Question d'origine :
Bonjour, Les idées humaines ont-elles une date de péremption ? Bien cordialement, R.H.D.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 25/02/2021 à 08h43
Bonjour,
Voilà une question à laquelle il va nous être difficile de répondre de manière catégorique.
Voici néanmoins quelques éléments de réponse.
Pour certains penseurs et philosophes, les idées sont effectivement intemporelles ou immortelles, et ne s'inscriraient ni dans le temps ni dans la durée.
Ce concept pourrait se rapprocher de la philosophie éternelle qui dit que la vraie philosophie n’a pas de date de péremption, ne suit pas la mode et ne dépend pas du progrès.
Wikipedia définit ainsi cette pensée : « croyance qu'une certaine philosophie ancienne, originaire d'Égypte ou de Grèce, forme une tradition une et permanente, au-delà d'apparentes oppositions ou évolutions. Lorsque cette philosophie se confond avec une théologie, elle est aussi nommée prisca theologia (« antique théologie »)»
Cette théorie a été développée par Aldous Huxley dans son ouvrage de 1945 La philosophie éternelle. Voici comment il la présente : « L'expression Philosophie éternelle a été trouvée par Leibniz. Mais la chose, cette métaphysique qui reconnaît qu'il y a une réalité qui est la substance même des choses matérielles, de la vie et de l'esprit ; cette psychologie qui voit dans l'âme quelque chose de semblable ou même d'identique à la réalité divine ; cette éthique qui place les buts de l'homme dans la connaissance d'un fondement transcendant et immanent à tous les êtres, cette chose est universelle et immémoriale. Les rudiments de la philosophie éternelle peuvent être trouvés dans les savoirs des peuples primitifs de toutes les régions du monde, et, sous sa forme la plus développée, elle a une place dans les plus grandes religions. »
Huxley rapproche les religions, les traditions d'Orient et d'Occident, à la recherche d'une pensée mondiale, à mi-chemin de la science et de la mystique.
Néanmoins, de façon factuelle les idées sont bien datées dans l’Histoire. Mais leur portée et leur héritage sont quant à eux intemporels. C’est l‘idée que nous retrouvons dans Histoire de la philosophie : « Le temps ne ramène-t-il pas la pensée elle-même à ce qu’il y a de plus factuel, des intentions, des déterminations, ce qui revient finalement à en nier l’existence ?
Une distinction est établie par Emile Bréhier dans La philosophie et son passé :« L’évènement philosophique » diffèrerait par essence de l’évènement historique. Alors que l’évènement historique est un objet inséparable de son contexte temporel, qui, une fois advenu, peut être considéré comme complet, l’évènement philosophique se prolongerait par-delà lui-même, en tant qu’il est e produit d’un acte et pas d’une chose.
Ainsi, un système philosophique doit être considéré non pas seulement comme un fait du passé dûment daté et limité, mais étudié dans sa poussée vers l’avenir. L’erreur est de tourner les philosophies vers le passé, de les appréhender comme désuètes et périmées, quand les penseurs interrogent l’avenir. Une pensée philosophique n’est pas un achèvement, mais une initiative et un commencement. »
Plus loin : « Or si une pensée a un avenir, si son influence peut se répercuter sans fin appréciable, c’est précisément parce qu’elle possède une structure intemporelle, parce que quelque chose en elle échappe au devenir. Son intemporalité c’est l’avenir que toute doctrine porte en elle, qu’elle annonce, qu’elle désire. »
Jean-François Dortier dans De Socrate à Foucault, les philosophes au banc d'essai montre quant à lui les limites des grands philosophes, les erreurs même qu’ils ont pu faire dans leurs ouvrages, et termine là encore par la portée et l’héritage indiscutable laissé par leurs réflexions. Il explique sa démarche ainsi : « Pour aborder une œuvre philosophique, il faut d’abord 1/ découvrir son intuition fondatrice et ses idées directrices, 2/ prendre en compte son contexte d’élaboration et les conditions qui l’on fait naître, 3/ tenter d’évaluer sa valeur intrinsèque et sa pertinence actuelle. »
Voici donc une méthode que vous pouvez tenter d’appliquer dans vos recherches et lectures afin de répondre à votre question.
