Question d'origine :
platon croyait-il aux dieux? il dit que les mythes sont mensongers mais se réfère a Eros dans Phèdre. comment comprendre cette contradiction? Est-il sérieux quand il se réfère aux muses dans Phèdre?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 04/09/2012 à 13h06
Bonjour,
Quelques considérations sur la fonction du mythe platonicien :
Récits complexes portant sur ce qui dépasse notre expérience, les mythes platoniciens sont, pour le philosophe, Jean-François Mattéi, tous bâtis sur une structure commune :
Les dialogues de Platon posent des problèmes d’interprétation difficiles en raison de leurs multiples dimensions. Ils témoignent de la complexité de l’écriture platonicienne qui rompt souvent sa forme dialoguée et argumentée par des monologues exposant des récits mystérieux et sans réplique. On peut s’interroger sur cette présence des mythes qui conduit un mathématicien comme Platon à les introduire au moment fort de sa recherche dès que le sort de l’âme humaine est en jeu. En ce sens, la philosophie platonicienne est bien une mythologie, un discours qui commence dans le dialogue et s’achève dans le mythe. Ce dernier est un récit dont la complexité a pour fonction d’imiter, dans le monde sensible où nous vivons, les Idées auxquelles les âmes sont apparentées. Socrate justifie ainsi dans la République (II 377a) la nécessité du mythe : « En toute tâche, la chose la plus importante est le commencement. » Dans la mesure où celui-ci nous échappe, qu’il s’agisse de l’ordre du monde ou de l’apparition de l’homme, la fonction du mythe platonicien est de rompre ce mutisme initial et de transmettre aux hommes un enseignement sur ce qui dépasse notre expérience.
In Platon, un numéro hors série du Point.
Chez Platon, il n’existe pas de théologie (théologia), de discours rationnel sur les dieux, qui se distinguerait nettement d’une mythologie (muthologia). En réclamant que le dieu soit bon et qu’il ne change pas, Platon porte un coup mortel à la religion traditionnelle. Il dénonce l’impiété de tous les mythes qui font de la compétition (l’agôn), aussi bien chez les habitants divins de l’ Olympe que chez ceux de la Grèce et d’Athènes en particulier, l’essentiel des rapports entre les dieux ou entre les hommes. La mythologie traditionnelle, qui décrit des dieux en lutte les uns avec les autres, des dieux qui s’en prennent aux hommes dont ils sont jaloux et qui du coup apparaissent comme la cause des mots humains, est alors complètement discréditée. Plus encore, le fait qu’on ne puisse faire changer le comportement d’un dieu rend désormais inutile l’offrande de sacrifices ou la récitation de prières Platon prive de toute efficacité les rites religieux. Cette critique radicale amène Platon à proposer un nouveau type de représentation religieuse. Un dieu se caractérise par sa bonté ; la bonté doit être assimilée au savoir, et, dans un contexte platonicien, le savoir équivaut en dernière analyse à la contemplation de l’intelligible ; C’est d’ailleurs sur ce point précis que les dieux se distinguent radicalement des hommes (Banquet, 204a ; Phèdre249 b-d) : l’homme tend vers le savoir (philosophei), alors que le dieu possède le savoir (il est sophos). Ce qui explique que, puisque leur mode de pensée diffère, qu’il existe une langue des dieux différente de celle des hommes (Phèdre, 252b-c). C’est pourquoi, en exerçant l’espèce la plus haute de son âme, celle qui a la faculté de contempler l’intelligible, l’homme peut se rendre semblable à la divinité et accéder ainsi à l’immortalité, mais une immortalité qui ne signifie aucunement la survie de l’individu (République X, 611e ; Théétète, 176b ; Timée, 90d) L’assimilation à dieu deviendra le mot d’ordre des platoniciens. Dans le mythe vraisemblable du Thimée, c’est parce qu’il est bon que le démiurge fabrique l’univers le plus beau possible et qu’il le maintiendra toujours en l’état, car on ne peut souhaiter la destruction d’une si belle chose. Cette action du démiurge trouve son prolongement dans celle de l’âme du monde, qui joue dans le dixième livre des Lois le r^le de la providence. Dans son dernier dialogue, Platon ne fait plus appel au mythe pour traiter de la divinité du monde et de son ordre, mais il donne une preuve physico-théologique qui prend appui sur la permanence et la regularit2 du mouvement des corps célestes Seule l’existence d’une divinité bonne, qui assure dans le monde l’existence d’un ordre et l’y maintient, peut être opposée aux doctrines athées qui mettent le hasard et l’art à l’origine de toutes choses. Cette preuve peut alors devenir le préambule à une loi contre l’athéisme, qui aura pour effet de garantir le bon fonctionnement de la cité en lui donnant un fonctionnement divin et en rendant effectif un système de rétributions post mortem dans lequel ceux qui violent les lois se trouveront punis, et ceux qui les respectent se verront récompensés en devenant semblables à des dieux.
