Question d'origine :
Ma question porte sur la persistance de la pratique de la copie des manuscrits parallèlement et concurremment à la production de livres imprimés.
Dans Le Monde Magazine du 15 janvier 2011, Robert Darnton dit ceci: «Un chercheur anglais a découvert récemment que l’édition manuscrite s’est poursuivie jusqu’au 18e siècle. C’est-à-dire que des éditeurs utilisaient des copistes pour recopier à la main certains livres. Pour une édition de moins de 100 exemplaires, cela revenait moins cher d’engager des copistes que des typographes. L’invention de Gutenberg a donc fait fleurir l’édition manuscrite !»
Malheureusement il ne donne aucune référence et ne cite pas précisément cet historien anglais.
Pourriez-vous me donner quelques références d'ouvrages traitant de cette question?
Merci par avance.
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 19/01/2011 à 17h01
La coexistence du livre imprimé et du livre manuscrit au XVIIIe siècle a fait l’objet depuis une vingtaine d’années de nouvelles études et Robert Darnton s’intéresse depuis longtemps à cette question.
François Moureau indique ainsi en avant–propos du livre qu’il a dirigé en 1993, De bonne main : la communication manuscrite au XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1993 :
« A l’occasion du Huitième Congrès international des Lumières tenu à Bristol en juillet 1991, une table ronde sur la communication manuscrite au XVIIIe siècle avait rassemblé les chercheurs qui, travaillant dans des secteurs divers, utilisaient la matière première du manuscrit. Ce volume est le résultat d’une réflexion menée en commun sous la présidence de Robert Darnton et l’auteur de ces lignes. »
Dans le même ouvrage, François Moureau indique, dans un article intitulé La plume et le plomb (p. 5-6) :
« L’imprimerie n’est pas née contre le manuscrit : elle en fut d’abord la continuation par d’autres moyens. L’incunable sert à multiplier le manuscrit dans sa forme primitive ; il représente un progrès essentiellement économique sur le produit des « scriptoria » en permettant d’abaisser le prix de revient de l’objet manufacturé. Mais, très rapidement, le livre fut soumis à des effets économiques pervers. La librairie de l’époque humaniste est prise en main par les financiers ou les fournisseurs – papetiers, fondeurs, etc. - : la multiplication du produit entraîne des mises de fonds en constant accroissement, des frais de fabrication et de stockage de plus en plus élevés, alors que la presse d’imprimerie reste à peu près identique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, que le rendement de l’ouvrier typographe ne progresse pas quand son salaire augmente. La balance de l’imprimerie par rapport au manuscrit lui reste favorable tant que le coût du plomb reste inférieur à celui de la plume. Le débat entre la plume et le plomb est en grande partie économique. Quand on songe au statut du manuscrit sous l’Ancien Régime, on y associe volontiers les notions de « clandestinité « et de « rareté ». C’est aller bien vite en besogne. »
F. Moureau donne ensuite des domaines où l’on a continué à utiliser le manuscrit : simples cours des écoles de droit, de médecine ou des collèges, chefs-d’œuvre de la calligraphie, littérature de mémoires personnels ou politiques, récits de voyage, correspondances. On peut y rajouter la musique. « En littérature, le statut du manuscrit entant que moyen de diffusion privilégié est parfaitement reconnu, au moins jusqu’au début du XVIIIe siècle. » (ibid. p.7)
F. Moureau rappelle que le livre reste un produit cher et que « dans de telles conditions, le prix de revient du manuscrit peut être économiquement concurrentiel. Il a d’autres avantages sur l’imprimerie : matériel de reproduction réduit au minimum – plume, encre et papier – contre la lourde et peu maniable presse typographique ; sous-prolétariat urbain disponible pour des salaires de misère alors que le métier de typographe demande une formation spécialisée et bénéficie de la protection du système corporatif ; souplesse de l’activité qui peut se pratiquer en atelier (…) mais aussi dans les bureaux des Grands ou au fond d’une échoppe. (…) La copie manuscrite n’est donc pas une survivance économique archaïque ; elle s’intègre dans un paysage social où une main-d’œuvre peu spécialisée et mal payée permet de rentabiliser une activité marginale. » (ibid. p. 8-9).
F. Moureau donne ensuite l’exemple des gazettes manuscrites diffusées à 60, voire 280 abonnés.
Vous trouverez d’autres développements dans les deux ouvrages suivants :
- François Moureau, Répertoire des nouvelles à la main : dictionnaire de la presse manuscrite clandestine XVIe-XVIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1999.
- François Moureau, La plume et le plomb : espaces de l'imprimé et du manuscrit au siècle des Lumières, préface de Robert Darnton, Paris, Presse de l'Université Paris-Sorbonne, 2006.
Je poursuis des recherches pour essayer d’identifier l’historien anglais qu’évoque Robert Darnton dans son entretien du Monde magazine du 15 janvier 2011, notamment dans son dernier ouvrage publié chez Gallimard, Apologie du livre. Demain, aujourd'hui, hier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-François Sené [2011].
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