Roger Pouivet dans Philosophie contemporaine répond aussi à votre question p. 82 dans Eclairage n° 5 : Les philosophies du passé sont-elles des philosophies dépassées ? En voici un petit extrait :
« La relation particulière que la philosophie a avec son histoire tient au fait que les philosophies du passé ne sont pas dépassées. Comparons encore, à cet égard, la physique et la philosophie. La connaissance des théories physiques des Médiévaux, ou celle des traités de physique d’Aristote, est historiquement intéressante. Elle permet vraisemblablement de mieux comprendre la spécificité de la physique moderne, tout comme la connaissance de cette dernière, c’est-à-dire des époques de Galilée et de Newton permet d’apprécier les modifications postérieures de conceptions, voire de paradigmes […]
Cependant, on ne peut pas apprendre la physique en lisant Aristote ou des traités médiévaux. On apprend ce que certains Grecs ou certains médiévaux croyaient correct, par exemple au sujet de la chute des corps ou de l’inertie. Nous savons maintenant que ce qu’ils croyaient était erroné. Cependant, nous pouvons aussi comprendre pourquoi et comment des êtres rationnels, voire supérieurement intelligents, comme Aristote ou Jean Buridan, se trompaient. Leurs erreurs n’étaient pas des absurdités ; elles étaient liées à un ensemble de présupposés que nous avons abandonnés, et auxquels ils n’adhéraient pas toujours en connaissance de cause. Nous pouvons aussi penser que, dans l’avenir, notre science actuelle sera elle aussi sujette à caution. On fera à notre égard ce que nous faisons pour les Anciens, les Médiévaux et les classiques. Remarquons aussi que même si la physique d’Aristote est obsolète, les concepts philosophiques auxquelles elle recourt, ceux de causalité ou de hasard, sont détachables des affirmations sur la chute des corps, par exemple.Au sein d’une évolution des savoirs, permettant de préciser quels sont ceux qui n’ont plus cours, les thèses et les arguments philosophiques ne sont pas à ce point indexés à leur moment historique qu’on ne puisse les en extraire. A la différence des savoirs scientifiques, les thèses et les arguments philosophiques transcendent leur époque . »
Mais nous vous conseillons de lire toute la deuxième partie Philosophie et histoire de la philosophie, qui présente les différentes conceptions de l’histoire de la philosophie en philosophie contemporaine.
Bonne réflexion !
Voilà une question à laquelle il va nous être difficile de répondre de manière catégorique.
Voici néanmoins quelques éléments de réponse.
Pour certains penseurs et philosophes, les idées sont effectivement intemporelles ou immortelles, et ne s'inscriraient ni dans le temps ni dans la durée.
Ce concept pourrait se rapprocher de la philosophie éternelle qui dit que la vraie philosophie n’a pas de date de péremption, ne suit pas la mode et ne dépend pas du progrès.
Wikipedia définit ainsi cette pensée : « croyance qu'une certaine philosophie ancienne, originaire d'Égypte ou de Grèce, forme une tradition une et permanente, au-delà d'apparentes oppositions ou évolutions. Lorsque cette philosophie se confond avec une théologie, elle est aussi nommée prisca theologia (« antique théologie »)»
Cette théorie a été développée par Aldous Huxley dans son ouvrage de 1945 La philosophie éternelle. Voici comment il la présente : « L'expression Philosophie éternelle a été trouvée par Leibniz. Mais la chose, cette métaphysique qui reconnaît qu'il y a une réalité qui est la substance même des choses matérielles, de la vie et de l'esprit ; cette psychologie qui voit dans l'âme quelque chose de semblable ou même d'identique à la réalité divine ; cette éthique qui place les buts de l'homme dans la connaissance d'un fondement transcendant et immanent à tous les êtres, cette chose est universelle et immémoriale. Les rudiments de la philosophie éternelle peuvent être trouvés dans les savoirs des peuples primitifs de toutes les régions du monde, et, sous sa forme la plus développée, elle a une place dans les plus grandes religions. »
Huxley rapproche les religions, les traditions d'Orient et d'Occident, à la recherche d'une pensée mondiale, à mi-chemin de la science et de la mystique.
Néanmoins, de façon factuelle les idées sont bien datées dans l’Histoire. Mais leur portée et leur héritage sont quant à eux intemporels. C’est l‘idée que nous retrouvons dans Histoire de la philosophie : « Le temps ne ramène-t-il pas la pensée elle-même à ce qu’il y a de plus factuel, des intentions, des déterminations, ce qui revient finalement à en nier l’existence ?
Une distinction est établie par Emile Bréhier dans La philosophie et son passé :
Plus loin : « Or si une pensée a un avenir, si son influence peut se répercuter sans fin appréciable, c’est précisément parce qu’elle possède une structure intemporelle, parce que quelque chose en elle échappe au devenir. Son intemporalité c’est l’avenir que toute doctrine porte en elle, qu’elle annonce, qu’elle désire. »
Jean-François Dortier dans De Socrate à Foucault, les philosophes au banc d'essai montre quant à lui les limites des grands philosophes, les erreurs même qu’ils ont pu faire dans leurs ouvrages, et termine là encore par la portée et l’héritage indiscutable laissé par leurs réflexions. Il explique sa démarche ainsi : « Pour aborder une œuvre philosophique, il faut d’abord 1/ découvrir son intuition fondatrice et ses idées directrices, 2/ prendre en compte son contexte d’élaboration et les conditions qui l’on fait naître, 3/ tenter d’évaluer sa valeur intrinsèque et sa pertinence actuelle. »
Voici donc une méthode que vous pouvez tenter d’appliquer dans vos recherches et lectures afin de répondre à votre question.
Roger Pouivet dans Philosophie contemporaine répond aussi à votre question p. 82 dans Eclairage n° 5 : Les philosophies du passé sont-elles des philosophies dépassées ? En voici un petit extrait :
« La relation particulière que la philosophie a avec son histoire tient au fait que les philosophies du passé ne sont pas dépassées. Comparons encore, à cet égard, la physique et la philosophie. La connaissance des théories physiques des Médiévaux, ou celle des traités de physique d’Aristote, est historiquement intéressante. Elle permet vraisemblablement de mieux comprendre la spécificité de la physique moderne, tout comme la connaissance de cette dernière, c’est-à-dire des époques de Galilée et de Newton permet d’apprécier les modifications postérieures de conceptions, voire de paradigmes […]
Cependant, on ne peut pas apprendre la physique en lisant Aristote ou des traités médiévaux. On apprend ce que certains Grecs ou certains médiévaux croyaient correct, par exemple au sujet de la chute des corps ou de l’inertie. Nous savons maintenant que ce qu’ils croyaient était erroné. Cependant, nous pouvons aussi comprendre pourquoi et comment des êtres rationnels, voire supérieurement intelligents, comme Aristote ou Jean Buridan, se trompaient. Leurs erreurs n’étaient pas des absurdités ; elles étaient liées à un ensemble de présupposés que nous avons abandonnés, et auxquels ils n’adhéraient pas toujours en connaissance de cause. Nous pouvons aussi penser que, dans l’avenir, notre science actuelle sera elle aussi sujette à caution. On fera à notre égard ce que nous faisons pour les Anciens, les Médiévaux et les classiques. Remarquons aussi que même si la physique d’Aristote est obsolète, les concepts philosophiques auxquelles elle recourt, ceux de causalité ou de hasard, sont détachables des affirmations sur la chute des corps, par exemple.
Mais nous vous conseillons de lire toute la deuxième partie Philosophie et histoire de la philosophie, qui présente les différentes conceptions de l’histoire de la philosophie en philosophie contemporaine.
Bonne réflexion !
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