Question d'origine :
Bonjour,
En cette période où l' 'intelligence artificielle' est un sujet très prisé, de nombreuses interventions présentent des robots. Je suis toujours étonnée de constater l'obstination de leurs concepteurs à leur donner une apparence humanoïde, il y aurait même des 'hommes' et des 'femmes' (je vous laisse deviner comment ils sont différenciés..).
Savez vous à quoi cela est dû ?
Car les robots ne sont toujours que des machines, de plus en plus sophistiquées et performantes, certes, mais pourquoi ne pas leur laisser leur apparence de base, des boites avec des caméras, des micros, des écrans...
Pouvez vous m'aiguiller vers des ouvrages sur ce sujet ? Merci d'avance,
Marie
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 24/09/2019 à 12h12
Bonjour,
Un visage rond, deux yeux, une bouche, deux bras, deux mains, les constructeurs conçoivent des machines qui nous sont familières dans l’apparence, mais aussi dans leurs comportements. Capables d’interagir, de communiquer avec nous mais aussi de décrypter nos attitudes.
Leur objectif serait dans un premier temps de mettre en confiance les humains que nous sommes car il peut être rassurant de s'adresser à un artefact qui nous ressemble.
Cette apparence humanoïde viserait aussi à faciliter les interactions avec ces machines, capable de communiquer avec nous et de répondre à nos besoins et attentes, voire de les anticiper.
Cependant, au-delà d'un certain point, on arrive au résultat opposé. Trop de réalisme peut créer un sentiment de malaise et l'on tombe alors dans ce que Masahiro Mori appelle "La vallée de l'étrange".
Selon sa théorie développée dans les années 1970, le robot nous est agréable s'il présente des traits familiers mais deviendrait vite dérangeant s'il nous ressemble trop, sans toutefois être identique. On ne peut jamais reproduire parfaitement un visage humain, et cette imperfection provoque un sentiment de "rejet" chez l'homme.
Voici tout d'abord l'avis du roboticien Jean-Paul Laumond :
"Ces robots auront-ils une forme humaine?
Je ne crois pas à la théorie selon laquelle des robots trop «humains» puissent induire un rejet. On sous-estime nos capacités d'adaptation. Toutefois, je ne pense pas non plus que l'homme ait besoin que les robots domestiques lui ressemblent. En revanche, il me semble évident que ces machines devront, à terme, être anthropomorphes pour pouvoir s'adapter à notre environnement. Tout autour de nous a été pensé pour des bipèdes ayant un pouce opposable à quatre doigts. Un robot sur roues ne pourrait pas monter un escalier, un robot sans bras ne pourrait pas ouvrir une porte. Ce serait gênant. "
source : «Les robots devront ressembler à l'homme» / Tristan Vey - LeFigaro.fr- 19/01/2012
Ensuite, quelques extraits d'un dossier consultable en ligne qui pourrait vous intéresser :
"Pourquoi alors concevoir des robots « anthropomorphiques » ? C’est d’ailleurs une tendance relativement récente (qui remonte aux années 1990) et elle a surpris, au départ, nombre de roboticiens qui semblaient associer les jeux sur la forme humaine à l’industrie du jouet pour enfants ou aux fantaisies issues de la science-fiction.
Si la robotique humanoïde a pu attirer de tels investissements, c’est parce quedes industriels et des chercheurs ont estimé que c’était le meilleur moyen de rendre leurs créatures acceptables par leurs usagers, en tirant parti de leur pouvoir de fascination (Thrift 2003 ; Breazeal 2004 ; Kaplan 2005). C’est bien la capacité de séduction des robots qui est en jeu ici. On observe de ce point de vue une course à la virtuosité propre aux machines, à laquelle participent nombre de roboticiens (Vidal 2011a). [...] Les notions de piège, de leurre et d’illusion sont discutées à plusieurs reprises dans les textes, même si leurs auteurs s’accordent pour montrer que l’on ne saurait réduire l’usage de l’anthropomorphisme en robotique à un simple truquage. Il peut être pertinent de guetter les « pactes anthropomorphiques » qui se mettent en place entre les créatures artificielles et leurs utilisateurs, comme Denis Vidal nous y invite dans son texte. Et il faut sans doute aller jusqu’à interroger le sens de l’attachement, comme le propose Emmanuel Grimaud, et appréhender la multitude de relations, parfois passionnelles, qu’il est possible d’entretenir avec les machines : s’attacher les services d’une nurse électrique n’est pas tout à fait la même chose qu’adopter un chien mécanique.
[...]
