Question d'origine :
Bonjour,
J'ai assisté récemment à un concert où le chef d'orchestre dirigeait "en avance". Pas de beaucoup (un sixième de seconde environ). Je sais que c'est un procédé qui existe, qu'il est censé donner du dynamisme à la direction, mais je trouve néanmoins que c'est perturbant. Qu'en est-il aujourd'hui chez les grands chefs ? Est-ce que ce procédé est encore fréquent ? Où peut-on lire une discussion à ce propos ?
Merci par avance.
Réponse du Guichet
bml_mus
- Département : Musique
Le 31/03/2016 à 08h20
Bonjour,
Voici quelques passages extraits du livre Le chef d'orchestre, art & technique / H.C. Fantapié (empruntable dans nos collections)
"Historiquement la battue se faisait en anticipation en Allemagne, et sur le temps en Italie et en France. Les écoles se sont un jour affrontées en terrain neutre et c'est aux Etats-Unis d'Amérique que les latins l'ont emporté, par l'intermédiaire de la technique de Toscanini [...] La rigueur rhythmique, l'aspect appolinien de l'œuvre seront mieux défendus par une battue la plus métrique possible, qui colle à la phrase, laisse une minimum de liberté aux instrumentistes, les dirige, les pousse à agir. [...] Tandis que l'ancienne école allemande qui exige une direction en anticipation peut plus particulièrement convenir à un certain répertoire romantique (Brückner), elle aura une certaine difficulté à exiger la rigueur métrique qui apparaît dans tout un pan de la musique du XXème siècle (Stravinksy, Webern). De là provient peut-être, avec le développement d'une mode toscaninienne, l'abandon progressif d'une conception qui ne convenait plus et dont certains chefs feraient peut-être bien de retrouver l'esprit, d'autant que la qualité des orchestres et certains langages compositionnels de jeunes compositeurs se prêtent de nouveau à un tel mode de direction.
Aujourd'hui la technique d'un chef d'orchestre se devrait de posséder ces deux manières d'aborder la battue pour ne pas trahir des ouvrages qui ont été écrits à une époque où compositeurs et interprètes étaient stylistiquement plus en accord :
* En anticipation :
C'est la formule qui donne le plus de souplesse au discours . On doit cependant l'utiliser avec précaution car elle peut parfois entrainer des instabilité de tempo quand on l'adopte ex abrupto en cours d'ouvrage, et un certain manque de précision si on attaque un mouvement en l'utilisant. Cette direction comporte une certaine distanciation par rapport à la métrique et elle convient parfaitement au style de certains compositeurs romantiques (Brahms et son rubato spécifique, Brückner)
* Sur le temps
La conduite sur le temps colle à la phrase, à son expression immédiate, temps par temps, note par note et à toutes les intentions qu'on souhaite y mettre , que ce soit des exigences techniques ou expressives. La rigueur qu'elle requiert est absolue et elle permet d'atteindre une tension maximale entre le chef et l'orchestre car le geste et son résultat sonore sont instantanés et exactement coordonnés. Les musiques très rythmiques l'exigent (du Sacre du printemps au Tango de Stravinski) et celles qui demandent à la fois souplesse et précision sonneront très différemment en relation avec le choix de la battue qui sera fait. Ainsi le Prélude à l'après-midi d'un faune prendra-t-il une allure très différente [...] Un des risques de la battue sur le temps est d'imposer à l'orchestre des flottements rythmiques au gré d'une battue irrégulière, il peut aussi en résulter un ralentissement progressif de la pulsation ... Au pire la battue sur le temps risque de devenir une battue qui suit l'orchestre. "
( Suit un intéressant et long développement, que nous ne pouvons reproduire et vous conseillons de lire, à propos de la battue "autour de la phrase et en retard" et sur la direction parfois aléatoire de Karajan (qui a fait école), sur les musiciens de Chicago, Berlin ou Wien qui "ont pris le dessus sur leurs chefs respectifs" etc ... )
La battue en anticipation semble donc globalement en perte de vitesse et très attachée à un style et une époque (romantiques) un gabarit d'orchestre (grands effectifs), un tempo (plutôt lent), un effet recherché. Ces considérations générales nous ont été confirmées par un musicien fréquentant beaucoup le répertoire baroque (où la battue par anticipation n'est pas de mise). Il dit avoir rencontré ce type de battue avec le maestro Christoph Eschenbach et avoue avoir du faire un certain effort d'adaptation à cette occasion. Ce musicien souligne que, de plus, d'éventuelles imperfections ou imprécisions en fonction d'un type de direction sont censées être corrigées par le chef du pupitre des premiers violons (sous-chef de la phalange, qui transmet et explicite la vision et la pratique du chef) qui éclaircira par son jeu, son attaque, de possibles équivoques, stabilisant ainsi l'ensemble de l'orchestre.
Instrumentiste sans l’être, sorte de "maillon faible", car (légitimement) moins immédiatement réactif (temps de réaction physique, respiration, distance du plateau à la fosse) le chanteur se doit de recevoir des égards spécifiques car il est toujours susceptible d'être légèrement en retard. Ainsi dans le cas d'une direction à l'opéra il n'est pas rare que le chef anticipe légèrement pour les chanteurs sur scène, afin de leur éviter tout retard, sans le faire pour autant en ce qui concerne les instrumentistes dans la fosse.
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