Question d'origine :
Bonjour,
Presque tout est dans le titre. Je relis un cours de philo et je ne saisis pas bien ce qui suit:
Existe-t-il une ou des différence(s) entre le doute et l'incertitude?
Merci d'avance
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 25/11/2017 à 15h48
Réponse du Département Civilisation :
Il semble difficile en effet d’apporter une réponse claire à cette interrogation : cette question, proprement philosophique, se trouve au cœur des travaux et des études de nombreux philosophes, anciens comme modernes, et interroge la pratique de la philosophie elle-même.
Votre question pourrait éventuellement appeler à une réponse de type dissertation philosophique, ce qui n’est pas comme vous le savez le rôle du Guichet du savoir, cependant nous pouvons vous proposer quelques pistes et références bibliographiques afin de nourrir votre réflexion.
Doute et incertitude sont deux termes qui peuvent à première vue sembler synonymes. Tenter de les définir, et de les différencier, renvoie en philosophie à une réflexion riche, qui appelle à la fois les notions decroyance , de vérité ou de liberté , tout en pouvant s’inscrire également dans une philosophie des sciences , ainsi que dans le domaine de la métaphysique .
La consultation de l’article « doute » dans le Grand dictionnaire de la philosophie nous oriente tout d’abord sur quelques grandes pistes, dans le domaine de la philosophie de la connaissance :
- Le doute est une notion centrale de laphilosophie sceptique , qui revient à mettre en doute l’ensemble des assertions et évidences qui nous entourent. Le doute sceptique est « le nom donné à une attitude de l’esprit qui se refuse à juger du vrai ou du faux de manière assertorique » : il renvoie à la décision de douter, avec pour principe « l’apparente égalité des raisons de croire », son but étant « la négation du dogmatisme dans la recherche ».
On consultera sur cet aspect les sceptiques antiques, en particulierPYRRHON , étudié par Marcel Conche dans son ouvrage Pyrrhon ou L'apparence.
- Le doute est également une notion centrale de laphilosophie dogmatique : le doute comme outil de la méthode est « un opérateur dans la recherche du vrai ». Il s’agit d’un « procédé mental de sélection, qui consiste à rejeter comme fausse toute assertion qui n’est pas évidente ».
C’est ce que met en œuvreDESCARTES bien sûr, dans son Discours de la méthode : un doute radical mais seulement opératoire, qui permet de préparer à la certitude, et pose la connaissance scientifique véritable comme science certaine. Pour Descartes, le doute est à l’origine du protocole méthodologique de la recherche de la vérité , qui mène au fameux Cogito, « je doute donc je suis ». C’est ce qui lui permet, après avoir mis en œuvre un doute universel appliqué jusqu’à sa propre existence, d’admettre cette dernière comme vraie.
La consultation de l’article « certitude », toujours dans le Grand dictionnaire de la philosophie, précise ainsi le lien entre doute et certitude, dans la pensée dogmatique comme dans la pensée sceptique : « Les croyances certaines jouent dans une perspective cartésienne le rôle de fondement absolu de toute connaissance ; si, cependant, on met en cause l’existence des croyances certaines, tout l’édifice des connaissances est alors susceptible de s’écrouler. »
C’est ainsi contre Descartes que s’est construit un scepticisme plus moderne, mettant à l’œuvre un nouveau concept du doute :
Dans Enquête sur l’entendement humain, le philosophe écossaisDavid HUME met en œuvre une critique sceptique des fondements de la connaissance, renonçant à la certitude.
Dans De la certitude, recueil d'aphorismes deLudwig WITTGENSTEIN publié après sa mort, le philosophe traite de la vérité, du savoir et de la certitude, à travers une pensée qui peut être perçue comme une réponse au scepticisme cartésien : pour Wittgenstein, une croyance peut ainsi être certaine si elle participe à la justification d’autres croyances.
