Question d'origine :
Bonjour,
En étudiant des dossiers d’enfants assistés, entre 1896 et 1910, je remarque que des garçons atteignant leur majorité de vingt-et-un ans ont souvent tendance à s’engager dans l’armée. Il existait à cet effet une fiche à entête du service des enfants assistés du Rhône, sur lequel était indiqué le désir du pupille à contracter un engagement.
Ces enfants de l’assistance, étaient placés exclusivement à la campagne, pour leur apprendre le travail de la terre et en vivre, mais aussi, dans un soucis d’éviter les tentations de la ville.
D’où mes différentes interrogations :
Les garçons s’engageaient-ils pour fuir la pénibilité du travail de la terre, ou étaient-ils incités à le faire par le service de l’assistance publique, d’autant plus, peu de temps avant la guerre de 1914-18 ? Mais peut-être n’est-ce qu’une vue de mon esprit ?
Je rappelle qu’à l’époque, après l’âge de treize ans, l’enfant quittait l’école pour aller travailler.
Je vous remercie sincèrement de votre savoir.
André
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 05/04/2016 à 16h16
Bonjour,
Ivan Jablonka répond à votre question dans son ouvrage intitulé Ni père, ni mère : histoire des enfants de l'Assistance publique (1874-1939) dont nous reproduisons ici quelques extraits (à partir de la page 243) :
Depuis le XVIIIe siècle, l'institution militaire entretient des liens étroits avec les services d'enfants trouvés. Ces derniers servent souvent de remplaçants aux fils légitimes des familles qui les ont recueillies. L'utilitarisme d'Etat, à l'époque de Louis XV ou de Napoléon, a rêvé d'enrégimenter l'enfance sans famille en l'envoyant outre-mer ou en la versant dans la Marine. La Troisième République a enterré cette utopie destinée à créer une nouvelle race de soldats. En revanche, elle a fait du service militaire un puissant intégrateur social et national. [...]
[A propos de l'engagement volontaire] :
La prime d'engagement, le prestige de l'uniforme et le goût de l'aventure représentent sans doute une première et puissante motivation ; mais si certains pupilles devancent l'appel, c'est aussi que l'armée leur apparaît comme une échappatoire à la domesticité agricole. Devant la difficulté à recevoir une formation technique en agence ou dans les écoles de l'Assistance publique, un certain nombre de pupilles choisissent l'engagement volontaire comme un apprentissage professionnalisant.
Ayant signé pour cinq ans dans les équipages de la Flotte à Cherbourg, un orphelin devient élève-électricien à bord d'un navire de guerre ; classé premier à son examen avec un prix d'honneur, il choisit en mars 1921 de servir à bord d'un sous-marin. En novembre, il s'embarque sur le Fulton, le plus moderne des submersibles français. Affecté aux moteurs de propulsion, il prépare un brevet de scaphandrier avant de devenir quartier-maître. En 1924, employé chez Thomson-Houston, il songe dubitativement à ce qu'il serait devenu s'il était "resté à la ferme jusqu'à l'âge de vingt et un an".
Entre 1915 et 1921, un pupille de la Somme décrit comme un "garçon d'avenir s'il est bien guidé" travaille dans les fermes comme domestique agricole, avant de s'engager pour quatre ans au troisième régiment de cavaliers à Constantine. En 1928, après plusieurs réengagements, il intègre le corps des sous-officiers de carrière. Il devient maréchal des logis chef comptable en 1932 et adjudant-chef à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Embrasser la carrière militaire permet donc de fuir l’agriculture, la domesticité et l'absence de débouchés professionnels.
Ces bifurcations s'effectuent surtout dans les années 1920 et 1930 : c’est le moment où les enfants assistés, de plus en plus rebutés par le travail dans les fermes, sont exclus de la démocratisation scolaire. Mais, même si l'armée est en mesure de leur assurer une certaine ascension sociale, les conscrits de l'Assistance publique y ressentent durement leur origine. La Première Guerre Mondiale est plus douloureuse encore dans la mesure où elle les force à se battre et à mourir dans la solitude.
A lire aussi :
- Aux marges de la famille et de la société : filles-mères et enfants assistés à Lyon au XIXe siècle / Guy Brunet
- Odile ROYNETTE, "Bons pour le service", l'expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle en France - Paris, Belin, 2000, 458 p.
