Question d'origine :
Bonjour,
Le système évolutif de l’homme au sein des primates a été progressif et l’un des facteurs primordial et distinctif de l’homo sapiens a été le langage. Sachant l’impact de cette forme d’expression sur le devenir de la race humaine, pourriez vous m’indiquer comment ont été formé les mots appropriés aux éléments qui constituaient l’univers quotidien de ces hommes, et leurs diversités linguistiques?
Merci pour votre réponse.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 02/06/2004 à 16h51
Le langage, son origine, et la diversité des langues ont été et restent une pierre d'achoppement de l'anthropologie depuis ses origines.
"Avant toute chose, il est indispensable de noter que la capacité anatomique à produire les sons du langage n'est pas suffisante pour démontrer la capacité langagière d'une espèce. Les structures neurologiques permettant l'utilisation appropriée des organes de production de la parole sont également indispensables. Cette dernière aptitude a souvent été, pour les espèces fossiles, recherchée, indirectement, à travers leur productions techniques et culturelles" nous disent Eric Crubézy, José Braga et Georges Larroury dans Anthropobiologie, Masson, 2002.
On lira des informations complémentaires sur une étude récente qui relance le débat dans cet extrait du Monde du 9 mai 2003 par Pierre Le Hir :
"L'idée a longtemps prévalu que la parole avait pu jaillir chez l'homme moderne, et chez lui seul, à la faveur de transformations anatomiques apparues au cours de l'évolution. Une flexion de la base du crâne, accompagnée d'un abaissement du larynx, avait dégagé une cavité pharyngée - une boîte de résonance - suffisamment volumineuse pour donner toute leur amplitude et surtout leurs contrastes aux sons émis par les cordes vocales."
Cette thèse, développée au début des années 1970 par le linguiste et l'anatomiste américains Philip Lieberman et Edmund Crelin, est, aujourd'hui encore, largement reprise dans les ouvrages scientifiques. Nos cousins simiesques ne pourraient parler en raison d'un larynx trop haut placé et, par voie de conséquence, d'un pharynx trop petit. Ce handicap les empêcherait, en particulier, de prononcer distinctement les trois sons i, a et ou, qui permettent les contrastes vocaliques les plus nets et qui, ceci expliquant peut-être cela, sont présents dans la plupart des cinq mille à six mille langues parlées dans le monde.
Les chercheurs grenoblois, explique l'un des responsables de l'équipe, Louis-Jean Bo, ont bâti un modèle de conduit vocal permettant d'effectuer des simulations articulatoires et acoustiques à partir de plusieurs paramètres: hauteur du larynx, profondeur de la cavité pharyngée, mais aussi ouverture de la mâchoire, mouvements des lèvres et déplacements de la langue. Il apparaît que la conformation du conduit vocal n'a que peu d'influence sur la réalisation des contrastes vocaliques maximaux i, a et ou, les mouvements de la langue et des lèvres permettant de compenser les différences anatomiques entre conduits vocaux... Autrement dit, il n'y a aucune raison de considérer que l'augmentation de la taille du pharynx a constitué une préadaptation nécessaire au cours de l'évolution vers l'émergence de la parole. Si bien que, d'un point de vue morphologique, rien ne s'oppose à la parole du singe, du petit d'homme ou de Néandertal.
Cette modélisation ne dit pas, bien sûr, si Homo neanderthalensis possédait ou non un langage articulé. Pas davantage qu'elle n'explique pourquoi, du singe et de l'homme, seul le second est devenu si loquace. La réponse se trouve-t-elle dans l'organisation anatomique des cerveaux respectifs? Une étude comparative, publiée dans la revue Nature du 24 avril, souligne que les aires de Broca et de Wernicke - associées à la production et à la compréhension de la parole - sont présentes chez le chimpanzé comme chez l'homme, avec une même prédominance de l'hémisphère cérébral gauche. Ce qui suggère que les aires de la parole chez les humains pourraient être des développements d'un centre de communication préexistant chez un ancêtre commun aux singes et aux hommes. La clé réside-t-elle, plutôt, dans les capacités cognitives supérieures de Sapiens?"
Vous pouvez aussi lire l'article Langage et évolution : nouvelles hypothèses par Jean-François Dortier dans la revue Sciences Humaines, n° 144, 2003 ; qui fait le point des recherches sur l'apparition du langage dans différentes disciplines et son livre : L'homme, cet étrange animal... : aux origines du langage, de la culture et de la pensée. Ed. Sciences Hulmaines, 2004 ;
Vous pouvez également consulter le site : Origine de l’Homme, du Langage et des Langues -CNRS, programme interdisciplinaire de recherche sur l'origine de l’homme, du langage et des langues ; et le livre de Marcel Locquin :Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques?
Mais c'est aussi en psychologie que l'on trouvera des réponses :
"Piaget fut un révolutionnaire pour la psychologie de l'enfant, mais il ouvrait aussi des perspectives dans le domaine paléoanthropologie, en permettant d'envisager au cours de l'hominisation une dissociation entre la pensée, le langage et la culture. Le langage, d'après Journet, est défini par trois points :
- un système fini d'unités sonores ("les signifiants") qui permettent en se combinant, de former une infinité d'énoncés, conformémént à une syntaxe, 'est-à-dire à un ordre capable d'en modifier le sens (par exemple comme la différence entre "le chien a mordu son maître" et "le maître a mordu son chien");
- un système de symboles, c'est-à-dire de signes arbitrairement liés à un sens ("le signifié") : le mot "table" n'a pas de ressemblance avec le mot qu'il désigne. Il y a des exceptions mais elles sont rares ("cocorico" est plus expressif que "chant du coq") ;
- un caractère intentionnel : il n'est pas lié aux événements immédiats et permet d'évoquer des événements réels, imaginaires, passés ou futurs. De nombreux animaux communiquent et la transmission de compétences est retrouvée dans de nombreuses espèces du règne animal, mais même les singes dressés à manier des symboles pour former des messages simples, voire selon certains chercheurs les combiner de façon inédite, n'ont pas de langage. Il leur manque au moins deux éléments : une syntaxe complète et l'intentionnalité." (Anthropobiologie, Masson (cf supra).
En éthologie aussi, avec Boris Cyrulnik, qui signe le chapitre "De la conscience de soi à la spiritualité" in Aux origines de l'Humanité. Tome 2. Fayard, 2002.; et cite notamment les travaux de Pierce sur la fabrication des symboles : "Le symbole et le signe ne peuvent naître que d'une rencontre entre deux subjectivités capables de passer entre elles une convention. Pour ce faire, il faut qu'un organisme capable de représentation rencontre un autre esprit capable de s'exprimer, et que tous deux se mettent d'accord, conviennent ensemble d'un geste ou d'une sonorité qui fera signe."
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