(Source : dictionnaire Platon, par Luc Brisson et jean-François Pradeau.)
Pour en savoir plus :
Lire Platon
Les mythes de Platon
Platon et le miroir du mythe
Quelques considérations sur la fonction du mythe platonicien :
Récits complexes portant sur ce qui dépasse notre expérience, les mythes platoniciens sont, pour le philosophe, Jean-François Mattéi, tous bâtis sur une structure commune :
Les dialogues de Platon posent des problèmes d’interprétation difficiles en raison de leurs multiples dimensions. Ils témoignent de la complexité de l’écriture platonicienne qui rompt souvent sa forme dialoguée et argumentée par des monologues exposant des récits mystérieux et sans réplique. On peut s’interroger sur cette présence des mythes qui conduit un mathématicien comme Platon à les introduire au moment fort de sa recherche dès que le sort de l’âme humaine est en jeu. En ce sens, la philosophie platonicienne est bien une mythologie, un discours qui commence dans le dialogue et s’achève dans le mythe. Ce dernier est un récit dont la complexité a pour fonction d’imiter, dans le monde sensible où nous vivons, les Idées auxquelles les âmes sont apparentées. Socrate justifie ainsi dans la République (II 377a) la nécessité du mythe : « En toute tâche, la chose la plus importante est le commencement. » Dans la mesure où celui-ci nous échappe, qu’il s’agisse de l’ordre du monde ou de l’apparition de l’homme, la fonction du mythe platonicien est de rompre ce mutisme initial et de transmettre aux hommes un enseignement sur ce qui dépasse notre expérience.
In Platon, un numéro hors série du Point.
Chez Platon, il n’existe pas de théologie (théologia), de discours rationnel sur les dieux, qui se distinguerait nettement d’une mythologie (muthologia). En réclamant que le dieu soit bon et qu’il ne change pas, Platon porte un coup mortel à la religion traditionnelle. Il dénonce l’impiété de tous les mythes qui font de la compétition (l’agôn), aussi bien chez les habitants divins de l’ Olympe que chez ceux de la Grèce et d’Athènes en particulier, l’essentiel des rapports entre les dieux ou entre les hommes. La mythologie traditionnelle, qui décrit des dieux en lutte les uns avec les autres, des dieux qui s’en prennent aux hommes dont ils sont jaloux et qui du coup apparaissent comme la cause des mots humains, est alors complètement discréditée. Plus encore, le fait qu’on ne puisse faire changer le comportement d’un dieu rend désormais inutile l’offrande de sacrifices ou la récitation de prières Platon prive de toute efficacité les rites religieux. Cette critique radicale amène Platon à proposer un nouveau type de représentation religieuse. Un dieu se caractérise par sa bonté ; la bonté doit être assimilée au savoir, et, dans un contexte platonicien, le savoir équivaut en dernière analyse à la contemplation de l’intelligible ; C’est d’ailleurs sur ce point précis que les dieux se distinguent radicalement des hommes (Banquet, 204a ; Phèdre249 b-d) : l’homme tend vers le savoir (philosophei), alors que le dieu possède le savoir (il est sophos). Ce qui explique que, puisque leur mode de pensée diffère, qu’il existe une langue des dieux différente de celle des hommes (Phèdre, 252b-c). C’est pourquoi, en exerçant l’espèce la plus haute de son âme, celle qui a la faculté de contempler l’intelligible, l’homme peut se rendre semblable à la divinité et accéder ainsi à l’immortalité, mais une immortalité qui ne signifie aucunement la survie de l’individu (République X, 611e ; Théétète, 176b ; Timée, 90d) L’assimilation à dieu deviendra le mot d’ordre des platoniciens. Dans le mythe vraisemblable du Thimée, c’est parce qu’il est bon que le démiurge fabrique l’univers le plus beau possible et qu’il le maintiendra toujours en l’état, car on ne peut souhaiter la destruction d’une si belle chose. Cette action du démiurge trouve son prolongement dans celle de l’âme du monde, qui joue dans le dixième livre des Lois le r^le de la providence. Dans son dernier dialogue, Platon ne fait plus appel au mythe pour traiter de la divinité du monde et de son ordre, mais il donne une preuve physico-théologique qui prend appui sur la permanence et la regularit2 du mouvement des corps célestes Seule l’existence d’une divinité bonne, qui assure dans le monde l’existence d’un ordre et l’y maintient, peut être opposée aux doctrines athées qui mettent le hasard et l’art à l’origine de toutes choses. Cette preuve peut alors devenir le préambule à une loi contre l’athéisme, qui aura pour effet de garantir le bon fonctionnement de la cité en lui donnant un fonctionnement divin et en rendant effectif un système de rétributions post mortem dans lequel ceux qui violent les lois se trouveront punis, et ceux qui les respectent se verront récompensés en devenant semblables à des dieux.
(Source : dictionnaire Platon, par Luc Brisson et jean-François Pradeau.)
Pour en savoir plus :
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Les mythes de Platon
Platon et le miroir du mythe
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