Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi n’y a t-il pas beaucoup de livres enrichis sur le marché du livre ?
Est une question de coût de production ?
y a t-il une demande de la part du public ? ou alors plutôt une certaine réticence ?
Connaitrez-vous des thèses ou des enquêtes sur ces sujets ?
Merci
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 07/12/2018 à 11h40
Bonjour,
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, si le livre numérique, enrichi ou non, peine à s’imposer sur le marché français, ce n’est pas dû à l’absence de demande, comme le révélait un article récent de bfmbusiness.bfmtv.com :
« Ce qu'il faut comprendre à propos du livre numérique en France, c'est que l'engouement existe bel et bien. En cinq ans, la proportion de lecteurs de livres numériques dans l'Hexagone a quadruplé. Elle est passé de 5% en 2012 à 21% en 2017, selon les derniers chiffres du Syndicat national des éditeurs. Chez les jeunes, 10% des lecteurs ne lisent d'ailleurs plus que sur tablette et smartphone, soit 5 fois plus que leurs ainés. Mais en dépit de cet attrait grandissant, les revenus du livre numérique, en proportion du chiffre d'affaires de la première industrie culturelle française, ne décollent pas. »
Car, alors que dans les pays anglo-saxons les prix du livre sont libres, « la législation française impose un prix unique du livre, étendu au e-book en 2011. Il oblige tous les revendeurs, qu'ils opèrent depuis la France ou l'étranger, a afficher un même prix de vente, fixé par les éditeurs. Ainsi, pendant qu'aux États-Unis et en Grande Bretagne, Amazon tirait vers le bas le prix du livre numérique, en France, les éditeurs ont opté à dessein pour des stratégies dissuasives. »
Ce qui finit par créer des situations paradoxales : bien que la différence de prix d’un livre papier et d’un livre numérique soient en moyenne d’environ 25%, il arrive fréquemment que la version numérique soit plus chère que la version poche, et ce, parfois, sur demande expresse de l’auteur !
Il faut ajouter à cela que, jusqu’en 2010, le livre papier jouissait d’un taux de TVA à 5,5%, quand le livre numérique devait supporter une TVA à 19,6% - cela a changé depuis, mais la Cour de Justice de l'Union Européenne a récemment relancé le débat en déclarant que « la France et le Luxembourg ne respectaient pas les conditions concurrentielles européennes en terme de vente de produits numériques », du fait de cette TVA réduite… affaire à suivre donc, mais on peut comprendre la frilosité des éditeurs français.
(Source : auvergnerhonealpes-livre-lecture.org)
D’une manière générale, les sources que nous avons consultées nous ont donné l’impression que le livre numérique enrichi n’était pas considéré comme une priorité par les éditeurs, comme en témoigne le résultat d’un questionnaire proposé aux professionnels par le réseau de cabinets d'analyse et de conseil KPMG et cité par actualitte.com :
« Le livre enrichi, ce produit éditorial « so 2010 », semble encore convaincre un certain nombre de professionnels : ils sont 70 % des répondants à penser que le lecteur peut être intéressé par une « expérience de lecture différente, plus ludique et plus immersive » et des compléments d'information. Au contraire, ceux qui n'y croient pas y voient des gadgets, plutôt parasitaires quand le lecteur a accès à des contenus multimédias via Internet.
