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DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 24/11/2015 à 13h40
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Question d'origine :
Les animaux peuvent-ils tomber amoureux ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 26/11/2015 à 09h51
Bonjour,
Il est difficile de donner une réponse tranchée, puisque les avis sur la question sont très divisés.
Ainsi le site infoveto considère que les chats et les chiens sont capables de ressentir des émotions telles que la peur, la joie, la tristesse, mais que leur prêter des sentiments comme l’amour ou la vengeance relève de l’anthropomorphisme. A l’inverse, le site Wamiz apporte une réponse plutôt positive à cette question à travers l’exemple de la chienne Frida, qui n’accepte qu’un seul compagnon et va jusqu’à fuguer pour le rejoindre...
Pour la neurobiologiste Lucy Vincent, dans le règne animal il convient plutôt de parler d’attachement que de sentiment amoureux. En décrivant deux comportements de couple opposés chez les campagnols de plaine et de montagne, elle montre que l’attachement est un facteur qui, selon le milieu, peut contribuer ou au contraire nuire à la survie, d’où des modèles de comportements différents selon les espèces :
Voici le point crucial de l’histoire neurobiologique, l’endroit où les chemins divergent, forçant le choix entre deux façons de voir. Notre regard humain nous fait porter un jugement social de nature anthropocentrique sur ces deux espèces de rongeurs. Influencés par notre morale, nous disons de l’une, la « sage », qu’elle est « gentille », « fidèle » et qu’elle présente même un certain « sens du devoir », tandis que l’autre… L’autre est « volage », et puis c’est tout ! […]
Pour bien comprendre le comportement « amoureux » de nos rongeurs, il nous faut faire un saut hors de nos cadres de pensée habituels et oublier tous les films Walt Disney qui mettent en scène des animaux en leur prêtant des propos humains. On ne peut pas qualifier le comportement des campagnols de « bon » ou de « mauvais » suivant nos propres constructions sociales humaines. S’agissant du comportement d’animaux dans la nature, le « bon » et le « mauvais », le « bien » et le « mal » ont une signification purement vitale : est « bien » ce qui contribue à la survie ; à l’inverse, un « mauvais » choix, et c’est la disparition assurée.
Ce cadre de pensée « biologique » permet de comprendre assez aisément comment les conditions de vie des deux espèces de campagnols ont pu jouer sur les formes d’attachement les plus efficaces pour leur survie. Si on imagine un milieu riche en nourriture, mais fréquenté par beaucoup de prédateurs, on conçoit aisément que le regroupement familial constitue la meilleure garantie pour la survie du plus grand nombre : la profusion de nourriture permet le regroupement, et la vie en communauté rend plus fort contre les agressions extérieures. Si, en revanche, le milieu est très pauvre en nourriture, on est bien obligé de se disperser pour que chacun puisse trouver assez à manger. Si bien que la meilleure preuve d’ « amour » dans cette configuration-là est de laisser chacun jouir d’une parcelle de terre à lui, d’autant que les prédateurs aussi sont rares…
Source : L'amour de A à XY, Lucy Vincent
Quant au biologiste Yves Christen, il conclut que les animaux et les hommes ne sont pas si différents :
Dans ces conditions, que dire de l’amour ? La sexualité, bien entendu, fait figure de partenaire essentiel dans le grand jeu de l’évolution des espèces. Normal donc qu’elle existe dans le monde vivant. Mais l’amour romantique, le sentiment amoureux ? Sans doute paraît-il moins nécessaire. Du reste, même chez l’homme, on ne saurait le dire systématique. On peut s’accoupler en l’absence de véritable passion, et l’infidélité pourrait bien être la règle plus que l’exception. Que se passe-t-il donc lorsque deux partenaires choisissent de rester ensemble tout au long de leur vie ? Dans certains cas on parlera, chez l’homme, de grand amour. S’agissant des animaux, les choses paraissent moins claires : ils ne savent pas forcément nous dire ce qu’ils éprouvent. Mieux vaut