Question d'origine :
Chers 'savoir-tout',
voilà ma question:
En quoi est-ce que la philosophie de Diderot se distingue - t- elle de celles des autres écrivains du siècle des lumières, p.e. Voltaire et Rousseau,. Qu'est-ce qui est typique de sa philosophie?
Merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 14/09/2005 à 13h28
L’œuvre de Diderot : « définit un style de la pensée et l’ « esprit encyclopédique » déborde l’Encyclopédie. En effet sa philosophie se glisse tout autant dans les larges synthèses de l’Encyclopédie que dans les « dévergondages de l’intelligence », qui lui permettent, en abordant tous les genres, de se lancer à l’assaut de tous les domaines et de s’affirmer comme une puissance conquérante.
A) Le dessein général de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts, et des métiers est indiqué par Diderot dans le Prospectus paru en Octobre 1750. Il souligne le but utilitaire que vise l’Encyclopédie, répertoire de tous les acquêts de l’activité humaine et que, seul, un souci de commodité commande de présenter selon l’ordre alphabétique. Il est bien entendu que, pour Diderot, l’important est que ce dictionnaire soit « raisonné », c’est-à-dire qu’il doit mettre en évidence les rapports qui existent entre les sciences et les arts et qu’il doit énoncer les principes de base et les idées rectrices de toutes les connaissances humaines… malgré des compilations ou des bilans, par définitions peu personnels, un fil conducteur apparaît --- du moins dans les sept premiers tomes, puisque les autres ont subi la censure de Le Breton ---, qui révèle nettement la pente intellectuelle suivie par Diderot : il faut, enfin, oser critiquer les fanatismes religieux et les dogmatismes politiques qui ont toujours été une entrave au progrès humain. Autrement dit, la philosophie de Diderot implique une apologie de la raison et de la liberté d’esprit.
Evidemment, dans le détail, cette unité de doctrine, dont on voit bien qu’elle condense les Lumières du siècle, se fragmente. Il reste que l’Encyclopédie conçue par Diderot se veut --- et elle est effectivement --- une machine de guerre contre les Ténèbres. Elle est un plaidoyer non seulement pour la Modernité et pour l’humanisme qu’elle a charge d’affirmer, mais elle est une défense de l’idée de progrès, dont le dynamisme et les promesses attestent la perfectibilité que l’humanité a le devoir d’assumer. L’article Encyclopédie, rédigé par Diderot lui-même, dit d’ailleurs la joie qu’éprouvent le philosophe et son équipe « à fouler aux pieds toutes (les) vieilles puérilités ». Diderot, maître d’œuvre de l’Encyclopédie, a compris, avant Kant, et il l’a dit à sa manière, que les Lumières sont, enfin, pour l’homme, l’avènement de sa « majorité ».
B ) Seulement, l’esprit encyclopédique de Diderot ne s’exprime pas seulement dans l’Encyclopédie. A côté des articles divers « Génie », « Instinct », « Autorité politique », « Droit naturel », « Paix », « Souverains »… --- composés pour son grand dictionnaire, de nombreux autres écrits, qui participent des genres les plus divers, recèlent sa « philosophie » : une philosophie non systématique, à laquelle rien, dans le monde, n’est étranger et qui, touchant à tant de problèmes, a accrédité l’image d’un « Diderot-girouette ». S’il est vrai que, parfois, la pensée de Diderot est surprenante parce qu’elle manie, avec un talent consommé d’ailleurs, le paradoxe et l’audace, elle jette néanmoins sur la Nature, sur l’Homme et sur ces activités pratiques que sont la morale, la politique ou l’art, un regard libre et lucide qui est le signe d’une volonté prospective particulièrement stimulante.
La philosophie du monde qui se dégage de l’œuvre de Diderot comporte deux aspects, d’ailleurs liés l’un à l’autre. D’une part, Diderot s’avoue délibérément antichrétien ; d’autre par il propose une épistémologie expérimentale révolutionnaire. Dès 1746, les Pensées philosophiques, publiées anonymement, étaient précédée d’une Préface ironique à Messieurs les Esprits forts. Ce libellé ne laisse aucun doute sur l’attitude religieuse de l’auteur. Tout en se déclarant chrétien convaincu, Diderot lance, en fait, d’un bout à l’autre du texte, une attaque contre la religion chrétienne et l’onto-théologie qui la sous-tend. Sous un apparent ralliement au déisme, il ne ménagera pas ses sarcasmes à l’égard de la religion selon Voltaire. En définitive, c’est un athéisme pur et simple qui transparaît, qu’il avouera, plus tard, et sans ambages à Catherine II… D’entrée de jeu, donc, Diderot lance « une bombe dans la maison du Seigneur ». Il ne faut pas longtemps à Diderot pour tirer les conséquences épistémologiques de cette attitude anti-chrétienne et anti-théologiques. Dans les Pensées sur l’interprétation de la nature, il énonce, sous couvert de l’anonymat une fois encore, une révolution scientifique qui, toute transcendance liquidée, annonce déjà le déclin des absolus. D’ailleurs, à supposer que Dieu lui-même ait exposé le mécanisme universel de la Nature, et même en formules mathématiques, « ce grand Livre ne serait pas plus compréhensible pour nous que l’Univers lui-même ». En effet, avec Diderot, les mathématiques perdent la place éminente que leur accordait le cartésianisme. La science de Newton montre à l’évidence la marge qui sépare la rigueur du raisonnement mathématique et l’approximation des mesures expérimentales. Les mathématiques ne sont donc qu’ « une espèce de métaphysique générale où les corps sont dépouillés de leurs qualités individuelles ». Au mieux les peut-on considérer comme une science parmi d’autres ; mais elles ne font pas connaître la Nature. Le physicien doit recourir à l’expérience : « Le physicien dont la profession est d’instruire et non d’édifier abandonnera donc le pourquoi et ne s’occupera que du comment. » Dans ce naturalisme, positiviste avant l’heure, l’expérience et la nature sont deux alliées. A l’esprit de système du XVIIe siècle, doit se substituer la méthode expérimentale, ennemie à la fois des causes finales teintées de mystère théologique et de l’abstraction qui, dans son formalisme, ne sait pas parler du monde. Donc, l’entendement, au lieu de spéculer abstraitement, doit s’appliquer à observer afin de dégager, du monde et de la nature, les principes constitutifs. Il sera aisé à l’Encyclopédie de monter que les arts utiles ont tout à gagner de cette nouvelle attitude épistémologique. » (Simone Goyard-Fabre)
Cf. In Dictionnaire des philosophes T.01 de Denis Huisman
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