Question d'origine :
Bonjour,
Quel est l'intérêt d'étudier l'Histoire de l'Art?
En vous remerciant d'avant pour votre réponse.
TTT
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 14/10/2016 à 14h15
Bonjour
L’histoire de l’art est une discipline qui a pour objet principal l’étude des œuvres dans l’Histoire. Elle consiste à étudier le contexte de création des œuvres en s’appuyant sur l’anthropologie, les sciences économiques et sociales, la linguistique, la psychanalyse, la sémiologie et d’autres disciplines encore.
[Nous traduisons] “L’histoire de l’art […] s’occupe d’identifier, de classifier, d’évaluer, d’interpréter et de comprendre les produits artistiques et le développement historique dans les domaines de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, des arts décoratifs, du dessin, de la gravure, de la photographie, du design, etc. »
Art history / Encyclopaedia Britannica
[Nous traduisons] « L’histoire de l’art est l’étude des images visuelles et des objets. Nous explorons non seulement la peinture, le dessin et la sculpture mais aussi l’architecture, la photographie, la vidéo, les performances, le design et les arts décoratifs.
L’histoire de l’art développe les compétences nécessaires à l’analyse et à l’interprétation de ce monde, saturé d’images. Elle permet une compréhension plus profonde des différentes traditions culturelles et des périodes historiques, et nous apprend l’importance de la créativité et de la liberté de l’imagination. »
Art history / The University of Auckland
L’histoire de l’art permet, ainsi, de mieux appréhender les images. Nous vivons aujourd’hui dans un monde rempli d’images mais nous n’avons pas nécessairement les compétences pour pouvoir les décoder. L’histoire de l’art nous donne les clés qui nous permettront de décrypter les images : le contexte dans lequel elles ont été produites, le ou les commanditaires de ces images, les motivations de l’artiste ainsi que ses idées …
La tribune Pour un enseignement de l’histoire de l’art, parue dans Libération et signée par des professionnels de l’art, explique pourquoi il est intéressant d’étudier l’histoire de l’art :
« Car, dans un monde saturé d’images, il est devenu fondamental de savoir regarder et comprendre une image, qu’elle apparaisse sur un écran de télévision, d’ordinateur, de PlayStation, ou dans un musée. Il ne s’agit pas seulement de connaissance ; il faut aussi apprendre à développer la sensibilité, à savoir profiter, dans une civilisation où le temps libre est conquérant, de l’environnement du quotidien, de l’église de village à l’architecture des gares TGV. L’école doit enfin donner une culture artistique, pour comprendre les formes, savoir replacer les chefs-d’œuvre dans leur contexte, leur donner un sens actuel, et stimuler l’intérêt pour la création contemporaine. Elle doit permettre à des jeunes de s’approprier les œuvres d’art, afin de partager, au-delà des frontières sociale, générationnelle, et géographique, toutes les potentialités de leurs richesses infinies. Picasso disait que l’art aide les hommes à ne plus être sujets des esprits obscurs et à devenir indépendants. L’histoire de l’art apprend aussi à être libre et responsable.
