Pourquoi appelle-t-on un journal un canard?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 07/02/2020 à 09h00
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Question d'origine :
Bonjour,
Je voudrais savoir pourquoi on appelle un journal un "canard". Je voudrais bien savoir aussi s'il existe quelque part un musée du journal ou du journalisme.
Merci beaucoup et bonne journée!
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 07/02/2020 à 16h21
Bonjour,
Le Journal historique de la langue française indique que « Le sens figuré archaïque de « fausse nouvelle lancée dans la presse » (v. 1750), issu d’une expression d’origine inconnuebailler un canard à moitié « tromper » (1584), a donné lieu par extension à celui de « journal de peu de valeur » puis « journal quelconque » (le Canard enchaîné, nom d’un journal satirique). »
Voici en complément les explications apportées par Libération :
« Le mot «canard» qui désigne aujourd’hui n’importe quel journal, n’a pas toujours eu ce capital cocasse et chaleureux. Son origine ne doit rien au palmipède dandinant baptisé ainsi depuis le XIIIe siècle. Péjorative, elle remonterait plutôt à l’expression «bailler un canard à moitié», autrement dit raconter un mensonge, faire des promesses impossibles à tenir. C’est dans ce sens-là que l’utilise, dès 1584, l’écrivain François d’Ambroise dans sa comédie les Néapolitaines. La tournure elle-même viendrait de l’ancien français «caner», caqueter, qui a aussi produit «cancan». On se rapproche… Le Dictionnaire de Furetière confirme en 1690 : «On dit proverbialement, donner des canards à quelqu’un, pour dire, luy en faire accroire, ne luy pas tenir ce qu’on luy avoit promis, tromper son attente.» Les ragots déforment la vérité, constate encore Mérimée dans une lettre à la comtesse de Montijo (1870). «Mme X. m’avait annoncé le mariage de Sabine, mais il paraît que c’est un canard.»
Du coup, avec la presse, dès 1750, notre canard bobard évolue vers la version écrite du récit mensonger, insérée dans un journal. On brûle. «Le canard est une nouvelle quelque fois vraie, toujours exagérée, souvent fausse. Ce sont les détails d’un horrible assassinat, illustrés parfois de gravures en bois d’un style naïf ; c’est un désastre, un phénomène, une aventure extraordinaire : on paie cinq centimes et l’on est volé», définit ainsi Gérard de Nerval, dans son Histoire véridique du canard (1845). Caustique à souhait, celui qui fut journaliste à ses heures dresse un inventaire des informations farfelues relevées dans les gazettes : l’enfant né avec une dent d’or, l’accouchement «phénoménal» de 300 enfants par une comtesse de Hollande, la femme à la tête de mort, l’invalide à la tête de bois, «le bateau sous-marin destiné à tirer Napoléon de son île ; puis le soldat de l’Empire échappé de Sibérie, qui se mettait en marche généralement vers le mois de septembre». Pour Balzac, cette diffusion frauduleuse obéit à une volonté des rédactions de réenchanter une actualité terne : «Nous appelons un canard, répondit Hector, un fait qui a l’air d’être vrai, mais qu’on invente pour relever les Faits-Paris quand ils sont pâles» (les Illusions perdues). On revient alors au candide palmipède, souvent diaboliquement attiré par des appeaux dans sa mare, avec cette autre expression relevée dans le Grand Dictionnaire universel Larousse: le «canard privé». On appelle ainsi «la personne qui sert comme appeau pour en attirer d’autres : "la police élève des canards privés"».
«Canard» a généré «canardier» qui désignait un crieur de journaux et… un fabriquant de fausses nouvelles. Et «caneton» pour parler d’un mauvais journal, synonyme peut-être moins dur que «feuille de chou» entré comme l’autre dans le langage familier au mitan du XIXe siècle. Gérard de Nerval, lui, avait parcouru le chemin inverse, passant du journal au hoax, popularisant d’ailleurs le terme anglais en vogue aujourd’hui. «Il fut encore une époque où les journaux n’étaient pas inventés, quoiqu’on eût trouvé déjà la poudre et l’imprimerie. Alors le canard tenait lieu de journaux.» »
Bonne journée.
Le Journal historique de la langue française indique que « Le sens figuré archaïque de « fausse nouvelle lancée dans la presse » (v. 1750), issu d’une expression d’origine inconnue
Voici en complément les explications apportées par Libération :
« Le mot «canard» qui désigne aujourd’hui n’importe quel journal, n’a pas toujours eu ce capital cocasse et chaleureux. Son origine ne doit rien au palmipède dandinant baptisé ainsi depuis le XIIIe siècle. Péjorative, elle remonterait plutôt à l’expression «bailler un canard à moitié», autrement dit raconter un mensonge, faire des promesses impossibles à tenir. C’est dans ce sens-là que l’utilise, dès 1584, l’écrivain François d’Ambroise dans sa comédie les Néapolitaines. La tournure elle-même viendrait de l’ancien français «caner», caqueter, qui a aussi produit «cancan». On se rapproche… Le Dictionnaire de Furetière confirme en 1690 : «On dit proverbialement, donner des canards à quelqu’un, pour dire, luy en faire accroire, ne luy pas tenir ce qu’on luy avoit promis, tromper son attente.» Les ragots déforment la vérité, constate encore Mérimée dans une lettre à la comtesse de Montijo (1870). «Mme X. m’avait annoncé le mariage de Sabine, mais il paraît que c’est un canard.»
Du coup, avec la presse, dès 1750, notre canard bobard évolue vers la version écrite du récit mensonger, insérée dans un journal. On brûle. «Le canard est une nouvelle quelque fois vraie, toujours exagérée, souvent fausse. Ce sont les détails d’un horrible assassinat, illustrés parfois de gravures en bois d’un style naïf ; c’est un désastre, un phénomène, une aventure extraordinaire : on paie cinq centimes et l’on est volé», définit ainsi Gérard de Nerval, dans son Histoire véridique du canard (1845). Caustique à souhait, celui qui fut journaliste à ses heures dresse un inventaire des informations farfelues relevées dans les gazettes : l’enfant né avec une dent d’or, l’accouchement «phénoménal» de 300 enfants par une comtesse de Hollande, la femme à la tête de mort, l’invalide à la tête de bois, «le bateau sous-marin destiné à tirer Napoléon de son île ; puis le soldat de l’Empire échappé de Sibérie, qui se mettait en marche généralement vers le mois de septembre». Pour Balzac, cette diffusion frauduleuse obéit à une volonté des rédactions de réenchanter une actualité terne : «Nous appelons un canard, répondit Hector, un fait qui a l’air d’être vrai, mais qu’on invente pour relever les Faits-Paris quand ils sont pâles» (les Illusions perdues). On revient alors au candide palmipède, souvent diaboliquement attiré par des appeaux dans sa mare, avec cette autre expression relevée dans le Grand Dictionnaire universel Larousse: le «canard privé». On appelle ainsi «la personne qui sert comme appeau pour en attirer d’autres : "la police élève des canards privés"».
«Canard» a généré «canardier» qui désignait un crieur de journaux et… un fabriquant de fausses nouvelles. Et «caneton» pour parler d’un mauvais journal, synonyme peut-être moins dur que «feuille de chou» entré comme l’autre dans le langage familier au mitan du XIXe siècle. Gérard de Nerval, lui, avait parcouru le chemin inverse, passant du journal au hoax, popularisant d’ailleurs le terme anglais en vogue aujourd’hui. «Il fut encore une époque où les journaux n’étaient pas inventés, quoiqu’on eût trouvé déjà la poudre et l’imprimerie. Alors le canard tenait lieu de journaux.» »
Bonne journée.
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