- Magali Lacousse, « L’engagement dans l’armée comme « remède suprême et nécessaire ». La Société de protection des engagés volontaires élevés sous la tutelle administrative (1878-1965) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », Numéro 8 | 2006, 153-164.
- Jacques Bourquin, « De la correction à l’éducation », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », Hors-série | 2007, 219-258.
- Brunet Guy, Bideau Alain, « Le pupille adolescent et l'inspecteur : une difficile transition vers l'âge adulte l'exemple du département de l'Ain (1871-1914). », Annales de démographie historique 2/2007 (n° 114) , p. 99-126
- Les enfants abandonnés : Institutions et parcours individuels Annales de démographie historique 2007/2 (n° 114). 248 pages.
dont Jablonka Ivan, « L'ascension sociale des jeunes filles de l'assistance publique (1880-1940).», Annales de démographie historique 2/2007 (n° 114) , p. 127-141
Bonne journée.
Ivan Jablonka répond à votre question dans son ouvrage intitulé Ni père, ni mère : histoire des enfants de l'Assistance publique (1874-1939) dont nous reproduisons ici quelques extraits (à partir de la page 243) :
Depuis le XVIIIe siècle, l'institution militaire entretient des liens étroits avec les services d'enfants trouvés. Ces derniers servent souvent de remplaçants aux fils légitimes des familles qui les ont recueillies. L'utilitarisme d'Etat, à l'époque de Louis XV ou de Napoléon, a rêvé d'enrégimenter l'enfance sans famille en l'envoyant outre-mer ou en la versant dans la Marine. La Troisième République a enterré cette utopie destinée à créer une nouvelle race de soldats. En revanche, elle a fait du service militaire un puissant intégrateur social et national. [...]
[A propos de l'engagement volontaire] :
Ayant signé pour cinq ans dans les équipages de la Flotte à Cherbourg, un orphelin devient élève-électricien à bord d'un navire de guerre ; classé premier à son examen avec un prix d'honneur, il choisit en mars 1921 de servir à bord d'un sous-marin. En novembre, il s'embarque sur le Fulton, le plus moderne des submersibles français. Affecté aux moteurs de propulsion, il prépare un brevet de scaphandrier avant de devenir quartier-maître. En 1924, employé chez Thomson-Houston, il songe dubitativement à ce qu'il serait devenu s'il était "resté à la ferme jusqu'à l'âge de vingt et un an".
Entre 1915 et 1921, un pupille de la Somme décrit comme un "garçon d'avenir s'il est bien guidé" travaille dans les fermes comme domestique agricole, avant de s'engager pour quatre ans au troisième régiment de cavaliers à Constantine. En 1928, après plusieurs réengagements, il intègre le corps des sous-officiers de carrière. Il devient maréchal des logis chef comptable en 1932 et adjudant-chef à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Ces bifurcations s'effectuent surtout dans les années 1920 et 1930 : c’est le moment où les enfants assistés, de plus en plus rebutés par le travail dans les fermes, sont exclus de la démocratisation scolaire. Mais, même si l'armée est en mesure de leur assurer une certaine ascension sociale, les conscrits de l'Assistance publique y ressentent durement leur origine. La Première Guerre Mondiale est plus douloureuse encore dans la mesure où elle les force à se battre et à mourir dans la solitude.
A lire aussi :
- Aux marges de la famille et de la société : filles-mères et enfants assistés à Lyon au XIXe siècle / Guy Brunet
- Odile ROYNETTE, "Bons pour le service", l'expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle en France - Paris, Belin, 2000, 458 p.
- Magali Lacousse, « L’engagement dans l’armée comme « remède suprême et nécessaire ». La Société de protection des engagés volontaires élevés sous la tutelle administrative (1878-1965) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », Numéro 8 | 2006, 153-164.
- Jacques Bourquin, « De la correction à l’éducation », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », Hors-série | 2007, 219-258.
- Brunet Guy, Bideau Alain, « Le pupille adolescent et l'inspecteur : une difficile transition vers l'âge adulte l'exemple du département de l'Ain (1871-1914). », Annales de démographie historique 2/2007 (n° 114) , p. 99-126
- Les enfants abandonnés : Institutions et parcours individuels Annales de démographie historique 2007/2 (n° 114). 248 pages.
dont Jablonka Ivan, « L'ascension sociale des jeunes filles de l'assistance publique (1880-1940).», Annales de démographie historique 2/2007 (n° 114) , p. 127-141
Bonne journée.
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