Il existe une discipline pour apprendre à voir, à développer la sensibilité face à une œuvre, à donner les outils qui permettent de la comprendre : l’histoire de l’art. C’est grâce à elle que, chaque année, sont organisées des expositions qui attirent des millions de visiteurs ; c’est grâce à elle que des jeunes découvrent les richesses du passé et les nouvelles voies prises par les formes artistiques dans le monde actuel. En effet, les œuvres d’art, de la mosquée de Cordoue aux photos des châteaux d’eau des Becher, étudiées dans leur dimension historique, sont la meilleure introduction aux religions, aux révolutions sociales et économiques, aux mouvements des idées. Initier aux œuvres par l’histoire de l’art, ce n’est pas seulement créer du lien social, c’est un formidable investissement, économique aussi, pour l’avenir. […]
Elle concerne toutes les expressions artistiques relevant du visuel, de la peinture à l’art des jardins, du cinéma aux arts numériques en passant par le design, qu’elle étudie en les rapprochant d’autres modes de création, du théâtre à la musique. Cette discipline plurielle s’est ouverte aux approches les plus modernes, de la sémiologie aux études visuelles. Elle donne des bases utiles pour des métiers divers : valorisation du patrimoine, médiation, création graphique et numérique. »
Le discours suivant de Pierre Rosenberg (conservateur et historien de l’art) vous donne plusieurs pistes de réflexion quant à l’intérêt de l’histoire de l’art :
« Vous me demanderez : « Qu’entendez-vous par histoire de l’art ? ». C’est bien simple : je me répète, l’école apprend à lire et à écrire, elle n’apprend pas à voir. L’histoire de l’art ce n’est rien d’autre que d’apprendre à voir. Les œuvres d’art ne se livrent pas d’elles-mêmes. C’est particulièrement vrai aujourd’hui : la mythologie classique, la Bible, Vénus, Achille, Ulysse, Moïse, Abraham, saint François d’Assise, ne font plus partie de notre culture générale. L’histoire de l’art doit donner, se doit de donner un sens aux images. Le Massacre des innocents de Poussin décrit un épisode biblique. Il y a un sujet qu’il faut expliquer, il y a son interprétation par un de nos grands peintres, il y a enfin son actualité, les nombreux massacres des innocents contemporains dont Poussin sut peindre l’horreur. Chardin, au contraire, livre du XVIIIe siècle une image bien différente de celle que nous donnent Boucher et Fragonard. En quoi les scènes de genre de Chardin, ses natures mortes et leur silence, symbolisent-elles le XVIIIe français ? […]
Les œuvres d’art ne se livrent pas d’elles-mêmes… Je reprendrai deux exemples qui me sont chers, un édifice religieux et un tableau. La cathédrale de Chartres, il ne s’agit pas seulement de sa rapide construction, pour l’essentiel en moins de trente ans, l’extrême fin du XIIe siècle, les deux premières décennies du siècle suivant (je suis de ceux pour qui la chronologie, les repères historiques, restent essentiels). Eut-elle un ou plusieurs architectes ? Quelle était leur formation ? Y eut-il des plans ? Qui fut responsable du programme iconographique de la façade principale, le portail royal, des portails Nord, Ouest et Sud ? D’où venaient les pierres qui permirent sa construction, comment et par qui étaient-elles transportées ? Qui payait ? Qui payait-on ? D’où venait l’argent ? Quelle était la formation des sculpteurs : étaient-ils « locaux », ou provenaient-ils d’autres chantiers ? Les vitraux, les plus beaux de France avec ceux de Bourges, la technique du vitrail, des plombs, des minerais broyés dans la pâte de verre. Comment obtenait-on leurs magnifiques couleurs, ces bleus inoubliables, « la blonde aux yeux bleus » pour citer Huysmans ? Chartres, Amiens, Notre-Dame, Reims, Beauvais peut-être, comment les comparer ? Que veut dire gothique ? D’où vient ce mot ? La cathédrale de Chartres, certes, est un édifice religieux, mais pour quelles raisons est-elle visitée et admirée par tous et dans tous les pays, par les athées comme par les croyants ?
J’ai parlé d’un édifice religieux. Je prendrai maintenant pour exemple un tableau profane, le Tricheur de Georges de La Tour. Que voyons-nous ? Il s’agit clairement d’une scène de jeu. Le tableau nous montre deux hommes et deux femmes, l’une est debout, les trois autres personnages sont assis. La jeune femme debout, une servante, tient d’une main un verre de vin et de l’autre une fiasque. Elle louche vers l’homme assis sur la gauche du tableau. Elle porte un magnifique turban couleur topaze à aigrette. Devant elle, assise, une autre femme plus âgée, au visage en forme d’œuf d’autruche - généreusement décolletée comme la servante – qui regarde elle aussi l’homme sur la gauche du tableau. Elle porte un étrange chapeau à plumes et un collier de grosses perles. Elle tient une carte à jouer. Devant elle, quelques pièces d’or. Sur la droite du tableau, magnifiquement vêtu, d’une manière extravagante, un très jeune homme, un adolescent, qui lui aussi arbore un chapeau à plumes. Devant lui ses cartes et son tas d’or. Sur la gauche enfin, un second jeune homme se tourne vers nous comme pour nous interpeller, nous expliquer la scène et nous en rendre complice. Il tient de la main droite ses cartes à carreaux et tire de son dos, caché dans sa ceinture, l’as de carreau victorieux, la carte de la tricherie. Le tricheur c’est lui. Les trois complices, par le jeu des regards et le ballet des mains, ont dépouillé le benêt, l’ont berné. La leçon du tableau est claire : jeunes gens, méfiez-vous des tentations, du vin, des femmes et du jeu.
