Question d'origine :
Bonjour,
j'entends dire que pour la religion chrétienne pendant longtemps, les femmes n'avait pas d'âme.
Pourriez-vous me conseiller un ouvrage historique qui traite de la différenciation de l'ame des hommes et des femmes en régimes chrétien selon les époques s'il vous plaît ?
Cordialement,
JB
Réponse du Guichet

Bonjour,
Votre question fait référence à une « controverse » autour du concile de Macôn en 585 qui aurait discuté voir statué sur l’attribution d’une âme aux femmes, et par extension, fait circuler l’idée jusqu’au XIXe siècle que l’Eglise aurait refuser aux femmes une âme chrétienne.
Certains, comme Marcel Bernos, dans son ouvrage Femmes et gens d'Eglise dans la France classique: XVIIe-XVIIIe siècle, défendent contre les "anticléricaux" la thèse que tout ceci est une légende.
Vous trouverez un résumé de sa démonstration dans cette réponse du guichet à une question similaire à la vôtre.
Dans son livre Femme, repaire de tous les vices : misogynes et féministes en France (XVIe au XIXe siècles), Pierre Darmon défend un autre point de vue (toujours à partir du texte de Grégoire de Tours qui rend compte du concile), selon lequel la question de l’appartenance de la femme au genre humain et donc la possibilité qu’elle ait une âme a bien été posée lors du concile de Mâcon (qui d’ailleurs n’était qu’un synode). «Toute la malice falsificatrice des traditionnalistes consistera donc à faire croire que l’évêque a posé une question anodine méchamment montée en épingle par les « anticléricaux »».
Dans son chapitre Tempête autour d'une âme. Le mystère du concile de Mâcon, vous pouvez lire sa démonstration selon laquelle les détenteurs de l’Eglise ont instrumentalisé cette légende pour nier la misogynie qu’elle a longtemps véhiculée.
Cet ouvrage d'Anne-Marie Pelletier, Le christianisme et les femmes donne la même explication, que Marcel Dermos, tout en ne niant pas la misogynie de l’Eglise qui se développe au Moyen Age notamment : « Commençons par écarter une opinion absurde, parfois avancée, selon laquelle l’Eglise n’aurait pas toujours été convaincue que les femmes possèdent une âme. Un minuscule débat lexical, qui eut lieu au concile de mâcon en 585, est à l’origine de cette légende. Un évêque y demanda si l’on pouvait appliquer à la femme (mulier) le mot homo qui était en train de remplacer dans l’usage de la langue le mot latin vir, qui désignait jusqu’alors l’homme au sens masculin du terme. L’anecdote fut fallacieusement transformée plus tard en prétendue controverse sur « l’âme des femmes ».
Par-delà ce débat imaginaire, il reste que, incontestablement, ce qui ressort, tout au long du Moyen Age, c’est la présence des thèmes misogynes traditionnels que les écrits publics recueillent et prolongent. A partir d’un certain moment, ces thèmes reçoivent même l’appui de nouvelles argumentations. Ainsi, par exemple, la redécouverte d’Aristote sera une caution nouvelle apportée aux discours chrétiens qui dévalorisent les femmes. De même les vieilles peurs ancestrales de l’homme devant la femme vont trouver à s’investir dans l’élaboration de pénitentiels, qui quadrillent avec une minutie et une indiscrétion affligeantes la vie sexuelle des couples.
Que la femme soit inférieure à l’homme reste conviction générale, qu’on ne cesse de projeter sur les textes bibliques que toute discussion invoque… » p. 85
Dans son article Droit de cuissage et devoir de l'historien, Genevieve Fraisse apporte une analyse intéressante qui dépasse les querelles entre ardents défenseurs de l’Eglise et "anticléricaux" :
"Le premier exemple, celui du Concile de Mâcon, est amusant car fortement marqué par son usage de dérision. Cette légende raconte que les évêques du VIe siècle auraient un jour discuté fort sérieusement de l'existence de l'âme des femmes pour conclure magnanimement positivement. L'histoire ensuite, à partir de 1789, s'en serait servi comme d'une menace chaque fois qu'il fallait contenir l'activité féminine. Trois éléments sont à mettre en lumière. Le premier est informatif : ce n'est pas lors du concile de Mâcon (586) mais d'un synode provincial (585) que les hommes se sont demandé si homo, tel le Mensch allemand, signifiait l'être humain en général, femmes comprises, et non seulement le sexe masculin. La légende est donc bien telle : la caricature misogyne d'une question somme toute acceptable. Le deuxième montre l'usage effectif de la légende : au XVIe siècle, l'âme hypothétique des femmes, sous la forme de la question de l'appartenance des femmes au genre humain, sert à régler une querelle entre doctrinaires religieux adverses. Cette légende apparaît là, elle aussi, comme un moyen d'échange pour une dispute théorique. Bayle (p. 1223-1224), cent ans plus tard, dans son dictionnaire, en fait une mise au point tout à fait lucide.
