d'autre part, essayer de transformer le sujet par la simulation volontaire d'une autre personne ou par la recherche d'un vertige subi. Encore faudrait-il ajouter que, dans certains cas, le principe de ces diverses catégories de jeu peut être compliqué par des phénomènes de substitution ou d'identification."
Le deuxième article sur l'histoire du sport (on le trouve sur le même site que le premier article de l'Encyclopaedia Universalis en cherchant avec les mots sport-histoire) : "Entre la naissance de l'acte sportif, accompli par l'homme primitif et les épreuves que des centaines de millions de spectateurs suivent avec passion aujourd'hui, quand ils n'y participent pas, subsiste un fil conducteur que les aléas de l'évolution ne sont pas parvenus à rompre.
« Le sport, a écrit Jean Giraudoux, est le seul moyen de conserver dans l'homme les qualités de l'homme primitif. Il assure le passage de l'ère de pierre écoulée à l'ère de pierre future, de la préhistoire à la posthistoire. Il se pourra, grâce à lui, qu'il n'y ait aucune trace des méfaits de la civilisation. Car le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l'âme : l'énergie, l'audace, la patience. » Cette définition, proposée par un écrivain qui savait ce que l'effort physique signifiait, va nous aider à jalonner la route, semée d'étoiles et d'embûches, suivie par l'Homo sapiens jusqu'aux premiers phares de l'humanité, puis nous permettra de cheminer jusqu'à notre époque, en compagnie de ceux auxquels nous devons l'institution sportive, qui ne laisse aucun peuple, voire aucun État, indifférent.
Le mouvement est naturel à l'homme comme le repos. Très tôt, l'activité physique fit partie de ses préoccupations quotidiennes. Cette animation du corps relevait d'abord de ce que l'on est convenu d'appeler, depuis Darwin, la « lutte pour la vie ». Ainsi l'exercice physique ne fut pas, dans les premiers temps, le « sport » ; le chasseur, qui tuait pour se nourrir, ne songeait évidemment pas à la compétition. Mais, dès qu'il eut assuré sa sécurité et sa subsistance, il rechercha et trouva le plaisir dans la répétition gratuite de prouesses qui furent d'abord obligatoires. Un jour, le chasseur, qui tuait pour fournir de la viande à sa famille ou qui fuyait les bêtes sauvages, courut pour son seul agrément, franchit les obstacles naturels, sans que le hasard ou la nécessité l'y forçât, compara sa force, sa résistance avec celles des autres membres de sa tribu.
Ainsi, l'instinct sportif fut sans doute aussi vieux que les premiers loisirs de l'homme, et l'émulation se perd dans la nuit des temps : les rivalités de clan à clan, de peuplade à peuplade, constituèrent vraisemblablement le contexte originel dans lequel une activité physique préfigurant le sport a pu naître.
Le sport apparut dès que la notion de jeu s'intégra à l'activité quotidienne et se dégagea progressivement des contraintes et des difficultés matérielles. Pierre de Coubertin, qui, dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, énonça un nouveau code de l'activité physique, a proposé une explication, à notre sens trop limitative : « Le sport est le culte volontaire et habituel de l'effort musculaire intensif, appuyé sur le désir de progrès et pouvant aller jusqu'au risque. » On pourrait répliquer à Coubertin que le sport intègre à la fois les activités naturelles et fonctionnelles, le jeu, le goût de la lutte et celui de l'association. Quand, au chant V de L'Odyssée, Ulysse gagnait à la nage les rochers de Corfou, il se situait pour ainsi dire au-delà du sport ; quand Nausicaa jouait à la balle avec ses compagnes (chant VI) elle restait en deçà. En revanche, quand, au chant VIII, Laodamas et Euryale lançaient à Ulysse leurs insolents défis, ils répondaient déjà à la notion que nous retenons aujourd'hui et qu'ils nommaient athlôn (v. 133).
Il faudra en fait des millénaires pour que l'on sorte des limbes et que l'on passe de l'effort entièrement consacré à la discipline militaire, que pratiquaient les Égyptiens ou les Chinois, à la participation à une activité sportive autonome et individualisée. Les traces palpables les plus anciennes que nous possédions, hormis celles des chasseurs des grottes de Lascaux, remontent à 3500 avant J.-C. : des bas-reliefs de la vallée du Nil représentent, en effet, des hommes effectuant des exercices de course et de saut et pratiquant la natation et l'équitation.
C'est un brave qui agit par l'épée, un vaillant qui n'a point d'égal - relate le texte de l'éloge adressé à un roi de la XIIe dynastie. Il voit les barbares, s'élance sur eux, fond sur les pillards. C'est un lanceur de javelot qui abat ses adversaires ; ceux qu'il frappe ne se relèvent pas ; c'est un coureur rapide qui massacre les fuyards.
Plus de vingt siècles après, Homère expliquera dans L'Odyssée qu'il n'est pas de plus grande gloire pour l'homme que « d'exercer ses pieds et ses mains ». Et de décrire les exploits d'Ulysse en ces termes :
Ulysse, sans quitter son manteau, saute dans l'arène, saisit un disque énorme, plus large et plus pesant que ceux des Phéaciens, et de sa forte main le lance en tourbillonnant. La pierre surgit, les Phéaciens baissent la tête pendant le vol rapide du disque qui tombe au-delà des autres marques (L'Odyssée, VIII, 186-192).
Le chant XXIII de L'Iliade présente les jeux organisés à l'occasion des funérailles de Patrocle. Le programme comporte des courses de char, des pugilats, du pancrace, de la course à pied, de l'escrime, du lancer de disque et du tir à l'arc. Il s'agit bien là d'une préfiguration du programme olympique, tel qu'il se développera à partir de la Ire olympiade."
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