se garder en l’occurrence d’un romantisme naïf. Mais à quoi nous mène la réflexion rationnelle ? Bernd Heinrich, qui a consacré une bonne partie de sa vie aux corvidés, n’hésite pas à écrire ceci : « Puisque les corbeaux gardent leur partenaire pendant une longue durée, je suspecte qu’ils tombent amoureux comme nous, simplement parce qu’une certaine récompense intérieure est indispensable pour maintenir un lien à long terme. Des cas d’amour passionnel ont été décrits dans de nombreuses espèces, notamment chez les baleines. La chimie de l’amour étant ce qu’elle est, et pas plus originale chez l’Homo sapiens que chez les autres vivants, Marc Bekoff, un éthologiste américain spécialiste du jeu chez l’animal, n’hésite pas à écrire que « certains animaux doivent être capables d’amour romantique ». Il voit une confirmation de son jugement dans le fait que chez la bête, avec la perte du conjoint, vient parfois aussi celle du goût de vivre, pouvant aller jusqu’à provoquer la mort. Le même sentiment de désespoir se manifeste entre parent et enfant à l’occasion d’un décès. Une fois encore, il ne s’agit pas de sombrer dans l’angélisme, ni de faire du monde animal le règne d’une solidarité pleine d’affection. L’amour n’exclut pas la cruauté ou l’indifférence à la douleur. Curieusement, sa version romantique ne semble pas spécialement affecter nos proches cousins, les chimpanzés. Les baleines et les corbeaux connaissent davantage, au moins en apparence, les vertiges de l’amour… Les bêtes n’ignorent pas non plus l’amitié, entre elles et parfois à notre égard. Un sentiment que nous leur rendons quelquefois sous la forme d’une attraction interspécifique encore bien mystérieuse…
Source : L'animal est-il une personne ? Yves Christen
Pour aller plus loin :
- Les mystères du cerveau amoureux, psychologies.com
- Les animaux amoureux : d'après le film de Laurent Charbonnier, textes Pascal Picq; photographies Éric Travers
- La biodiversité amoureuse : sexe et évolution, Thierry Lodé; illustrations de Dominique Le Jacques
- Une histoire naturelle de la séduction, Claude Gudin
Bonne journée.
Il est difficile de donner une réponse tranchée, puisque les avis sur la question sont très divisés.
Ainsi le site infoveto considère que les chats et les chiens sont capables de ressentir des émotions telles que la peur, la joie, la tristesse, mais que leur prêter des sentiments comme l’amour ou la vengeance relève de l’anthropomorphisme. A l’inverse, le site Wamiz apporte une réponse plutôt positive à cette question à travers l’exemple de la chienne Frida, qui n’accepte qu’un seul compagnon et va jusqu’à fuguer pour le rejoindre...
Pour la neurobiologiste Lucy Vincent, dans le règne animal il convient plutôt de parler d’attachement que de sentiment amoureux. En décrivant deux comportements de couple opposés chez les campagnols de plaine et de montagne, elle montre que l’attachement est un facteur qui, selon le milieu, peut contribuer ou au contraire nuire à la survie, d’où des modèles de comportements différents selon les espèces :
Voici le point crucial de l’histoire neurobiologique, l’endroit où les chemins divergent, forçant le choix entre deux façons de voir. Notre regard humain nous fait porter un jugement social de nature anthropocentrique sur ces deux espèces de rongeurs. Influencés par notre morale, nous disons de l’une, la « sage », qu’elle est « gentille », « fidèle » et qu’elle présente même un certain « sens du devoir », tandis que l’autre… L’autre est « volage », et puis c’est tout ! […]
Pour bien comprendre le comportement « amoureux » de nos rongeurs, il nous faut faire un saut hors de nos cadres de pensée habituels et oublier tous les films Walt Disney qui mettent en scène des animaux en leur prêtant des propos humains. On ne peut pas qualifier le comportement des campagnols de « bon » ou de « mauvais » suivant nos propres constructions sociales humaines. S’agissant du comportement d’animaux dans la nature, le « bon » et le « mauvais », le « bien » et le « mal » ont une signification purement vitale : est « bien » ce qui contribue à la survie ; à l’inverse, un « mauvais » choix, et c’est la disparition assurée.
