Question d'origine :
Bonjour.
Je suis à la recherche d'informations sur un tout vieux "micmac" théologique qu'on appelle "L'Affaire des Trois Chapitres". C'est au VI° siècle, semble-t-il.
Pouvez-vous me donner quelques pistes de recherche, svp ?
Merci d'avance.
Cordialement.
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 19/10/2005 à 06h30
A propos des « Trois Chapitres » on emploie, habituellement, les termes de querelle, conflit, controverse. L’affaire surgit en 543 dans l’Empire romain d’Orient (ou Empire byzantin), sous l’empereur Justinien 1er (482-565). Nous sommes au cœur d’un débat théologique particulièrement difficile. Il se déroule dans un contexte à la fois politique et religieux. Dix ans plus tard, en 553, Justinien fait prononcer par le 2e concile de Constantinople la condamnation des « Trois Chapitres » et obtient ensuite la ratification de cette condamnation par le pape Vigile. De quoi s’agit-il ?
Par « Trois Chapitres » on désigne les écrits de trois évêques : le Contra impium Apollinarium libri III de Théodore de Mopsueste, le Pentalogus de Théodoret de Cyr contre Cyrille d’Alexandrie, et la Lettre d’Ibas d’Edesse au Perse Maris. Jugés « nestoriens » (cf. hérésie de Nestorius qui sépare la nature divine de la nature humaine du Christ), ces écrits furent d’abord condamnés par l’empereur Justinien dès 544-545 puis par le Concile. Quant au pape Vigile, dans une première constitution, Inter innumeras sollicitudines, du 14 mai 553, il anathématisa 56 affirmations de Théodore de Mopsueste, sans cependant condamner sa personne. Il prit la défense de l’orthodoxie de Théodoret et d’Ibas, et ajouta des anathématismes, en termes généraux, contre des erreurs nestoriennes. Dans une deuxième constitution, Dominus noster et Salvator, du 23 février 554, le pape céda à la pression de Justinien et condamna tous les Trois Chapitres. (cf. Heinrich Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, Cerf, 1996, p. 151 et Dictionnaire de théologie catholique, Librairie Letouzey et Ané, 1925-1951, t. 3, article Constantinople (IIe concile de), col. 1231-1259).
« Le conflit des « Trois Chapitres » a pour origine l'affrontement entre deux christologies au Ve siècle.
La christologie antiochienne, d'une part, mettait l'accent sur la vraie humanité du Christ et insistait sur la distinction entre la nature divine et la nature humaine en Jésus-Christ, d'autant plus qu'elle réagissait contre la christologie d'Apollinaire qui allait dans le sens du monophysisme et parlait d'une humanité privée du noûs, celui-ci étant remplacé par le Logos. Les théologiens de l'école d'Antioche étaient accusés de prêcher deux Fils et deux personnes en Jésus-Christ. En tous cas, Nestorius est marqué par cette christologie au point qu'il parle d'une simple union morale entre les deux natures et de refuser le titre de Theotokos à la Vierge Marie.
D'autre part, la christologie alexandrine, dont Cyrille est le plus illustre représentant, insiste sur l'unité des natures en Jésus-Christ. Cyrille parle de l'unique « physis-nature » après l'union, le mot physis-nature étant pris dans le sens d'une nature complète, subsistant en elle-même de façon indépendante. Cette christologie sera poussée à l'extrême par Eutychès, archimandrite de Constantinople, qui sera à l'origine du monophysisme qui, en opposition au concile de Chalcédoine et aux définitions de 451, se constituera en doctrine. » (cf. Esprit et Vie : revue catholique de formation permanente, n° 121, février 2005).
Cette querelle des « Trois Chapitres », mettant en cause l'orthodoxie de trois évêques a créé des remous dans l'Église du VIe siècle.
La décision de Justinien souleva une vive réaction en Occident, surtout en Italie et en Afrique. Facundus, évêque d'Hermiane, en Afrique du Nord, intervint en mettant tout son talent au service de sa courageuse intervention. Il se fit le défenseur convaincu de l'orthodoxie des trois évêques et rédigea un ouvrage de grande envergure, intitulé Défense des Trois Chapitres et adressé à Justinien. Facundus veut prouver que les trois évêques théologiens ont été condamnés injustement. Dans ce conflit qui témoigne du choc de deux écoles et de deux pensées sur la nature du Christ, l'auteur de la Défense des Trois Chapitres présente en faveur des accusés des arguments solides tant historiques que théologiques, proches de notre vision moderne ; mais l'intransigeance de l'empereur Justinien comme l'indécision et les revirements du pape Vigile provoqueront, à la suite de cette affaire, une dissension douloureuse et durable dans l'Eglise.
Les livres III-VII constituent le centre de l'œuvre de Facundus. Les deux premiers (III-IV) concernent Théodore de Mopsueste et constituent un vigoureux plaidoyer en sa faveur. L'auteur réfute avec précision les attaques contre celui-ci contenues dans le premier édit de Justinien et montre l'orthodoxie de la christologie de Théodore. Il rappelle d'ailleurs que les attaques des monophysites contre ce théologien étaient aussi dirigées contre Léon le Grand et le concile de Chalcédoine.
Les livres V-VII concernent Ibas d'Edesse. Après avoir rapporté les procès antérieurs à Tyr, Béryte et au brigandage d'Ephèse, Facundus raconte la reprise de la question au concile de Chalcédoine où Ibas fut définitivement absous (V). Il traduit la Lettre à Maris et montre que ses adversaires l'ont mal comprise (VI). Enfin, il prouve l'orthodoxie de sa doctrine (VII). Facundus parle à peine de Théodoret de Cyr ; il se contente de noter qu'il a siégé à Chalcédoine et y est intervenu pour défendre la lettre du pape Léon. Dans les livres VIII-X, Facundus revient à la justification de Théodore de Mopsueste. Il apporte ici des nuances, des précisions et des compléments à ce qu'il avait déjà dit dans les livres I-II et III-IV, auxquels il renvoie explicitement. Ibas n'est nommé qu'en passant, comme l'auteur de la lettre qui fait son éloge. La méthode de Facundus consiste à citer de multiples documents et à les analyser en détail pour montrer comment ils défendent la personne et la doctrine de Théodore. On peut résumer aisément le contenu de ces livres en deux formules : Théodore n'a jamais été condamné en son temps ; il ne peut être condamné maintenant.
L'ouvrage de Facundus, souvent cité ou résumé à son époque, est le document le plus complet, le mieux documenté et sans doute le plus honnête que nous ayons de cette querelle. Il nous transmet bon nombre de sources théologiques et politiques par ailleurs perdues et reflète la richesse idéologique et littéraire de l'Afrique chrétienne du VIe siècle.
L'édition critique de cet ouvrage a été réalisée par les soins de J.-M. Clément et R. Vander Plaetse en 1974 (Corpus Christianorum. Series Latina 80A). Anne Fraïsse-Bétoulières en a fait la matière d'une thèse soutenue à Montpellier III en 1993 et reprise par la collection « Sources chrétiennes » aux éd. du Cerf, 2002-2004, en 3 volumes (n° 471, 478-479, 484) sous le titre Défense des Trois Chapitres. Vous pouvez les consulter à la Bibliothèque.
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