Question d'origine :
Je suis en train de lire le 3éme tome du comte de Monte Cristo,je veux savoir ce que veux dire ce passage de la bible :''tu arracheras les dents du dragon, et tu fouleras aux pieds les lions.'' merci d'avance.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 08/11/2014 à 15h18
Bonjour,
En réalité, ce que lit Edmond Dantès dans le manuscrit de l’abbé Faria n’est pas une citation littérale de la Bible. L’épigraphe écrit par le religieux ''tu arracheras les dents du dragon, et tu fouleras aux pieds les lions'' constitue davantage une hybridation de plusieurs références bibliques que nous allons essayer de vous présenter. Quant à l’interprétation littéraire de ce passage, nous vous laissons libre de la formuler ! Cela dit, vous pourriez à ce propos consulter le mémoire de Slivie Millard, de l’université de Caen. Page 68 de son travail, elle fait explicitement référence à la citation qui vous interpelle et l’intègre dans une réflexion plus générale sur la vengeance et la rédemption dans l’œuvre de Dumas. Enfin, vous trouverez une lecture plus audacieuse page 93 de la thèse de Karl Akiki sur Dumas et le roman populaire.
Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos dragons.
La phrase de l’abbé Faria est un amalgame de plusieurs images que l’on trouve effectivement dans la Bible. Ainsi, vous noterez une référence approchante dans le psaume 58. Nous le citons ci-dessous dans la Traduction œcuménique de la Bible
Dieu ! Casse-leur les dents dans la gueule ;
Seigneur, démolis les crocs de ces lions.
Qu’ils s’écoulent comme les eaux qui s’en vont !
Que Dieu ajuste ses flèches, et les voici fauchés !
Qu’ils soient comme la limace qui s’en va en bave !
Comme le fœtus avorté, qu’ils ne voient pas le soleil !
Avant que vos marmites ne sentent la flambée d’épines,
Aussi vif que la colère, il les balayera.
Le juste se réjouira en voyant la vengeance :
Il lavera ses pieds dans le sang des méchants.
Et les hommes diront : « Oui, le juste fructifie :
Oui, il y a un Dieu qui juge sur la terre. »
Vous n’aurez pas manqué de noter, à la fin du psaume, la référence à la vengeance : une idée qui titille vaguement Dantès.
On trouve une prière présentant des similitudes dans le Psaume 3, verset 8 :
Lève-toi Seigneur ! Sauve-moi, mon Dieu !
Toi qui frappe tous mes ennemis à la mâchoire
Et casse les dents des méchants.
Quant à l’action de « fouler au pieds », on en trouve une référence dans le Psaume 91, verset 13 :
Tu marcheras sur le lion et la vipère,
Tu piétineras le tigre et le dragon.
Dans la traduction de Lemaître de Sacy (une bible à laquelle a pu avoir accès Dumas), l’image est encore plus proche :
Vous marcherez sur l’aspic et sur le basilic ; et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon.
Il existe encore de multiples concordances bibliques possibles à partir de cette épigraphe. Nous vous invitons à consulter les sites de concordances disponibles sur internet qui vous permettront de retrouver les occurrences d’un mot ou expression au sein du corpus biblique.
Deux exemples parmi bien d’autres :
- saintebible.com
- knowhowsphere.
Le dictionnaire biblique universel de Monloubou et Du Buit évoque les deux animaux présents dans la phrase de Faria.
Le lion : « symbole de danger. Les poètes en usent pour parler de leur Dieu et du Messie. Salomon, comme Pharaon, trône sur des lions sculptés, la colère royale fait penser à un rugissement. Israël après ses épreuves est comme un lion. Mais le méchant est, lui aussi, comme un lion guettant sa proie ».
Bref, comme le rappelle l’Encyclopédie des symboles : « le symbole du lion occupe une place ambiguë dans la symbolique chrétienne : il illustre d’une part la lignée de Judas, mais il est aussi l’adversaire dont Dieu seul sait protéger. […] L’homme doit, pour se maintenir dans la direction divine, s’écarter de la tentation du lion, qui est le diable. […] Il faut noter que le lion est toujours un symbole extrême, soit dans le sens positif où il représente l’homme héroïque, soit dans un sens négatif où il représente les puissances infernales. On a souvent présenté le Christ vainqueur d’animaux sauvages, parmi lesquels le lion, le dragon ».
Le dragon justement : venons-en à celui qui « dans l’Apocalypse […] n’est autre que le serpent d’autrefois, celui qui a précipité Adam et son épouse dans le péché et la mort » (Dictionnaire Biblique universel).
Le repère iconographique de chez Hazan consacré aux Anges et Démons précise : « Le symbolisme attaché à ces animaux aussi monstrueux que fantaisistes renvoie toujours au démon et au mal, et il puise sa source dans les textes de l’Ancien Testament. Le dragon est décrit avec précision dans l’Apocalypse, mais on le retrouve communément représenté dans des contextes divers comme animal tentateur combattu et vaincu par les saints ».
Vous pourriez consulter avec profit le Dictionnaire du Diable d’Alain Rey, à l’entrée « dragon » pour en savoir plus sur l’usage chrétien de ce monstre.
Pour terminer sur le symbolisme biblique, nous vous invitons à parcourir le dossier réalisé par la Bibliothèque Nationale de France sur la Faune Symbolique chrétienne qui synthétise bien les origines et les usages (tantôt positifs, tantôt négatif pour le lion) iconographiques de nos amis les bêtes.
Finalement, on pourrait s’étonner de la formulation de l’épigraphe de Faria. En effet, s’il avait voulu être au plus près de la symbolique chrétienne traditionnelle, n’aurait-il pas dû inverser les termes et « arracher les dents des lions et fouler aux pieds » (tel Saint Michel ou Saint Georges) les dragons ? Ce n’est évidemment qu’une hypothèse, que nous soumettons à votre sagacité.