Le troisième élément intervient dans l'espace politique lorsque l'âme des femmes devient un argument mi-sérieux, mi-loufoque, soit pour argumenter la fermeture des clubs en 1793, soit pour tourner en dérision ceux qui affichent sans vergogne le mépris politique, une misogynie publique envers les femmes. On ne doute plus, au XIXe siècle, que les femmes aient une âme ! Ainsi la « légende du Concile de Mâcon » a une efficace rhétorique en dehors de son prétendu champ d'origine, à savoir la théologie, dans l'espace politique de l'inégalité des sexes. Tout est faux dans cette légende et pourtant elle fait de l'usage ; elle a une efficace.
Ainsi « la légende du concile de Mâcon » se révèle, au cours de sa chronologie de légende, de plus en plus fantasmatique et pourtant de plus en plus « réelle » : une petite discussion provinciale sert de balle de ping-pong dans un débat théologique et finit en argument politique pour ou contre l'égalité des sexes dans un XIXe siècle qui, croyant de moins en moins en Dieu, n'a cure de l'existence de l'âme d'un homme ou d'une femme."
Nous vous conseillons vivement la lecture de cet ouvrage de Jérôme Baschet : Corps et âmes : une histoire de la personne au Moyen âge .
Dans son chapitre intitulé L’équivalence du masculin et du féminin dans l’ordre spirituel, il explique la différenciation entre l’âme des hommes et celles des femmes, selon les différents penseurs et théologiens (Saint Paul, Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin entre autres) et montre l’évolution de la pensée chrétienne à ce sujet. Ainsi, Augustin donne cette explication : « D’un côté, elle est dotée d’une âme rationnelle, ce qui implique qu’elle est faite, tout autant que le mâle, à l’image de Dieu ; d’un autre côté dans la mesure où elle est créée comme « auxiliaire » de l’homme et parce que son âme est encline à se fixer sur des réalités temporelles, elle ne possède pas ce rapport d’image vis-à-vis de Dieu. Autrement dit le rapport d’image vis-à-vis de Dieu qu’il faut situer dans l’âme rationnelle en tant qu’elle s’élève vers les choses divines, appartient à la femme autant qu’à l’homme : mais la tendance de l’âme rationnelle à s’abaisser vers les choses terrestres se manifeste davantage chez la femme que chez l’homme, ce qui justifie sa subordination, comme le confirme l’exégèse du péché originel».
Vous le voyez tout ceci est bien plus complexe qu’une controverse, qui voudrait faire croire que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la doctrine chrétienne se joue dans la phrase d’un évêque au concile de Mâcon en 585…
Vous pouvez consulter des extraits sur Google Livres
Vous pouvez lire aussi :
- Histoire des chrétiennes : l'autre moitié de l'Évangile, Elisabeth Dufourcq
- cette autre réponse du Guichet
Bonne lecture !
Votre question fait référence à une « controverse » autour du concile de Macôn en 585 qui aurait discuté voir statué sur l’attribution d’une âme aux femmes, et par extension, fait circuler l’idée jusqu’au XIXe siècle que l’Eglise aurait refuser aux femmes une âme chrétienne.
Certains, comme Marcel Bernos, dans son ouvrage Femmes et gens d'Eglise dans la France classique: XVIIe-XVIIIe siècle, défendent contre les "anticléricaux" la thèse que tout ceci est une légende.
Vous trouverez un résumé de sa démonstration dans cette réponse du guichet à une question similaire à la vôtre.
Dans son livre Femme, repaire de tous les vices : misogynes et féministes en France (XVIe au XIXe siècles), Pierre Darmon défend un autre point de vue (toujours à partir du texte de Grégoire de Tours qui rend compte du concile), selon lequel la question de l’appartenance de la femme au genre humain et donc la possibilité qu’elle ait une âme a bien été posée lors du concile de Mâcon (qui d’ailleurs n’était qu’un synode). «Toute la malice falsificatrice des traditionnalistes consistera donc à faire croire que l’évêque a posé une question anodine méchamment montée en épingle par les « anticléricaux »».
Dans son chapitre Tempête autour d'une âme. Le mystère du concile de Mâcon, vous pouvez lire sa démonstration selon laquelle les détenteurs de l’Eglise ont instrumentalisé cette légende pour nier la misogynie qu’elle a longtemps véhiculée.
Cet ouvrage d'Anne-Marie Pelletier, Le christianisme et les femmes donne la même explication, que Marcel Dermos, tout en ne niant pas la misogynie de l’Eglise qui se développe au Moyen Age notamment : « Commençons par écarter une opinion absurde, parfois avancée, selon laquelle l’Eglise n’aurait pas toujours été convaincue que les femmes possèdent une âme. Un minuscule débat lexical, qui eut lieu au concile de mâcon en 585, est à l’origine de cette légende. Un évêque y demanda si l’on pouvait appliquer à la femme (mulier) le mot homo qui était en train de remplacer dans l’usage de la langue le mot latin vir, qui désignait jusqu’alors l’homme au sens masculin du terme. L’anecdote fut fallacieusement transformée plus tard en prétendue controverse sur « l’âme des femmes ».