Le doute appelle ainsi au refus des apparences comme de la pensée dogmatique. Il est, à ce titre, souvent convoqué commeune garantie de la liberté de penser : pouvoir mettre en doute une affirmation, c’est pouvoir interroger et penser librement, sans contrainte, et donc exercer sa liberté de philosopher.
Sur cet aspect, l’ouvrage de Nathalie MONNIN Qu’est-ce que penser librement ? fournit une approche de cette condition que représentent le doute et l’incertitude dans l’exercice de la philosophie. Le premier chapitre notamment, expose et explicite qu’ils sont une « condition psychologique de la philosophie » (p. 13), et comment la question de la liberté nous renvoie à celle de la vérité.
Si le doute est ainsi une notion proprement philosophique, l’incertitude peut renvoyer, dans le champ de la pensée, à une notion plussociologique , si on la conçoit dans son lien avec le risque, la probabilité ou le hasard .
Lasociologie du risque est ainsi une thématique étudiée par plusieurs sociologues et anthropologues, comme David LE BRETON : dans Sociologie du risque, il explore l’incertitude sous le signe des perceptions sociales et individuelles qu’elle peut engendrer, interrogeant la peur devant le danger, le souci d’évitement du danger et la recherche de sécurité des individus et des sociétés. L’incertitude apparaît alors, sous cet angle, davantage comme un mal moderne, en particulier dans une société qui propose de multiples assurances contre le risque.
Dans son ouvrage L’incertitudeGérald BRONNER commence par proposer une définition de ce terme (p. 3-4), qui recouvre selon lui deux sens qui ne se recoupent pas exactement : ainsi, selon lui l’incertitude en finalité désigne « l’incertitude relative à un événement futur sur lequel nous n’avons pas tout pouvoir : vais-je conserver mon emploi, vais-je guérir, vais-je gagner ? » ; il s’agit « d’un état dans lequel se trouve un individu qui, nourrissant un désir, se trouve confronté à son propos au champ ouvert des possibles ». Tandis que l’incertitude de sens désigne plutôt « un état d’incertitude, concernant des objets bien différents comme, par exemple, le fait de savoir si Dieu existe, s’il est bien ou mal d’accepter l’avortement, s’il existe une vie après la mort… » ; il s’agit « de l’état que connaît l’individu lorsqu’une partie, ou l’ensemble, de ses systèmes de représentation est altérée ou risque de l’être ».
BRONNER indique que la notion d’information est au centre du problème, de même que le caractère anxiogène qui relève de l’impuissance de l’individu face à une situation d’incertitude, l’incertitude étant bien plus fréquente dans la réalité de la vie sociale que ne l’est la certitude.
Ces définitions préalables, et cette affirmation, introduisent à une étude de l’incertitude placée sous le signe de ses deux composantes, qui sontle désir d’une part, et la probabilité d’autre part : « nous définirons l’incertitude en finalité comme cet état dans lequel se trouve un individu qui, nourrissant un désir, se trouve confronté à son propos au champ ouvert des possibles » (p. 4). Ainsi, cette définition lui permet d’affirmer que « la réduction de l’incertitude, c’est tous les efforts faits pour emprunter, dans le champ des possibles, un chemin favorable au regard du désir que nous nourrissons » (p. 122), pour finalement proposer une philosophie de l’acceptation de l’incertitude : « il nous faut donc accepter l’incertitude et tenter bien sûr toujours de la réduire puisque nous sommes des êtres de désirs » (p. 124).
Edgar MORIN , quant à lui, prolonge cette approche en apportant une réponse plus anthropologique , qui pourrait constituer une belle conclusion à cette question :
« Autrement dit, si dans la vie concrète vous êtes dans l’incertitude, vous tendez à éliminer les grandes incertitudes fondamentales, philosophiques ou autres, alors que si vous êtes dans une situation tranquille, vous pouvez à nouveau vous interroger sur les grandes incertitudes »
(in « Philosophie de l’incertain », Le Magazine littéraire, n°312, 1993, p. 21, repris dans La fin des certitudes, pp. 149-160).
