régime des successions en Dauphiné 1730
Question d'origine :
Le 8 septembre 1726, « indisposée de corps mais saine d’esprit, mémoire et entendement » comme elle le dit, Catherine Couturier, épouse de Philippe Quérenet, dicte son testament à Maître Doucet, notaire au Grand Lemps. "Après quelques dons et legs habituels, La dite testatrice s'est estably et nommé de sa bouche pour son héritière Universelle Delle Marguerite Milan sa mère par les mains desquelles elle veut que tous ses biens soient résolus ses dettes et légats payés et (?) volontaire à la charge par sa dite héritière de rendre son héritage ou ce qu'il y aura (des restes) et icelluy à son decés à Me Adrian Couturier Notaire du dit Faramans et Lemps son frère ou (?) seront toutes sortes d'institution que la présente pourra vouloir." A cette date Catherine COUTURIER, environ 25 ans, était mariée depuis 9 ans, était mère de quatre enfants. Elle était enceinte de six mois de François, né le 16 décembre 1726, décédé le 25 mars 1742. Il est assez surprenant que son testament ne fasse nulle allusion à ses enfants, ni à son époux. Elle désigne comme héritière universelle Demoiselle Marguerite MILLAN sa mère et, à défaut, son frère (Adrian ou Adrien Estienne 1706-1776). Elle précise « excluant sa dite héritière de faire une légitime ni aucune donation de quelle nature que ce soit à tous ses enfants de l’héritage de la dite testatrice ». Question: Existait-il à cette époque, en Dauphiné, un régime particulier de succession, permettant à une mère de déshériter complètement ses enfants légitimes vivants, qu'elle ne mentionne même pas dans son testament. On peut ajouter que quelques années plus tard, le mari fera également son testament en laissant quelque chose à chacun, y compris son épouse et qu'ils ont eu onze enfants.
Réponse du Guichet
Bonjour,
Le droit de l’héritage a connu de multiples réformes depuis le Code Napoléon (1804), subissant l’influence de toutes les évolutions de notre société. Cependant la période évoquée dans votre question relate les années antérieures, avant même celles du droit révolutionnaire.
Un article paru dans Liber amicorum : Hommage au doyen Gérard Chauvet en 1990 intitulé : La spécificité du droit privé dauphinois à la fin de l'Ancien régime nous donne quelques précisions.
L’auteur précise que le Dauphiné à la fin de l’Ancien Régime présente une spécificité remarquable en matière juridique. Ainsi concernant la situation de la femme, il précise qu’en la matière, le Droit Dauphinois se sépare nettement du droit commun français lorsqu’il s’agit pour la femme de choisir son mari ou le père de ses enfants ou quand elle désire exercer des pouvoirs sur ces derniers.
Quelques exemples montrent qu’en Dauphiné, contrairement à ce qu’il en est dans le droit commun français, la femme bénéficie d’une situation juridique privilégiée en ce qui concerne le mariage et la procréation. Il en va de même pour ce qui touche à ses rapports avec ses enfants.
Certes, en Dauphiné, la puissance paternelle est encore une institution bien vivace aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mais son titulaire est loin d’être ce monarque absolu si souvent évoqué dans les autres provinces de France. … Il y a un vrai transfert de pouvoir au profit de la mère donc de la femme. Il intéresse en l’occurrence, la personne de l’enfant. Mais le patrimoine de ce dernier était également tributaire des droits et des pouvoirs de la mère. …..
S’agissant du statut de la femme, le recours non moins habile au corpus juris civilis, au droit romain, paraît également pouvoir expliquer la spécificité dauphinoise tant en ce qui concerne sa situation personnelle que ses droits sur les biens de la famille.
A la fin de l’article il est marqué : Ceci confirme bien le point de vue de Denis de Salvaing : les Dauphinois sont imprégnés de la liberté des mœurs qui transparait dans les compilations juridiques romaines auxquelles ils se réfèrent. La femme, la famille et la propriété en ont heureusement bénéficié.
L’article évoque uniquement les successions suite au décès du père.
Cependant il existait bien en Dauphiné une spécificité du droit privé en Dauphiné à la fin de l'Ancien régime.
Autres documents consultés :
- Histoire du droit privé français : de l'an mil au code civil,
- Les Successions de Jacques Flour et Henri Souleau.