Bonnes lectures !
En réalité, ce que lit Edmond Dantès dans le manuscrit de l’abbé Faria n’est pas une citation littérale de la Bible. L’épigraphe écrit par le religieux ''tu arracheras les dents du dragon, et tu fouleras aux pieds les lions'' constitue davantage une hybridation de plusieurs références bibliques que nous allons essayer de vous présenter. Quant à l’interprétation littéraire de ce passage, nous vous laissons libre de la formuler ! Cela dit, vous pourriez à ce propos consulter le mémoire de Slivie Millard, de l’université de Caen. Page 68 de son travail, elle fait explicitement référence à la citation qui vous interpelle et l’intègre dans une réflexion plus générale sur la vengeance et la rédemption dans l’œuvre de Dumas. Enfin, vous trouverez une lecture plus audacieuse page 93 de la thèse de Karl Akiki sur Dumas et le roman populaire.
Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos dragons.
La phrase de l’abbé Faria est un amalgame de plusieurs images que l’on trouve effectivement dans la Bible. Ainsi, vous noterez une référence approchante dans le psaume 58. Nous le citons ci-dessous dans la Traduction œcuménique de la Bible
Dieu ! Casse-leur les dents dans la gueule ;
Seigneur, démolis les crocs de ces lions.
Qu’ils s’écoulent comme les eaux qui s’en vont !
Que Dieu ajuste ses flèches, et les voici fauchés !
Qu’ils soient comme la limace qui s’en va en bave !
Comme le fœtus avorté, qu’ils ne voient pas le soleil !
Avant que vos marmites ne sentent la flambée d’épines,
Aussi vif que la colère, il les balayera.
Le juste se réjouira en voyant la vengeance :
Il lavera ses pieds dans le sang des méchants.
Et les hommes diront : « Oui, le juste fructifie :
Oui, il y a un Dieu qui juge sur la terre. »
Vous n’aurez pas manqué de noter, à la fin du psaume, la référence à la vengeance : une idée qui titille vaguement Dantès.
On trouve une prière présentant des similitudes dans le Psaume 3, verset 8 :
Lève-toi Seigneur ! Sauve-moi, mon Dieu !
Toi qui frappe tous mes ennemis à la mâchoire
Et casse les dents des méchants.
Quant à l’action de « fouler au pieds », on en trouve une référence dans le Psaume 91, verset 13 :
Tu marcheras sur le lion et la vipère,
Tu piétineras le tigre et le dragon.
Dans la traduction de Lemaître de Sacy (une bible à laquelle a pu avoir accès Dumas), l’image est encore plus proche :
Vous marcherez sur l’aspic et sur le basilic ; et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon.
Il existe encore de multiples concordances bibliques possibles à partir de cette épigraphe. Nous vous invitons à consulter les sites de concordances disponibles sur internet qui vous permettront de retrouver les occurrences d’un mot ou expression au sein du corpus biblique.
Deux exemples parmi bien d’autres :
- saintebible.com
- knowhowsphere.
Le dictionnaire biblique universel de Monloubou et Du Buit évoque les deux animaux présents dans la phrase de Faria.
Le lion : « symbole de danger. Les poètes en usent pour parler de leur Dieu et du Messie. Salomon, comme Pharaon, trône sur des lions sculptés, la colère royale fait penser à un rugissement. Israël après ses épreuves est comme un lion. Mais le méchant est, lui aussi, comme un lion guettant sa proie ».
Bref, comme le rappelle l’Encyclopédie des symboles : « le symbole du lion occupe une place ambiguë dans la symbolique chrétienne : il illustre d’une part la lignée de Judas, mais il est aussi l’adversaire dont Dieu seul sait protéger. […] L’homme doit, pour se maintenir dans la direction divine, s’écarter de la tentation du lion, qui est le diable. […] Il faut noter que le lion est toujours un symbole extrême, soit dans le sens positif où il représente l’homme héroïque, soit dans un sens négatif où il représente les puissances infernales. On a souvent présenté le Christ vainqueur d’animaux sauvages, parmi lesquels le lion, le dragon ».
Le dragon justement : venons-en à celui qui « dans l’Apocalypse […] n’est autre que le serpent d’autrefois, celui qui a précipité Adam et son épouse dans le péché et la mort » (Dictionnaire Biblique universel).
Le repère iconographique de chez Hazan consacré aux Anges et Démons précise : « Le symbolisme attaché à ces animaux aussi monstrueux que fantaisistes renvoie toujours au démon et au mal, et il puise sa source dans les textes de l’Ancien Testament. Le dragon est décrit avec précision dans l’Apocalypse, mais on le retrouve communément représenté dans des contextes divers comme animal tentateur combattu et vaincu par les saints ».
Vous pourriez consulter avec profit le Dictionnaire du Diable d’Alain Rey, à l’entrée « dragon » pour en savoir plus sur l’usage chrétien de ce monstre.
Pour terminer sur le symbolisme biblique, nous vous invitons à parcourir le dossier réalisé par la Bibliothèque Nationale de France sur la Faune Symbolique chrétienne qui synthétise bien les origines et les usages (tantôt positifs, tantôt négatif pour le lion) iconographiques de nos amis les bêtes.
Finalement, on pourrait s’étonner de la formulation de l’épigraphe de Faria. En effet, s’il avait voulu être au plus près de la symbolique chrétienne traditionnelle, n’aurait-il pas dû inverser les termes et « arracher les dents des lions et fouler aux pieds » (tel Saint Michel ou Saint Georges) les dragons ? Ce n’est évidemment qu’une hypothèse, que nous soumettons à votre sagacité.
Bonnes lectures !
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