Bien d’autres interrogations viennent aux lèvres. Le tableau est signé Georgius de la Tour. Qui est ce Georges de La Tour ? Pourquoi signe-t-il en latin ? Où vivait-il ? En Lorraine. Que se passait-il en Lorraine durant la première moitié du XVIIe siècle ? Etait-il célèbre de son vivant ? Comment, quand et par qui ce peintre a-t-il été redécouvert ? (Je ne peux résister au plaisir de vous livrer la réponse : grâce aux historiens de l’art dont La Tour est le triomphe). On a admiré d’abord ses nocturnes à sujets religieux puis ses diurnes à sujets profanes. Pourquoi aujourd’hui cette immense gloire ?
D’autres questions : la date du tableau ? Quel est le jeu ? Je réponds, le jeu de prime. Le verre que tient la servante, où le fabriquait-on ? Pourquoi peut-on dire que la femme au centre de la composition, celle au visage en œuf d’autruche, est une courtisane, une prostituée ? Les perles sont de Vénus, la déesse de l’amour, quand elles sont grosses, les perles signifient l’amour vénal. Quand, et par qui, le tableau a-t-il été découvert ? Pourquoi le Louvre l’acheta-t-il en 1972 ? Pourquoi pour dix millions d’anciens francs ? Une bande de dix centimètres a été ajoutée dans le haut du tableau. Pourquoi a-t-elle était ajoutée ? Pourquoi ne l’a-t-on pas supprimée ? L’éclairage froid, les ombres et les couleurs, la facture, la composition, bien d’autres questions peuvent être abordées.
Il existe une seconde version du tableau avec quelques variantes au musée de Fort Worth au Texas. Que veut dire « seconde version » ? Que signifie-t-elle ? Le tableau américain a-t’il été peint avant ou après celui du Louvre ?
D’autres questions : à quelle école, à quel mouvement, se rattache ce tableau ? On a qualifié l’œuvre de caravagesque : que veut-on dire par là ? Pourquoi le caravagisme en Lorraine au XVIIe siècle ? Le tableau est-il réaliste, dépeint-il la réalité quotidienne, une réalité de l’époque ou n’est-il pas plutôt une allégorie morale ? Bien au-delà de la simple image riche en détails pittoresques, il décrit, avec ce cynisme désabusé propre à Georges de La Tour, le triomphe des malhonnêtes sur l’innocence de la jeunesse. Ce triomphe le dépeint-il pour nous mettre en garde ou pour dire simplement que les choses sont ainsi et ne changeront jamais ?
Ces interrogations, il faut que l’élève, le collégien, le lycéen, ait envie de les poser, ait envie de se les poser et ait envie de les poser à son professeur. Il faut éveiller sa curiosité. Il faut apprendre à voir. Voir bien sûr avec ses yeux, voir aussi avec son intelligence. Il faut provoquer l’émotion. Seul l’historien de l’art saura le faire. »
Enseigner l’histoire de l’art / Pierre Rosenberg (in La Tribune de l’Art)
Pour aller plus loin :
• Histoire de l’art et anthropologie ou la définition complexe d’un champ d’étude / Cécile Voyer (in L’Atelier du Centre de recherches historiques)
• Histoire de l’art : théories, méthodes et outils / Viviane Huys et Denis Vernant
• Le dialogue des arts : architecture, peinture, sculpture, littérature, musique / Gérard Denizeau
• Histoire de l’art : du Moyen Age à nos jours / Edina Bernard, Pierre Cabane, Jannic Durand et al.