Où, par la volonté de maîtrise de l’homme sur son environnement et par goût du savoir, la recherche de l’incertitude peut finalement contribuer à la réduire…
Bonnes lectures !
Vous pouvez consulter aussi :
Un exemple de corrigé de dissertation sur un sujet proche : « douter, est-ce désespérer de la vérité ? »
Il semble difficile en effet d’apporter une réponse claire à cette interrogation : cette question, proprement philosophique, se trouve au cœur des travaux et des études de nombreux philosophes, anciens comme modernes, et interroge la pratique de la philosophie elle-même.
Votre question pourrait éventuellement appeler à une réponse de type dissertation philosophique, ce qui n’est pas comme vous le savez le rôle du Guichet du savoir, cependant nous pouvons vous proposer quelques pistes et références bibliographiques afin de nourrir votre réflexion.
Doute et incertitude sont deux termes qui peuvent à première vue sembler synonymes. Tenter de les définir, et de les différencier, renvoie en philosophie à une réflexion riche, qui appelle à la fois les notions de
La consultation de l’article « doute » dans le Grand dictionnaire de la philosophie nous oriente tout d’abord sur quelques grandes pistes, dans le domaine de la philosophie de la connaissance :
- Le doute est une notion centrale de la
On consultera sur cet aspect les sceptiques antiques, en particulier
- Le doute est également une notion centrale de la
C’est ce que met en œuvre
La consultation de l’article « certitude », toujours dans le Grand dictionnaire de la philosophie, précise ainsi le lien entre doute et certitude, dans la pensée dogmatique comme dans la pensée sceptique : « Les croyances certaines jouent dans une perspective cartésienne le rôle de fondement absolu de toute connaissance ; si, cependant, on met en cause l’existence des croyances certaines, tout l’édifice des connaissances est alors susceptible de s’écrouler. »
C’est ainsi contre Descartes que s’est construit un scepticisme plus moderne, mettant à l’œuvre un nouveau concept du doute :
Dans Enquête sur l’entendement humain, le philosophe écossais
Dans De la certitude, recueil d'aphorismes de
Le doute appelle ainsi au refus des apparences comme de la pensée dogmatique. Il est, à ce titre, souvent convoqué comme
Sur cet aspect, l’ouvrage de Nathalie MONNIN Qu’est-ce que penser librement ? fournit une approche de cette condition que représentent le doute et l’incertitude dans l’exercice de la philosophie. Le premier chapitre notamment, expose et explicite qu’ils sont une « condition psychologique de la philosophie » (p. 13), et comment la question de la liberté nous renvoie à celle de la vérité.
Si le doute est ainsi une notion proprement philosophique, l’incertitude peut renvoyer, dans le champ de la pensée, à une notion plus
La
Dans son ouvrage L’incertitude
BRONNER indique que la notion d’information est au centre du problème, de même que le caractère anxiogène qui relève de l’impuissance de l’individu face à une situation d’incertitude, l’incertitude étant bien plus fréquente dans la réalité de la vie sociale que ne l’est la certitude.
Ces définitions préalables, et cette affirmation, introduisent à une étude de l’incertitude placée sous le signe de ses deux composantes, qui sont
« Autrement dit, si dans la vie concrète vous êtes dans l’incertitude, vous tendez à éliminer les grandes incertitudes fondamentales, philosophiques ou autres, alors que si vous êtes dans une situation tranquille, vous pouvez à nouveau vous interroger sur les grandes incertitudes »
(in « Philosophie de l’incertain », Le Magazine littéraire, n°312, 1993, p. 21, repris dans La fin des certitudes, pp. 149-160).
Où, par la volonté de maîtrise de l’homme sur son environnement et par goût du savoir, la recherche de l’incertitude peut finalement contribuer à la réduire…
Bonnes lectures !
Vous pouvez consulter aussi :
Un exemple de corrigé de dissertation sur un sujet proche : « douter, est-ce désespérer de la vérité ? »
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