Question d'origine :
Bonjour,
Lorsqu'ils parlent de leur écriture, les Chinois disent qu'elle a "trois beaucoup" (beaucoup de caractères, de graphies et de prononciations) et "cinq difficiles" (difficultés pour lire, reconnaître, écrire, retenir et classer les caractères).
Il y a environ une quarantaine d'année, toutes les graphies des caractères étaient utilisées, certaines dans l'art, d'autres (les caractères encadrés) étaient d'un usage courant.
L'écriture, dénominateur commun des Chinois dans le temps, joue un rôle déterminant : elle est la permanence et la continuité des idées.
Un texte écrit il y a 2000 ans est lisible actuellement, permettant ainsi une constante référence au passé.
La rupture totale avec le passé et l'acquit culturel consisterait pour les Chinois à changer de système d'écriture et adopter notre système phonétique.
Il en était déjà question il y a une bonne vingtaine d'années !…
Questions :
- Pouvez-vous m'indiquer si les prémisses d'une telle évolution est actuellement en marche ?
- Si oui, que peut-on en attendre ?
Merci de votre concours
Réponse du Guichet
bml_chin
- Département : Fonds Chinois
Le 15/11/2011 à 17h35
En préambule, nous vous invitons à vous reporter à deux de nos précédentes réponses sur la langue chinoise, démarche qui a l’avantage pour nous de fixer des repères utiles pour la lecture de ce qui suit:
Il semble bien que les Chinois ne soient pas prêts à adopter – au moins pour l’instant, ou dans un futur proche… – un autre système d’écriture au détriment de leurs caractères chinois, traditionnels ou simplifiés.
Sur le plan chronologique, un débat sur l’abandon des caractères chinois en faveur d’un autre système d’écriture a déjà occupé les Chinois depuis le début du 20e siècle et, entre autres mouvements, celui pour la romanisation (soit la transcription à l’aide des lettres de l’alphabet latin) était à son apogée déjà autour des années 1920-1930.
On pourrait ainsi voir dans la mise au point et l’adoption du (汉语拼音 Hanyu pinyin, avec la première grande réforme de la langue chinoise en 1958, une prémisse à l’adoption d’un système d’écriture alphabétique du chinois.
Mais il n’en est rien : quelque 50 ans après, son statut demeure tel qu’il a été défini dans la réforme de la langue chinoise de l’époque : un système de
Donc, « quand une transcription devient-elle écriture ?
Ce qui semble différencier une transcription d’une écriture semble être l’usage qu’on en fait dans la société en question », pour reprendre les propos de Viviane Alleton. (L’écriture chinoise..., p. 115, référencié plus bas).
Les débats ont bien occupé les spécialistes, les autorités et la société à une époque plus récente et encore de nos jours, mais ce qui est certain (du moins pour l’instant…), c’est que l’adoption d’un système d’écriture alphabétique ne figure pas sur l’agenda des autorités chinoises. Au contraire :
Si d’une part elle rejette officiellement la 2e liste des caractères simplifiés de 1977, d’autre part le chantier de la romanisation du chinois est néanmoins repoussé à une date… indéterminée :
« Quel sera le futur des caractères chinois, que notre pays arrive ou pas à mettre en avant un système d’écriture Hanyu pinyin, ce sont là des questions futures, qui ne font pas partie de la tâche actuelle de la réforme linguistique ». Propos de M. Liu Daosheng, président de l’époque de l’organisme connu de nos jours sous le nom de Commission d’État pour la langue et l’écriture chinoises (dépendant directement du Conseil des affaires d’État). (Cité dans John S. Rohsenow “Fifty years of script and written language reform in the P.R.C, référencé ci-dessous. Trad. par nos soins).
Comme le dit John S. Rohsenow dans son article référencé ci-dessous : « la modification du système d’écriture chinoise actuel n’est pas / plus vraiment en cause et le Hanyu pinyin n’est pas censé, aux yeux des autorités de Chine continentale, être rapidement implémenté en tant que système d’écriture alphabétique en remplacement des caractères chinois ».
Mais certes, la langue écrite et parlée évolue au fil des usages, et les politiques officielles vont de pair avec les changements dans le domaine social, politique et scientifique.
L’un des défis majeurs pour le chinois (et les Chinois…) ces dernières années vient des nouvelles technologies, mais au vu des résultats obtenus dans la gestion informatisée du chinois, cette langue n’a pas encore montré des limites si handicapantes qui obligeraient les Chinois, afin de pouvoir répondre aux défis de notre temps, à abandonner leur propre système d’écriture en faveur d’une
Au-delà des questions d’illettrisme au sein de la société chinoise, les nouvelles technologies (et les claviers occidentaux des portables – que ce soient des ordinateurs ou des téléphones !), affectent certainement le quotidien des personnes instruites. Le traitement des données par les nouvelles technologies demande des standardisations rigoureuses et des systèmes de saisie hautement performants : pour le chinois notamment, les systèmes de saisie alphabétique tel que le pinyin doivent surmonter le problème des homophones, et les utilisateurs doivent connaître suffisamment bien le putonghua (nous rappelle John S. Rohsenow dans son article cité ci-bas).
On peut ainsi mieux comprendre la logique des autorités chinoises, quand elles se sont attelées, il y a plusieurs décennies déjà, à l’unification des différentes formes parlées sur le continent via le putonghua, ainsi que les efforts de standardisation que ces mêmes autorités ont mené plus particulièrement sur la terminologie, le vocabulaire et la prononciation.
Au vu de la diffusion du Hanyu pinyin (devenue norme ISO 7098 depuis 1982) dans le quotidien courant des Chinois, notamment pour la saisie informatique, certains spécialistes, tels que John DeFrancis (qui prône vivement une alphabétisation de la langue chinoise écrite) parlent, pour le cas chinois, de « digraphie », c’est-à-dire la coexistence et l’utilisation de deux systèmes d’écriture : caractères chinois et pinyin. Quelle part pourrait prendre le pinyin (au détriment des caractères chinois) est une question qui fait débat auprès des spécialistes : « simple » (pour ainsi dire…) coexistence, avec utilisation massive du pinyin là où il serait plus pratique, ou adoption du pinyin en tant que véritable système d’écriture qui tôt ou tard supplantera carrément les caractères chinois ?
Mais, comme le dit Viviane Alleton : « L’idée de digraphie repose sur l’hypothèse selon laquelle deux écritures pourraient durablement coexister – cela semble douteux. S’y ajoutent deux opinions pour le moins discutables : d’un côté, l’alphabet serait plus efficace que l’écriture chinoise et, de l’autre, cette dernière est tellement ancienne qu’elle serait immortelle » (L’écriture chinoise, réf. ci-dessous, p. 117).
A l’heure actuelle, il est à notre sens mal aisé de faire des prévisions et de tirer des conclusions.
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