Il existe de plus en plus de robots industriels. Comme nous le savons tous, ils n’ont ni visage, ni jambes ; ils pivotent simplement, étendent ou replient leurs bras, et ne partagent aucune ressemblance avec les humains. C’est bien la fonctionnalité qui détermine la politique d’élaboration de ces robots. Ils doivent opérer des tâches similaires à celles d’ouvriers en usine, mais leur physionomie importe peu. Sur un graphique évaluant le sentiment de familiarité en fonction de l’anthropomorphisme, ces robots se situeraient proches de zéro (voir fig. 2). Ils ressemblent donc très peu aux êtres humains, et généralement les gens n’éprouvent pas de sentiment de familiarité envers eux.En revanche, si un concepteur de robot-jouet attache plus d’importance à l’apparence qu’aux fonctions d’un robot, il lui donnera un aspect humain en le dotant d’un visage, de deux bras, de deux jambes et d’un torse. Un tel design permet aux enfants de développer un sentiment de familiarité avec le jouet humanoïde . Sur le graphique, le robot-jouet approche donc le sommet du premier pic. Bien entendu, les êtres humains eux-mêmes représentent le but ultime de la robotique et c’est pourquoi nous nous efforçons de fabriquer des robots à l’apparence humaine. Aussi, dans le cas d’un robot dont les bras sont composés d’un cylindre métallique muni de plusieurs boulons, nous peignons le métal de couleur chair afin de lui donner une plus grande apparence humaine. Ces considérations cosmétiques augmentent notre sentiment de familiarité envers le robot. "
Si nous lui donnons des caractères humains c'est pour entrer en relation et en communication avec lui :
[...] "Il est vrai que nous attribuons des caractéristiques anthropomorphiques à des animaux, des artefacts, ou même des objets du quotidien. Mais ces caractéristiques ont un seul point commun : elles sont toujours de type relationnel.L’anthropomorphisme est lié au besoin de construire des relations avec les autres. Quand nous mettons un objet dans la position d’interlocuteur, nous lui supposons les mêmes caractéristiques mentales que celles des êtres humains .
source : Robots étrangement humains / Gradhiva n°15 - 2012 - Musée quai Branly
Un dossier que nous vous conseillons de consulter dans son intégralité.
Nous l'entendons bien, c'est pour faciliter la communication homme/machine que nos robots arborent des visages humains.
Mais que penser de cette relation que nous entretenons ? Nous ne communiquons pas vraiment avec eux, nous leur donnons des ordres. Faut-il y voir une résurgence des velléités esclavagistes ? C'est la question que pose Pamela Duboc dans cet article : «Real Humans»: pourquoi fabriquer des robots à notre image? (Slate - 4 avril 2013).
Quelques articles pour aller plus loin :
- Le robot, un double étrangement inquiétant / Catherine Vincent - LeMonde.fr - 12 juillet 2018
- Fait-on plus confiance à un robot s'il nous ressemble? / Emmanuel Monnier - Science et vie - 04 mai 2019
- Notre cerveau préfère discuter avec un autre humain plutôt qu'avec un robot / Coralie Lemke - Sciences et Avenir - 13.03.2019
- De la robotisation des hommes à l’humanisation des robots / IERHR | 4 juin 2018
- Robophobe, robophile : quelles relations aurons-nous avec nos robots ? / Hélène Molinari - Numerama - 07 juillet 2017
- Pourquoi il est si difficile de créer un robot à l’apparence humaine / Morgane Tual - Le Monde - 06 avril 2016
- Chatila Raja, « Robots androïdes, avatars et éthique », dans : éd., Traité de bioéthique. IV - Les nouveaux territoires de la bioéthique. Toulouse, ERES, « Poche - Espace éthique », 2018, p. 579-592.
Une bibliographie :
- Le rêve de l'homme-machine : de l'automate à l'androïde / Gaby Wood
- Le robot pensant / Marie-Noëlle Himbert
- Vivre avec les robots : essai sur l'empathie artificielle / Paul Dumouchel, Luisa Damiano
- Petit traité de cyber-psychologie : pour ne pas prendre les robots pour des messies et l'IA pour une lanterne / Serge Tisseron
- Le Jour où mon robot m'aimera: Vers l'empathie artificielle / Serge Tisseron - consultable partiellement sur GoogleLivres.
Bonne journée.
Un visage rond, deux yeux, une bouche, deux bras, deux mains, les constructeurs conçoivent des machines qui nous sont familières dans l’apparence, mais aussi dans leurs comportements. Capables d’interagir, de communiquer avec nous mais aussi de décrypter nos attitudes.
Leur objectif serait dans un premier temps de mettre en confiance les humains que nous sommes car il peut être rassurant de s'adresser à un artefact qui nous ressemble.
Cette apparence humanoïde viserait aussi à faciliter les interactions avec ces machines, capable de communiquer avec nous et de répondre à nos besoins et attentes, voire de les anticiper.