Par-delà ce débat imaginaire, il reste que, incontestablement, ce qui ressort, tout au long du Moyen Age, c’est la présence des thèmes misogynes traditionnels que les écrits publics recueillent et prolongent. A partir d’un certain moment, ces thèmes reçoivent même l’appui de nouvelles argumentations. Ainsi, par exemple, la redécouverte d’Aristote sera une caution nouvelle apportée aux discours chrétiens qui dévalorisent les femmes. De même les vieilles peurs ancestrales de l’homme devant la femme vont trouver à s’investir dans l’élaboration de pénitentiels, qui quadrillent avec une minutie et une indiscrétion affligeantes la vie sexuelle des couples.
Que la femme soit inférieure à l’homme reste conviction générale, qu’on ne cesse de projeter sur les textes bibliques que toute discussion invoque… » p. 85
Dans son article Droit de cuissage et devoir de l'historien, Genevieve Fraisse apporte une analyse intéressante qui dépasse les querelles entre ardents défenseurs de l’Eglise et "anticléricaux" :
"Le premier exemple, celui du Concile de Mâcon, est amusant car fortement marqué par son usage de dérision. Cette légende raconte que les évêques du VIe siècle auraient un jour discuté fort sérieusement de l'existence de l'âme des femmes pour conclure magnanimement positivement. L'histoire ensuite, à partir de 1789, s'en serait servi comme d'une menace chaque fois qu'il fallait contenir l'activité féminine. Trois éléments sont à mettre en lumière. Le premier est informatif : ce n'est pas lors du concile de Mâcon (586) mais d'un synode provincial (585) que les hommes se sont demandé si homo, tel le Mensch allemand, signifiait l'être humain en général, femmes comprises, et non seulement le sexe masculin. La légende est donc bien telle : la caricature misogyne d'une question somme toute acceptable. Le deuxième montre l'usage effectif de la légende : au XVIe siècle, l'âme hypothétique des femmes, sous la forme de la question de l'appartenance des femmes au genre humain, sert à régler une querelle entre doctrinaires religieux adverses. Cette légende apparaît là, elle aussi, comme un moyen d'échange pour une dispute théorique. Bayle (p. 1223-1224), cent ans plus tard, dans son dictionnaire, en fait une mise au point tout à fait lucide.
Le troisième élément intervient dans l'espace politique lorsque l'âme des femmes devient un argument mi-sérieux, mi-loufoque, soit pour argumenter la fermeture des clubs en 1793, soit pour tourner en dérision ceux qui affichent sans vergogne le mépris politique, une misogynie publique envers les femmes. On ne doute plus, au XIXe siècle, que les femmes aient une âme ! Ainsi la « légende du Concile de Mâcon » a une efficace rhétorique en dehors de son prétendu champ d'origine, à savoir la théologie, dans l'espace politique de l'inégalité des sexes. Tout est faux dans cette légende et pourtant elle fait de l'usage ; elle a une efficace.
Ainsi « la légende du concile de Mâcon » se révèle, au cours de sa chronologie de légende, de plus en plus fantasmatique et pourtant de plus en plus « réelle » : une petite discussion provinciale sert de balle de ping-pong dans un débat théologique et finit en argument politique pour ou contre l'égalité des sexes dans un XIXe siècle qui, croyant de moins en moins en Dieu, n'a cure de l'existence de l'âme d'un homme ou d'une femme."
Dans son chapitre intitulé L’équivalence du masculin et du féminin dans l’ordre spirituel, il explique la différenciation entre l’âme des hommes et celles des femmes, selon les différents penseurs et théologiens (Saint Paul, Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin entre autres) et montre l’évolution de la pensée chrétienne à ce sujet. Ainsi, Augustin donne cette explication : « D’un côté, elle est dotée d’une âme rationnelle, ce qui implique qu’elle est faite, tout autant que le mâle, à l’image de Dieu ; d’un autre côté dans la mesure où elle est créée comme « auxiliaire » de l’homme et parce que son âme est encline à se fixer sur des réalités temporelles, elle ne possède pas ce rapport d’image vis-à-vis de Dieu. Autrement dit le rapport d’image vis-à-vis de Dieu qu’il faut situer dans l’âme rationnelle en tant qu’elle s’élève vers les choses divines, appartient à la femme autant qu’à l’homme : mais la tendance de l’âme rationnelle à s’abaisser vers les choses terrestres se manifeste davantage chez la femme que chez l’homme, ce qui justifie sa subordination, comme le confirme l’exégèse du péché originel».
Vous le voyez tout ceci est bien plus complexe qu’une controverse, qui voudrait faire croire que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la doctrine chrétienne se joue dans la phrase d’un évêque au concile de Mâcon en 585…
Vous pouvez consulter des extraits sur Google Livres
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- Histoire des chrétiennes : l'autre moitié de l'Évangile, Elisabeth Dufourcq
- cette autre réponse du Guichet
Bonne lecture !
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