Que pouvez-vous me dire sur le jugement ?

Bonjour,

Le jugement revêt plusieurs définitions et plusieurs sens. Il possède trois sens communément admis :

Le premier concerne la jurisprudence : l’action de juger quelqu’un selon les lois en vigueur.

Deuxièmement, le jugement peut également désigner une faculté intellectuelle permettant de former des appréciations lucides, justes et qui ne relèvent pas d'une connaissance immédiate certaine ni d'une démonstration rigoureuse. Son synonyme est le discernement.

Enfin, le troisième sens commun que l’on donne au jugement est celui d’une opinion, d’un avis, d’un sentiment favorable ou défavorable porté sur quelqu'un ou sur quelque chose. Votre question appelle à ce dernier sens du mot jugement.

L’action de juger, au sens philosophique du terme, vise à attribuer un prédicat donc une qualité ou un attribut à un sujet. Lorsque l’on nous dit qu’« il ne faut pas juger », cela renvoie à l’idée que le prédicat émit est négatif. Par exemple, si vous dites qu’une personne est « laide », vous la jugez et portez un prédicat négatif à son encontre. Toutefois, si vous dites qu’une personne fait la charité et que « cela est bien », vous portez ici également un prédicat mais cette fois-ci positif.
Or la phrase « il ne faut pas juger » sous-entends que le prédicat attribué est forcément négatif et ce, sans fondement ni raison (ce qui ne reflète pas forcément une réalité).

Il y a donc une confusion dans cette affirmation que l’on nous répète entre cette dimension négative du jugement et le fait que nous jugeons en permanence. D’ailleurs, le jugement est selon Kant l’activité fondamentale de l’entendement. C’est une aptitude universelle, nous jugeons donc tous, seulement à différents degrés.

Votre question nous amène également à nous questionner sur le jugement moral, la moralité du jugement car dans un certain consensus collectif on nous dit qu’« il ne faut pas juger » car cela est « mal ».

Lorsque l’on pense au mot jugement, l’aspect moral et du prédicat négatif nous saute aux yeux.
Voici la définition du jugement au sens qui nous intéresse (c’est à-dire « juger l’autre ») dans Le Petit Robert de 2011 :

« Emettre une opinion favorable ou défavorable sur quelqu’un ou quelque chose. (Favorablement: approuver. Défavorablement: blâmer, condamner, critiquer, désapprouver).

Il est mis en lumière ici que juger l’autre se rapproche du préjugé, c’est un prédicat que nos posons sur quelqu’un à partir de nos normes et notre morale. Mais si nous le jugeons c’est par rapport à notre propre référentiel, notre propre échelle de valeurs et c’est bien cette part du jugement qui est délicate à évaluer…

Car est-ce bien ou est-ce mal de juger ?

Pour répondre à cette question, nous vous renvoyons à vos précédentes questions posées sur la morale (notamment ici) car la réponse est tout à fait la même : cela dépend !
Chaque individu humain possède moult et diverses nuances, c’est pourquoi à chacun sa morale et à chacun son propre référentiel du bien et du mal… ce qui peut provoquer une frustration quant au savoir des limites du bien et du mal car on aimerait tous hélas que cet aspect soit clairement départagé !

Pour creuser le sujet nous vous renvoyons à quelques références déjà citées : 

• Psychologie du jugement moral : textes fondamentaux et concepts de Laurent Bègue, Laurent Bachler, Catherine Blatier, [et al.], 2013. 
• Psychologie du bien et du mal de Laurent Bègue, 2011. 
• Etre quelqu'un de bien : philosophie du bien et du mal de Laurence Devillairs, 2019.

Ainsi que cet article du psychanalyste Norbert Chatillon. 
 

Dans une précédente question, nous vous avions conseillé de vous intéresser à la littérature russe concernant le thème de la morale. Cette fois ci, nous vous proposons sur le thème du jugement d'autrui et de la morale de vous intéresser au personnage de Madame Bovary de Gustave Flaubert ainsi qu'à ceux d'Orgeuil et préjugés de Jane Austen. 

En vous souhaitant de bonnes lectures ! :)