Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche des études critiques des théories d'Alfred Tomatis, notamment concernant son ouvrage "Nous sommes tous nés polyglottes".
Merci.
Jean-Charles Golomb
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/06/2011 à 07h52
Bonjour,
Nous n’avons pas trouvé, à proprement parler, de critiques relatives aux ouvrages d’Alfred Tomatis. En revanche, nous avons repéré des documents qui critiquent le docteur Tomatis, sa méthode, ses travaux.
Dans un livre intitulé : « Les charlatans de la santé », Jean-Marie Abgral (psychiatre et criminologue) écrit à propos d’Alfred Tomatis :
« La méthode Tomatis est fondée sur l’utilisation de l’appareil qui a fait sa gloire et sa fortune : l’oreille électronique. Il s’agit d’un appareil qui filtre la voix maternelle et la musique en éliminant les fréquences graves et en privilégiant les sons aigus au-dessus de huit mille hertz. (….)
Si la méthode Tomatis a des résultats positifs, elle le doit de toute évidence à la prise en charge renforcée des jeunes enfants, aux séances orthophoniques classiques et à une prise en charge psychologique – et non à l’oreille électronique, comme le reconnaissent implicitement les documents Tomatis. (…)
Tomatis a voulu donner à sa technique des applications universelles, et c’est précisément ce qui en révèle l’aspect manipulateur. L’oreille électronique doit pallier toutes les difficultés de communication, les problèmes psychologiques, les retards de langage et d’échange social – elle doit même améliorer les performances vocales des chanteurs ! Si son oreille a séduit le public, Tomatis a échoué dans sa tentative de théorisation à cause des contrevérités qu’il a énoncées. Ainsi, selon lui, l’oreille droite est privilégiée parce qu’elle est le capteur, et sa prééminence s’explique par le fait que les circuits cérébraux du côté droit sont deux cents fois plus courts que ceux du côté gauche. On ne peut que s’interroger sur la valeur d’un raisonnement qui nie des évidences anatomiques connues depuis Ambroise Paré.
En 1976, Tomatis démissionne de l’ordre des médecins, avant que celui-ci ne soit appelé à statuer sur son activité l’année suivante. Mais il faudra près de vingt ans pour que la justice s’intéresse à l’oreille électronique.
En 1988, une ex-patiente du gourou à l’oreille d’or, Mme Judith Many, se rebelle. Souffrant d’un vertige de Ménière (altération de l’oreille interne), elle a suivi près de quatre-vingts séances d’écoute de Mozart au centre Tomatis de Paris. Devant l’échec de ces séances payantes, le centre lui offre quatre-vingts séances supplémentaires gratuites – sans plus de succès. Estimant avoir été grugée d’une somme de de huit mille trois cents francs, la vieille dame ne s’en laisse pas conter et dépose une plainte qui aboutira, huit ans plus tard, à la condamnation de Tomatis à une peine de soixante mille francs d’amende. Son procès a montré que l’oreille électronique n’était qu’un vulgaire audiomètre incapable d’aucune action thérapeutique.
Selon l’expert ORL cité, le système de Tomatis relève davantage du voyage à Lourdes que de la réalité scientifique et thérapeutique ».
Pour le linguiste Claude Hagège : « L’aptitude à la distinction phonologique, liée à une audition tout à fait normale, n’a pas pour conséquence nécessaire la capacité d’articuler exactement ce qui est perçu, même chez le jeune enfant en période d’apprentissage.
L’effet direct de l’audition sur la phonation était pourtant considéré comme certain par beaucoup dans les années soixante, notamment à la suite des travaux d’Alfred Tomatis (1963), selon qui les productions du larynx sont strictement dictées par ce que l’oreille perçoit.
Alfred Tomatis se fondait sur l’apparence suivante : les fréquences sur lesquelles un scotome auditif se manifeste, qu’il soit pathologique ou expérimentalement provoqué, sont celles-là mêmes sur lesquelles se produit un scotome vocal ; si on les rétablit à l’audition, elles réapparaissent aussitôt, dit Tomatis, dans la phonation, sans que le sujet en ait conscience. Mais les faits sont moins simples que ne le soutient l’auteur ».
(in L’enfant aux deux langues)
Enfin, nous vous proposons un article écrit par Patrice Tran Ba Huy, médecin ORL. Cet article, très critique et très argumenté, est paru dans La lettre d’Oto-Rhino-Laryngologie et de chirurgie cervico-faciale. (N°166 novembre 1993) : Alfred Tomatis…ou de l’Influence du Creux sur la taille du Trou.
Voici sa conclusion : « Le monde médical et scientifique peut difficilement accepter que M. Tomatis jouisse de tribunes radio-télévisuelles lui permettant d’abuser un public et des familles souvent très affectées par le handicap sensoriel d’un de leurs proches et prêts à tout pour tenter de le surmonter. Car si l’on ne peut qu’être consterné par les effets que sa littérature sirupeuse peut exercer sur des patients crédules mais prospères et normo-entendants, on ne peut admettre qu’il entraînât dans d’interminables séances de rééducation, aussi coûteuses que bidon, des patients atteints d’une surdité réelle dont nous savons mieux que quiconque le caractère encore incurable ».
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