• Histoire de l’art : 1000-2000 / sous la direction d’Alain Mérot
• Histoire visuelle de l’art / sous la direction de Claude Frontisi
• Le petit Larousse de l’histoire de l’art / Vincent Brocvielle
Bonne journée
L’histoire de l’art est une discipline qui a pour objet principal l’étude des œuvres dans l’Histoire. Elle consiste à étudier le contexte de création des œuvres en s’appuyant sur l’anthropologie, les sciences économiques et sociales, la linguistique, la psychanalyse, la sémiologie et d’autres disciplines encore.
[Nous traduisons] “L’histoire de l’art […] s’occupe d’identifier, de classifier, d’évaluer, d’interpréter et de comprendre les produits artistiques et le développement historique dans les domaines de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, des arts décoratifs, du dessin, de la gravure, de la photographie, du design, etc. »
Art history / Encyclopaedia Britannica
[Nous traduisons] « L’histoire de l’art est l’étude des images visuelles et des objets. Nous explorons non seulement la peinture, le dessin et la sculpture mais aussi l’architecture, la photographie, la vidéo, les performances, le design et les arts décoratifs.
L’histoire de l’art développe les compétences nécessaires à l’analyse et à l’interprétation de ce monde, saturé d’images. Elle permet une compréhension plus profonde des différentes traditions culturelles et des périodes historiques, et nous apprend l’importance de la créativité et de la liberté de l’imagination. »
Art history / The University of Auckland
L’histoire de l’art permet, ainsi, de mieux appréhender les images. Nous vivons aujourd’hui dans un monde rempli d’images mais nous n’avons pas nécessairement les compétences pour pouvoir les décoder. L’histoire de l’art nous donne les clés qui nous permettront de décrypter les images : le contexte dans lequel elles ont été produites, le ou les commanditaires de ces images, les motivations de l’artiste ainsi que ses idées …
La tribune Pour un enseignement de l’histoire de l’art, parue dans Libération et signée par des professionnels de l’art, explique pourquoi il est intéressant d’étudier l’histoire de l’art :
« Car, dans un monde saturé d’images, il est devenu fondamental de savoir regarder et comprendre une image, qu’elle apparaisse sur un écran de télévision, d’ordinateur, de PlayStation, ou dans un musée. Il ne s’agit pas seulement de connaissance ; il faut aussi apprendre à développer la sensibilité, à savoir profiter, dans une civilisation où le temps libre est conquérant, de l’environnement du quotidien, de l’église de village à l’architecture des gares TGV. L’école doit enfin donner une culture artistique, pour comprendre les formes, savoir replacer les chefs-d’œuvre dans leur contexte, leur donner un sens actuel, et stimuler l’intérêt pour la création contemporaine. Elle doit permettre à des jeunes de s’approprier les œuvres d’art, afin de partager, au-delà des frontières sociale, générationnelle, et géographique, toutes les potentialités de leurs richesses infinies. Picasso disait que l’art aide les hommes à ne plus être sujets des esprits obscurs et à devenir indépendants. L’histoire de l’art apprend aussi à être libre et responsable.