D'ailleurs, la plupart des répondants n'en publient jamais, ou seulement parfois, parce que les coûts de développement sont trop importants, mais aussi parce que le temps manque. »
Car si le coût de diffusion d’un livre numérique est quasiment nul via le web, son coût de fabrication peut être assez élevé. C’est à ces problématiques, à travers un exemple concret que Claire Jeantet a consacré son mémoire de Master, dont nous vous conseillons évidemment la lecture :
« Le développement d’une application a un coût fixe de production important (au moins 15000€) et un coût variable lié aux régulières
mises à jour pour suivre l’évolution des systèmes (par exemple lors de la sortie d’une nouvelle version iOs). Les synthèses du MOTif, l’Observatoire du livre et de l’écrit en Île - de - France, ne font pas encore état du coût de production des livres applicatifs. La stabilisation d’un partenariat entre une maison d’édition et
une agence digitale permet de développer un format applicatif modèle, réutilisable pour chaque nouveau titre de la collection et donc réduire le coût de production. »
… et demande des compétences nouvelles :
« Le développement d’une applicationdemande des compétences de haut niveau en langages informatiques, les éditeurs traditionnels font ainsi appel à des acteurs extérieur s […] . Le maniement d’InDesign pour créer un ePub3 requiert également une formation spécifique, proposée aux graphistes et éditeurs lors de leurs formations initiale ou professionnelle. Le modèle de l’autoédition qui a pris son essor avec la démocratisation des outils de fabrication (Acrobat pour le formatPDF, logiciel de conversion en mobipocket, en eBook) et de distribution de livres numériques (via Internet) a pris son essor et semble s’étendre au livre numérique enrichi. Des logiciels gratuits comme iBooks Author et des plateformes open sourceen ligne permettent d’intégrer du contenu personnel (textes, images, vidéos) dans des livres numériques enrichis préformatés. Comme pour un WordPress, l’utilisateur choisit un thème puis peut personnaliser la police, la couleur etc. »
Mais on est là dans une marge du marché du livre. En réalité, quand on parle de livre numérique enrichi, on aborde un sujet hautement périlleux pour la chaîne du livre – d’une part, parce qu’il touche à des domaines de compétences qui ne sont pas les plus traditionnels pour les éditeurs ; d’autre part, parce que le terrain est si nouveau qu’il n’a pas encore de lectorat stabilité. La réaction d’une éditrice d’Albin-Michel à cette question dans un article récente de latribune.fr est assez éloquente à cet égard :
« « Je suis assez confiante dans le développement de ces livres hybrides, assure Marion Jablonski, directrice département jeunesse chez Albin Michel. Ces projets répondent mieux aux préoccupations des familles, par rapport aux livres numériques. Ici, le livre peut se lire seul et la tablette n'est plus le support principal. »
Si ce projet a atteint l'équilibre, de tels développements sont coûteux. Pour une initiative similaire, intitulée "Les super-héros détestent les artichauts", deux ans de travail ont été nécessaire. Montant de la facture : « plusieurs dizaines de milliers d'euros », selon Marion Jablonski. « C'est un budget atypique pour un éditeur, avec des chances de rentabilité beaucoup moins certaines. Mais nous allons au-delà du métier traditionnel d'éditeur. » De quoi inventer,peut-être, un nouveau format prisé par les lecteurs. »
Pour aller plus loin, voici quelques travaux universitaires sur le sujet accessibles en ligne :
Hervé Bienvault, LE COÛT D’UN LIVRE NUMÉRIQUE, sur enssib.fr
Sarah Debonnet, Les classiques de la littérature française enrichis au format numérique, sur enssib.fr
Arnaud Laborderie, Le livre numérique enrichi : enjeux et pratiques de remédiatisation, sur archives-ouvertes.fr/
Nolwenn Tréhondart, Le livre numérique « augmenté » au regard du livre imprimé : positions d’acteurs et modélisations de pratiques sur univ-grenoble-alpes.fr
Bonnes lectures.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, si le livre numérique, enrichi ou non, peine à s’imposer sur le marché français, ce n’est pas dû à l’absence de demande, comme le révélait un article récent de bfmbusiness.bfmtv.com :
« Ce qu'il faut comprendre à propos du livre numérique en France, c'est que l'engouement existe bel et bien. En cinq ans, la proportion de lecteurs de livres numériques dans l'Hexagone a quadruplé. Elle est passé de 5% en 2012 à 21% en 2017, selon les derniers chiffres du Syndicat national des éditeurs. Chez les jeunes, 10% des lecteurs ne lisent d'ailleurs plus que sur tablette et smartphone, soit 5 fois plus que leurs ainés. Mais en dépit de cet attrait grandissant, les revenus du livre numérique, en proportion du chiffre d'affaires de la première industrie culturelle française, ne décollent pas. »
Car, alors que dans les pays anglo-saxons les prix du livre sont libres, « la législation française impose un prix unique du livre, étendu au e-book en 2011. Il oblige tous les revendeurs, qu'ils opèrent depuis la France ou l'étranger, a afficher un même prix de vente, fixé par les éditeurs. Ainsi, pendant qu'aux États-Unis et en Grande Bretagne, Amazon tirait vers le bas le prix du livre numérique, en France, les éditeurs ont opté à dessein pour des stratégies dissuasives. »
Ce qui finit par créer des situations paradoxales : bien que la différence de prix d’un livre papier et d’un livre numérique soient en moyenne d’environ 25%, il arrive fréquemment que la version numérique soit plus chère que la version poche, et ce, parfois, sur demande expresse de l’auteur !
Il faut ajouter à cela que, jusqu’en 2010, le livre papier jouissait d’un taux de TVA à 5,5%, quand le livre numérique devait supporter une TVA à 19,6% - cela a changé depuis, mais la Cour de Justice de l'Union Européenne a récemment relancé le débat en déclarant que « la France et le Luxembourg ne respectaient pas les conditions concurrentielles européennes en terme de vente de produits numériques », du fait de cette TVA réduite… affaire à suivre donc, mais on peut comprendre la frilosité des éditeurs français.
(Source : auvergnerhonealpes-livre-lecture.org)
D’une manière générale, les sources que nous avons consultées nous ont donné l’impression que le livre numérique enrichi n’était pas considéré comme une priorité par les éditeurs, comme en témoigne le résultat d’un questionnaire proposé aux professionnels par le réseau de cabinets d'analyse et de conseil KPMG et cité par actualitte.com :
« Le livre enrichi, ce produit éditorial « so 2010 », semble encore convaincre un certain nombre de professionnels : ils sont 70 % des répondants à penser que le lecteur peut être intéressé par une « expérience de lecture différente, plus ludique et plus immersive » et des compléments d'information. Au contraire, ceux qui n'y croient pas y voient des gadgets, plutôt parasitaires quand le lecteur a accès à des contenus multimédias via Internet.
D'ailleurs, la plupart des répondants n'en publient jamais, ou seulement parfois, parce que les coûts de développement sont trop importants, mais aussi parce que le temps manque. »
Car si le coût de diffusion d’un livre numérique est quasiment nul via le web, son coût de fabrication peut être assez élevé. C’est à ces problématiques, à travers un exemple concret que Claire Jeantet a consacré son mémoire de Master, dont nous vous conseillons évidemment la lecture :
« Le développement d’une application a un coût fixe de production important (au moins 15000€) et un coût variable lié aux régulières
mises à jour pour suivre l’évolution des systèmes (par exemple lors de la sortie d’une nouvelle version iOs). Les synthèses du MOTif, l’Observatoire du livre et de l’écrit en Île - de - France, ne font pas encore état du coût de production des livres applicatifs. La stabilisation d’un partenariat entre une maison d’édition et
une agence digitale permet de développer un format applicatif modèle, réutilisable pour chaque nouveau titre de la collection et donc réduire le coût de production. »
… et demande des compétences nouvelles :
« Le développement d’une application
Mais on est là dans une marge du marché du livre. En réalité, quand on parle de livre numérique enrichi, on aborde un sujet hautement périlleux pour la chaîne du livre – d’une part, parce qu’il touche à des domaines de compétences qui ne sont pas les plus traditionnels pour les éditeurs ; d’autre part, parce que le terrain est si nouveau qu’il n’a pas encore de lectorat stabilité. La réaction d’une éditrice d’Albin-Michel à cette question dans un article récente de latribune.fr est assez éloquente à cet égard :
« « Je suis assez confiante dans le développement de ces livres hybrides, assure Marion Jablonski, directrice département jeunesse chez Albin Michel. Ces projets répondent mieux aux préoccupations des familles, par rapport aux livres numériques. Ici, le livre peut se lire seul et la tablette n'est plus le support principal. »
Si ce projet a atteint l'équilibre, de tels développements sont coûteux. Pour une initiative similaire, intitulée "Les super-héros détestent les artichauts", deux ans de travail ont été nécessaire. Montant de la facture : « plusieurs dizaines de milliers d'euros », selon Marion Jablonski. « C'est un budget atypique pour un éditeur, avec des chances de rentabilité beaucoup moins certaines. Mais nous allons au-delà du métier traditionnel d'éditeur. » De quoi inventer,
Hervé Bienvault, LE COÛT D’UN LIVRE NUMÉRIQUE, sur enssib.fr
Sarah Debonnet, Les classiques de la littérature française enrichis au format numérique, sur enssib.fr
Arnaud Laborderie, Le livre numérique enrichi : enjeux et pratiques de remédiatisation, sur archives-ouvertes.fr/
Nolwenn Tréhondart, Le livre numérique « augmenté » au regard du livre imprimé : positions d’acteurs et modélisations de pratiques sur univ-grenoble-alpes.fr
Bonnes lectures.
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