Ce cadre de pensée « biologique » permet de comprendre assez aisément comment les conditions de vie des deux espèces de campagnols ont pu jouer sur les formes d’attachement les plus efficaces pour leur survie. Si on imagine un milieu riche en nourriture, mais fréquenté par beaucoup de prédateurs, on conçoit aisément que le regroupement familial constitue la meilleure garantie pour la survie du plus grand nombre : la profusion de nourriture permet le regroupement, et la vie en communauté rend plus fort contre les agressions extérieures. Si, en revanche, le milieu est très pauvre en nourriture, on est bien obligé de se disperser pour que chacun puisse trouver assez à manger. Si bien que la meilleure preuve d’ « amour » dans cette configuration-là est de laisser chacun jouir d’une parcelle de terre à lui, d’autant que les prédateurs aussi sont rares…
Source : L'amour de A à XY, Lucy Vincent
Quant au biologiste Yves Christen, il conclut que les animaux et les hommes ne sont pas si différents :
Dans ces conditions, que dire de l’amour ? La sexualité, bien entendu, fait figure de partenaire essentiel dans le grand jeu de l’évolution des espèces. Normal donc qu’elle existe dans le monde vivant. Mais l’amour romantique, le sentiment amoureux ? Sans doute paraît-il moins nécessaire. Du reste, même chez l’homme, on ne saurait le dire systématique. On peut s’accoupler en l’absence de véritable passion, et l’infidélité pourrait bien être la règle plus que l’exception. Que se passe-t-il donc lorsque deux partenaires choisissent de rester ensemble tout au long de leur vie ? Dans certains cas on parlera, chez l’homme, de grand amour. S’agissant des animaux, les choses paraissent moins claires : ils ne savent pas forcément nous dire ce qu’ils éprouvent. Mieux vaut se garder en l’occurrence d’un romantisme naïf. Mais à quoi nous mène la réflexion rationnelle ? Bernd Heinrich, qui a consacré une bonne partie de sa vie aux corvidés, n’hésite pas à écrire ceci : « Puisque les corbeaux gardent leur partenaire pendant une longue durée, je suspecte qu’ils tombent amoureux comme nous, simplement parce qu’une certaine récompense intérieure est indispensable pour maintenir un lien à long terme. Des cas d’amour passionnel ont été décrits dans de nombreuses espèces, notamment chez les baleines. La chimie de l’amour étant ce qu’elle est, et pas plus originale chez l’Homo sapiens que chez les autres vivants, Marc Bekoff, un éthologiste américain spécialiste du jeu chez l’animal, n’hésite pas à écrire que « certains animaux doivent être capables d’amour romantique ». Il voit une confirmation de son jugement dans le fait que chez la bête, avec la perte du conjoint, vient parfois aussi celle du goût de vivre, pouvant aller jusqu’à provoquer la mort. Le même sentiment de désespoir se manifeste entre parent et enfant à l’occasion d’un décès. Une fois encore, il ne s’agit pas de sombrer dans l’angélisme, ni de faire du monde animal le règne d’une solidarité pleine d’affection. L’amour n’exclut pas la cruauté ou l’indifférence à la douleur. Curieusement, sa version romantique ne semble pas spécialement affecter nos proches cousins, les chimpanzés. Les baleines et les corbeaux connaissent davantage, au moins en apparence, les vertiges de l’amour… Les bêtes n’ignorent pas non plus l’amitié, entre elles et parfois à notre égard. Un sentiment que nous leur rendons quelquefois sous la forme d’une attraction interspécifique encore bien mystérieuse…
Source : L'animal est-il une personne ? Yves Christen
- Les mystères du cerveau amoureux, psychologies.com
- Les animaux amoureux : d'après le film de Laurent Charbonnier, textes Pascal Picq; photographies Éric Travers
- La biodiversité amoureuse : sexe et évolution, Thierry Lodé; illustrations de Dominique Le Jacques
- Une histoire naturelle de la séduction, Claude Gudin
Bonne journée.
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