Il existe une discipline pour apprendre à voir, à développer la sensibilité face à une œuvre, à donner les outils qui permettent de la comprendre : l’histoire de l’art. C’est grâce à elle que, chaque année, sont organisées des expositions qui attirent des millions de visiteurs ; c’est grâce à elle que des jeunes découvrent les richesses du passé et les nouvelles voies prises par les formes artistiques dans le monde actuel. En effet, les œuvres d’art, de la mosquée de Cordoue aux photos des châteaux d’eau des Becher, étudiées dans leur dimension historique, sont la meilleure introduction aux religions, aux révolutions sociales et économiques, aux mouvements des idées. Initier aux œuvres par l’histoire de l’art, ce n’est pas seulement créer du lien social, c’est un formidable investissement, économique aussi, pour l’avenir. […]
Elle concerne toutes les expressions artistiques relevant du visuel, de la peinture à l’art des jardins, du cinéma aux arts numériques en passant par le design, qu’elle étudie en les rapprochant d’autres modes de création, du théâtre à la musique. Cette discipline plurielle s’est ouverte aux approches les plus modernes, de la sémiologie aux études visuelles. Elle donne des bases utiles pour des métiers divers : valorisation du patrimoine, médiation, création graphique et numérique. »
Le discours suivant de Pierre Rosenberg (conservateur et historien de l’art) vous donne plusieurs pistes de réflexion quant à l’intérêt de l’histoire de l’art :
« Vous me demanderez : « Qu’entendez-vous par histoire de l’art ? ». C’est bien simple : je me répète, l’école apprend à lire et à écrire, elle n’apprend pas à voir. L’histoire de l’art ce n’est rien d’autre que d’apprendre à voir. Les œuvres d’art ne se livrent pas d’elles-mêmes. C’est particulièrement vrai aujourd’hui : la mythologie classique, la Bible, Vénus, Achille, Ulysse, Moïse, Abraham, saint François d’Assise, ne font plus partie de notre culture générale. L’histoire de l’art doit donner, se doit de donner un sens aux images. Le Massacre des innocents de Poussin décrit un épisode biblique. Il y a un sujet qu’il faut expliquer, il y a son interprétation par un de nos grands peintres, il y a enfin son actualité, les nombreux massacres des innocents contemporains dont Poussin sut peindre l’horreur. Chardin, au contraire, livre du XVIIIe siècle une image bien différente de celle que nous donnent Boucher et Fragonard. En quoi les scènes de genre de Chardin, ses natures mortes et leur silence, symbolisent-elles le XVIIIe français ? […]
Les œuvres d’art ne se livrent pas d’elles-mêmes… Je reprendrai deux exemples qui me sont chers, un édifice religieux et un tableau. La cathédrale de Chartres, il ne s’agit pas seulement de sa rapide construction, pour l’essentiel en moins de trente ans, l’extrême fin du XIIe siècle, les deux premières décennies du siècle suivant (je suis de ceux pour qui la chronologie, les repères historiques, restent essentiels). Eut-elle un ou plusieurs architectes ? Quelle était leur formation ? Y eut-il des plans ? Qui fut responsable du programme iconographique de la façade principale, le portail royal, des portails Nord, Ouest et Sud ? D’où venaient les pierres qui permirent sa construction, comment et par qui étaient-elles transportées ? Qui payait ? Qui payait-on ? D’où venait l’argent ? Quelle était la formation des sculpteurs : étaient-ils « locaux », ou provenaient-ils d’autres chantiers ? Les vitraux, les plus beaux de France avec ceux de Bourges, la technique du vitrail, des plombs, des minerais broyés dans la pâte de verre. Comment obtenait-on leurs magnifiques couleurs, ces bleus inoubliables, « la blonde aux yeux bleus » pour citer Huysmans ? Chartres, Amiens, Notre-Dame, Reims, Beauvais peut-être, comment les comparer ? Que veut dire gothique ? D’où vient ce mot ? La cathédrale de Chartres, certes, est un édifice religieux, mais pour quelles raisons est-elle visitée et admirée par tous et dans tous les pays, par les athées comme par les croyants ?
J’ai parlé d’un édifice religieux. Je prendrai maintenant pour exemple un tableau profane, le Tricheur de Georges de La Tour. Que voyons-nous ? Il s’agit clairement d’une scène de jeu. Le tableau nous montre deux hommes et deux femmes, l’une est debout, les trois autres personnages sont assis. La jeune femme debout, une servante, tient d’une main un verre de vin et de l’autre une fiasque. Elle louche vers l’homme assis sur la gauche du tableau. Elle porte un magnifique turban couleur topaze à aigrette. Devant elle, assise, une autre femme plus âgée, au visage en forme d’œuf d’autruche - généreusement décolletée comme la servante – qui regarde elle aussi l’homme sur la gauche du tableau. Elle porte un étrange chapeau à plumes et un collier de grosses perles. Elle tient une carte à jouer. Devant elle, quelques pièces d’or. Sur la droite du tableau, magnifiquement vêtu, d’une manière extravagante, un très jeune homme, un adolescent, qui lui aussi arbore un chapeau à plumes. Devant lui ses cartes et son tas d’or. Sur la gauche enfin, un second jeune homme se tourne vers nous comme pour nous interpeller, nous expliquer la scène et nous en rendre complice. Il tient de la main droite ses cartes à carreaux et tire de son dos, caché dans sa ceinture, l’as de carreau victorieux, la carte de la tricherie. Le tricheur c’est lui. Les trois complices, par le jeu des regards et le ballet des mains, ont dépouillé le benêt, l’ont berné. La leçon du tableau est claire : jeunes gens, méfiez-vous des tentations, du vin, des femmes et du jeu.
