Pourquoi n'y a t-il pas de bonnes ou mauvaises réponses aux questions philosophiques ?
Question d'origine :
Pourquoi n'y a t-il pas de bonnes ou mauvaises réponses aux questions philosophiques et existentielles?
Réponse du Guichet
Les philosophes apportent des réponses aux questionnements humains, mais chacun peut élaborer, au cours de son cheminement et à son niveau, ses propres interprétations.
Dès les premières lignes de son livre, "Philosopher. Le kit de démarrage", publication destinée aux étudiants qui souhaitent s’initier à l’activité de réflexion par eux-mêmes, Jay F. Rosenberg décrit le besoin naturel chez l’humain de se poser des questions et de chercher les réponses.
« Qu’on soit en mesure ou non de l’articuler, la sensation qu’il y a un vide crucial dans notre compréhension des choses, une grande question encore en attente d’être résolue – voilà l’élan qui conduit à l’activité philosophique. » Mais il arrive parfois que «la pensée vacille, trébuche à force de tourner en rond (…). D’une façon ou d’une autre, la question est écartée. Elle est remise à plus tard, rejetée ou réprimée. Et pourtant, la plupart du temps, ce sentiment demeure – la frustration de sentir qu’il s’agit là, après tout, de questions importantes, de questions dont les réponses importent. Si seulement quelqu’un savait comment obtenir ses réponses !
Un philosophe professionnel est quelqu’un qui, entre autres choses, cherche à répondre à ses questions. La tâche qui revient en propre à ces philosophes consiste à dépasser ces sentiments indistincts pour faire entrer ces vagues mais importantes et fascinantes questions dans le champ d’action de la raison, à les faire passer du cœur jusqu’à l’esprit.
Le travail du philosophe consiste ainsi à transformer ces questions en quelque chose au sujet duquel on puisse réfléchir – et puis d’y réfléchir. Une telle entreprise requiert de la part des philosophes à la fois une stratégie générale – une méthode – et des tactiques au cas par cas – des techniques qui lui sont propres. Bref, c’est une discipline. »
L’auteur part d’une observation sur un élan naturel inhérent à l’humain pour décrire comment un penseur s’emparera des idées naissantes et, malgré les méandres de sa pensée, les organisera dans le but de proposer un discours structuré et intelligible pour celle/celui qui le lit ou qui l’écoute. Il fait également référence au passage de ce qui est individuel à l'universel.
Un autre auteur connu, Fabrice Midal, reprend une citation de Maurice Merleau-Ponty issue de l’ "Eloge de la philosophie", où le penseur brosse le portrait d’un certain type de philosophe :
« Le philosophe moderne est souvent un fonctionnaire, toujours un écrivain, et la liberté qui lui est laissée dans ses livres admet une contre-partie : ce qu’il dit entre d’emblée dans un univers académique où les options de la vie sont amorties et les occasions de la pensée voilées ».
Dans "Comment la philosophie peut nous sauver. 22 méditations décisives", Midal oppose cette figure académique voire presque administrative à la posture de Socrate qui, tout simplement, allait se promener et réfléchissait, s’interrogeait et questionnait les autres, pour essayer de comprendre, sans vouloir se prévaloir d’une thèse, sans viser aucun poste ni honneur, sans désirer le pouvoir. Voilà qu’on touche ici à l’état d’esprit du penseur et aux influences et interactions avec son environnement qui conditionnent, au-delà de la méthode de travail, la démarche même du philosophe. On s’aperçoit que la question de la liberté que s’octroie le penseur occupe ici le premier plan et c’est surtout elle qui le définit.
En troisième lieu, pour répondre à votre question, on pourrait reprendre les observations de Jean-Luc Nancy, formulées dans un dialogue mené avec Emile, un collégien bien curieux, où le philosophe explique, en utilisant un langage très simple et limpide :
« La philosophie, c’est peut-être ce que tout le monde fait, et quelquefois de manière presque silencieuse, même pas réfléchie, en vivant. Si tu vis, tu donnes un peu du sens à ça. Pas forcément un sens final ».
Très clairement, chacun, en vivant, en faisant ses choix, mène une réflexion à son niveau. La littérature sur laquelle on peut prendre appui nourrit toute réflexion car elle est abondante, structurée, étayée, mûrie par de grands philosophes. L’inspiration qui s’opère relève toutefois du domaine intime. De manière évidente donc, « si tu vis, tu donnes un peu du sens à ça. Pas forcément un sens final », pas obligatoirement dans l’absolu, mais un sens personnel, une interprétation élaborée individuellement et qui peut évoluer.
Pour aller plus loin :
Vous pouvez consulter le "Dictionnaire philosophique" d’André Comte-Sponville, éd. PUF, 2021, et notamment la notion de question, (p.1073) et, bien entendu, sa conséquence directe, la réponse (p. 1124) ;
ou encore "Problématiques philosophiques. 15 dissertations de philosophie à l’usage des étudiants des classes préparatoires et des universités", de Bernard Baas, éditions H&K, 2013. Le chapitre 11 propose une réflexion dédiée à l’action de répondre (p. 189-208).