Cependant, au-delà d'un certain point, on arrive au résultat opposé. Trop de réalisme peut créer un sentiment de malaise et l'on tombe alors dans ce que Masahiro Mori appelle "La vallée de l'étrange".
Selon sa théorie développée dans les années 1970, le robot nous est agréable s'il présente des traits familiers mais deviendrait vite dérangeant s'il nous ressemble trop, sans toutefois être identique. On ne peut jamais reproduire parfaitement un visage humain, et cette imperfection provoque un sentiment de "rejet" chez l'homme.
Voici tout d'abord l'avis du roboticien Jean-Paul Laumond :
"
Je ne crois pas à la théorie selon laquelle des robots trop «humains» puissent induire un rejet. On sous-estime nos capacités d'adaptation. Toutefois, je ne pense pas non plus que l'homme ait besoin que les robots domestiques lui ressemblent. En revanche, il me semble évident que ces machines devront, à terme, être anthropomorphes pour pouvoir s'adapter à notre environnement. Tout autour de nous a été pensé pour des bipèdes ayant un pouce opposable à quatre doigts. Un robot sur roues ne pourrait pas monter un escalier, un robot sans bras ne pourrait pas ouvrir une porte. Ce serait gênant. "
source : «Les robots devront ressembler à l'homme» / Tristan Vey - LeFigaro.fr- 19/01/2012
Ensuite, quelques extraits d'un dossier consultable en ligne qui pourrait vous intéresser :
"
Si la robotique humanoïde a pu attirer de tels investissements, c’est parce que
[...]
Il existe de plus en plus de robots industriels. Comme nous le savons tous, ils n’ont ni visage, ni jambes ; ils pivotent simplement, étendent ou replient leurs bras, et ne partagent aucune ressemblance avec les humains. C’est bien la fonctionnalité qui détermine la politique d’élaboration de ces robots. Ils doivent opérer des tâches similaires à celles d’ouvriers en usine, mais leur physionomie importe peu. Sur un graphique évaluant le sentiment de familiarité en fonction de l’anthropomorphisme, ces robots se situeraient proches de zéro (voir fig. 2). Ils ressemblent donc très peu aux êtres humains, et généralement les gens n’éprouvent pas de sentiment de familiarité envers eux.
[...] "Il est vrai que nous attribuons des caractéristiques anthropomorphiques à des animaux, des artefacts, ou même des objets du quotidien. Mais ces caractéristiques ont un seul point commun : elles sont toujours de type relationnel.
source : Robots étrangement humains / Gradhiva n°15 - 2012 - Musée quai Branly
Un dossier que nous vous conseillons de consulter dans son intégralité.
Nous l'entendons bien, c'est pour faciliter la communication homme/machine que nos robots arborent des visages humains.
Mais que penser de cette relation que nous entretenons ? Nous ne communiquons pas vraiment avec eux, nous leur donnons des ordres. Faut-il y voir une résurgence des velléités esclavagistes ? C'est la question que pose Pamela Duboc dans cet article : «Real Humans»: pourquoi fabriquer des robots à notre image? (Slate - 4 avril 2013).
Quelques articles pour aller plus loin :
- Le robot, un double étrangement inquiétant / Catherine Vincent - LeMonde.fr - 12 juillet 2018
- Fait-on plus confiance à un robot s'il nous ressemble? / Emmanuel Monnier - Science et vie - 04 mai 2019
- Notre cerveau préfère discuter avec un autre humain plutôt qu'avec un robot / Coralie Lemke - Sciences et Avenir - 13.03.2019
- De la robotisation des hommes à l’humanisation des robots / IERHR | 4 juin 2018
- Robophobe, robophile : quelles relations aurons-nous avec nos robots ? / Hélène Molinari - Numerama - 07 juillet 2017
- Pourquoi il est si difficile de créer un robot à l’apparence humaine / Morgane Tual - Le Monde - 06 avril 2016
- Chatila Raja, « Robots androïdes, avatars et éthique », dans : éd., Traité de bioéthique. IV - Les nouveaux territoires de la bioéthique. Toulouse, ERES, « Poche - Espace éthique », 2018, p. 579-592.
Une bibliographie :
- Le rêve de l'homme-machine : de l'automate à l'androïde / Gaby Wood
- Le robot pensant / Marie-Noëlle Himbert
- Vivre avec les robots : essai sur l'empathie artificielle / Paul Dumouchel, Luisa Damiano
- Petit traité de cyber-psychologie : pour ne pas prendre les robots pour des messies et l'IA pour une lanterne / Serge Tisseron
- Le Jour où mon robot m'aimera: Vers l'empathie artificielle / Serge Tisseron - consultable partiellement sur GoogleLivres.
Bonne journée.
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