Bien d’autres interrogations viennent aux lèvres. Le tableau est signé Georgius de la Tour. Qui est ce Georges de La Tour ? Pourquoi signe-t-il en latin ? Où vivait-il ? En Lorraine. Que se passait-il en Lorraine durant la première moitié du XVIIe siècle ? Etait-il célèbre de son vivant ? Comment, quand et par qui ce peintre a-t-il été redécouvert ? (Je ne peux résister au plaisir de vous livrer la réponse : grâce aux historiens de l’art dont La Tour est le triomphe). On a admiré d’abord ses nocturnes à sujets religieux puis ses diurnes à sujets profanes. Pourquoi aujourd’hui cette immense gloire ?
D’autres questions : la date du tableau ? Quel est le jeu ? Je réponds, le jeu de prime. Le verre que tient la servante, où le fabriquait-on ? Pourquoi peut-on dire que la femme au centre de la composition, celle au visage en œuf d’autruche, est une courtisane, une prostituée ? Les perles sont de Vénus, la déesse de l’amour, quand elles sont grosses, les perles signifient l’amour vénal. Quand, et par qui, le tableau a-t-il été découvert ? Pourquoi le Louvre l’acheta-t-il en 1972 ? Pourquoi pour dix millions d’anciens francs ? Une bande de dix centimètres a été ajoutée dans le haut du tableau. Pourquoi a-t-elle était ajoutée ? Pourquoi ne l’a-t-on pas supprimée ? L’éclairage froid, les ombres et les couleurs, la facture, la composition, bien d’autres questions peuvent être abordées.
Il existe une seconde version du tableau avec quelques variantes au musée de Fort Worth au Texas. Que veut dire « seconde version » ? Que signifie-t-elle ? Le tableau américain a-t’il été peint avant ou après celui du Louvre ?
D’autres questions : à quelle école, à quel mouvement, se rattache ce tableau ? On a qualifié l’œuvre de caravagesque : que veut-on dire par là ? Pourquoi le caravagisme en Lorraine au XVIIe siècle ? Le tableau est-il réaliste, dépeint-il la réalité quotidienne, une réalité de l’époque ou n’est-il pas plutôt une allégorie morale ? Bien au-delà de la simple image riche en détails pittoresques, il décrit, avec ce cynisme désabusé propre à Georges de La Tour, le triomphe des malhonnêtes sur l’innocence de la jeunesse. Ce triomphe le dépeint-il pour nous mettre en garde ou pour dire simplement que les choses sont ainsi et ne changeront jamais ?
Ces interrogations, il faut que l’élève, le collégien, le lycéen, ait envie de les poser, ait envie de se les poser et ait envie de les poser à son professeur. Il faut éveiller sa curiosité. Il faut apprendre à voir. Voir bien sûr avec ses yeux, voir aussi avec son intelligence. Il faut provoquer l’émotion. Seul l’historien de l’art saura le faire. »
Enseigner l’histoire de l’art / Pierre Rosenberg (in La Tribune de l’Art)
Pour aller plus loin :
• Histoire de l’art et anthropologie ou la définition complexe d’un champ d’étude / Cécile Voyer (in L’Atelier du Centre de recherches historiques)
• Histoire de l’art : théories, méthodes et outils / Viviane Huys et Denis Vernant
• Le dialogue des arts : architecture, peinture, sculpture, littérature, musique / Gérard Denizeau
• Histoire de l’art : du Moyen Age à nos jours / Edina Bernard, Pierre Cabane, Jannic Durand et al.
• Histoire de l’art : 1000-2000 / sous la direction d’Alain Mérot
• Histoire visuelle de l’art / sous la direction de Claude Frontisi
• Le petit Larousse de l’histoire de l’art / Vincent Brocvielle
Bonne journée
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Je cherche des informations sur le Palais des Juridictions...
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter