Question d'origine :
Bonjour,
je me demandais la raison pour laquelle la Basilique Fourvière est-elle aussi peu appréciée des Lyonnais, et ce qui lui a valu son surnom irrévérencieux d'éléphant à l'envers ?
Je vous remercie.
Bien cordialement.
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 03/02/2014 à 11h29
Bonjour,
Pour répondre à votre question qui a déclenché des passions il y a plusieurs décennies, une synthèse très complète, Basilique de Fourvière : attention travaux !, nous a permis de trouver l’ouvrage que vous devriez consulter :
Il nous est difficile d’expliquer si les Lyonnais en général n’aiment pas la basilique de Fourvière.
Les critiques sont d’abord assez peu diffusées, elles ne font pas l’objet de publications dans la presse. C’est à partir des années 1880 que des articles irrévérencieux sont relayés.
Ainsi, Elisabeth Hardouin-Fugier mentionne Clair Tisseur dans
La une du journal
Citons Elisabeth Hardouin-Fugier : « L’anticléricalisme populaire se croit surveillé par des ecclésiastiques, sans pour autant perdre son affection pour Marie dont les marionnettes déplorent la disparition : « C’tte pièce montée que nous bouchait la Mariette » ; la critique des congrégations enseignante, l’aspect massif, sa surcharge évoquant une pièce montée, la richesse de l’édifice érigé au détriment des bâtiments publics, la Préfecture en particulier : ces quelques lignes d’un auteur de grand talent constituent un véritable récapitulatif des reproches adressés à la nouvelle église. »
[...]
« Rien d’étonnant à ce que le propos ne se politise au lendemain de la crise anticléricale des années quatre-vingt. Forsanne exprime clairement la méfiance. A propos de l’aspect fortifié de l’église, il s’écrit : « Rempart de catholicité ! Ce mot qui n’avait dans la bouche (de mon interlocuteur) rien que de respectueux, est une trouvaille il renferme toute notre critique ». C’est dire plus élégamment ce que suggérait Guignol. Les catholiques libéraux, Tisseur en particulier, sont exaspérés par « cette école cléricale qui n’opère que sous le manteau de la cheminée, dans une ombre de conspirateur, bien persuadées que l’ingérence et les rumeurs de la foule ne peuvent que profaner l’excellence de ses jugements car elle possède par délégation spéciale une partie de cette infaillibilité d’en haut dont le dernier concile a reconnu la plénitude au Pape », écrit-il le 4 septembre 1881. Bertnay accuse l’entreprise de Fourvière de s’approprier la dévotion populaire. « Le Saint Michel armé de sa lance ensanglantée…. S’édifie au moment où la fête de la Vierge se transforme en fête politique et réactionnaire de l’opposition aristocratique » lit-on sous sa plume dans Le Courrier de Lyon du 28 décembre 1884. […] »
D'après les témoignages, il semble que Bossan, l'architecte de Fourvière, conçoit les plans et décide des décors de manière tout à fait personnelle et intransigeante. Cela empêcha-t-il l'attachement des Lyonnais au monument pourtant si dominant du haut de sa colline ?
« On compare la chose, paraît-il, à la cathédrale de Palerme, qu'on dit fort renommée dans la République des arts. Sauf le respect dû à l'Eglise et aux prophètes, on eût été supérieurement inspiré si l'on avait laissé à Palerme ce qui va bien ou mal à Palerme. M'est avis, puisqu'on voulait faire plus grand et plus beau que l'ancien temple de la Vierge, qu'un artiste de quelque génie aurait accordé plus agréablement les élégances de la Sainte-Chapelle de saint Louis avec les lignes capricieuses de la colline, que les fantasques hachures de cette écrasante pièce montée, qui ressemble moins à une église qu'à quelque
Quand on se trouve sur la superbe esplanade d'où l'on domine de si haut la ville, le regard se détourne de cette impertinente architecture vers les vraies et naturelles grandeurs qui s'étalent jusqu'aux Alpes et l'on éprouve le besoin d'aller reposer son esprit dans le bois sacré au-dessous ; là du moins Fourvière est encore Fourvière. Si la Vierge de bronze voulait faire un miracle dans son intérêt, elle y descendrait. »
Seulement quelques années plus tard,
Certaines plumes de la presse nationale (Le Journal des Débats, 24 mars 1899), comme A. Hallays, critiquent également l’ostentation des décors intérieurs : « folle profusion de couleur et de lumière qui stupéfie et révolte le goût. Luxe insolent…salle des fêtes d’un casino vénézuélien où l’on célébrerait à l’occasion les mystères du christianisme, mais d’un christianisme de parvenus… C’est l’église « Continental » (hôtel à la mode) formidable déploiement de magnificence…. Qui étonne surtout à Lyon, ville riche où la richesse redoute de s’afficher ».
Pour résumer, Elisabeth Hardouin-Fugier écrit : « Les arguments d’ordre esthétique sont peu nombreux. L’éléphant suffit à évoquer la plupart des griefs. L’expression évoque tout d’abord un effet de masse écrasante, plus sensible pour la génération qui a connu l’ancien sanctuaire. Par la suite, l’échelle des monuments urbains augmente et l’habitude s’installe. « Renversé » apporte une idée d’inadéquation et même de malaise ou de violence en même temps que de précarité. Rien ne domine en effet la composition, c’est là un peu parti peu habituel pour une église ; d’où il résulte une hésitation perpétuel du regard ».
On ne peut en effet éluder l’aspect si particulier que les quatre tours donnent à cette basilique. Elles apportent indéniablement une forme inhabituelle pour un monument religieux.
Un écrivain né à Lyon, Pierre Emmanuel, ne mâche pas non plus ses mots en 1947 (« Qui est cet homme ») : « La pente raide et molle qui n’est pouvait plus de retenir l’énorme édifice, le monstre absurde qui lui ployait l’échine, pour le bon plaisir de Saint-Marie Perrin. Enfin c’était le plateau, la bénédiction du vent sur la ville, le grondement sourd et continu de la bête à grand’peine domptée. Je n’entrais pas dans la basilique immonde conçue par quelque entrepreneur délirant d’installations sanitaires ou de bains turcs ».
Enfin, plus récemment, dans le guide
De nos jours, on entend encore des Lyonnais utiliser l’expression « éléphant renversé » pour désigner « leur » basilique. Si la presse locale ne se fait plus du tout l’écho des plumes critiques, certains Lyonnais continuent à perpétuer la désaffection esthétique dont souffre le monument. Mais nous n’oserions avancer qu’aucun Lyonnais n’aime ce monument si symbolique. Il n’est besoin que de regarder le nombre d’entre eux qui lui rendent visite (Lyonnais ou touristes).
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